Revue de l'OTAN
Mise à jour: 25-Nov-2015 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 6/1
Déc. 1994/
Jan. 1995
p. 17-21

Leadership, coopération et le principe de contribution

Professeur Alan K. Henrikson
Directeur, Table-ronde sur un nouvel ordre mondial,
The Fletcher School of
Law and Diplomacy, Tufts University, Etats-Unis

En matière de gestion des affaires internationales, le modèle du leadership -essentiellement le modèle américain - risque de plus en plus d'être vu comme une création intellectuelle et politique du XXe siècle, dont la fin approche. L'image du rôle prédominant joué par les Etats-Unis pendant la seconde guerre mondiale et la guerre froide, dont l'unique "moment" comme seule superpuissance mondiale a été celui de l'effondrement de l'Union soviétique et de sa victoire militaire au Koweït, en 1991, tend déjà à s'effacer.

A sa place, un nouveau schéma de participation internationale se met en place. Son élément caractéristique est la coopération ou la volonté, de la part des Etats, grands ou petits, de s'unir pour accomplir des tâches internationales urgentes et importantes en s'appuyant sur l'hypothèse que la plupart des autres Etats en feront autant. Sur le plan historique, ce sont en général les puissances moyennes, dont le Canada est un exemple, qui se sont montrées les plus résolues à offrir ainsi généreusement leurs services internationaux. C'est pourquoi il sera ici question du "modèle canadien".

La thèse présentée dans cet article est que les conditions intérieures et extérieures que le Canada a longtemps tenues pour restrictives et comme définissant dans une certaine mesure son rôle dans le monde - conditions auxquelles la stratégie et la diplomatie militaire canadienne ont été adaptées - sont désormais précisément celles auxquelles la quasi-totalité du monde, y compris la dernière superpuissance, les Etats-Unis, doit s'ajuster avec réalisme et de façon constructive. Aucun pays n'a plus ni la capacité physique ni la compétence intellectuelle ni, manifestement, la volonté politique de gérer seul le passage à un nouvel ordre mondial. Les problèmes de l'après-guerre froide ne sont plus les mêmes. La complexité croissante des affaires mondiales et la multiplication des questions à résoudre demandent une participation plus large et une conception plus coopérative du travail à accomplir.

Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis, qui ont longtemps été le leader du monde libre ou le stabilisateur hégémonique de l'Occident, sont en train de s'adapter aux réalités nouvelles. Le discours de la superpuissance demeure plus ou moins: "Les Etats-Unis entendent rester engagés et au premier plan", ainsi que l'a déclaré le Président Clinton, en 1993, dans une intervention devant l'Assemblée générale des Nations unies. Mais il a aussi ajouté, "Nous ne pouvons résoudre tous les problèmes, mais nous devons et voulons être un fer de lance du changement et un pivot de la paix.(1).Un an plus tard, il a affirmé que les Etats-Unis ont "une responsabilité spéciale", inhérente à une "grande puissance", mais qu'ils s'efforceraient d'assumer cette responsabilité en coopération avec d'autres pays. "Le travail en collaboration renforce l'impact et la légimité de nos actions, et le partage des charges allège la charge de chacun. Les Etats-Unis n'ont aucun désir d'être le gendarme du monde."(2)

Ces mots, soigneusement formulés, indiquent avec subtilité que les Etats-Unis n'entendent plus forcément fournir la substance économique ou même militaire - c'est-à-dire la puissance - nécessaire à l'influence qu'ils désirent encore exercer. Les problèmes internationaux seront choisis en partie selon que l'efficacité de l'intervention américaine sera jugée probable ou non. La sélectivité et le pragmatisme, et non plus le "multilatéralisme assuré" associé à l'administration Clinton à ses débuts, sont devenus les traits caractéristiques de la politique étrangère des Etats-Unis, de même qu'une priorité expressément accordée à 1'"intérêt national".

En critiquant le mode de calcul des quotes-parts des dépenses de maintien de la paix appliqué par les Nations unies, le Président Clinton a fait clairement comprendre que la part américaine des charges fiscales et peut-être d'autres responsabilités dans l'organisation mondiale allait être réduite, si ce n'est en termes absolus, tout au moins par rapport aux contributions des autres. Comme il l'a expliqué devant l'Assemblée générale, "Cela me permettra, en ma qualité de Président, de mieux veiller à ce que nous payions en temps voulu et en totalité." En résumé, son argument était que si l'on voulait que les opérations des Nations unies soient "correctement financées", il faudrait aussi qu'elles soient "justement financées".(3) Autrement dit, on aurait plus avec moins.

Le concept de contribution

Quelque chose de nouveau est en germe dans un tel raisonnement en faveur d'une réduction du rôle de leader des Etats-Unis. Il suggère qu'à l'avenir, l'ordre international pourrait reposer moins sur le concept d'un leader auquel d'autres emboîtent le pas que sur la volonté de chaque nation d'apporter sa part, sa "contribution".

Le concept de contribution, comme on pourrait l'appeler, consiste à compter - aussi sûrement que s'il s'agissait d'une norme - sur chaque nation pour qu'elle veuille faire et fasse de son mieux afin d'aider à maintenir la paix et la sécurité internationales et afin d'accomplir d'autres tâches essentielles de la communauté internationale. Le corollaire de cette idée est l'hypothèse, implicite, que l'influence, l'honneur et même les prérogatives au niveau mondial reviendront aux pays donneurs plus ou moins à concurrence de leurs contributions. Ce corollaire pourrait être appelé "principe du donneur". De toute évidence, pour qu'un ordre international fondé sur ces deux notions soit fort, il faut que le principe de contribution l'emporte sur le principe du donneur. Une insistance inconvenante sur celui qui "contribue" le plus peut susciter des jalousies au sein des associations créées, voire les détruire.(4)

C'est dans le contexte du système des Nations unies que le concept de contribution, qui ne constitue cependant pas une expression juridique et n'a pas fait l'objet d'analyses en profondeur par des politologues, est le mieux défini - même si là encore, cette formule manque de précision. Ses composantes élémentaires - implicites dans ses racines latines, cum + tribuere - sont les idées que ce qui est donné l'est en général de concert avec d'autres, que les dons doivent être additionnés pour être suffisants et qu'ils sont, tout au moins fondamentalement, volontaires. Une contribution internationale est donc, en bref, multilatérale, fractionnaire et optionnelle.

Dans la Charte des Nations unies, la principale référence au concept de contribution apparaît dans un passage important du premier paragraphe de l'Article 23 qui traite de la composition du Conseil de sécurité. Il est stipulé que l'Assemblée générale élit les membres non permanents du Conseil de Sécurité en tenant compte "en premier lieu, de la contribution des membres de l'Organisation au maintien de la paix et de la sécurité internationales et aux fins de l'Organisation, et aussi" -critère de poids égal ou secondaire -"d'une répartition géographique équitable".

Dans le contexte de la Conférence de San Francisco (avril-juin 1945), il est évident que le terme "contribution" désignait un effort de guerre réel et potentiel des membres des Nations unies. D'après un compte rendu historique qui fait autorité, "la France, le Canada et l'Australie souhaitaient que les critères de désignation des membres non permanents soient liés à la capacité et à la volonté de contribuer à la sécurité internationale."(5) La formulation de l'Article 23(1) laisse cependant clairement entendre que d'autres services rendus à l'ONU et à la communauté mondiale seraient aussi pris en compte dans le choix de ses membres.

Dans les débats des Nations unies, l'idée de "contribuer" en est venue à être prise dans un sens budgétaire plutôt strict et étroit, le versement de "contributions" étant distingué du paiement des "quotes-parts" proportionnelles et obligatoires des membres (cf. Article 17, paragraphe 2). L'importance du soutien apporté aux Nations unies et à ses actions sous forme de contributions tend cependant à augmenter. Une étude du financement des Nations unies récemment effectuée sous la direction de Shijuro Ogata et de Paul Volcker attire l'attention sur un fait remarquable: les "contributions internationales volontaires" aux organismes des Nations unies, dont beaucoup ont pour objet les affaires humanitaires et le développement économique, excèdent désormais les montants versés dans le cadre du budget normal.(6) Mais les recommandations à rencontre de cette tendance risquent
fort de tomber dans l'oreille de sourds. Peut-être est-ce mieux ainsi.

Le mouvement actuel - conduit, entre autres, par le Président Clinton - en faveur d'une redistribution de la charge financière des Nations unies permettant de mieux aligner les montants des quotes-parts nationales sur la distribution internationale des revenus pourrait faciliter le versement de certains paiements nationaux, dont ceux des Etats-Unis. Mais il aurait pour conséquence de diminuer la quote-part des Etats-Unis - et donc peut-être de renforcer le besoin de s'appuyer sur des contributions volontaires si les autres pays refusaient de combler la différence. Il a été proposé de prévoir une augmentation de 10 à 12 pour cent de la part du budget affectée à chaque État membre.(7) L'administration Clinton voudrait que la part américaine des dépenses des Nations unies en matière de maintien de la paix soit réduite de 30 à 25 pour cent.(8)

Il faut se rappeler que la Charte des Nations unies n'étant qu'un engagement conventionnel d'Etats souverains, tous les versements au système des Nations unies, qu'il s'agisse des droits obligatoires ou de contributions volontaires, sont en dernière analyse irrécouvrables. Les Nations unies sont, en fait, un gigantesque pacte - réalité qu'il faudrait, d'après l'ethos de la contribution, mettre à profit et non sous-évaluer.

Cela vaut également pour beaucoup d'autres organismes internationaux, dont l'OTAN. L'Article 3 du Traité de Washington de 1949 est délibérément vague quant aux dépenses que les partenaires atlantiques allaient devoir supporter. "Afin d'assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité", dit-il, "les parties, agissant individuellement et conjointement, d'une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens et en se prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée." Cette notion même de coopération générale, qui découlait formellement des négociations sur le Plan Marshall, signifiait que l'on attendait de chacun des Alliés qu'il contribue à un effort commun - et non à ce qu'il soit à l'une ou l'autre des extrémités d'un axe donneur-receveur.

Lors de la réunion des ministres de l'Alliance à Lisbonne, en février 1952, et par la suite, des "objectifs" communs ont été arrêtés en matière de niveau des forces et de budget, mais aucune tentative n'a été faite pour imposer une stricte uniformité. Les contributions des Alliés seraient nécessairement diverses. L'Islande ne pouvait donner autant que les Etats-Unis. Une division du travail a peu à peu été mise en place, les Etats-Unis assurant la dissuasion nucléaire, les transports à longue distance et le plus gros des fournitures, tandis que les Alliés européens apportaient la majeure partie des forces terrestres. Le manque de proportionnalité entre leurs contributions a entraîné de longues discussions complexes au sujet du "partage des charges", mais le principe fondamental de l'Alliance - celui de la contribution de chacun à une cause commune - est demeuré intact. C'est un point important.

Contribution et différenciation

Au sein de tout ordre politique international, y compris d'une alliance comme l'OTAN, fondée sur le principe de contribution plutôt que sur des objectifs collectifs plus rigoureux, il est tentant de se différencier. Le cas du Canada en est une bonne illustration. Par crainte, peut-être, de disparaître dans une foule de donneurs anonymes, les hommes politiques, hauts fonctionnaires et commentateurs canadiens ont souvent eu tendance à rechercher "la différence" dans les actions du Canada sur la scène internationale. Et cette impulsion a parfois suscité du respect pour les éléments distinctifs -fiables, efficaces, sérieux - des multiples apports de ce pays à la communauté mondiale.

Parmi ces services volontaires, le moindre n'a sans doute pas été la contribution canadienne singulièrement régulière aux missions de maintien de la paix des Nations unies, idée dont le diplomate et premier ministre du Canada, Lester Pearson, a été un des instigateurs. Les motifs de l'intérêt périodique qu'a le Canada de paraître différent à l'étranger sont compréhensibles, et certains d'entre eux sont liés à des affaires intérieures et au désir d'Ottawa de convertir la réussite diplomatique en points électoraux. Mais cette tendance à la différenciation, que les Canadiens corrigent en général d'eux-mêmes, n'est pas le bon chemin à suivre, ne serait-ce que pour une raison bien simple: les tâches et les défis les plus urgents et les plus importants sur la scène internationale demandent avant tout un apport d'aide supplémentaire, et non différent.

On peut aussi noter une légère tendance à la différenciation dans les rationalisations actuelles de la politique étrangère des Etats-Unis. Parlant en 1993, devant l'Assemblée générale des Nations unies, de son souhait d'étendre et de renforcer la communauté mondiale des démocraties fondées sur l'économie de marché et de soutenir l'aspiration des peuples à maîtriser leurs propres vies, le Président Clinton a déclaré: "Là où c'est le plus important et où nous pouvons amener le plus grand changement, nous nous conformerons patiemment et fermement à cette aspira-tion."(9)

La nouvelle recherche de singularité dans la contribution internationale américaine apparaît tout particulièrement dans les récentes activités des Nations unies en matière de paix et de sécurité. "N'oublions pas que les Etats-Unis demeurent de loin le plus gros banquier des opérations des Nations unies", comme l'a déclaré Madeleine Albright, Ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, en juillet 1994, devant le National Press Club à Washington. "Nous avons également fait office de locomotive en ce qui concerne l'envoi de secours en Bosnie et l'application de l'interdiction de survol. Des dizaines de milliers d'Américains aident à la mise en œuvre des sanctions des Nations unies à rencontre de la Serbie, d'Haïti et de l'Irak. Et nous travaillons dur à la préparation d'une force de l'ONU efficace qui prendra la relève des forces françaises au Rwanda lorsque celles-ci partiront.(10) Ces contributions nombreuses et variées, qui prennent la forme de services ou de matériel, sont bien entendu admirables et bienvenues. Certaines d'entre elles sont néanmoins si spécifiques - si différenciées - que cela attire aussi l'attention sur ce que les Etats-Unis auraient pu faire mais se sont abstenus de faire.

La leçon implicite de la politique américaine actuelle en matière de sélection des contributions est géné-ralisable et peut s'appliquer à la plupart des autres capitales. En répondant à l'appel du Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali concernant des contributions aux opérations de maintien de la paix des Nations unies ou à des demandes d'aide dans le cadre de missions multilatérales régionales, les membres de l'OTAN, tout comme d'autres pays, devraient agir en fonction de ce qu'il est le plus nécessaire de faire et non de ce qui peut être fait de la façon la plus commode - et la plus sensationnelle. Bref, le modèle canadien traditionnel devrait être le modèle général.

Exercer son leadership en apportant sa contribution

Même des pays qui, par le passé, sont restés à l'écart des grands problèmes affectant la paix et la sécurité internationales se sont de plus en plus sentis dans l'obligation d'apporter leur contribution dans les cas d'urgence. Le Japon en est un exemple marquant. Quoique le rôle de ses forces militaires soit constitutionnellement limité à l'autodéfense, fin 90, lorsque l'Irak a envahi le Koweït et que l'accès au pétrole du golfe Persique a été menacé, le Japon a contribué, sur le plan économique et de diverses autres façons, à la gestion des conséquences de cette agression. Par la suite, des mesures législatives ont permis au personnel militaire japonais de participer à des opérations de maintien de la paix en Angola, au Cambodge et au Mozambique.

Entre-temps, le gouvernement japonais est devenu le premier fournisseur, en termes absolus, d'aide officielle au développement (AOD). Le résultat est que l'on voit émerger, au Japon, une nouvelle philosophie de "F internationalisme-contribution" (kokusai-koken) qui concerne essentiellement la nouvelle participation japonaise au maintien de la paix et sa largesse en matière d'AOD. Si les dirigeants de Tokyo n'ont pas été très explicites, l'argument qui sous-tend les impressionnantes données statistiques est, ainsi que l'a fait remarquer F ex-premier ministre Mirihiro Hosokawa devant l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre 1993, qu'il serait juste qu'à un moment donné, le "premier donneur mondial" d'AOD devienne un membre permanent du Conseil de sécurité (quoique peut-être sans droit de veto).
En ce qui concerne l'effort du Conseil de sécurité pour maintenir la paix et la sécurité internationales, M. Hosokawa a ensuite fait remarquer de façon très significative: "II est important que les pays qui ont à la fois la volonté et la capacité nécessaires pour contribuer à la prospérité et à la stabilité mondiales s'engagent activement dans cet effort.(11) Son successeur au poste de premier ministre, le leader socialiste Tomiichi Murayama, a récemment réaffirmé que le Japon souhaiterait jouer un rôle plus important au sein des Nations unies.(12) Lors de sa 49è session, l'Assemblée générale des Nations unies a de nouveau entendu parler des ambitions du Japon et de sa volonté de servir la communauté internationale. En effet, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères Yohei Kono a déclaré, "J'ai l'intention de mener une politique étrangère allant de l'avant qui permettra au Japon de contribuer, à un degré proportionnel à sa situation politique et économique, au bien-être futur de l'humanité." Conformément à la "philosophie fondamentale du Japon en matière de contributions internationales", dont il a présenté les grandes lignes, Kono a été très direct: "Je tiens à préciser que le Japon est prêt, avec le soutien d'un grand nombre de pays, à assumer les responsabilités de membre permanent du Conseil de Sécurité.(13) La stratégie japonaise, fort efficace, est un subtil et habile compromis entre les principes de contribution et du donneur.

Certains autres grands pays apportent désormais un important soutien à l'ordre international et sont devenus des leaders mondiaux potentiels à travers leurs contributions. Ainsi la République fédérale d'Allemagne, alliée de l'OTAN, s'est également de plus en plus engagée dans les activités de sécurité des Nations unies, et notamment dans les opérations aériennes de l'OTAN au-dessus de la Bosnie-Herzégovine autorisées par le Conseil de sécurité de F ONU et dans les activités des Nations unies en Somalie. Cette vigoureuse coopération, à laquelle il convient d'ajouter l'apport financier substantiel et diverses autres contributions indirectes de l'Allemagne pendant la guerre du Golfe, ainsi que sa prise en charge d'une bonne partie du coût de réintégration de l'ex-Europe de l'est et de la Russie dans l'Europe et dans la communauté mondiale, crée là aussi une bonne base d'accession au Conseil de sécurité de l'ONU. Beaucoup espèrent qu'en rapport, peut-être, avec la révision de la Charte des Nations unies à l'occasion de son actuel cinquantième anniversaire, l'Allemagne, de même que le Japon, obtiendra des sièges au sein d'un Conseil élargi à peut-être vingt membres.

Dans le système international plus polycentrique de l'après-guerre froide - où le centre d'attention change constamment - apporter une contribution importante signifie exercer une forme de leadership. Inversement, le leadership peut être un genre de contribution. Lorsque le Président Clinton a déclaré à l'Assemblée générale des Nations unies que les Etats-Unis entendaient demeurer au premier plan en servant de "fer de lance" du changement et de "pivot" de la paix, il offrait là une certaine contribution, limitée et fonctionnelle. Les médiations diplomatiques répétées de l'Amérique, comme celle du Secrétaire d'Etat Warren Christopher entre Israël et ses voisins arabes, est un service international du même genre.

Mais les petites et moyennes puissances peuvent elles aussi exercer ainsi un important leadership. Ainsi, le rôle joué par le Norvégien Johan J0rgen Holst et ses collègues en facilitant, en 1993, les premiers pourparlers entre Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine a été miraculeux. L'action diplomatique et militaire de la France, début 94, en ce qui concerne la définition de la stratégie ONU/OTAN pour défendre Sarajevo, a elle aussi été une affirmation de leadership pleine d'inspiration. Et même la brève intervention de la France au Rwanda, qui a provoqué en toute hâte une intervention internationale plus générale, a été un acte de leadership. Mais aucune des initiatives susmentionnées ne suffisait à elle seule ou ne pouvait se prolonger dans le temps. Il fallait plus de substance ou un pouvoir plus durable.

Chose ironique, c'est peut-être le style de service canadien, offrant une coopération discrète, qui imprime dans l'histoire la marque la plus notable et la plus durable. Agissant sous l'égide des Nations unies, les forces canadiennes sont intervenues tôt dans la crise yougoslave et des militaires canadiens ont aussi été présents presque dès le début au Rwanda. "Je pense que nous devrions faire preuve d'ouverture d'esprit et de capacité de réagir lorsque des besoins se font brusquement sentir et qu'une réponse urgente est attendue au sein de la communauté internationale", a déclaré le ministre des Affaires étrangères à la Chambre des Communes du Canada.(14) Ayant désormais plus d'expérience que n'importe quel autre pays dans le domaine du maintien de la paix, le Canada a en la matière un recul qui fait défaut à d'autres. On pourrait se dire que cela le met en situation de les instruire, mais une méthode plus sage consisterait à le faire en continuant de donner l'exemple.

Un autre type de contribution du Canada pourrait être reconnu et lui donner une plus grande influence formelle. Il s'agit de la signature projetée avec les Nations unies d'un "accord spécial" relatif, en vertu de l'obligation faite par l'Article 43 de la Charte, à la mise à disposition du Conseil de sécurité "des forces armées, de l'assistance et des moyens, y compris les droits de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales". Même si le Canada ne devient jamais un membre permanent ou même semi-permanent du Conseil de Sécurité, du fait des fortes pressions régionalistes exercées en faveur du critère de la "distribution géographique équitable" (Article 23(1)), il pourrait, conformément à l'Article 44 de la Charte, s'assurer que dans les cas, au moins, où ses troupes seraient utilisées, il pourrait "participer aux décisions du Conseil de sécurité". D'autres membres de l'OTAN qui, de longue date, ne respectent pas l'obligation prévue à l'Article 43 de la Charte des Nations unies, pourraient envisager de faire la même contribution en 1995.

Une telle inclination globale à la contribution serait l'essence d'un nouvel ordre mondial. Si les politiques régionales sont importantes, il est sûrement vrai que sur une planète qui rétrécit géographi-quement, la volonté des pays de contribuer à l'ordre international l'est encore plus. L'idée de leadership à travers la contribution sous-entend, valorise et récompense l'effort à la fois individuel et commun, et au cours du siècle de l'après-guerre froide qui approche, telle sera peut-être la force qui assurera la cohésion nécessaire.


(1)Confrontingthe Challenges of a Broader World", allocution du Président Clinton devant des Nations unies, New York, 27 septembre 1993 (U.S. Department of State Disputch, Vol. 4, n° 39,27 septembre 993, pp. 649-653).
(2) "Building a Secure Future on thé Foundation of Democracy", allocution du Président Clinton devant l'Assemblée générale des Nations unies, New York, 26 septembre 1994 (U.S. Department of State Dispatch, Volume 4, n° 39,26 septembre 1994, pp. 633-636).
(3) Clinton, "Confronting Broader World, op. cit., p. 652.
(4) Une vive critique du concept du "donneur" et des "exigences d'influence spéciale" qu'il peut susciter est contenue dans Erskine Childers et Brian Urquhart, Renewing thé United nations System, Dag Hammarskjb'ld Foundation, Uppsala, 1994, pp. 152-153.
(5) Ruth B. Russell, assistée par Jeannette l. Muther,/1/fttoryor" thé United Hâtions Charter, The Brookings Institution, Washington, D.C.,1958,p.648.
(6) financing an Effective United Hâtions: Independent Advisory Group on UN Financing, Ford Foundation, New York, 1993, p. 22.
(7) CÏïïîdërs et Urquhart, Renewing thé United Nations System, op. cit., p. 154.
(8) L'actuelle quote-part américaine du budget normal est de 25 pour cent et pourrait, elle aussi, être réduite. Mais depuis 1973, la participation financière au maintien de la paix un peu différente par chacun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité devant payer 22 pour cent de plus que selon la formule de calcul budgétaire normale. Cf. ibid.,p.!50.
(9) Clinton, "Confronting thé Challenge of a Broader World", op. cit., p. 650.
(10)MadeleineK. Albright, "The Future of thé US-UN Relotionships", allocution au National Press Club, Washington, D.C., 14 juillet 1994, US Department of State Dispatch, Volume 5, n° 30,25 juillet 1994, pp. 493-496.
(ll)AllooJtionlorsdela 48e Session de des Nations unies, New York, 27 septembre 1993, citée en annexe de Morihiro Hosokawa, The Time to Act h Now: Jhoughts for a New Japon, NTT Mediascope, Tokyo, 1993, p. 126.
(12)Cf. par exemple, Murayama Spelk ouf GoakinaBwadand Japon Now, août 1994, pp. 2-3.
(13)Allocirtionlorsdela 49è session de des Nations unies, New York, 27 septembre 1994.
(14)Alloortion devant la Chambre des Communes sur le rôle du Canada dans le maintien de la paix, 21 septembre 1994.