Revue de l'OTAN
Mise à jour: 23-Oct-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 44- No. 1
Janvier. 1996
p. 7-10

La coopération entre les pays baltes,
clé d'une sécurité élargie

Colonel Juris Dalbins
Commandant, Forces armées nationales de Lettonie

Les deux piliers du dispositif de sécurité de la Lettonie sont une capacité militaire efficace et coordonnée des trois Etats baltes et l'intégration dans les structures de sécurité plus larges de l'Occident. Le meilleur exemple de la coopération militaire balte est la création récente du bataillon de maintien de la paix BALTBAl Une telle coopération permettrait aux Etats baltes, tout au moins à court terme, de mettre au point une capacité de défense réaliste et d'apporter ainsi une contribution importante à la stabilité européenne. Cependant, une menace militaire sérieuse nécessiterait l'aide d'organisations de sécurité occidentales. En conséquence, il ne faut pas oublier que la stabilité des pays baltes est une composante indissociable de la sécurité européenne.

L' Estonie, la Lettonie et la Lituanie, pays situés dans une région qui a connu des siècles de confrontation violente et le retour à l'indépendance après la chute de l'empire soviétique, sont à présent confrontées à des problèmes de sécurité peu ordinaires. Mais en même temps, cette situation constitue aussi une ouverture unique en fournissant la clé d'une stabilité et d'une sécurité régionales et plus globales.

La Lettonie et les autres pays baltes ont, de par leur situation géographique, entre l'Est et l'Ouest, souvent tenté des États plus grands, aux tendances expansionnistes. Entre 1914 et 1945, période qui a inclu vingt et un ans d'indépendance, la Lettonie a subi deux occupations allemandes et trois occupations soviétiques.

Les problèmes de sécurité qui se posent aux pays baltes sont uniques pour diverses raisons. Premièrement, aucun autre pays postcommuniste n'a dû créer intégralement ses forces de défense - seule la Lituanie a pu s'emparer d'une petite partie de l'arsenal soviétique basé sur son teri-toire. Deuxièmement, on comprend bien que les ressources allouées pour la défense ont été limitées face aux revendications à la réforme concurrentielle d'autres secteurs de la société - comme les enseignants, les médecins et les retraités - difficiles à repousser.

Cependant, il a été encore plus difficile de réunir un consensus sur la politique de défense. En 1940, l'URSS a pu annexer les Etats baltes sans résistance malgré l'existence de forces armées importantes et formées dans les trois pays. Cela a créé un fâcheux précédent. Aujourd'hui, on entend souvent dire que le voisin oriental de la Lettonie ne constitue pas une menace militaire, qu'il n'est donc pas nécessaire d'avoir des forces armées, et que de toute façon, si une menace surgissait, elle serait si grande que les efforts de la Lettonie pour se défendre elle-même seraient vains. Bref, on se demande si un dispositif de sécurité letton crédible est possible, ou si les efforts militaires de la Lettonie ne seront jamais qu'un leurre et un gâchis de ressources.

Tout cela doit être replacé dans le contexte de la situation démographique de la Lettonie, qui est aussi celle de l'Estonie. La dure réalité est que deux autres décennies d'occupation de type soviétique, avec la politique de russification qui l'accompagnait, auraient réduit les Lettons à une petite minorité dans leur propre pays. La viabilité d'un Etat-nation letton aurait donc été, pour le moins, douteuse. La Lettonie ne pourrait tout bonnement pas supporter une autre occupation, d'où la nécessité de concevoir un dispositif de sécurité réaliste et crédible. Le principe fondamental est que la Lettonie ne doit en aucun cas soumettre ses activités politiques et militaires à une autre puissance.
L'objectif de la politique de sécurité lettone est de protéger et de développer les intérêts du pays, sa souveraineté, son intégrité territoriale, sa langue, son identité nationale, et la démocratie parlementaire instaurée par la Constitution - et d'assurer la protection et la garantie des droits et intérêts collectifs et individuels. La Lettonie n'est une menace pour aucun autre Etat et pour aucune minorité nationale sur son territoire.

Il ressort rapidement d'une analyse des risques qui pèsent sur la Lettonie en matière de sécurité que la menace militaire n'est qu'un des dangers qu'elle encourt, et sans doute pas le plus immédiat. La principale menace perçue est celle d'un retour dans la sphère politique, économique et militaire du grand voisin de la Lettonie. Ce n'est que si les tentatives pour éviter un tel retour échouaient, que la crainte d'une intervention militaire émergerait.

La sécurité repose donc sur la défense contre des menaces d'ordre politique, économique et criminel, mais aussi contre un certain nombre de causes de préoccupation particulières comme l'immigration clandestine, les activités illégales de groupes hostiles au gouvernement, de services secrets étrangers et de certains officiers en retraite. C'est pourquoi le dispositif de sécurité de la Lettonie doit se composer de divers éléments permettant d'affronter ces diverses menaces. Le plus important de ces éléments est celui de l'engagement de la communauté internationale pour l'appartenance de la Lettonie à la famille européenne des nations et la mise en place d'une économie stable, incluant des échanges avec l'Occident et des investissements des pays de l'Ouest.

Coopération et dissuasion

Mais ces mesures ne suffisent pas, à elles seules, à faire face au pire scénario - celui d'une menace militaire potentielle - que, l'expérience nous l'a appris, nous ne pouvons ignorer. Le dispositif de sécurité de la Lettonie doit donc aussi comporter un élément de défense et de dissuasion militaire. L'histoire a montré que la sécurité de la Lettonie repose avant tout sur la sécurité balte dans son ensemble. C'est un fait reconnu au niveau régional et l'accent qui est mis sur la coordination des questions de sécurité et de défense, dans les travaux du Conseil des ministres balte, en est la meilleure preuve. En cas de crise dans l'un des Etats baltes, il y a de fortes chances pour qu'une pression extérieure soit exercée sur les deux autres, afin d'empêcher une réaction coordonnée. Cependant, une menace à rencontre d'un Etat balte étant de toute évidence une menace à Fencontre des trois pays, il est dans leur intérêt d'agir ensemble. Une coopération militaire étroite doit donc aider à renforcer cette cohésion.

En théorie, une menace militaire potentielle contre la Lettonie, à court ou moyen terme, pourrait prendre la forme d'une campagne de déstabilisation délibérée, résultant d'une crise s'aggravant rapidement et suivie par une intervention militaire, brève et décisive, qui se ferait, sans doute, sous le prétexte de rétablir l'ordre ou celui d'activités de maintien de la paix. Les forces disponibles, à proximité de la région, pourraient être déployées dans de très brefs délais. L'effectif des forces potentiellement hostiles, qui seraient mobilisables dans le cadre de cette situation d'alerte, comparé à celui des forces années nationales de la Lettonie (qui comptent actuellement 23 000 hommes, y compris les troupes de surveillance des frontières et les éléments volontaires de la garde nationale), pourrait alors inciter un leader extrémiste à tenter l'aventure militaire en Lettonie ou chez un de ses voisins baltes.

En revanche, si l'on mettait en place un mécanisme assurant que tout agresseur aurait affaire aux trois Etats baltes simultanément, alors l'équation entre les forces en présence rendrait impossible la tactique de l'occupation rapide et décisive. En effet, les coûts, en victimes et en matériel, excéderaient les gains potentiels, sans parler des conséquences politiques et économiques qu'aurait une couverture télévisée à grande échelle.

Un agresseur devrait également tenir compte du fait que la seule occupation du territoire n'est pas synonyme de victoire militaire, car pour être vainqueur, il faut contrôler ce territoire. Or, il y a peu de chances qu'un agresseur puisse prendre le contrôle du territoire avant que la pression politique et économique internationale n'ait mis un terme à son entreprise. Cette conclusion, qui écarte la logique d'une attaque militaire éclair et très ciblée dans les Etats baltes - à condition que l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie soient solidaires et continuent de maintenir et de former de modestes forces de défense - constitue le premier pilier de soutien d'une stabilité et d'une sécurité régionales durables.

Des structures plus larges

Le second pilier de la sécurité balte doit être l'intégration des Etats baltes dans des structures de sécurité plus larges. Pour les Baltes, la voie logique est celle de l'adhésion à l'Union européenne (UE), l'adhésion de plein droit à l'Union de l'Europe occidentale (UEO) et à l'OTAN. On peut penser qu'il s'agit là d'une vision bien naïve, mais les pays occidentaux sont de plus en plus conscients que s'ils admettaient l'instabilité dans la région balte, en vertu de considérations politiques supérieures, ils pourraient du même coup mettre en péril la sécurité de l'Europe tout entière. Une agression contre les Etats baltes mettrait l'OTAN dans une situation politique extrêmement difficile. Bref, une agression dans cette région soulèverait le genre de questions auxquelles l'UE et l'OTAN n'ont pas plus envie de répondre maintenant que certains de leurs Etats fondateurs en 1938, dans un contexte du même genre.

J'ai dit que les Etats baltes peuvent, en théorie, avoir les moyens de dissuasion nécessaires pour éviter toute attaque surprise. Il est néanmoins possible qu'un changement de politique dans un pays voisin provoque le rassemblement de forces plus nombreuses à proximité de la région et que leur effectif permette une intervention militaire réussie dans les Etats baltes. Mais cela demanderait une réaffectation de ressources considérables et beaucoup de temps. Et pendant cette période, les structures de sécurité occidentales détecteraient cette préparation et auraient la possibilité de mettre au point une réponse appropriée et de prendre des mesures préventives adéquates.

Même si les Etats baltes ne sont pas encore membres de plein droit de ces structures, il est clair qu'un certain nombre de mesures concrètes pourraient renforcer la stabilité. Elles seraient fondées sur l'engagement réitéré de tous les partenaires PfP et de l'OTAN de s'acquitter des obligations fixées par la Charte des Nations unies et de respecter les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que ceux de l'Acte final d'Helsinki et de tous les documents ultérieurs de la CSCE/OSCE. Le mécanisme de mise en œuvre de cet engagement est contenu dans le Document cadre du PfP qui donne à un partenaire le droit de consulter l'OTAN s'il perçoit une menace directe à l'encontre de son intégrité territoriale, de son indépendance politique ou de sa sécurité. Ce mécanisme est l'occasion pour l'Occident d'apporter la preuve de son attachement déclaré à la souveraineté des Etats baltes. Il a donc une importance extrême.
Dans le même temps, certains ont suggéré que l'OTAN devrait conclure avec la Russie un traité bilatéral aux termes duquel les deux parties garantiraient le respect de l'intégrité, de l'indépendance et de la sécurité des pays situés entre l'Alliance et la Russie. Cela voudrait dire qu'en cas d'instabilité ou de menace contre la paix, l'OTAN et Moscou seraient tenus d'affronter conjointement la crise. Les Etats baltes seraient ainsi placés dans une zone-tampon mal définie. Cela signifierait que la Russie aurait, avec les membres d'une organisation de défense démocratique, une sorte de droit de regard, dans notre région, du seul fait de sa puissance.

Pour sa part, la Lettonie a clairement indiqué, dans son Concept de politique étrangère, que tout en désirant maintenir de bonnes relations avec tous les pays voisins, elle travaille à son intégration dans l'Occident plutôt que dans la Communauté des Etats indépendants (CEI). Un tel traité entre l'OTAN et la Russie compliquerait donc indûment sa progression vers l'Occident. En outre, il pourrait contraindre l'Occident à tester sa propre résolution à l'égard d'une emprise future imprévisible de la Russie dans une région où l'OTAN lui aurait déjà accordé un droit de regard. Il ne s'agit pas de nier que la Russie puisse être le plus important partenaire de sécurité de l'OTAN, mais seulement de reconnaître qu'il est dans l'intérêt de ce partenariat que les incertitudes liées à la sécurité ne mettent pas la Russie en position d'être poussée à une intervention militaire aux conséquences inconnues.

La coopération entre les Etats baltes

Après avoir présenté les deux piliers du dispositif de sécurité de la Lettonie - la capacité, avec ses voisins, de dissuader toute agression subite et le soutien des structures de sécurité occidentales, plus larges, contre une menace plus grave -j'aimerais compléter le tableau. Une bonne partie de ce que j'ai exposé repose sur l'hypothèse d'une coopération entre les Etats baltes. Mais est-elle une réalité?

Pendant l'entre-deux-guerres, des sentiments de jalousie réciproques et d'orgueil ont souvent fait obstacle à une coopération militaire étroite entre les pays baltes. Mais, nous nous efforçons à présent de montrer que nous avons su tirer les enseignements du passé. La coordination entre nos forces de défense naissantes a commencé avant même le retour à l'indépendance en 1991 et depuis lors, elle s'est poursuivie sans relâche. Officialisé par l'Accord de coopération dans les domaines des relations militaires et de défense signé par les trois ministres de la défense à Vilnius, le 27 février 1995, ce document dresse une liste des secteurs spécifiques dans lesquels la coopération doit être engagée et donne quelques orientations à ce sujet.

Bien entendu, la coopération commence par des réunions "face-à-face". A côté de celles qui ont lieu aux niveaux présidentiel, gouvernemental et ministériel, les Chefs de la défense des Etats baltes se rencontrent trois fois par an et les Chefs d'Etat-major se rencontrent également entre-temps, pour la préparation de ces réunions. Ces contacts ont abouti à une meilleure compréhension des problèmes des autres, à une confiance et un respect mutuels accrus, et ils ont débouché sur toute une série d'initiatives concrètes afin d'améliorer l'efficacité militaire, tant individuelle que mutuelle. Parmi les projets particulièrement fondés sur un travail en coopération, on peut citer l'interopérabilité navale, avec le premier exercice naval conjoint qui s'est déroulé en 1995, les télécommunications, qui permettent d'assurer un échange régulier d'informations opérationnelles et de renseignements, et un système de surveillance aérienne conjoint, conforme aux standards de l'OTAN.

Le meilleur exemple de coopération militaire balte à ce jour est la création et la préparation du bataillon balte de maintien de la paix, BALT-BAT. L'idée de former une force balte de maintien de la paix a été lancée pour la première fois en novembre 1993 lors d'une réunion des Chefs de la défense des Etats baltes à Tallin. Elle reposait sur la conviction de nos trois pays que c'est l'expérience démocratique occidentale qui doit inspirer les forces de défense nationales des pays baltes, et que la sécurité régionale ne pouvait être assurée que grâce à une coopération étroite entre les trois Etats baltes. A ce moment-là, la coopération politique entre les pays baltes avait atteint un stade qui permettait ce type de travail militaire en équipe, et cette initiative a ensuite été avalisée au niveau légal. Il est intéressant de noter qu'il s'est agi d'un processus ascendant. J'entends par là qu'une initiative soigneusement choisie par des soldats professionnels a été jugée compatible avec les exigences du moment et que les décisions politiques ont suivi.

Dès le début, le projet BALT-BAT a reçu un important soutien officiel de la part des pays nordiques et de la Grande-Bretagne, et d'autres pays, en particulier les Etats-Unis, lui ont apporté un large soutien pratique. Quatorze mois seulement après la proposition initiale, plus de cent officiers et sous-officiers estoniens, lettons et lituaniens ont commencé à suivre une préparation conjointe assurée par des instructeurs britanniques et nordiques à la base d'entraînement d'Adazi, près de Riga, en Lettonie. Cet automne, les cadres des compagnies ont commencé à former leurs propres compagnies. Entretemps, nous avons eu la chance de recevoir beaucoup de matériel et la création d'un poste de commandement du bataillon a été entreprise.
Ce projet sert divers objectifs importants: les Etats baltes peuvent commencer à jouer véritablement un rôle dans le maintien de la paix internationale, démontrant ainsi leur volonté d'assumer leur part des responsabilités internationales; et la préparation militaire balte est fortement améliorée par la mise au point de méthodes d'entraînement et de procédures opérationnelles communes qui ont toutes une nette orientation occidentale. Mais surtout, BALBAT est une expression concrète de la coopération militaire, sans laquelle la sécurité régionale serait problématique et notre adhésion future à l'OTAN douteuse.

Pour étendre notre capacité d'interopérabilité, nous envisageons d'organiser un bataillon de maintien de la paix entièrement letton qui participerait en permanence aux activités de maintien de la paix de BALTBAT, auquel il fournirait une compagnie selon un système d'alternance. Il est évident, comme dans de nombreux autres domaines, que les Etats baltes ont encore beaucoup à faire pour parvenir à un niveau de coopération militaire pleinement satisfaisant, mais je suis certain que nous sommes sur la bonne voie.
Dans une autre perspective de la sécurité, la Lettonie estime que le maintien de bonnes relations avec tous ses voisins a aussi une incidence sur sa situation intérieure. Elle doit créer des conditions telles, que des pays voisins ne puissent s'ingérer dans ses affaires intérieures. Cela implique un strict respect des exigences internationales en matière de droits de l'homme et la création de conditions économiques et sociales qui encourageront tous les résidents permanents à soutenir la constitution et le gouvernement actuels. C'est là l'ouverture unique dont j'ai parlé dans mon introduction. En effet, si cette politique intérieure, exposée très simplement, pouvait convaincre tous les segments de la population de Lettonie que le bien-être du pays est un avantage pour eux, alors l'intérêt qu'ils y trouveraient, combiné à une sécurité objective, pourrait bien augurer d'une période de stabilité démocratique, sans précédent, dans notre région.

Il est clair que les trois Etats baltes ne pourront résister à l'agression qu'ensemble et qu'en œuvrant de concert, même avec des capacités de défense réduites, ils peuvent assurer leur défense à court terme, apportant ainsi une pierre importante à l'édifice de la stabilité européenne. Dans le même temps, s'ils étaient confrontés à une menace militaire extérieure grave et préméditée, ils ne tiendraient pas longtemps sans l'aide des organisations de sécurité occidentales. Les principes de sécurité conjointe et de poursuite des objectifs nationaux de sécurité par le biais d'un effort collectif, qui sont au cœur de l'idéologie de l'OTAN, sont tout aussi valables pour les Etats baltes que pour de nombreux autres membres de la communauté nord-atlantique. La sécurité et la stabilité des pays baltes constituent une composante indissociable de la sécurité européenne, qui ne peut en aucun cas être laissée au hasard.

Back to Index Back to Homepage