Edition Web
Vol. 43- No. 5
Sep. 1995
p. 8-11
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Le
développement opérationnel de l'UEO et
ses relations avec l'OTAN
José Cutileiro
Secrétaire général de l'Union de l'Europe occidentale
De véritables capacités de défense européennes
sont indispensables à l'Union européenne et à l'Alliance.
Le double objectif de l'UEO est de renforcer le pilier européen
de l'Alliance atlantique et d'être la composante de défense
de l'Union européenne. Lors du Conseil des ministres de Lisbonne,
en mai 1995, d'importantes mesures ont été prises en vue
de renforcer le développement opérationnel de l'UEO, d'établir
de nouveaux mécanismes de décision et de nouvelles structures.
La mise en uvre de ces mesures nécessitera une expérience
pratique de la gestion des crises, et des exercices sont prévus
à cette fin. Le rôle et la place de l'UEO dans les futurs
arrangements institutionnels européens seront examinés lors
de la Conférence intergouvernementale de l'UE en 1996. Si les liens
entre l'UE et l'UEO demandent à être renforcés, en
revanche, les solides relations qui se sont instaurées entre l'UEO
et l'OJAN continueront d'être un élément important
des arrangements européens en matière de sécurité.
J'ai eu le privilège d'être associé pour la première
fois aux travaux de l'Union de l'Europe occidentale lorsqu'elle a été
élargie au Portugal et à l'Espagne, en 1988. J'ai, à
cette époque, assumé la responsabilité des négociations
pour le Portugal. Au cours de cette période, nous avons été
témoins des premiers efforts de coopération opérationnelle
avec des pays membres de l'UEO qui assuraient la liberté de navigation
dans les eaux du golfe Persique pendant la guerre Iran-Irak. En prélude
aux négociations sur l'accession des deux pays ibériques
au Traité de Bruxelles modifié, l'UEO avait déjà
établi les grandes lignes - dans sa Plate-forme de la Haye, d'octobre
1987 - des intérêts européens en matière de
sécurité, qui furent accueillies favorablement lors du Sommet
de l'Alliance au mois de mars suivant.
En novembre 1994, lorsque ma nomination comme nouveau Secrétaire
général de l'UEO a été confirmée à
la réunion ministérielle de l'UEO à Noordwijk, 27
pays participaient au développement de l'Organisation et aux consultations
politiques liées à celui-ci: les membres à part entière
(dont le nombre est passé à 10 depuis la ratification de
l'adhésion de la Grèce le 6 mars 1995),(1)les
membres associés (les trois alliés de l'OTAN qui ne sont
pas membres de l'Union européenne mais qui participent pleinement
à la plupart des activités de l'UEO),(2)
les observateurs (les cinq membres de l'UE qui ne sont pas parties au
Traité de Bruxelles modifié),(3) et
les neuf associés partenaires d'Europe centrale.(4)
Les décisions prises à l'issue de la réunion de
Noordwijk nous ont fait progresser vers la réalisation de l'identité
européenne de sécurité et de défense sur la
voie tracée par l'Article J.4 du Traité sur l'Union européenne.
Lors de ce conseil, les ministres ont abouti à un ensemble de conclusions
préliminaires sur la formulation d'une politique européenne
de défense commune. Ils ont également lancé une "réflexion
commune", parmi les vingt-sept pays de l'UEO, sur les nouvelles conditions
de sécurité en Europe. Leur objectif était de mener
une analyse commune des problèmes qui se posent et, dans une deuxième
phase, d'arrêter les solutions appropriées. Sur le plan opérationnel,
l'UEO avait déjà mis en place sa Cellule de planification
et participait avec succès à trois opérations dans
l'ancienne Yougoslavie.
Six ans après ma première prise de contact directe avec
une UEO en expansion mais pas encore totalement réactivée,
je me suis trouvé à la barre d'une organisation bien engagée
dans la poursuite de son double objectif: celui de renforcer le pilier
européen de l'Alliance atlantique et celui d'être la composante
de défense de l'Union européenne.
Les missions nouvelles
Le grand tournant avait été déclenché par
les Déclarations de l'UEO à Maastricht (décembre
1991) et à Petersberg (juin 1992). Ce sont elles qui ont défini
les fondements pratiques d'un véritable rôle opérationnel
de l'UEO en établissant des missions nouvelles, comme la gestion
des crises et le maintien de la paix, en rapport avec les défis
de l'après-guerre froide. L'élargissement de l'UEO a été
une conséquence politique de son nouveau double rôle au service
à la fois de l'Alliance et de l'Union européenne, pour cette
dernière dans le cadre de sa nouvelle politique étrangère
et de sécurité commune.
La crédibilité de l'UEO et, en temps de crise, son efficacité
ultime, dépendent d'un soutien militaire bien structuré,
multinational et flexible. Fin 94, le Conseil de l'UEO avait été
chargé d'étudier des arrangements financiers appropriés
comme condition préalable au développement équilibré
des capacités opérationnelles de l'UEO. Un budget opérationnel
adéquat, ainsi que des mécanismes et procédures de
consultation efficaces et un bon soutien politico-militaire étaient
nécessaires pour permettre à l'Organisation de réagir
rapidement à des crises. Il fallait beaucoup plus de nerf et de
muscle à l'UEO pour qu'elle puisse se montrer à la hauteur
de ses missions et responsabilités déclarées.
Les exigences du moment ont été clairement appréciées
par les autorités portugaises, au début de l'année
1995, lorsqu'elles ont proposé à leurs partenaires un ambitieux
programme de travail pour la période de leur présidence.
Sur cette base, de grands pas en avant ont été accomplis
et reconnus par le Conseil des ministres à Lisbonne, le 15 mai
1995. La première partie de la réflexion commune sur les
nouvelles conditions de sécurité en Europe a été
effectuée.
Les opérations nouvelles
En ce qui concerne le développement opérationnel de l'UEO,
les ministres ont approuvé une décision qui la dote de nouveaux
mécanismes de décision et de nouvelles structures, notamment
par la mise en place d'un groupe politico-militaire qui appuiera le Conseil
en ce qui concerne les crises et la gestion des crises. Cette capacité
sera renforcée par la création d'un Centre de situation
et d'une Section renseignement au sein de la Cellule de planification.
Ces dispositions demandent clairement qu'une expérience pratique
soit acquise. Elle peut l'être au travers des exercices conjoints,
et le Portugal a déjà exprimé son intention d'organiser,
selon un scénario conçu par l'UEO, un exercice de gestion
des crises avec le Corps européen.
Les ministres se sont aussi félicités de la décision
de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal d'organiser une
force terrestre (EUROFOR), conçue comme force de réaction
rapide dans la région Sud, et une force maritime (EUROMARFOR),
ouverte à tous les membres de l'UEO. EUROFOR et EUROMARFOR seront
à la disposition de l'UEO comme de l'OTAN, à l'instar d'autres
forces multinationales européennes. Cette initiative renforcera
la capacité opérationnelle de l'Europe en ce qui concerne
les opérations envisagées conformément à la
Déclaration de Petersberg de 1992. Les relations entre l'UEO et
ces deux nouvelles forces multinationales doivent être précisées
dans les prochaines semaines.
Dans le domaine des activités spatiales, les ministres ont approuvé
la création du Centre satellitaire de Torrejon, près de
Madrid, qui sera un organe subsidiaire permanent. Pour sa part, le Groupe
Espace a été chargé de s'attacher à l'étude
des approches proposées pour développer la compétence
de l'UEO dans le domaine de l'imagerie satellitaire.
Les opérations de l'UEO dans l'ancienne Yougoslavie (sur le Danube,
dans l'Adriatique et à Mostar), expression visible de l'engagement
de l'UEO au titre de la sécurité européenne, se poursuivent.
Cette coopération étroite entre l'Union européenne
et l'UEO est une bonne illustration de la mise en pratique de la relation
de travail prévue dans le Traité de Maastricht sur l'Union
européenne.
Le groupe informel d'experts gouvernementaux du Groupe Armements de l'Europe
occidentale (UEO/-GAEO) et de l'Union européenne a terminé
son étude sur les options pour une politique européenne
de l'armement. Des décisions devront bientôt être prises
au sujet de la mise en place d'une Agence européenne des armements.
Sur le plan institutionnel, il a, bien entendu, fallu relever le défi
de la gestion politique liée à la participation de 27 pays
qui ont les mêmes valeurs et les mêmes aspirations mais dont
les situations intérieures et les préoccupations extérieures
sont tellement variées. Le rôle principal a été
joué par les 18 Etats membres à part entière, membres
associés et observateurs. Le cercle intérieur des 10 membres
à part entière se charge de tâches spécifiques
de nature institutionnelle et organisa-tionnelle, puisque la contribution
de ces pays s'élève à 96,1 % du budget total, les
3,9 % restants étant versés par les trois membres associés.
Le cercle extérieur - les bénéficiaires de la "main
tendue" de l'Union européenne, puisque le statut d'associé
partenaire requiert la signature préalable d'Accords européens
avec l'UE - est constitué des pays d'Europe centrale.
Une caractéristique commune à tous est la volonté
de ces 27 membres de contribuer aux opérations "de type Petersberg"
qui pourraient être confiées à l'UEO. Les organes
ministériels, qui comprennent le Secrétariat général
et la Cellule de planification à Bruxelles, l'Institut d'études
de sécurité à Paris et le Centre satellitaire à
Torrejon, soutiennent le travail du Conseil permanent, qui se réunit
chaque semaine, alternativement à 18 et à 27.
L'Espagne, qui assumait la présidence en juillet, a établi
deux priorités. Sur le plan conceptuel, le Conseil permanent se
penchera sur la question de la contribution de l'UEO à la Conférence
intergouvernementale de 1996, comme convenu à Noordwijk. Elle préparera
également la seconde partie de la réflexion commune sur
les conditions nouvelles de la sécurité européenne,
document qui présentera un certain nombre de réponses possibles
aux risques potentiels déjà définis dans la première
partie de l'étude. Une fois réunies, ces deux parties pourraient
servir de base à la publication d'un "Livre blanc" sur
la sécurité européenne, référence de
tous les pays de l'UEO en matière d'amélioration et de renforcement
de leur sécurité commune à travers des politiques
de défense convergentes.
Sur le plan opérationnel, la mise en uvre de plusieurs décisions
prises à Lisbonne demandera à être suivie: le lancement
des activités du nouveau groupe politico-militaire et l'étude
de ses liens possibles avec d'autres organisations et d'autres quartiers-généraux
opérationnels; la création d'un Centre de situation; la
mise en place d'une Section Renseignement au sein de la cellule de planification;
la préparation des règles d'engagement de l'UEO en vue de
la mise en uvre des missions de Petersberg.
Pour sa part, la Cellule de planification travaillera sur un ensemble
de plans d'opérations humanitaires et d'évacuation dans
le cadre des réflexions en cours sur une force d'intervention humanitaire
de l'UEO et sur le maintien de la paix et la prévention des conflits
en Afrique. La liste des forces relevant de l'UEO (FRUEO) sera mise à
jour en prenant en compte la diversité des statuts au sein de l'UEO,
les forces multinationales nouvellement créées et celles
qui sont déjà opérationnelles.
Les relations avec des pays tiers à travers un dialogue politique
seront poursuivies, surtout avec les pays d'Europe orientale et dans le
cadre du dialogue entre l'UEO et les pays méditerranéens
non-membres. Les contacts existants avec la Russie et l'Ukraine seront
maintenus. Un dialogue avec Chypre et Malte a été engagé
en juin et, enfin, le dialogue méditerranéen englobe maintenant
l'Etat d'Israël.
La préparation de la Conférence intergouvemementale
La Conférence intergouvernementale de 1996 examinera le rôle
et la place de l'UEO dans les futurs arrangements institutionnels européens.
Au stade actuel, l'issue de la conférence est imprévisible.
Et l'on ne peut pas non plus prévoir l'action qui pourrait être
recommandée dans la contribution de l'UEO qui doit être soumise
aux ministres, à Madrid, en novembre prochain. Jusqu'ici, peu d'Etats
membres ont clairement exprimé leurs idées et intentions
générales.
Une chose est cependant claire: l'Union européenne est devenue
et restera le principal organe de décision sur toute une gamme
de questions qui affectent les intérêts de l'Europe, notamment
les questions de politique étrangère et de sécurité
qui ont une incidence directe sur les activités de l'UEO. C'est
pourquoi les liens entre les deux organisations devront être renforcés.
Mais il est tout aussi clair - tout le monde le reconnaît - qu'il
faut préserver l'Alliance atlantique. Ces deux réalités
définissent un cadre d'élaboration de la coopération
entre les pays européens en matière de défense.
Deux éléments auront probablement une importance toute particulière.
Premièrement, les décisions fondamentales concernant la
défense et la sécurité continueront d'être
prises au niveau intergouvernemental. A l'heure actuelle, il est inconcevable
que des décisions sur, par exemple, l'envoi de forces à
l'étranger pour y participer à des opérations militaires,
puissent être prises par d'autres instances que les gouvernements
nationaux.
Deuxièmement, les solides relations qui se sont instaurées,
au fil des ans, entre l'UEO et l'OTAN, demeureront une caractéristique
importante des arrangements de défense en Europe après la
conférence. Les principes de complémentarité, de
compatibilité et de transparence restent tout à fait pertinents
aujourd'hui. Il est clairement reconnu, en particulier, que les différences
que l'on peut relever, en Europe, dans la couverture assurée par
les engagements militaires respectifs des traités de l'UEO et de
l'OTAN doivent être évitées. Considérant ces
deux éléments, l'UEO est bien placée pour rester
au cur du développement ultérieur de l'identité
européenne de sécurité et de défense.
Une division potentielle des tâches entre l'Alliance et l'UEO a
été définie plus clairement depuis le début
des années 90, sur la base de la nouvelle situation géostratégique
mondiale. La mise en uvre de l'Article V du Traité de Bruxelles
modifié de l'UEO reste avant tout sous la responsabilité
de l'Alliance. Cependant, en vertu de l'Article VIII, d'autres types d'opérations
d'intensités variables peuvent être entreprises. Et pour
ces dernières - dites missions de Petersberg - l'UEO doit être
prête à en assumer la responsabilité.
Aussi difficile soit-il de le définir et de le traduire en réalité
opérationnelle, le concept de groupes de forces interarmées
multinationales (GFIM) répond aux besoins qu'a l'Europe de pouvoir
mener des opérations auxquelles les Nord-Américains souhaiteraient
ne pas participer. L'UEO assume pleinement sa part: son document sur les
"critères et modalités pour l'emploi effectif des GFIM
par l'UEO" a été présenté à l'OTAN
en juin 1994. En mai dernier, l'UEO a envoyé à l'OTAN un
document sur les "mécanismes et procédures nécessaires
à l'emploi par l'UEO des moyens et capacités de l'Alliance",
ce qui aidera l'OTAN à déterminer quelles ressources et
quels moyens elle pourrait mettre à la disposition de l'UEO.
Les relations de travail entre ces deux organisations au sujet des GFIM
s'intensifient sur la base des décisions récentes prises
par leurs deux Conseils. Les progrès accomplis sont examinés
lors de sessions conjointes des Conseils de l'UEO et de l'OTAN, qui se
tiennent désormais à un rythme trimestriel régulier.
Par ailleurs, les deux Secrétariats entretiennent des contacts
étroits à travers des réunions conjointes et une
représentation croisée aux réunions des groupes de
travail chargés des GFM. Ces rapports sont sans doute appelés
à se renforcer au fur et à mesure que nous avancerons vers
la finalisation du rapport du Conseil de l'Atlantique nord sur la mise
au point du concept de GFIM.
L'avenir institutionnel
Pour l'UEO, progresser signifie donner la priorité à son
développement opérationnel, dont dépend en dernier
ressort sa crédibilité vis-à-vis de l'Union européenne
et de l'Alliance.
Etant donné que de véritables capacités de défense
européennes sont indispensables, tant à l'Union européenne
qu'à l'Alliance, l'identité européenne de sécurité
et de défense continuera de se construire. Mais il s'agira d'un
processus graduel, qui demande une volonté politique, des moyens
et des consultations avec nos alliés. Quelques pierres ont déjà
été posées, mais il reste encore beaucoup de travail
à faire. La poursuite du développement de l'UEO ne sera
nullement un obstacle aux options institutionnelles futures; l'UEO est
prête, bien au contraire, à favoriser l'expression concrète
de toute option qui sera choisie. Quel que soit son avenir institutionnel,
l'UEO a un rôle majeur à jouer dans la construction de la
sécurité et de la défense européennes.
(1) L'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France,
la Grèce, l'Italie, le
Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, et le Royaume-Uni.
(2) L'Islande, la Norvège et la Turquie.
(3) L'Autriche, le Danemark, la Finlande, l'Irlande
et la Suède.
(4) La Bulgarie, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie,
la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie
et la Slovaquie.
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