Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 43- No. 5
Sep. 1995
p. 17-21

Les négociations sur l'interdiction complète
des essais: une perspective de Genève

Sir Michael Weston
Représentant permanent du Royaume-Uni à la Conférence sur le désarmement à Genève

Le Royaume-Uni - une des trois puissances nucléaires de l'Alliance - est activement engagé dans la poursuite d'un traité sur l'interdiction complète des essais, lequel jouerait un rôle important dans la réalisation des objectifs de non-prolifération et de désarmement. Cet article traite de l'avancement des négociations et évalue les perspectives dans un certain nombre de domaines-clés.

A l'heure actuelle, être ambassadeur auprès de la Conférence sur le désarmement, à Genève, est une mission à la fois passionnante et prometteuse. En effet, la Conférence a récemment été le cadre de quelques initiatives très heureuses et de travaux fructueux dans le domaine de la maîtrise des armements et du désarmement, et notamment de la conclusion de la Convention sur les armes chimiques. Elle avance désormais résolument vers ce qui promet d'être une de ses plus remarquables réalisations - dont beaucoup craignaient qu'elle ne voie jamais le jour: un traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBT -Comprehensive Nuclear Test Ban Treaty).

C'est un lieu commun, au sein de la communauté chargée de la maîtrise des armements, de dire qu'un nouveau traité ou un nouveau régime échouera pour la seule et unique raison que c'est une bonne idée. Le choix du moment est capital: si la communauté internationale n'est pas prête pour de nouvelles mesures, elles seront sans efficacité, même si leur nécessité paraît évidente, et quel que soit l'engagement des négociateurs. Le gouvernement britannique est convaincu que l'heure est venue de conclure un traité sur l'interdiction complète des essais. Cette opinion résulte de la difficile expérience qu'a constitué la dernière tentative de négociation d'un CTBT à laquelle le Royaume-Uni ait participé, qui a fait les frais de la détérioration du climat stratégique à la fin des années 70 et au début des années 80. Avec le recul, il apparaît qu'elle était sans doute prématurée. Depuis, comme chacun sait, l'environnement sécuritaire international a été bouleversé, ce qui a eu des conséquences considérables - cer- laines très positives, d'autres préoccupéantes, y compris pour l'Alliance. Elles ont également beaucoup influé sur les perspectives de maîtrise des armements nucléaires et de non-prolifération.

Pour le volet positif, la fin de la guerre froide et la coopération croissante entre l'OTAN et les pays de l'ex-Pacte de Varsovie, dont la Russie, ont réduit la suspicion, qui constituait un obstacle de taille à toute mesure internationale relative aux armes nucléaires, y compris à un CTBT. Par ailleurs, la préoccupation internationale de plus en plus grande concernant les menaces de prolifération d'armes de destruction massive a convaincu la quasi-totalité de la communauté internationale de la nécessité de conclure aussi rapidement que possible un traité d'interdiction des essais efficace.

Nous sommes persuadés qu'un CTBT peut être une contribution importante à la réalisation des objectifs de non-prolifération et de désarmement. En effet, les Etats détenteurs de l'arme nucléaire, dont le Royaume-Uni, sont prêts à sacrifier une large part de leur liberté de concevoir et de moderniser leurs armes afin que la non-prolifération puisse bénéficier à l'ensemble de la communauté internationale, et non pas seulement à eux. Les objectifs d'un CTBT sont totalement compatibles avec les politiques de l'OTAN sur la prolifération et il est agréable de constater que l'Alliance s'est engagée sans équivoque sur cette voie. Nous partageons l'idée, exprimée dans la Déclaration sur les principes et les objectifs de la non-prolifération nucléaire et du désarmement adoptée à l'issue de la récente Conférence de reconduction et d'examen du TNP, à New York, selon laquelle les négociations CTBT devraient, si possible, prendre fin au plus tard à la fin de l'année prochaine. Bien qu'un certain temps soit sans doute nécessaire avant que l'infrastructure technique et institutionnelle soit en place pour l'entrée en vigueur du traité, la conclusion des négociations et la ratification par un grand nombre d'Etats (dont les Etats détenteurs de l'arme nucléaire déclarés et les pays les plus préoccupants du point de vue de la non-prolifération) témoigneraient avec vigueur de l'intention qu'a la communauté internationale de soutenir une interdiction illimitée des essais nucléaires.

La grande différence, par rapport aux dernières tentatives de négociation d'un CTBT dans les années 70, tient au fait que les négociations actuelles ont lieu sur une base multilatérale dans le cadre de la Conférence sur le désarmement, à Genève. Une des raisons essentielles pour cela est très claire : si l'on veut que le traité soit un instrument de non-prolifération efficace, sa base doit être aussi large que possible. En effet, pour qu'un traité emporte l'adhésion de tous les pays, il vaut certainement mieux qu'il soit négocié par un grand nombre de pays représentatifs. L'avantage de ce processus de négociation multilatéral dans le cadre de la CD est qu'il progresse selon le principe du consensus, et que l'on prend donc pleinement en compte l'opinion de tous ceux qui participent aux travaux. Son inconvénient, en revanche, est qu'inévitablement, les progrès sont lents, surtout lorsque, comme dans le cas du CTBT, il faut mettre sur pied un système de vérification international efficace.
Portée

Pour les Etats détenteurs de l'arme nucléaire - c'est-à-dire les pays qui avaient fabriqué et fait exploser une arme nucléaire ou un autre engin explosif nucléaire avant le 1er janvier 1967, et dont la position est reconnue dans le TNP - assurer les avantages qu'offre la non-prolifération passe par l'acceptation de plusieurs contraintes en ce qui concerne leurs programmes d'armements nucléaires. L'engagement du Royaume-Uni de négocier et de conclure un CTBT montre que nous sommes prêts à faire ces sacrifices.

Toutefois, un CTBT n'interdira pas de posséder des armes nucléaires. Le Royaume-Uni, de même que les autres Etats détenteurs de l'arme nucléaire, demeureront responsables de la sécurité et de la fiabilité de leurs armes nucléaires. Nous nous rallions à l'engagement collectif en faveur de l'objectif ultime qu'est le désarmement nucléaire dans le cadre du désarmement complet et général, comme exposé dans le TNP. Mais, pour le moment, nous restons convaincus de la nécessité d'une dissuasion efficace comme garantie suprême de la sécurité de l'Alliance. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés de faire ressortir clairement que l'article du traité relatif à sa portée, s'il décrète l'interdiction totale des explosions expérimentales d'armes nucléaires, ne doit cependant pas être interprété comme défendant aux Etats détenteurs de l'arme nucléaire d'assumer ces responsabilités.

Ce point a été au cœur des discussions sur la portée du Traité, certaines délégations prônant l'interdiction de la simulation sur ordinateur et des autres travaux en laboratoire, la fermeture des sites d'essai et l'interdiction de préparer des essais. Pour sa part, consciente de l'importance des questions qui sous-tendent le chapitre sur la portée du traité, le Royaume-Uni a initialement souhaité maintenir la possibilité d'effectuer des tests exceptionnels pour des raisons de sécurité. Cependant, face à la tendance générale de la Conférence sur le désarmement sur cette question, nous avons retiré cette proposition fin avril. Nous avons bien précisé que nous ne chercherons pas à faire obstacle à un consensus sur la portée du traité, lequel aboutira peut-être à un texte final fondé sur un projet de texte australien bref et clair, interdisant simplement "toute explosion expérimentale d'armes nucléaires ou toute autre explosion nucléaire..." Nous espérons que l'on parviendra bientôt à une conclusion sur cette question et ferons tout ce que nous pourrons pour favoriser cette issue.

L'adhésion de tous

Pour qu'il réponde à nos objectifs en matière de non-prolifération, un CTBT doit emporter une adhésion aussi large que possible, et notamment celle de tous les Etats dits "du seuil". Un engagement contraignant de tous ces Etats, renforcé par un système de vérification efficace (cf. plus loin), constituerait un obstacle majeur à la conception d'armes nucléaires sophistiquées par des proliférateurs potentiels. Nous nous efforçons d'assurer que le Traité peut véritablement jouer son rôle dans le domaine de la non-prolifération et à cette fin, nous suivons deux voies.

Tout d'abord, il nous paraît raisonnable d'espérer que tous ceux qui ont pris part aux négociations d'un traité et en ont arrêté les conditions le ratifieront. C'est pourquoi, selon nous, plus le nombre des membres à part entière de la Conférence sur le désarmement sera élevé, plus ce sera positif pour cette organisation, qui joue déjà un rôle unique dans les négociations multilatérales sur la maîtrise des armements. Nous avons donc continué de plaider en faveur de l'élargissement de la CD, de son ouverture à tous ceux qui avaient fait acte de candidature avant une date donnée, par exemple le début des négociations sur le traité d'interdition complète des essais. Malheureusement, cet élargissement ne se fait pas, ce qui nous rappelle une fois de plus que des négociations sur le désarmement n'ont pas lieu dans un cadre isolé et sont affectées par l'environnement politique et de sécurité général. Malgré ce handicap, la Conférence sur le désarmement, plus particulièrement dans le cadre de ses travaux sur le CTBT, tire des avantages considérables de la participation active d'un certain nombre d'Etats importants (dont Israël) qui ont le statut d'observateurs.

Toutefois, compte tenu des difficultés institutionnelles, nous suivons également une seconde voie, initialement proposée par les Russes, qui fait dépendre l'entrée en vigueur du traité de sa ratification par tous les Etats dotés d'une capacité nucléaire. Il ne s'agit pas tant de dénoncer des pays spécifiques comme proliférateurs que de prendre en compte, sans discrimination, le fait évident que seuls les pays dotés d'une infrastructure nucléaire sont en mesure de concevoir des armes, et ensuite de les tester. Si cette approche était adoptée, aucun pays ne devrait craindre que l'acceptation du traité ne le désavantage, sur le plan stratégique, dans sa région.

Beaucoup de pays se contenteraient d'une approche moins rigoureuse, exigeant seulement un certain nombre de ratifications, que les pays du seuil fassent ou non partie des signataires. Leur seule préoccupation semble être que tous les Etats détenteurs déclarés de l'arme nucléaire aient ratifié le traité avant son entrée en vigueur. A notre sens, cela risquerait de faire du CTBT un outil anti-prolifération d'une utilité très relative. Il n'est pas certain du tout que les Etats détenteurs de l'arme nucléaire déclarés, ou même l'Alliance, soient prêts à accepter de très grandes restrictions de leurs capacités tandis que des proliférateurs potentiels garderaient leur pleine liberté d'action. En tant qu'alliance, nous ne devrions pas craindre de préciser que pour nous, la menace à rencontre de la sécurité internationale provient moins des Etats détenteurs de l'arme nucléaire que des proliférateurs potentiels. Réduire les capacités des Etats détenteurs déclarés de l'arme nucléaire en laissant celles des autres intactes n'améliorerait guère la sécurité globale.

Faisant preuve d'imagination afin que l'on sorte de cette impasse, les Etats-Unis et l'Australie ont tous deux proposé des idées inspirées de la formule du Traité de Tlatelolco de 1987 (qui crée une zone sud-américaine sans armes nucléaires). Elles permettraient aux Etats signataires de faire avancer la date d'entrée en vigueur du CTBT en renonçant à l'exigence que tous les Etats ayant des potentialités nucléaires le ratifient, à condition toutefois que les signataires considèrent qu'un nombre suffisant d'Etats l'ont fait. Nous sommes actuellement en train d'examiner ces propositions de très près. Jusqu'ici, cependant, nous ne sommes pas convaincus qu'elle répondent sufisamment au besoin d'assurer que tous les Etats du seuil seront liés par le traité.

Autres problèmes juridiques et institutionnels

Les travaux relatifs aux autres aspects juridiques et institutionnels du CTBT ont progressé lentement, mais sûrement. De nombreux textes ont déjà été adoptés. Les lectures répétées des projets font ressortir de plus en plus clairement les principaux problèmes de politique qui se posent. Des questions importantes demeurent irrésolues sur divers points, dont le préambule, l'examen du traité, sa durée et le retrait. Ainsi, les propositions de la Chine sur des explosions nucléaires pacifiques, sur l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire et sur des garanties de sécurité restent totalement en suspens. Elles suscitent l'opposition de nombreuses délégations et de tout le monde, en ce qui concerne les explosions nucléaires pacifiques. Cela reflète le fait que la conscience accrue des problèmes environnementaux et des progrès de la connaissance technique conduit pratiquement à un consensus sur l'absence de justification de toute explosion.

En revanche, le plus gros du travail reste à faire sur la structure et les fonctions de l'organisation qui serait chargée d'appliquer le CTBT. Nombre des problèmes soulevés sont de nature à la fois technique et politique, et il sera difficile de prendre des décisions à leur sujet tant que la forme du système de vérification n'aura pas été arrêtée. Ce genre de problèmes, difficiles à résoudre, sont bien connus de ceux qui ont travaillé sur d'autres régimes de maîtrise multilatérale des armements, comme la Convention sur les armes chimiques. Pour donner un exemple, on peut citer la question des relations entre la future organisation et l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). La plupart des délégations reconnaissent qu'il serait bon que l'organisation du CTBT coopère avec l'AIEA, mais les décisions relatives à d'éventuels liens institutionnels demandent que l'on dispose d'informations techniques et financières, lesquelles ne seront clairement connues que lorsque les travaux sur le système de vérification seront plus avancés.

Une question plus manifestement politique est celle de la composition du Conseil exécutif, qui sera chargé du fonctionnement de routine du système de vérification et plus particulièrement de l'envoi de missions d'inspection sur place. Les principales pommes de discorde devraient être la taille du Conseil (petit et efficace ou grand et plus représentatif), le nombre de sièges à attribuer aux différents groupes régionaux, l'existence ou non de membres permanents et, dans l'affirmative, les critères de sélection appliqués. Les discussions sur ce point délicat n'ont pas encore vraiment commencé. En revanche, il apparaît d'ores et déjà clairement que tous les Etats détenteurs de l'arme nucléaire et un certain nombre d'autres pays voudront avoir des sièges permanents. Il n'y aurait rien de surprenant à ce que ceux qui, aux termes du traité, devront faire le plus grand sacrifice, désirent être assurés d'avoir voix au chapitre concernant son application.

La vérification

Tout comme pour la Convention sur les armes chimiques, les dispositions relatives à la vérification sont au cœur même du traité. Ce sont d'ailleurs les divergences de vues sur les nécessités d'un régime de vérification qui ont empoisonné la dernière tentative de négociation d'un CTBT - dans les années 70.

Dans les négociations multilatérales de Genève, il est reconnu que la vérification est un des points les plus complexes, tant sur le plan technique que politique. Certaines des questions fondamentales que le Groupe de travail sur la vérification a dû aborder concernent les moyens techniques de détection et d'identification d'explosions nucléaires expérimentales effectuées en violation des clauses du traité, le degré d'accès que les Etats sont prêts à accorder à un régime de vérification et celui qu'ils sont prêts à accorder à une équipe d'inspection internationale.

Après un énorme travail technique, un consensus se dégage sur la nécessité d'un système de surveillance permanent, ainsi que de dispositions relatives à des procédures de consultation et de clarification et à des inspections internationales dans le but d'enquêter sur des événements ambigus. Des mesures supplémentaires, de nature à instaurer la confiance, sont également demandées, comme la notification d'explosions chimiques importantes qui pourraient engendrer des signaux sis-miques semblables à ceux d'une explosion nucléaire.

Un expert britannique, le Dr. Peter Marshall, de l'Atomic Weapons Establishment d'Aldermaston, a été désigné l'année dernière pour diriger les efforts techniques en vue de créer un système de surveillance international disposant de moyens de surveillance sismiques, hydroacoustiques, infrasonores et à radionucléides. Ces diverses techniques de surveillance ont pour objet de détecter les manifestations physiques d'une explosion nucléaire dans différents environnements et, dans la mesure du possible, de localiser leur source. Ainsi, si elle n'était pas pleinement maîtrisée, une explosion souterraine produirait des ondes de choc et pourrait aussi émettre dans l'atmosphère des particules radioactives et des gaz rares. Une explosion sous-marine pourrait être détectée par des capteurs hydroacoustiques disposés en des points stratégiques des zones océaniques, et peut-être aussi par des stations sismiques côtières. Enfin, un essai effectué dans la basse atmosphère pourrait être perçu par des dispositifs de surveillance infrasonores et par des stations à radionucléides qui détecteraient les débris radioactifs.

Des techniques de surveillance par satellite ont également été envisagées, mais leur coût élevé a conduit nombre de délégations à conclure qu'un système de surveillance intégré reposant sur les quatre techniques précitées serait la solution présentant le meilleur rapport qualité-prix. Cela demandera des réseaux mondiaux de stations de surveillance transmettant les données reçues à un centre de collecte international, lequel les traitera et les tiendra à disposition de tous les Etats parties. Un système sismique embryonnaire mais néanmoins valide est en cours d'expérimentation. Compte tenu de la complexité sans précédent d'un tel système de surveillance intégré, il est évident qu'il faudra un certain temps pour en mettre au point tous les détails techniques.

Des experts ont également accompli un travail utile sur les aspects techniques du futur régime d'inspections sur les sites, y compris sur les techniques et l'équipement qui seront nécessaires pour déterminer la nature d'un événement ambigu. De grandes divergences de vues subsistent cependant, au niveau politique, quant aux modalités de déclenchement et d'exécution d'une inspection, et notamment sur le degré d'accès qui devrait être accordé aux inspecteurs internationaux.

D'aucuns estiment que les problèmes, tant techniques que politiques, sont quasiment insurmontables. Je ne suis pas de ceux-là. Certes, la tâche n'est pas facile et demandera du temps. Mais je suis bien certain que cette fois-ci, nous atteindrons nos objectifs: un traité d'interdiction complète des essais nucléaires qui contribuera vraiment à la réalisation de nos objectifs de non-prolifération et qui, à son tour, améliorera le climat des négociations à venir sur la maîtrise des armemements et le désarmement. Le moment est opportun et l'ampleur de l'engagement des Etats n'a jamais été tel auparavant. Il reste seulement à travailler dur pour aller jusqu'au bout. Et à cet égard, le Royaume-Uni entend sans nul doute assumer sa part des responsabilités.