Revue de l'OTAN
Mise à jour: 11-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 43- No. 2
Jan. 1995
p. 24-27

Après la conférence de Budapest: l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OCSE)

Victor-Yves Ghebali
Professeur à l'Institut universitaire de hautes études internationales (Genève)

Même si l'issue du sommet de Budapest peut sembler décevante, cela ne signifie pas pour autant l'échec de la Conférence de Budapest, qui l'a précédé. Le résultat principal de cette conférence a été la transformation d'une institution assez informe, la CSŒ, en une organisation internationale I'"OSCE". Cependant, le changement de dénomination ne s'est pas accompagné d'une importante rationalisation au sein de l'organigramme institutionnel, ni de répercussions sur le plan fonctionnel. Étant donné que le succès de l'OSCE dépend dans une large mesure de l'élaboration d'un modèle de sécurité commune et d'un programme en matière de maîtrise des armements, il est à craindre que cette Organisation ne demeure encore dans les limbes jusqu'au prochain sommet de 1996.

Le troisième sommet tenu par la CSCE depuis la fin de la Guerre froide s'est achevé de façon peu conventionnelle, dans la déception générale. Vu la diatribe lancée par la Russie contre la désinvolture supposée de l'Occident vis-à-vis de ses intérêts de grande puissance et les vifs reproches du Président Izetbegovic au sujet de la politique de l'Occident vis-à-vis de la Bosnie-Herzégovine, l'impasse était inévitable.

Mais l'échec du sommet de Budapest des 5-6 décembre 1994 n'est nullement celui de la Conférence d'examen de Budapest qui s'est tenu du 10 octobre au 2 décembre 1994. Celle-ci a accompli la tâche qui lui était impartie, comme l'atteste un volumineux document final intitulé "Vers un véritable partenariat dans une ère nouvelle" (1) annonçant la transformation, dès le 1er janvier 1995, de la CSCE en OSCE ainsi que de multiples décisions touchant les domaines de la sécurité militaire, la dimension humaine, la dimension économique et la Méditerranée.

Budapest, trois approches politiques

A Budapest, trois conceptions de l'avenir de la CSCE s'affrontèrent. Défendue par la Russie, une approche maximaliste préconisait la transformation de la CSCE en une organisation internationale comportant une charte juridique, un "Comité exécutif (composé, comme, le Conseil de sécurité de l'ONU, de membres permanents et non permanents) chargé de la gestion des crises ainsi que des "tables régionales" (Balkans, Méditerranée, etc.) à composition limitée. Une telle organisation ne se serait pas cantonnée à la diplomatie préventive. En tant qu'arrangement régional au titre du Chapitre VIII de la Charte des Nations unies, elle aurait été l'instance prioritaire du maintien de la stabilité et de la sécurité de Vancouver à Vladivostok. Par vocation, elle aurait coordonné, sur la base d'accords établissant une division du travail appropriée, toutes les institutions de sécurité de la région, de l'OTAN à la Communauté des États Indépendants (CEI). Cette dernière aurait été liée à la CSCE de la même manière que celle-ci à l'ONU: compte tenu de ses capacités de déploiement d'opérations de maintien de la paix, la CEI aurait été l'instance prioritaire de sécurité dans la zone délimitée par les territoires de l'ex-URSS.

De leur côté, certains pays de l'OTAN soutenaient une approche minimaliste visant simplement à réajuster l'organigramme institutionnel et les instruments de travail de la CSCE. Procédant de raisons de principe évidentes (la préservation du rôle présent et des possibilités d'évolution de l'OTAN), une telle approche s'appuyait aussi sur l'analyse des motivations prêtées aux propositions russes de Budapest à savoir: bloquer le développement de l'OTAN, attribuer à une CEI dominée par Moscou le statut reconnu d'organisme de sécurité régionale et légitimer les responsabilités spéciales de la Russie vis-à-vis de son "étranger proche".

Entre ces positions extrêmes, il y avait une approche médiane majoritaire: celle des États disposés à apporter des améliorations limitées, mais réelles, aux moyens d'action de la CSCE. Cette approche se reflétait, pour l'essentiel, dans deux propositions précises. D'origine austro-hongroise, la première suggérait l'institution d'un "Conseiller de la CSCE pour les questions de stabilité et de sécurité" au mandat assez analogue à celui du Haut Commissaire pour les minorités nationales, soit un médiateur discret pour la prévention des conflits autres que ceux impliquant des questions de minorités nationales.
Soumise par l'Allemagne et les Pays-Bas, la seconde proposition avait pour objet de renforcer la coordination CSCE/ONU. Tout en demeurant l'instance préliminaire de gestion des crises dans la région, la CSCE aurait été autorisée, si ses efforts s'avéraient vains, à saisir directement le Conseil de sécurité (si nécessaire sans l'accord de l'État ou des États parties concernés) et également de faire appel aux autres organisations de sécurité de la région en vue d'opérations de maintien ou d'imposition de la paix.

L'approche minimaliste l'a nettement emporté. Ainsi, l'idée austro-hongroise a été rejetée. Celle de l'Allemagne et des Pays-Bas a été après d'extrêmes difficultés, retenue en partie et répartie entre les Décisions de Budapest (principe de la "priorité à l'OSCE" pour la gestion de toute crise survenant dans la région) et la Déclaration du Sommet, (saisie du Conseil de sécurité par l'OSCE "dans des circonstances exceptionnelles").

Quant à la Russie, elle n'a obtenu que le changement de dénomination de la CSCE en "OSCE", une promesse aux résultats hypothétiques, (l'élaboration d'un modèle de sécurité commune et globale), ainsi que des garanties politiques verbales ("La CSCE sera une instance ou les préoccupations de sécurité des États participants pourront être discutées, et leurs intérêts en matière de sécurité exposées et pris en compte", la base d'un "véritable partenariat pour la sécurité entre tous les États participants, membres ou non d'autres organisations compétentes en matière de sécurité")(2).

La dimension politico-institutionnelle

La Déclaration du Sommet a bien reconnu le "rôle central" de la CSCE en tant que structure de sécurité de Vancouver à Vladivostok et affirmé la détermination des Etats participants de lui permettre de jouer un "rôle cardinal" en la matière: d'où l'avènement, en tant que premier pas dans cette direction, de l'OSCE. En fait, l'analyse du Document de Budapest démontre que cet avènement a été conçu en termes plus formels que réels. Trois remarques essentielles s'imposent à cet égard.

En premier lieu, le passage de la CSCE à l'OSCE n'a pas de conséquence juridique: il n'est censé altérer ni la nature, purement politique, des engagements de l'ex-OSCE ni l'absence de statut international juridique des institutions de celle-ci. La remarque vaut aussi pour les organes désormais baptisés "Conseil ministériel", "Conseil supérieur" et "Conseil permanent"(3).

En deuxième lieu, le passage de la CSCE à l'OSCE s'est traduit par de modiques réajustements au sein de l'organigramme institutionnel réajustements dont les plus significatifs sont: l'organisation des Conférences d'examen au siège de l'OSCE à Vienne avant chaque Sommet, le réexamen de la fréquence des Sommets bisannuels, exercices aussi coûteux qu'improductifs, la possibilité de convoquer le Conseil permanent en réunion d'urgence et l'encouragement des Etats à se faire représenter au sein du Conseil supérieur dont les travaux font à certains égards double emploi avec ceux du Conseil permanent siégeant au niveau des ambassadeurs par des directeurs politiques des Affaires étrangères. Les Décisions de Budapest ne font nulle mention des points essentiels tels que le transfert du BIDDH (Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme) à Vienne ou les pouvoirs du Secrétaire général, lequel exerce des fonctions d'ordre surtout administratif ou d'appui aux activités du Président en exercice du Conseil. Il est d'ailleurs significatif que l'idée germano-néerlandaise d'attribuer au Secrétaire général le droit de présider l'un des organes de la nouvelle organisation ou de saisir les organes en question de toute situation menaçant la stabilité dans la région n'ait pas été retenue.

En troisième lieu, le passage de la CSCE à l'OSCE n'a pas eu de répercussions sur le plan fonctionnel. Les Décisions de Budapest contiennent une énumération systématique "du rôle et des fonctions" de l'OSCE (4) suggérée par les États-Unis (la première du genre dans l'histoire du processus paneuropéen), mais cette énumération est aussi rudimentaire que peu originale. Sa faiblesse majeure est de mélanger tâches et fonctions. Les tâches attribuées à l'OCSE sont celles de l'ex-CSCE: gestion de crises (diplomatie préventive, maintien de la paix, règlement pacifique, consolidation de la paix), maîtrise des armements (sur le plan européen et subrégional), dimension humaine et, enfin coopération économique (promotion de l'économie de marché). Quant aux fonctions de l'OSCE, elles se ramènent à la formulation de normes, à la consultation politique et au renforcement des relations de bon voisinage. Par ailleurs, à l'instigation de la Russie, les Etats participants ont reconnu la nécessité de disposer, d'ici 1996, d'un "modèle de sécurite commune et globale" pour l'Europe du XXIe siècle. En fait l'engagement ne va pas au-delà de l'ouverture d'un vaste examen incluant l'organisation, à Vienne (à l'automne 1995) d'un Séminaire sur la question, examen qui "n'affectera en rien le droit inhérent à chaque Etat participant de choisir librement ou de modifier ses arrangements de sécurité, y compris les traités d'alliance, selon leur évolution"(5). On l'aura compris: ledit examen ne pourra pas aborder, dans l'optique hiérarchisante préférée par la Russie, la question de 1'"architecture européenne" - question traditionnellement sensible à la CSCE et que la Déclaration du Sommet a évoquée obliquement en se prononçant en faveur d'"une coopération plus systématique et plus pratique entre l'OSCE, les organisations et institutions européennes, ainsi que les autres organisations et institutions régionales et transatlantiques qui partagent les mêmes valeurs et objectifs" (paragraphe 8).

Quoi qu'il en soit l'élaboration du modèle de sécurité promet de n'être guère facile, comme peut le laisser déjà supposer l'incapacité des Etats de l'OSCE à s'entendre, depuis 1993, sur un simple texte réglementant la vérification d'opérations de maintien de la paix entreprises par une "tierce partie", en l'occurrence la Russie.

La dimension militaire

Dans ce domaine, l'exercice de Budapest a entériné les résultats des travaux accomplis par le Forum de coopération en matière de sécurité. Entre 1992 et 1994, celui-ci avait élaboré sept accords politiques, tous politiquement contraignants à une exception près, et produit une nouvelle mise à jour du régime des Mesures de confiance et de sécurité (MDCS): le "Document de Vienne 1994".

Les accords en question peuvent être classés en trois catégories. La première catégorie englobe les textes relevant des MDCS classiques, à savoir: un Programme de contacts et de coopération militaires (déjà dépassé par le "Partenariat pour la paix"), un dispositif sur la Planification de la défense (visant à accroître la transparence dans un domaine inédit de coopération militaire) et un régime d'Echange global d'informations militaires (notable par sa zone d'application mondiale et l'inclusion d'une composante navale)(6).
La seconde catégorie comprend un texte relevant des techniques de gestion de crises: un catalogue original, mais politiquement non contraignant, de "Mesures de stabilisation pour les situations de crise localisées".

La troisième catégorie regroupe trois textes de type normatif: un ensemble de Principes régissant les transferts d'armements classiques, un ensemble comparable touchant la non-prolifération et un "Code de conduite sur les aspects politico-militaires de la sécurité." Pressenti comme le fleuron politique de l'exercice de Budapest, ce dernier texte n'a pas été du fait de son contenu plus maigre que prévu soumis pour signature par les Chefs d'Etat et de Gouvernement. Il a seulement été incorporé aux Décisions de Budapest (Chapitre IV). A la différence d'autres instruments adoptés par la CSCE depuis la fin de la guerre froide, le Code ne mérite peut-être pas le qualificatif de coquille vide. Il n'en reste pas moins que sa coquille est peu et assez mal remplie. Le Code est en effet, pour une très large part, constitué de réaffirmation de normes antérieures et le plus souvent déclaratoires. Sur le plan des normes interétatiques, il n'ajoute rien de nouveau au Décalogue de 1975 qui avait pourtant bien besoin d'une certaine mise à jour. En outre, il n'est assorti ni de mesures de sanction, ni même d'un mécanisme spécialisé de suivi. Seules une poignée de dispositions traitant du contrôle et de l'usage des forces armées dans les sociétés démocratiques sont significatives (sections VII et VIII). A la base de ce qu'il faut bien appeler une déception, sinon un échec, il n'y a pas eu un manque d'imagination de la part des gouvernements (la richesse des propositions négociatoires ayant été réellement impressionnante), mais un manque de volonté politique.

Les textes élaborés au sein du Forum attestaient de ce que celui-ci avait réalisé l'essentiel de son "Programme d'action immédiate" (PAI), à l'exception notable du thème de l'harmonisation - impasse due aux hésitations de certains membres de l'OTAN redoutant à juste titre la dilution (visée par la Russie) du Traité FCE et de la circonspection de certains pays neutres vis-à-vis d'une transparence militaire par trop intrusive à leur gré. Tout en accordant son satisfecit au Forum, la Conférence de Budapest ne put s'entendre sur les moyens de remédier aux faiblesses de fonctionnement du Forum (dues avant tout à une présidence tournante trop brève). Elle se contenta de recommander une meilleure intégration du Forum aux activités de sécurité politique
de l'OSCE. Par ailleurs, elle reconduisit le PAI en recommandant toutefois au Forum de mettre l'accent sur les problèmes de mise en oeuvre des engagements pris ainsi que sur les questions de sécurité régionale notamment en Europe du Sud-est, dans la perspective du règlement du conflit yougoslave. Enfin, elle chargea le Forum d'établir, d'ici 1996, un cadre de travail destiné à servir de base à un programme de l'OSCE pour la maîtrise des armements, programme qui ne porterait aucunement atteinte au Traité FCE, reconnu par tous comme la pierre angulaire de la sécurité et de la stabilité militaires du Continent.

Les autres dimensions

Les autres décisions significatives prises à Budapest sont celles relatives à l'intégration plus poussée de la dimension humaine aux activités de sécurité de l'OSCE: inscription régulière des questions de dimension humaine (y compris les cas graves de violation) à l'ordre du jour du Conseil supérieur, représentation du Bureau de Varsovie aux réunions du Conseil supérieur et du Conseil permanent, implication du Bureau à la préparation et au suivi des Missions de longue durée.

En outre, on signalera la recommandation faite au Président en exercice de convoquer une réunion du Conseil permanent, la première du genre, en vue d'examiner les moyens d'intégrer également la dimension économique (économie, environnement, science et technologie, coopération régionale et transfrontalière) à la dimension de sécurité.

Enfin, on relèvera la décision d'intensifier le dialogue avec les Etats méditerranéens non participants (Israël et les quatre pays arabes - Algérie, Egypte, Maroc et ' Tunisie - agissant de concert)(7) à l'aide d'un Groupe de contact informel d'experts siégeant régulièrement dans le cadre du Conseil permanent, de consultations de haut niveau menées par la Troïka et le Secrétaire général ainsi que par la convocation, en 1995, d'un Séminaire sur les MDCS.

L'après Budapest

La Conférence de Budapest s'est illustrée par une unique décision: la transformation de l'institution assez informe issue de la Charte de Paris, et depuis sans cesse remodelée, en une organisation internationale, sans s'attaquer aux défauts réels de la cuirasse de la CSCE: règle du consensus, pouvoirs politiques du Secrétaire général, etc. La matérialisation de l'OSCE sera tributaire de la nature et de la rapidité de mise en oeuvre des décisions pratiques que ses organes de décisions auront la volonté politique de prendre. Mais étant donné que son profil politique dépend pour beaucoup de l'élaboration d'un modèle de sécurité commune et d'un programme pour la maîtrise des armements, il est à craindre que l'OSCE ne demeure encore dans les limbes jusqu'au Sommet de Lisbonne en 1996.


(1) Le Document de Budapest 1994 comprend deux ensembles de textes: d'une part, la Déclaration du Sommet et ses deux annexes(une Déclaration sur le cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, inspirée par la Russie, et une Déclaration sur la Baltique) et d'autre part, les Décisions de Budapest.
(2) Déclaration du Sommet: paragraphe 7.
(3}Autrefois dénommés "Conseil des ministres", "Comité des hauts fonctionnaires" et "Comité permanent".
(4) Décisions de Budapest paragraphes 3 à 13 "s du Chapitre i.
(5) Décisions de Budapest: paragraphe 1 er du Chapitre Vil.
(6) les deux premiers textes ont été incorporés au Document de Vienne 1994.
(7) La Syrie, le Liban et la Libye restent à l'écart de l'OSCE.