Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 43- No. 4
Juillet 1995
p. 22-26

Initiatives régionales en matière de sécurité et relations entre le Japon et l'OTAN

Hiroshi Fukuda
Vice-ministre des Affaires étrangères du Japon

Dans cet article, l'auteur se penche sur les questions de sécurité dans la région Asie-Pacifique avant d'envisager les modalités d'une coopération future entre le Japon et l'OJAN, notamment à la lumière des résultats de la troisième Conférence sur la sécurité entre le Japon et l'OJAN qui s'est tenue à Bruxelles, en octobre dernier.

Durant la guerre froide, la région Asie-Pacifique fut le théâtre d'un certain nombre de conflits graves dont beaucoup sont nés de l'antagonisme entre les idéologies de l'Est et de l'Ouest. Or, au lendemain de la dissolution de l'Union soviétique, avant même la fin de la guerre froide, une série d'événements ont favorisé la détente en Asie avant qu'elle ne survienne en Europe.

L'établissement de relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et ses voisins ainsi que l'adhésion simultanée aux Nations unies de la Corée du Sud et de la Corée du Nord en sont des exemples. Conjuguées au dynamisme du développement économique des pays de cette région, ces nouvelles données confèrent à l'Asie une stabilité qu'elle n'avait jamais connue depuis la Seconde Guerre mondiale.

Certains problèmes graves qui sont des facteurs d'instabilité subsistent néanmoins dans la région. Dans la péninsule coréenne, la tension militaire entre le Nord et le Sud existe toujours et, récemment, les questions des armes nucléaires et de la mise au point de missiles par la Corée du Nord ont été au centre des préoccupations de la région, ainsi que de la communauté internationale tout entière. Le danger d'un conflit armé dans le détroit de Taiwan n'a pas encore disparu, et le problème territorial du nord entre le Japon et la Russie reste entier, bloquant toute normalisation complète des relations entre nos deux pays. Plus au Sud, dans la mer de Chine méridionale, plusieurs des pays proches des Iles Spratlys en revendiquent la souveraineté, et il est à craindre que ces territoires ne deviennent une nouvelle source de conflits.

De plus, par rapport à l'Europe, la situation en Asie demeure extrêmement diversifiée, ce qui est une autre source d'incertitude. Ainsi, vu la présence de plusieurs pays socialistes, comme la Chine, la Corée du Nord et le Vietnam, la notion de menace dans la région diffère d'un pays à l'autre. Sans parler du niveau de développement économique, lui aussi extrêmement variable.
Face à cette situation, l'un des problèmes les plus importants auxquels ces pays doivent faire face est celui de la définition des moyens pour assurer la sécurité de la région Asie-Pacifique. Les principaux sujets d'inquiétude sont l'avenir de la Chine, le futur rôle du Japon, et l'importance incontestable de la présence militaire américaine dans la région. Ces préoccupations se focalisant en axe de réflexion, on voit naître pour la toute première fois un intérêt commun pour la sécurité de la région dans son ensemble, ainsi que des efforts résolus en faveur de la sécurité régionale, basés sur la reconnaissance de la diversité.

Une initiative japonaise

Les pays de cette région s'accordent à reconnaître qu'une approche multiple constitue le meilleur moyen pour assurer leur sécurité et pour progresser, de façon simultanée et parallèle, vers les objectifs suivants :

  • Le maintien des arrangements de sécurité existants. Actuellement, tous les arrangements bilatéraux de sécurité entre les Etats-Unis et les pays d'Asie (Japon, République de Corée, Philippines, Australie, etc.) remplissent leur rôle et assurent la présence des forces américaines dans la région asiatique.
  • Un dialogue sur la sécurité à l'échelle régionale pour accroître la transparence des politiques et faire régner un climat de confiance.
  • La recherche de solutions aux questions qui restent en suspens dans la région (la péninsule coréenne, les Iles Spratly, le problème territorial du nord, Taiwan, etc.) entre les pays concernés.
  • Une coopération au niveau régional pour garantir le développement économique de ces pays

Le Japon a tout mis en oeuvre pour qu'une telle approche multiple prenne corps en Asie, notamment en proposant la création d'un centre de débat politique pour renforcer la confiance entre les pays de la région. Un dialogue sur la sécurité de la région s'est ainsi instauré avec la participation de la Chine, de la Russie, du Vietnam et d'autres pays et, en 1994, s'est tenue, à
Bangkok, la première réunion du Forum régional de l'ASEAN(1).

Les Etats-Unis et Ia sécurité de l'Asie

Le Japon et les Etats-Unis ont fort heureusement la même conception d'une approche multiple pour garantir la sécurité dans la région Asie-Pacifique. Les deux pays sont en particulier fermement convaincus que le facteur le plus important pour assurer la stabilité de cette région est la présence continue des forces américaines et que les arrangements de sécurité entre le Japon et les Etats-Unis sont le pilier central de cette présence.

Dans le numéro de septembre 1993 de Bottom Up Review et dans celui de février 1995 du East Stratégie Report, le gouvernement des Etats-Unis, dans un même esprit constructif, déclarait clairement que les Etats-Unis maintiendraient une présence de 100 000 soldats dans la région asiatique.
Il faut rappeler que le Japon contribue notablement au maintien de la présence continue de ces forces dans la région asiatique. En effet, le soutien du Japon en tant que pays hôte des forces américaines stationnées sur son territoire s'est élevé, pour l'exercice 1994 à la somme de 5,6 milliards de dollars.
Les arrangements de sécurité américano-japonais ne sont pas seulement essentiels à la défense du Japon; ils sont devenus un réel facteur de stabilisation pour la région dans son ensemble. En outre, cette alliance constitue le point d'ancrage des inébranlables relations d'amitié entre le Japon et les Etats-Unis qui, à eux deux, représentent 40 pour cent du PIB mondial. Elle garantit l'engagement du Japon de ne pas chercher à devenir une puissance militaire de premier plan.

Si l'on considère tous ces facteurs dans une perspective globale, il devient patent que le maintien résolu des Arrangements de sécurité entre le Japon et les Etats-Unis est et demeurera décisif pour la sécurité de la région Asie-Pacifique dans son ensemble.

Coopération et dialogue au niveau de la région

Le Forum régional de l'ASEAN (ARF), qui s'est tenu en juillet 1994 en Thaïlande et qui est la première enceinte à instaurer dans cette zone un dialogue sur les problèmes politiques et de sécurité à l'échelle de la région, réunissait les ministres des Affaires étrangères de 17 pays, dont la Chine, la Russie et le Vietnam, plus l'Union européenne. Ce Forum a aujourd'hui pour mission d'accroître la transparence des politiques des pays de la région et de renforcer un sentiment de confiance mutuelle -et un départ prometteur a été pris. Lors de ce premier Forum, le Vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Japon, Yohei Kono, a proposé une triple action au service des objectifs de l'ARF. Il convient, 1) de partager l'information grâce à la publication de livres blancs sur la défense et d'autres documents du même ordre; 2) de promouvoir des échanges de personnel qui travaillent dans le domaine de la défense, et 3) de coopérer en vue de faire progresser les activités globales, comme les opérations de maintien de la paix et de non-prolifération. Dans son discours de clôture, le Président a annoncé qu'à l'occasion de ce forum, qui aura lieu chaque année, diverses mesures seront envisagées pour améliorer la diplomatie préventive et renforcer la confiance, et que l'on examinera également des concepts globaux de sécurité adaptés à cette région.

Etant donné que le Forum régional de l'ASEAN, quoique différent par essence de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), partage néanmoins certains de ses objectifs, je pense qu'il serait utile que ces deux instances engagent des discussions sur une éventuelle coopération, en laissant cependant à l'ARF le temps de se consolider.

Parallèlement au dialogue à l'échelle régionale, un dialogue sur la sécurité au niveau sous-régional est également en bonne voie dans l'Asie du Nord-Est. En effet, la stabilité de cette région, qui comprend le Japon, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, la Corée du Nord et la République de Corée, est un des principaux facteurs de la sécurité de la région Asie-Pacifique tout entière.
Il est rassurant de constater qu'exception faite de la Corée du Nord, tous les pays concernés se montrent favorables à un tel dialogue. Depuis 1993, une série de réunions informelles (avec la participation, à titre personnel, de responsables gouvernementaux) se sont tenues à San Diego (EU), à Tokyo, et à Moscou. Les questions qui devaient y être traitées comprennent la participation de la Corée du Nord et l'instauration d'un dialogue au niveau gouvernemental.

Le dynamisme du développement économique de la région Asie-Pacifique a eu un effet d'entraînement sur la coopération économique à l'échelle régionale. Sous cette impulsion, la première réunion de l'APEC (Asia-Pacific Economie Coopération) s'est tenue à Canberra en 1989 . En 1993, à l'initiative du Président Clinton, le premier sommet de l'APEC a eu lieu à Seattle, aux Etats-Unis, et le deuxième à Jakarta, en 1994 ; le troisième sommet devrait avoir lieu à Osaka, au Japon, au mois de novembre.

On s'aperçoit, avec le recul, que le succès économique des pays de l'Asie a, ces dernières années, largement contribué à la stabilité de la situation politique de chacun des pays concernés comme de la région tout entière. La coopération économique à l'échelle régionale, évoquée plus haut, peut encore renforcer cette évolution. En outre, si l'on parvenait à renforcer la réciprocité des liens économiques de la région et à ancrer le sentiment "d'interdépendance", ce serait un bon moyen d'éviter les conflits à venir, ce qui contribuerait à garantir l'engagement des Etats-Unis envers la région Asie-Pacifique.

On voit donc également que la coopération économique à l'échelle de la région joue un rôle capital dans sa sécurité. Par ailleurs, les pays participants s'accordent à reconnaître que cette coopération économique régionale doit de toute évidence être conforme aux critères de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) et qu'elle doit être ouverte à d'autres régions.

Les relations entre le Japon et l'OTAN

Les discussions qui ont eu lieu dans le cadre de la troisième Conférence sur la sécurité entre le Japon et l'OTAN, réunie en octobre dernier à Bruxelles, me confortent dans l'idée qu'il existe de nombreux problèmes communs que le Japon et l'OTAN peuvent traiter ensemble pour garantir la stabilité mondiale, au travers d'une coopération et d'un dialogue étroits.

Une des plus grandes préoccupations du Japon et de l'OTAN est la question de la Russie . Nous sommes d'accord sur le fait que le succès de la réforme engagée en Russie est essentiel à la paix et à la stabilité du Japon et de l'Europe ainsi que de l'ensemble de la communauté internationale. Dans ce but, le Japon coopère étroitement avec les pays d'Europe et les Etats-Unis et a déjà mis en place une aide économique en faveur de la Russie de quelque 4,4 milliards de dollars. Nous sommes également préoccupés par divers problèmes liés à la disparition de l'Union soviétique, dont la dispersion de matériaux et de technologies liés au nucléaire, le traitement du plutonium et des déchets radioactifs à la suite du démantèlement des sous-marins nucléaires, et les relations futures entre la Russie et d'autres pays de l'ex-Union soviétique, notamment l'Ukraine.

Ces questions, plus que toute autre, ont des incidences au niveau mondial, et le Japon s'est efforcé, avec les pays d'Europe et les Etats-Unis, de les résoudre. Ainsi, il s'est engagé à donner 100 millions de dollars d'aide aux pays de l'ancienne Union soviétique pour le traitement des déchets nucléaires.

La guerre en Tchétchénie, qui a fait de nombreuses victimes, dont des civils, et qui est déplorable du point de vue humanitaire, est aussi une cause d'inquiétude quant à la tendance profonde de la politique intérieure en Russie, où le processus d'élaboration de la politique semble perdre de sa transparence. ÏÏ est important que le Japon, l'Europe et les Etats-Unis continuent d'encourager la Russie à poursuivre ses efforts visant à redéfinir ses orientations politiques, économiques et diplomatiques, et pour sa part, le Japon

est disposé à continuer à la soutenu-dans cette voie.
En outre, tout comme le rôle des Etats-Unis dans l'OTAN demeure vital, le maintien de la présence militaire des Etats-Unis dans la région Asie-Pacifique, articulée autour des Arrangements de sécurité américano-japonais, est de plus en plus important.

De ce point de vue, le Japon et l'OTAN ont tout autant intérêt à renforcer l'engagement des Etats-Unis, et je suis convaincu qu'un dialogue suivi entre nous servira nos intérêts communs.

Il va sans dire que le désarmement et la maîtrise des armements comptent parmi les problèmes lesplus importants que doivent aujourd'hui résoudre le Japon et l'Europe. Pour ce faire, nous devons renforcer notre action en faveur de la non-prolifération nucléaire. La dissuasion est et continue d'être la justification des armes nucléaires ; et, de fait, les stratégies nucléaires fondées sur ce concept ont donné de bons résultats jusqu'à présent - le fait que depuis la Seconde Guerre mondiale les armes nucléaires n'ont jamais été utilisées en témoigne. Une nouvelle tâche nous attend cependant: il nous faut empêcher que d'autres pays ne se procurent l'arme nucléaire. Et notre collaboration dans ce domaine est essentielle.

Les conflits régionaux

La fin de la guerre froide fut à la fois un défi, avec le déchaînement de nombreux conflits régionaux et une chance d'accroître notre aptitude à résoudre des conflits au travers des Nations Unies. Il va sans dire que la coopération internationale mise au service du règlement de conflits régionaux, notamment par la diplomatie préventive et des opérations de maintien de la paix, joue désormais un rôle important pour assurer la sécurité et la paix mondiales. Depuis l'adoption, en 1992, de la Loi sur la coopération internationale en faveur de la paix visant à garantir la participation active du Japon aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, le Japon a pris part à des opérations de ce type au Cambodge et au Mozambique. Récemment, face au malheur qui frappe les réfugiés rwandais au Zaïre, le Japon a envoyé quelque 400 membres de ses forces d'autodéfense pour fournir une aide médicale, faciliter l'approvisionnement en eau et soutenir les transports aériens.

Quant au conflit dans l'ex-Yougoslavie, le Japon soutient les efforts de la communauté internationale pour restaurer la paix dans cette région. Nous avons apporté d'importantes contributions à des organisations comme le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés afin de les aider dans leur mission humanitaire. Nous avons également fourni des équipes dans le cadre de missions conduites par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Dans le même temps, l'un des problèmes les plus graves auxquels nous sommes confrontés est le décalage de plus en plus grand entre les attentes de la communauté internationale en matière de maintien de la paix et ses engagements réels à l'appui de cette entreprise. C'est un problème qui doit être traité par l'ensemble de la collectivité internationale, et là encore, les efforts de coopération entre l'Europe et le Japon doivent constituer l'exemple à suivre.

Pour finir j'aimerais parler de la façon dont le Japon voit sa relation avec l'Europe dans le cadre des relations triangulaires entre l'Europe, l'Amérique du Nord et le Japon. Les relations entre le Japon et les Etats-Unis et celles entre les Etats-Unis et l'Europe étant aujourd'hui très étroites, l'un des objectifs prioritaires de la diplomatie japonaise a consisté à renforcer et à étendre les rapports entre l'Europe et le Japon. Telle était d'ailleurs l'origine des initiatives prises par le Japon qui ont abouti à la déclaration commune entre le Japon et l'Union européenne de 1991, ainsi que du dialogue instauré entre le Japon et l'OTAN. Le Japon est résolu à poursuivre cette démarche afin de favoriser une relation durable et à long terme avec l'Europe. Cela créera de nombreux intérêts communs qui pourront du même coup renforcer les liens entre l'OTAN et le Japon.

(1) Association des nations de l'Asie du Sud-Est dont les membres sont le Brunei, l'Indonésie, la Maloisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande.