Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 43- No. 5
Sep. 1995
p. 8-11

Le développement opérationnel de l'UEO et
ses relations avec l'OTAN

José Cutileiro
Secrétaire général de l'Union de l'Europe occidentale

De véritables capacités de défense européennes sont indispensables à l'Union européenne et à l'Alliance. Le double objectif de l'UEO est de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique et d'être la composante de défense de l'Union européenne. Lors du Conseil des ministres de Lisbonne, en mai 1995, d'importantes mesures ont été prises en vue de renforcer le développement opérationnel de l'UEO, d'établir de nouveaux mécanismes de décision et de nouvelles structures. La mise en œuvre de ces mesures nécessitera une expérience pratique de la gestion des crises, et des exercices sont prévus à cette fin. Le rôle et la place de l'UEO dans les futurs arrangements institutionnels européens seront examinés lors de la Conférence intergouvernementale de l'UE en 1996. Si les liens entre l'UE et l'UEO demandent à être renforcés, en revanche, les solides relations qui se sont instaurées entre l'UEO et l'OJAN continueront d'être un élément important des arrangements européens en matière de sécurité.

J'ai eu le privilège d'être associé pour la première fois aux travaux de l'Union de l'Europe occidentale lorsqu'elle a été élargie au Portugal et à l'Espagne, en 1988. J'ai, à cette époque, assumé la responsabilité des négociations pour le Portugal. Au cours de cette période, nous avons été témoins des premiers efforts de coopération opérationnelle avec des pays membres de l'UEO qui assuraient la liberté de navigation dans les eaux du golfe Persique pendant la guerre Iran-Irak. En prélude aux négociations sur l'accession des deux pays ibériques au Traité de Bruxelles modifié, l'UEO avait déjà établi les grandes lignes - dans sa Plate-forme de la Haye, d'octobre 1987 - des intérêts européens en matière de sécurité, qui furent accueillies favorablement lors du Sommet de l'Alliance au mois de mars suivant.

En novembre 1994, lorsque ma nomination comme nouveau Secrétaire général de l'UEO a été confirmée à la réunion ministérielle de l'UEO à Noordwijk, 27 pays participaient au développement de l'Organisation et aux consultations politiques liées à celui-ci: les membres à part entière (dont le nombre est passé à 10 depuis la ratification de l'adhésion de la Grèce le 6 mars 1995),(1)les membres associés (les trois alliés de l'OTAN qui ne sont pas membres de l'Union européenne mais qui participent pleinement à la plupart des activités de l'UEO),(2) les observateurs (les cinq membres de l'UE qui ne sont pas parties au Traité de Bruxelles modifié),(3) et les neuf associés partenaires d'Europe centrale.(4)

Les décisions prises à l'issue de la réunion de Noordwijk nous ont fait progresser vers la réalisation de l'identité européenne de sécurité et de défense sur la voie tracée par l'Article J.4 du Traité sur l'Union européenne. Lors de ce conseil, les ministres ont abouti à un ensemble de conclusions préliminaires sur la formulation d'une politique européenne de défense commune. Ils ont également lancé une "réflexion commune", parmi les vingt-sept pays de l'UEO, sur les nouvelles conditions de sécurité en Europe. Leur objectif était de mener une analyse commune des problèmes qui se posent et, dans une deuxième phase, d'arrêter les solutions appropriées. Sur le plan opérationnel, l'UEO avait déjà mis en place sa Cellule de planification et participait avec succès à trois opérations dans l'ancienne Yougoslavie.

Six ans après ma première prise de contact directe avec une UEO en expansion mais pas encore totalement réactivée, je me suis trouvé à la barre d'une organisation bien engagée dans la poursuite de son double objectif: celui de renforcer le pilier européen de l'Alliance atlantique et celui d'être la composante de défense de l'Union européenne.

Les missions nouvelles

Le grand tournant avait été déclenché par les Déclarations de l'UEO à Maastricht (décembre 1991) et à Petersberg (juin 1992). Ce sont elles qui ont défini les fondements pratiques d'un véritable rôle opérationnel de l'UEO en établissant des missions nouvelles, comme la gestion des crises et le maintien de la paix, en rapport avec les défis de l'après-guerre froide. L'élargissement de l'UEO a été une conséquence politique de son nouveau double rôle au service à la fois de l'Alliance et de l'Union européenne, pour cette dernière dans le cadre de sa nouvelle politique étrangère et de sécurité commune.

La crédibilité de l'UEO et, en temps de crise, son efficacité ultime, dépendent d'un soutien militaire bien structuré, multinational et flexible. Fin 94, le Conseil de l'UEO avait été chargé d'étudier des arrangements financiers appropriés comme condition préalable au développement équilibré des capacités opérationnelles de l'UEO. Un budget opérationnel adéquat, ainsi que des mécanismes et procédures de consultation efficaces et un bon soutien politico-militaire étaient nécessaires pour permettre à l'Organisation de réagir rapidement à des crises. Il fallait beaucoup plus de nerf et de muscle à l'UEO pour qu'elle puisse se montrer à la hauteur de ses missions et responsabilités déclarées.

Les exigences du moment ont été clairement appréciées par les autorités portugaises, au début de l'année 1995, lorsqu'elles ont proposé à leurs partenaires un ambitieux programme de travail pour la période de leur présidence. Sur cette base, de grands pas en avant ont été accomplis et reconnus par le Conseil des ministres à Lisbonne, le 15 mai 1995. La première partie de la réflexion commune sur les nouvelles conditions de sécurité en Europe a été effectuée.

Les opérations nouvelles

En ce qui concerne le développement opérationnel de l'UEO, les ministres ont approuvé une décision qui la dote de nouveaux mécanismes de décision et de nouvelles structures, notamment par la mise en place d'un groupe politico-militaire qui appuiera le Conseil en ce qui concerne les crises et la gestion des crises. Cette capacité sera renforcée par la création d'un Centre de situation et d'une Section renseignement au sein de la Cellule de planification.

Ces dispositions demandent clairement qu'une expérience pratique soit acquise. Elle peut l'être au travers des exercices conjoints, et le Portugal a déjà exprimé son intention d'organiser, selon un scénario conçu par l'UEO, un exercice de gestion des crises avec le Corps européen.

Les ministres se sont aussi félicités de la décision de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal d'organiser une force terrestre (EUROFOR), conçue comme force de réaction rapide dans la région Sud, et une force maritime (EUROMARFOR), ouverte à tous les membres de l'UEO. EUROFOR et EUROMARFOR seront à la disposition de l'UEO comme de l'OTAN, à l'instar d'autres forces multinationales européennes. Cette initiative renforcera la capacité opérationnelle de l'Europe en ce qui concerne les opérations envisagées conformément à la Déclaration de Petersberg de 1992. Les relations entre l'UEO et ces deux nouvelles forces multinationales doivent être précisées dans les prochaines semaines.

Dans le domaine des activités spatiales, les ministres ont approuvé la création du Centre satellitaire de Torrejon, près de Madrid, qui sera un organe subsidiaire permanent. Pour sa part, le Groupe Espace a été chargé de s'attacher à l'étude des approches proposées pour développer la compétence de l'UEO dans le domaine de l'imagerie satellitaire.

Les opérations de l'UEO dans l'ancienne Yougoslavie (sur le Danube, dans l'Adriatique et à Mostar), expression visible de l'engagement de l'UEO au titre de la sécurité européenne, se poursuivent. Cette coopération étroite entre l'Union européenne et l'UEO est une bonne illustration de la mise en pratique de la relation de travail prévue dans le Traité de Maastricht sur l'Union européenne.

Le groupe informel d'experts gouvernementaux du Groupe Armements de l'Europe occidentale (UEO/-GAEO) et de l'Union européenne a terminé son étude sur les options pour une politique européenne de l'armement. Des décisions devront bientôt être prises au sujet de la mise en place d'une Agence européenne des armements.

Sur le plan institutionnel, il a, bien entendu, fallu relever le défi de la gestion politique liée à la participation de 27 pays qui ont les mêmes valeurs et les mêmes aspirations mais dont les situations intérieures et les préoccupations extérieures sont tellement variées. Le rôle principal a été joué par les 18 Etats membres à part entière, membres associés et observateurs. Le cercle intérieur des 10 membres à part entière se charge de tâches spécifiques de nature institutionnelle et organisa-tionnelle, puisque la contribution de ces pays s'élève à 96,1 % du budget total, les 3,9 % restants étant versés par les trois membres associés. Le cercle extérieur - les bénéficiaires de la "main tendue" de l'Union européenne, puisque le statut d'associé partenaire requiert la signature préalable d'Accords européens avec l'UE - est constitué des pays d'Europe centrale.

Une caractéristique commune à tous est la volonté de ces 27 membres de contribuer aux opérations "de type Petersberg" qui pourraient être confiées à l'UEO. Les organes ministériels, qui comprennent le Secrétariat général et la Cellule de planification à Bruxelles, l'Institut d'études de sécurité à Paris et le Centre satellitaire à Torrejon, soutiennent le travail du Conseil permanent, qui se réunit chaque semaine, alternativement à 18 et à 27.

L'Espagne, qui assumait la présidence en juillet, a établi deux priorités. Sur le plan conceptuel, le Conseil permanent se penchera sur la question de la contribution de l'UEO à la Conférence intergouvernementale de 1996, comme convenu à Noordwijk. Elle préparera également la seconde partie de la réflexion commune sur les conditions nouvelles de la sécurité européenne, document qui présentera un certain nombre de réponses possibles aux risques potentiels déjà définis dans la première partie de l'étude. Une fois réunies, ces deux parties pourraient servir de base à la publication d'un "Livre blanc" sur la sécurité européenne, référence de tous les pays de l'UEO en matière d'amélioration et de renforcement de leur sécurité commune à travers des politiques de défense convergentes.

Sur le plan opérationnel, la mise en œuvre de plusieurs décisions prises à Lisbonne demandera à être suivie: le lancement des activités du nouveau groupe politico-militaire et l'étude de ses liens possibles avec d'autres organisations et d'autres quartiers-généraux opérationnels; la création d'un Centre de situation; la mise en place d'une Section Renseignement au sein de la cellule de planification; la préparation des règles d'engagement de l'UEO en vue de la mise en œuvre des missions de Petersberg.

Pour sa part, la Cellule de planification travaillera sur un ensemble de plans d'opérations humanitaires et d'évacuation dans le cadre des réflexions en cours sur une force d'intervention humanitaire de l'UEO et sur le maintien de la paix et la prévention des conflits en Afrique. La liste des forces relevant de l'UEO (FRUEO) sera mise à jour en prenant en compte la diversité des statuts au sein de l'UEO, les forces multinationales nouvellement créées et celles qui sont déjà opérationnelles.

Les relations avec des pays tiers à travers un dialogue politique seront poursuivies, surtout avec les pays d'Europe orientale et dans le cadre du dialogue entre l'UEO et les pays méditerranéens non-membres. Les contacts existants avec la Russie et l'Ukraine seront maintenus. Un dialogue avec Chypre et Malte a été engagé en juin et, enfin, le dialogue méditerranéen englobe maintenant l'Etat d'Israël.

La préparation de la Conférence intergouvemementale

La Conférence intergouvernementale de 1996 examinera le rôle et la place de l'UEO dans les futurs arrangements institutionnels européens. Au stade actuel, l'issue de la conférence est imprévisible. Et l'on ne peut pas non plus prévoir l'action qui pourrait être recommandée dans la contribution de l'UEO qui doit être soumise aux ministres, à Madrid, en novembre prochain. Jusqu'ici, peu d'Etats membres ont clairement exprimé leurs idées et intentions générales.

Une chose est cependant claire: l'Union européenne est devenue et restera le principal organe de décision sur toute une gamme de questions qui affectent les intérêts de l'Europe, notamment les questions de politique étrangère et de sécurité qui ont une incidence directe sur les activités de l'UEO. C'est pourquoi les liens entre les deux organisations devront être renforcés. Mais il est tout aussi clair - tout le monde le reconnaît - qu'il faut préserver l'Alliance atlantique. Ces deux réalités définissent un cadre d'élaboration de la coopération entre les pays européens en matière de défense.

Deux éléments auront probablement une importance toute particulière. Premièrement, les décisions fondamentales concernant la défense et la sécurité continueront d'être prises au niveau intergouvernemental. A l'heure actuelle, il est inconcevable que des décisions sur, par exemple, l'envoi de forces à l'étranger pour y participer à des opérations militaires, puissent être prises par d'autres instances que les gouvernements nationaux.

Deuxièmement, les solides relations qui se sont instaurées, au fil des ans, entre l'UEO et l'OTAN, demeureront une caractéristique importante des arrangements de défense en Europe après la conférence. Les principes de complémentarité, de compatibilité et de transparence restent tout à fait pertinents aujourd'hui. Il est clairement reconnu, en particulier, que les différences que l'on peut relever, en Europe, dans la couverture assurée par les engagements militaires respectifs des traités de l'UEO et de l'OTAN doivent être évitées. Considérant ces deux éléments, l'UEO est bien placée pour rester au cœur du développement ultérieur de l'identité européenne de sécurité et de défense.

Une division potentielle des tâches entre l'Alliance et l'UEO a été définie plus clairement depuis le début des années 90, sur la base de la nouvelle situation géostratégique mondiale. La mise en œuvre de l'Article V du Traité de Bruxelles modifié de l'UEO reste avant tout sous la responsabilité de l'Alliance. Cependant, en vertu de l'Article VIII, d'autres types d'opérations d'intensités variables peuvent être entreprises. Et pour ces dernières - dites missions de Petersberg - l'UEO doit être prête à en assumer la responsabilité.
Aussi difficile soit-il de le définir et de le traduire en réalité opérationnelle, le concept de groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) répond aux besoins qu'a l'Europe de pouvoir mener des opérations auxquelles les Nord-Américains souhaiteraient ne pas participer. L'UEO assume pleinement sa part: son document sur les "critères et modalités pour l'emploi effectif des GFIM par l'UEO" a été présenté à l'OTAN en juin 1994. En mai dernier, l'UEO a envoyé à l'OTAN un document sur les "mécanismes et procédures nécessaires à l'emploi par l'UEO des moyens et capacités de l'Alliance", ce qui aidera l'OTAN à déterminer quelles ressources et quels moyens elle pourrait mettre à la disposition de l'UEO.

Les relations de travail entre ces deux organisations au sujet des GFIM s'intensifient sur la base des décisions récentes prises par leurs deux Conseils. Les progrès accomplis sont examinés lors de sessions conjointes des Conseils de l'UEO et de l'OTAN, qui se tiennent désormais à un rythme trimestriel régulier. Par ailleurs, les deux Secrétariats entretiennent des contacts étroits à travers des réunions conjointes et une représentation croisée aux réunions des groupes de travail chargés des GFM. Ces rapports sont sans doute appelés à se renforcer au fur et à mesure que nous avancerons vers la finalisation du rapport du Conseil de l'Atlantique nord sur la mise au point du concept de GFIM.

L'avenir institutionnel

Pour l'UEO, progresser signifie donner la priorité à son développement opérationnel, dont dépend en dernier ressort sa crédibilité vis-à-vis de l'Union européenne et de l'Alliance.

Etant donné que de véritables capacités de défense européennes sont indispensables, tant à l'Union européenne qu'à l'Alliance, l'identité européenne de sécurité et de défense continuera de se construire. Mais il s'agira d'un processus graduel, qui demande une volonté politique, des moyens et des consultations avec nos alliés. Quelques pierres ont déjà été posées, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. La poursuite du développement de l'UEO ne sera nullement un obstacle aux options institutionnelles futures; l'UEO est prête, bien au contraire, à favoriser l'expression concrète de toute option qui sera choisie. Quel que soit son avenir institutionnel, l'UEO a un rôle majeur à jouer dans la construction de la sécurité et de la défense européennes.

(1) L'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, le
Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, et le Royaume-Uni.
(2) L'Islande, la Norvège et la Turquie.
(3) L'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Irlande et la Suède.
(4) La Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie.