Revue de l'OTAN
Mise à jour: 23-Oct-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 44- No. 3
Mai 1996
p. 21-24

Le rôle de l'UEO dans le nouvel
environnement stratégique

Sir John Goulden
Représentant permanent du
Royaume-Uni au Conseil de
l'Atlantique nord et au Conseil de l'Union

Dans le nouvel environnement stratégique, les forces militaires de l'OTAN risauent fort d'être de plus en plus appelées à participer à des opérations de paix et d'assistance humanitaire, comme en Bosnie. Mais si l'Alliance doit conserver un rôle dé, on ne peut s'attendre à ce qu'elle dirige toutes les opérations. Dans certains cas, l'Europe devrait en assumer plus directement la charge et dans ce cas, l'UEO serait particulièrement bien placée pour prendre en main l'aspect politique des choses. L'objectif spécifique de la Grande-Bretaane, durant sa présidence de l'UEO, consiste à préparer l'organisation à des tâches nouvelles, notamment dans le domaine des missions humanitaires et de sauvetage. La Grande-Bretagne admet également que l'Union européenne a une contribution essentielle à apporter à la sécurité non-militaire. Mais la fusion de l'UEO et de l'UE dresserait de nouveaux obstacles à l'accession des pays d'Europe centrale à l'Union, augmenterait les craintes de la Russie et marginaliserait certains alliés de l'OTAN.

Le Royaume-Uni, qui occupe actuellement la présidence de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), est lié de longue date à cet organisme. En effet, la Grande-Bretagne en a été un des membres fondateurs et Londres l'a accueilli pendant près de quarante ans. Elle a également été au cœur de la réactivation de l'UEO dans le milieu des années 80.

L'attachement du Royaume-Uni à l'UEO reflète son profond engagement en ce qui concerne la sécurité et la stabilité en Europe et au-delà. A titre d'illustration, l'année dernière, la Grande-Bretagne a été le pays qui, à lui seul, a contribué le plus largement aux opérations de maintien de la paix des Nations unies dans le monde.

Notre contribution à la Force de mise en œuvre dirigée par l'OTAN (IFOR) en Bosnie, dont le déploiement a commencé en décembre, est constituée de quelque 13 000 hommes. Ce qui représente un effort bien plus grand, en termes de population, de part du PNB ou de fraction de nos forces armées, que ceux produits par les autres pays. C'est parce que nous attachons une importance primordiale à nos responsabilités en matière de défense que la Grande-Bretagne s'intéresse tant à l'avenir des institutions de sécurité dont elle fait partie.

L'objectif global de notre présidence de l'UEO est d'aider à créer, pour l'Europe, des arrangements de défense et de sécurité auxquels nos citoyens pourront se fier. Ils doivent donc être crédibles et concrets. Qui plus est, ils doivent être fonctionnels et en rapport avec les véritables défis à la sécurité auxquels nous serons confrontés dans les années à venir, et non seulement répondre à un désir de clarté bureaucratique ou institutionnelle.

Trois grands défis

Quels sont-ils? Pour ma part, j'en vois trois.

  • Premièrement, le maintien de notre capacité de défense et de la cohésion de la communauté atlantique; la défense collective à travers l'OTAN demeure le meilleur moyen d'y parvenir;

  • Deuxièmement, la création d'une Europe libre et sans exclusion. Ce qui signifie qu'il faut étendre à l'est la stabilité et la prospérité que nous avons si longtemps jugée toute naturelle en Europe de l'ouest, tout en nous protégeant contre l'apparition de nouvelles divisions;

  • Troisièmement, la promotion de la sécurité ailleurs dans la région et dans le monde. L'histoire, la culture et le commerce ont tissé des liens entre l'Europe et presque toutes les parties du globe: de la Méditerranée à l'Extrême-Orient, de l'Afrique à l'Amérique latine.

Ces trois grandes tâches constituent un vaste programme. De quels instruments avons-nous besoin?

L'OTAN et la présence américaine en Europe demeurent le fondement de notre sécurité commune. Nous devons conserver une Alliance forte, tant à des fins de défense collective qu'en vue d'opérations nouvelles, comme celle de l'IFOR, qui ne sont possibles que grâce à la présence des troupes américaines et des troupes européennes sur le terrain. En outre, l'Alliance tirera une force nouvelle de la décision de la France de participer plus pleinement à une OTAN adaptée. Il s'agit d'une occasion importante, dont nous nous félicitons vivement.

L'Alliance a aussi un rôle central à jouer dans l'extension de la stabilité à l'est. Dans cette optique, le Partenariat pour la paix (PfP) a extraordinairement bien réussi à faire coopérer d'ancien adversaires - et à les préparer, comme en Bosnie, à des opérations conjointes.

Pour certains pays, la participation au PfP débouchera, en fin de compte, sur l'adhésion à l'Alliance. C'est un engagement. Mais l'élargissement n'est pas une panacée; il ne pourra ni englober tous les pays ni répondre à tous les besoins en matière de sécurité. Il implique également un énorme engagement pour les nouveaux membres comme pour l'Alliance, parce que l'OTAN est un organisme politique et militaire, et non pas une société d'organisation de débats.

Ce processus doit donc être traité avec mesure et dans la transparence, comme un puissant outil parmi d'autres pour construire une Europe élargie et plus sûre, à laquelle nous aspirons. L'élargissement se fera, mais il ne menacera personne. Et nous voulons qu'il aille de concert avec la poursuite d'un PfP vigoureux et avec l'approfondissement d'un partenariat spécial avec la Russie et l'Ukraine.

Des rôles nouveaux pour l'OTAN et l'UEO

Le nouvel environnement stratégique crée de nouvelles demandes et
de nouvelles menaces. Dans l'avenir, il est probable que nos forces armées servent à empêcher des tensions de dégénérer en guerre, à maintenir la paix pendant que l'on essaie d'apporter une solution politique à un conflit, ou à protéger les approvisionnements qui, dans le cadre de missions humanitaires, permettent à des populations de survivre et d'espérer. Et sans doute le feront-elles en coopération avec les forces d'autres pays. Ce qui s'est passé dans l'ex-Yougoslavie l'illustre bien.

Dans nombre de ces domaines, l'OTAN aura un rôle à jouer, mais nous ne pouvons et ne devons pas nous attendre à ce que ce qu'elle assure le rôle directeur de toutes les opérations. Il y aura des crises lors desquelles, pour diverses raisons, les intérêts européens seront nettement plus en jeu que ceux de nos alliés nord-américains. Il arrivera que l'Europe apporte la plus grosse contribution à une opération de l'OTAN, comme en Bosnie où près des deux tiers des troupes de l'IFOR sont constitués d'Européens.

Mais l'Europe peut aussi, parfois, assumer plus directement les charges en organisant elle-même des opérations de moindre envergure. C'est bien ce qu'ont prévu les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN en janvier 1994, lorsqu'ils ont arrêté le concept de Groupes de forces interarmées multinationales. Les discussions sur la mise en pratique de ce concept sont désormais bien avancées et la prochaine étape va consister à mettre en place un mécanisme de contrôle politique et de planification de ces opérations.
L'UEO est particulièrement bien placée pour assumer le contrôle politique d'opérations européennes:

  • Ses relations de travail avec l'OTAN peuvent lui permettre de tirer parti de la totalité des moyens européens, ainsi que des structures de commandement de l'Alliance. Inutile de les dupliquer, même si nous étions en mesure de le faire.
  • D'autre part, l'UEO entretient avec l'Union européenne des relations étroites qui peuvent nous permettre de coordonner les éléments militaires, politiques et économiques de toute réaction européenne à une crise.
  • L'UEO a acquis une expérience utile lors des opérations auxquelles elle a participé jusqu'ici, du déminage dans le Golfe à l'application des sanctions autour de l'ancienne Yougoslavie.
  • Vu son caractère purement intergouvememental, la responsabilité ultime des décisions dont dépendent la vie ou la mort des hommes ou femmes de troupe incombe à qui elle doit incomber, c'est-à-dire aux gouvernements nationaux.
  • En tant qu'unique organisation multilatérale au sein de laquelle des ministres des Affaires étrangères et de la défense se retrouvent régulièrement, elle est bien placée pour réaliser l'adéquation entre les moyens militaires et les objectifs politiques.
  • Et les modalités d'accession à l'UEO sont suffisamment souples pour lui permettre d'organiser des "coalitions de pays de bonne volonté" reposant sur les contributions d'une vaste gamme d'Etats européens, notamment la Turquie, la Norvège, l'Islande, les pays neutres et d'Europe centrale.

Les priorités de l'UEO

L'objectif spécifique de la présidence britannique est que d'ici à la fin de l'année, l'UEO soit prête à entreprendre quelques-unes des missions nouvelles arrêtées dans la Déclaration de Petersberg, en juin 1992, et notamment des opérations humanitaires et de sauvetage. Pour cela, notre présidence se concentre sur:

- Les capacités opérationnelles:
Au niveau opérationnel, nous avons accéléré les travaux sur le transport aérien stratégique. Nous avons offert de mettre quelques-unes de nos installations de préparation maritime à disposition des pays de l'UEO, dans la perspective notamment des missions de Petersberg. Et nous sommes en train de mettre sur pied une politique d'exercices cohérente et progressive, avec un programme annuel d'exercices UEO.

- Le contrôle politique:
Un de nos objectifs majeurs est de créer un Centre de situation capable de surveiller les opérations de l'UEO et de soutenir le processus de prise de décision politique. Ce Centre doit pouvoir collecter des informations sur l'avancement des opérations et les transmettre rapidement aux Etats membres lors du Conseil de l'UEO. Il doit aussi pouvoir, grâce à des mesures précises et fiables, traduire les décisions du Conseil en action sur le terrain.

- Une coopération plus étroite avec l'OTAN:
En 1991, les pays de l'UEO sont convenus qu'elle constituerait un moyen de renforcer la contribution de l'Europe à l'OTAN. Par ailleurs, le succès d'opérations menées par les Européens dépendra largement de l'usage que l'UEO peut faire des ressources et installations de l'OTAN. Pour ces deux raisons, il convient que soient mises en place des relations de travail plus étroites entre l'UEO et l'OTAN. Nous avons donc invité le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) à relancer la pratique consistant à faire des exposés au Conseil de l'UEO. Et nous considérons également comme prioritaires des négociations sur un Accord de sécurité avec l'OTAN.

- Le partenariat avec l'Union européenne:
L'Union européenne s'est dotée de puissants instruments politiques et économiques pour promouvoir la sécurité au sein de l'Europe et autour d'elle. Cela nécessite parfois une coordination avec les moyens militaires dont dispose l'UEO. Notre présidence collabore étroitement avec la présidence italienne de l'UE afin de promouvoir une coopération concrète entre les deux organisations. Pour la première fois, des Groupes de travail de l'UEO et de l'UE se rencontrent pour discuter de questions comme les opérations d'évacuation avec assistance militaire et l'administration de l'UE à Mostar.

- L'extension de la stabilité à l'est:
Un des points forts de l'UEO est son réseau d'associés et d'observateurs, qui rapproche un total de vingt-sept pays. Nous voulons permettre à ces pays de prendre plus pleinement part aux opérations et exercices de l'UEO. De surcroît, nous progressons de façon satisfaisante sur la voie de l'établissement de relations entre l'UEO et la Russie et l'Ukraine.

La CiG

Quelle signification tout cela a-t-il pour les problèmes de défense et de sécurité, dans l'optique de la Conférence intergouvernementale
de l'Union européenne qui a commencé début mars et au cours de laquelle il sera beaucoup question de la place de l'UEO au sein des structures européennes?
L'approche de la Grande-Bretagne sera pratique. Nous partirons de la réalité, des véritables défis, et nous efforcerons à partir de là de dégager des conclusions institutionnelles.

Les arrangements de sécurité en Europe, pendant la fin du XXè siècle, doivent:

  • Premièrement, permettre à chacun déjouer son rôle; non seulement aux quinze membres de l'UE, mais également aux nombreux pays européens qui n'en font pas partie et, bien entendu, aux Etats-Unis et au Canada.
  • Deuxièmement, refléter la diversité de tous les pays concernés en Europe et de leurs politiques de défense.
  • Troisièmement, prendre dûment en compte les intérêts des alliés de l'OTAN qui ne font pas partie de l'UE.
  • Quatrièmement, respecter la position des membres de l'UE qui ont choisi de rester en dehors des arrangements de défense collectifs.

Certains ont dit que la CIG devrait prendre les premières mesures en vue de la fusion, à terme, de l'UE et de l'UEO. A cette fin, elle subordonnerait l'UEO à la direction politique de TUE. Ce serait placer la clarté institutionnelle et l'illusion de progresser avant les besoins réels de l'Europe en matière de sécurité. C'est une recette allant non dans le sens d'une plus grande coopération en matière de défense, mais d'une moindre coopération. En encombrant l'Union de responsabilités militaires, on n'ajouterait rien à la contribution unique que l'UE peut apporter en faveur d'une plus grande sécurité régionale à travers les instruments politiques et économiques dont elle dispose, même en supposant qu'il soit politiquement réalisable d'incorporer le Traité de Bruxelles modifié dans le Traité sur l'Union.

C'est tout le contraire: en conférant à l'UE des responsabilités militaires qu'elle n'a pas les moyens d'assumer, on entraverait l'extension de la stabilité et de la prospérité à l'est en dressant un nouvel obstacle à l'accession des pays d'Europe centrale et en suscitant inutilement les craintes de la Russie. Ce serait aussi marginaliser quelques alliés de l'OTAN en plaçant certains Etats membres de l'UE devant des choix qu'ils ne sont pas prêts à affronter. Ce n'est pas là la voie à suivre, et le Royaume-Uni ne la soutiendra pas.

Les propositions du Royaume-Uni sur les questions de défense à la CIG

En mars de l'année dernière, le Royaume-Uni a avancé toute une série de propositions concrètes en vue de faire face aux véritables défis auxquels est confronté le monde, aujourd'hui et dans l'avenir prévisible. Elles visent à permettre à l'UE et à l'UEO de gérer les crises futures de façon cohérente, en tirant parti des atouts de chaque organisation et de leurs structures conventionnelles distinctes. En outre, elles respecteraient le fait que dans chacun de nos pays, la défense est traitée avec une sensibilité particulière, comme un des aspects fondamentaux de la souveraineté.

Dans son approche de la CIG, la Grande-Bretagne admet également que l'Union européenne a une contribution essentielle à apporter à la sécurité régionale et globale dans le domaine non-militaire. Elle fera tout son possible, au cours de la CIG, pour améliorer cette capacité de l'UE au travers de la Politique étrangère et de sécurité commune.

Il faut néanmoins garder la CIG en perspective. Ce dont nous avons besoin, c'est d'arrangements de coopération européenne en matière de défense qui soient fonctionnels aujourd'hui et dans les années à venir. Les décisions relatives au plus long terme devraient être prises à plus long terme, et non dans la précipitation, en dessinant un imprévisible futur.

Pour que l'UEO soit à la hauteur des défis d'aujourd'hui, il faut que ses Etats membres montrent qu'ils prennent leur défense au sérieux, qu'à plus grande échelle, ils respectent leurs engagements au sein de l'OTAN, et qu'ils soient prêts à étendre la sécurité à toute l'Europe et au-delà.

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