Revue de l'OTAN
Mise à jour: 10-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 5
Oct. 1994
p. 7-10

La Pologne, futur allié de l'OTAN

Piotr Kotodzieiczyk
Ministre de la défense de Pologne

La sécurité européenne est indivisible, même si tout le monde ne s'en rend pas compte ou n'est pas prêt à accepter cette évidence. Les conflits régionaux et les guerres civiles qui affectent notre continent ont de nombreux effets transfrontaliers, dont des vagues de réfugiés qui fuient la crise, des contraintes au niveau du commerce international et la nécessité de participer à des activités de maintien de la paix. C'est pourquoi la communauté internationale ne doit pas rester les bras croisés, à observer passivement ce qui se passe pendant que se déroulent un certain nombre de conflits locaux et régionaux, comme dans l'ex-Yougoslavie.

Il est bon de souligner que la Pologne n'a été impliquée dans aucun conflit depuis plus de quarante ans et qu'il n'y a aucun danger que cela ne se produise dans un avenir prévisible. Mais bien évidemment, rien ne garantit à la Pologne que l'environnement international demeure pacifique dans les années à venir.

Il est donc grand temps de mettre en place un mécanisme de prévention des conflits et de gestion des crises efficace - mécanisme qui aiderait à empêcher qu'une guerre n'éclate ou qu'une crise ne dégénère en guerre. Dans le même temps, le mandat des forces internationales de maintien de la paix doit être élargi, de telle sorte qu'elles puissent non seulement surveiller une trêve entre des parties en guerre, mais aussi rétablir ou même imposer la paix. Pour ce faire, la communauté internationale doit redéfinir les rôles et les fonctions des institutions et organisations de sécurité existantes et dans cette optique, il est particulièrement important que l'OTAN définisse son nouveau rôle et sa nouvelle structure.

Une Alliance nord-atlantique rénovée devrait être le fondement d'un nouveau système de sécurité européen. Or à Bruxelles, beaucoup d'hommes politiques grisés par la fin de la guerre froide, à la suite de l'effondrement du Pacte de Varsovie et de la désintégration de l'Union soviétique, se refusent à envisager d'adapter l'Alliance aux besoins de la nouvelle ère de relations internationales qui s'ouvre sur le continent européen.

La Pologne, qui fait son possible en vue d'adhérer à l'OTAN, n'entend nullement suggérer que l'ouverture de l'Alliance à l'est devrait se faire aux dépens des États membres les moins prospères de l'Organisation, c'est-à-dire en détournant l'aide économique et financière qui leur est apportée par les pays membres les plus prospères. En revanche, il nous paraît possible que les pays d'Europe centrale et les membres les moins aisés de l'OTAN créent une sorte de "cause commune" afin d'acquérir l'équipement de pointe dont nous avons besoin.

La chute du communisme a débouché sur la dissolution du Pacte de Varsovie et sur la disparition du rideau de fer, ce qui a considérablement réduit le risque de guerre nucléaire ou de guerre conventionnelle à grande échelle en Europe; mais elle a aussi fait naître de nouveaux types de dangers et de menaces. L'ordre bipolaire a été remplacé, dans cette région, par des zones géographiques dont les niveaux de sécurité varient. Ainsi, la Pologne et d'autres pays d'Europe centrale se retrouvent dans une sorte de vide sécuritaire entre la zone occidentale, dotée d'un système de défense efficace, et les républiques de l'ex-Union soviétique, instables, avec une Russie qui tente de créer une nouvelle structure de sécurité autour d'elle. Les pays d'Europe centrale et orientale n'ont reçu aucune garantie formelle d'aide militaire en cas de menace ou d'agression potentielle à leur encontre. Ils espèrent résoudre ce problème à travers une coopération étroite avec l'OTAN qui, dans un avenir prévisible, devrait déboucher sur l'adhésion à l'Alliance.

La Pologne, qui s'efforce de se faire une place dans la structure de sécurité européenne, a conclu un grand nombre d'accords bilatéraux en matière de coopération militaire, non seulement avec des pays voisins - le maintien de relations de bon voisinage étant un des piliers de notre politique étrangère - mais aussi avec beaucoup de membres de l'Alliance atlantique notamment les Etats-Unis, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Canada, la Turquie et la Grèce.

Un partenariat réel et solide

Lors du sommet de l'OTAN en janvier dernier en annonçant le Partenariat pour la paix, les Alliés ont déclaré: "Nous escomptons un élargissement de l'OTAN aux États démocratiques, à l'est...". Je suis convaincu que maintenant, plusieurs mois plus tard, nous pouvons affirmer que cette déclaration politique est d'ores et déjà en train de se transformer en actes. La Pologne voit le Partenariat pour la paix comme la meilleure voie à suivre vers son objectif d'intégration pleine et entière dans l'Alliance.

Cette idée semble enfin de plus en plus largement admise à l'ouest. La déclaration faite par le Président Clinton à Varsovie, en juillet dernier, qui laissait entendre que des consultations allaient commencer l'année prochaine en vue d'élargir l'Alliance, indique que la plupart des doutes relatifs à la nécessité de ce changement ont été levés. Seules subsistent des interrogations sur le quand et le comment.

Nous considérons notre participation à l'initiative du Partenariat pour la paix comme la voie d'accès à l'OTAN. Cela apparaît très clairement dans le document de présentation polonais comme dans le programme de partenariat individuel que nous avons établi avec l'Alliance au mois de juillet.

Cela ne signifie pas que l'approche polonaise du Partenariat soit exclusivement orientée vers les aspects purement formels de l'adhésion à l'OTAN. Nous sommes au contraire convaincus que si tous les participants le prennent au sérieux, le concept de PfP jouera probablement un grand rôle dans le renforcement de la sécurité sur tout le continent. L'intensification du dialogue politique, doublée d'un engagement dans des activités conjointes comme des opérations de maintien de la paix, d'aide humanitaire et de sauvetage, nous fera progresser vers l'objectif le plus important, la création d'une nouvelle Europe sans division. Dans cette perspective, nous apprécions la participation de la Russie au Partenariat. Nous espérons que le PfP facilitera son intégration dans l'Europe. Il l'aidera à la fois à jouer un rôle important sur la scène internationale et à instaurer un contrôle démocratique de ses forces armées et la transparence de sa planification militaire.

Un processus progressif

Je sais bien que l'incorporation totale de la Pologne dans les structures de l'OTAN ne pourra se faire du jour au lendemain. Le processus d'adaptation des forces armées polonaises aux standards occidentaux demandera quelque temps, notamment du point de vue technique. Nous devons avant tout concentrer nos efforts sur la compatibilité de nos systèmes de commandement, de contrôle et de communications. Ensuite, il nous faudra normaliser nos procédures de commandement et même nos cartes. A ce stade, même si nous ne sommes pas encore membres de l'OTAN, notre potentiel défen-sif pourra, sur la base et à la suite des consultations appropriées, être soutenu de façon efficace en cas de besoin. A cet égard, nous espérons que le PfP permettra aux forces polonaises et de l'OTAN d'en venir à s'emboîter les unes dans les autres comme des pièces de "Lego". Pour l'heure, une telle compatibilité opérationnelle n'a pas à s'insérer dans un mur défensif général entièrement compatible, mais il nous faut tendre vers l'intégration à cette future structure.

Sur la voie qui mène aux structures de sécurité euro-atlantiques, la Pologne n'entend pas être une piètre relation ou un fardeau pour qui que ce soit. Il est certain que notre équipement est en grande partie obsolète - il a peut-être une génération de retard - mais avec du temps et de l'argent, il est possible d'y remédier. Et c'est la puissance militaire globale qui compte sur le champ de bataille moderne; dans l'ensemble, en dépit du fait que nous devons compenser la quantité par la qualité, notre puissance militaire reste importante.

Le processus de modernisation de l'équipement des forces armées polonaises demandera du temps - peut-être plusieurs années, voire plus. Il demandera aussi de gros investissements et, surtout, le soutien technologique de l'Occident. Sans lui, nous serions dans l'obligation de ne recourir qu'à la technologie militaire russe, ce qui ferait bien évidemment naître des doutes quant à la crédibilité de notre souveraineté. Un pays condamné à acquérir son équipement et son armement auprès d'un seul fournisseur a les mains liées, et c'est une perspective que nous ne saurions accepter.

Cela ne signifie pas pour autant que nous allons cesser les négociations, les discussions ou les échanges commerciaux avec les Russes. Mais nous devons être ouverts aux technologies occidentales et sur ce plan, divers signes sont indicateurs de progrès. Ainsi, lors de la réunion à Varsovie des ministres de la défense d'Allemagne, de France et de Pologne, en juillet dernier, l'idée d'établir un groupe de travail trilatéral a été acceptée sans la moindre objection afin d'aider la Pologne à s'engager plus avant dans un processus de recherche et de développement conjoint, mais aussi d'acquisition de nouveaux armements pour ses forces

années. J'espère vraiment que nous avons enfin brisé les blocages, même si à nos yeux, cela s'est fait plutôt tardivement. Le moment est venu, pour nous, de rattraper le temps perdu.

Les points forts de la Pologne

La Pologne se situe dans le groupe de tête des pays qui ont entrepris une profonde transformation économique et politique, ce qui représente un important potentiel, en matière de défense, malgré quelques inconvénients. Elle devrait être considérée comme un partenaire fiable, crédible et éprouvé. Elle n'a de contentieux avec aucun de ses voisins et entretient au contraire de bonnes relations avec la quasi-totalité d'entre eux. Elle a d'ailleurs conclu avec certains des traités d'amitié bilatéraux et des accords de coopération militaire. La Pologne apporte également sa propre contribution à la mise en place de structures de coopération régionales comme le Groupe de Visegrad, l'Initiative centre-européenne et le Conseil des États de la Baltique. Nous participons aussi aux activités de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et soutenons l'élaboration de normes paneuro-péennes concernant la direction des États. Tout cela indique, selon moi, qu'en tant que pays démocratique, sur la voie du développement économique et actif sur la scène internationale, la Pologne présente les caractéristiques requises pour accéder aux institutions occidentales.

Elle a également une longue tradition de participation active à diverses opérations de maintien de la paix à travers le monde. A l'heure actuelle, nous avons des unités stationnées dans l'ex-Yougoslavie, au Liban et en Syrie. Et nous destinons d'autres unités à œuvrer avec l'OTAN à l'instauration de la paix dans des zones de conflits. Nous espérons pouvoir contribuer à de futures activités des Nations unies et de la CSCE en matière de prévention des conflits et de gestion des crises à travers, entre autres, le développement avec l'OTAN de l'intéressant concept de groupes de forces interarmées multinationales.

Bien entendu, nous avons des problèmes. Notre situation économique continue d'entraver notre capacité de développer nos forces armées et nos perspectives de coopération avec l'Alliance. Nous savons cependant que c'est à nous, avec notre argent, d'acheter le billet indispensable pour monter dans le train de la sécurité.