Revue de l'OTAN
Mise à jour: 09-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 2
Avril 1994
p. 23-26

Relever le défi des réfugiés en renforçant
la coopération entre le HCR et l'OTAN

José Maria Mendiluce
Représentant régional du MCR pour les pays du Bénélux et les institutions européennes

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) est l'organe des Nations unies qui est chargé par la communauté internationale d'assurer une protection internationale aux réfugiés du monde entier et d'essayer de remédier à leur situation. Créé en 1951 pour une période limitée afin de chercher des solutions aux problèmes des réfugiés et du déplacement des populations qui se trouvaient encore dans des camps en Autriche, en Allemagne et en Italie après la Seconde Guerre mondiale, il a vu son mandat prolongé à plusieurs reprises pour faire face aux nouveaux afflux de réfugiés et à la complexité croissante de ce phénomène. Pour la seule année 1993, le nombre des réfugiés dans le monde a augmenté à un rythme de dix mille par jour. Le HCR, qui a eu deux fois l'honneur de recevoir le prix Nobel de la paix, protège et aide, à l'heure actuelle, quelques dix-neuf millions de réfugiés aux quatre coins du monde.

Avec un personnel supérieur à trois mille personnes et d'innombrables partenaires qui l'assistent dans ses tâches concrètes, le HCR participe ou dirige des programmes de secours de grande envergure. Son budget annuel a doublé au cours de ces cinq dernières années et dépasse désormais le milliard de dollars. Au delà de sa responsabilité statutaire en matière de protection et d'aide aux réfugiés, le HCR participe également à de vastes programmes de rapatriement et de réhabilitation destinés à aider les réfugiés à retrouver leur vie et leur communauté antérieures, comme au Cambodge et au Mozambique. A la demande du Secrétaire général des Nations unies, il assiste aussi bon nombre des vingt-cinq millions de personnes déplacées dans leur propre pays.

Nouvelles possibilités et nouveaux défis

Le nombre croissant des réfugiés - qui est passé de 1,4 million en 1960 au chiffre astronomique de 19 millions en 1993 - reflète tragiquement le monde d'aujourd'hui. Nombreux sont ceux qui ont cru que la fin de la guerre froide et la chute des régimes communistes allaient permettre la résolution rapide d'un certain nombre de conflits anciens et l'instauration d'un nouvel ordre mondial. On espérait qu'un tel ordre faciliterait le rapatriement de centaines de milliers de réfugiés dans leurs pays d'origine et permettrait à la communauté internationale, dans les zones ravagées par la guerre, de réaffecter à la réhabilitation et à la reconstruction les fonds jusque là consacrés à de coûteux programmes de soin et de subsistance.

Il apparaît que la situation de l'après-guerre froide est loin d'être aussi simple qu'on ne l'avait cru. C'est un mélange d'occasions de résoudre des conflits de longue date, et donc de procéder à des rapatriements volontaires, et de crises nouvelles dont les dimensions et la complexité dépassent tout ce que l'on avait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. "La réduction des tensions est-ouest a créé de nouvelles possibilités de coopération internationale en matière de règlement des conflits. Mais les guerres par procuration des décennies précédentes se sont révélées avoir leur propre vie, après le retrait de leurs commanditaires, qui ont laissé aux mains des factions rivales des arsenaux dévastateurs", indique un ouvrage récent sur la situation des réfugiés dans le monde. "Bon nombre des nouveaux États indépendants, nés de la dissolution de l'Union soviétique, sont déchirés pour des raisons ethniques, idéologiques, ou tout simplement par des luttes de pouvoir. En outre, un certain nombre d'États d'autres parties du monde se sont fragmentés ou ont implosé. Et dans toutes les régions soumises à ces diverses formes d'instabilité, nouvelles ou anciennes, des populations ont fui pour échapper à la persécution et à la violence. Ce même relâchement des tensions qui a permis que des conflits récents ne soient pas de nouvelles pommes de discorde dans le cadre de la guerre froide a du même coup impliqué que ces conflits - et les victimes qu'ils faisaient - pouvaient être négligés par les plus hautes instances politiques internationales, notamment lorsqu'ils ne paraissaient pas mettre en jeu les intérêts des grandes puissances." (1)

Le Cambodge, où des élections ont pu avoir lieu sous la surveillance des Nations unies en 1993 et où le HCR a pu rapatrier plus de 360.000 réfugiés et personnes déplacées, est un exemple de solution possible. En revanche, la crise dans l'ex-Yougoslavie, et en particulier la terrible guerre qui dévaste la Bosnie-Herzégovine, ont débouché sur la plus grave crise humanitaire qu'ait connu l'Europe depuis 1945. L'Afrique a elle aussi été le théâtre de violences ethniques aboutissant à de très importants déplacements de populations. Ainsi, fin 93, plus de 600.000 personnes ont fui le Burundi en quelques jours. Des conflits occasionnés par des rivalités ethniques, religieuses ou nationalistes qui ont déjà éclaté ou risquent de le faire dans différentes républiques de l'ex-Union soviétique et en Afrique, le démembrement ou la chute de certains États, la poussée des nationalismes et la montée du fondamentalisme religieux incitent peu à l'optimisme. Il est même très probable que dans les années à venir, des problèmes humanitaires sans précédents se posent à la communauté internationale. En effet, les déplacements forcés des populations ne sont pas seulement un effet secondaire des crises politiques, ils constituent aussi un facteur de déstabilisation qui peut menacer la paix et la sécurité des Etats alentour.

Les organisations humanitaires et l'appareil militaire

Depuis la guerre du Golfe, un certain nombre de crises ont peu à peu amené la communauté internationale à comprendre qu'il existe des liens entre l'action humanitaire et les processus de résolution ou de prévention des conflits et à reconnaître la nécessité de combiner, au niveau international, initiatives politiques et mesures humanitaires. Ainsi, dans le cadre de leurs opérations d'établissement ou de rétablissement de la paix, les Nations unies accordent de plus en plus souvent un rôle important - voire, comme en Bosnie-Herzégovie, prédominant - à l'action humanitaire. Dans son Agenda pour la paix, le Secrétaire général des Nations unies définit clairement quelques-uns des défis que la communauté internationale devra relever en combinant les interventions militaire et humanitaire.

Quelques exemples de coopération du HCR dans le cadre d'opérations de maintien de la paix récentes peuvent être tirés de notre expérience en Amérique centrale, où le HCR a contribué avec succès au processus de paix en collaborant étroitement, avec l'ONUCA (Nicaragua) et l'ONUSAL (El Salvador), au rapatriement dans leur pays d'origine et à la réintégration de ressortissants du Nicaragua et du Salvador. Les opérations réussies de Namibie et du Cambodge, où le HCR a également joué un grand rôle en permettant le retour des réfugiés à temps pour qu'ils participent au vote envisagé dans le cadre de l'accord de paix, sont d'autres illustrations de ce type de coopération.

Les crises complexes et de grande ampleur comme le conflit dans l'ex-Yougoslavie ou le cas des réfugiés kurdes et des personnes déplacées au nord de l'Irak ont cependant marqué un tournant dans cette coopération et mis à l'épreuve la capacité des organismes humanitaires, notamment du HCR, à opérer dans un nouvel environnement. Elles ont été les premiers exemples de coopération entre le HCR et des forces armées dans des situations de conflit armé non résolu. Elles font aujourd'hui l'objet d'un grand nombre d'analyses et de débats.

"Les capacités logistiques des organisations militaires et la possibilité qu'elles ont de se déployer rapidement, en mobilisant des moyens de transport et de communication, mais aussi des fournitures nécessaires à la survie immédiate, peuvent constituer une sécurité indispensable pour les réfugiés dans des situations d'urgence au milieu d'un conflit armé." (2) Outre les énormes efforts que le HCR a déployés pour être mieux préparé aux situations d'urgence, pour améliorer sa capacité de réponse et pour mieux équiper son personnel appelé à œuvrer dans des conditions de conflit ouvert, il est aussi, parmi les organisations internationales, celle qui fait le plus appel à des ressources militaires pour soutenir l'action humanitaire.

Le "détachement" de personnel militaire, et notamment de personnel spécialisé dans les télécommunications et la logistique, qui travaille en civil au sein de la structure du HCR, a apporté au Haut Commissariat non seulement une main-d'œuvre bien utile, mais aussi une expérience militaire et un savoir-faire technique. D'anciens militaires ont joué un grand rôle dans des opérations complexes qui demandaient le transport d'aide humanitaire, la mise en place de réseaux logistiques et la gestion d'importants stocks de moyens de secours, lesquels sont essentiels lors d'opérations de grande ampleur, notamment dans des zones de conflit.

Une autre illustration du recours à des ressources militaires à l'appui de l'action humanitaire est l'acheminement par voie aérienne de moyens de secours et de personnel, fort demandé, dans un certain nombre d'opérations d'urgence; on peut citer, comme exemple le pont aérien de Sarajevo. Les Hercule et autres avions mis à disposition par les nations participantes (dont la majorité sont membres de l'OTAN) ont permis de sauver des centaines de milliers de vies.

L'ex-Yougoslavie

Un des exemples les plus importants de coopération entre les militaires et le HCR est celui des activités en cours dans l'ex-Yougoslavie, et plus particulièrement en Bosnie-Herzégovine. Il s'agit de l'opération la plus vaste et sans doute la plus complexe qui ait été organisée dans un passé récent. Il a fallu prendre en compte les combats continus, les conditions météorologiques et, surtout, l'attitude des factions en guerre. Le HCR a assumé la responsabilité de l'assistance à près de quatre millions de personnes (2,1 millions pour la seule Bosnie-Herzégovine), mais il n'aurait pu s'acquitter d'une tâche aussi lourde sans le soutien et la coopération de l'appareil militaire. Le déploiement de la FORPRONU, en vertu de la Résolution 776 du Conseil de sécurité, a constitué un nouveau type de participation des forces militaires des Nations unies à l'appui de l'action humanitaire -l'escorte de convois d'aide humanitaires. En dépit de tous les obstacles, des attaques et d'incidents graves sur le plan de la sécurité, plus de mille tonnes de marchandises sont distribuées chaque jour en Bosnie. Depuis le début du conflit, plus de mille deux cents incidents dans lesquels étaient impliqués des travailleurs humanitaires ont été signalés.

Il convient cependant de préciser que la coopération entre le HCR et les militaires n'est pas limitée à la FORPRONU. Depuis le début de sa participation en Bosnie-Herzégovine et en Croatie, le HCR a tiré parti de l'expertise militaire dans différents domaines. L'exemple le plus marquant de cette coopération est le pont aérien de Sarajevo, le plus grand de l'histoire, qui a permis de livrer plus de 93.000 tonnes d'aide en 8 120 sorties depuis son inauguration en juin 1992.

Le pont aérien est l'œuvre d'une cellule conjointe HCR/militaires située à Genève et sur le terrain; elle se compose de personnel des forces armées des pays participants, qui interviennent sous l'autorité du HCR. Les parachutages relèvent eux aussi d'activités conjointes menées sous la direction du HCR en ce qui concerne les zones cibles et le type de produits à larguer. Plus de 13 000 tonnes de produits ont été parachutés entre février 1993 et février 1994.

Considérant ces expériences, le HCR est convaincu qu'à l'avenir, ce type d'opérations conjointes, avec l'aide de militaires professionnels, devrait être étendu et intensifié en vue de nouvelles opérations de même nature. Le recours à l'expertise militaire et technique dans le cadre d'opérations humanitaires complexes et de grande ampleur est un des enseignements les plus positifs que l'on ait tirés de l'expérience du HCR dans le golfe Persique et dans l'ex-Yougoslavie.

Action politique, militaire et humanitaire

La réussite de l'action ou d'opérations humanitaires ayant un double aspect humanitaire et militaire dépend en dernier ressort du niveau politique. En effet, si rien ne progresse sur ce plan, si aucune solution politique n'est apportée, la coopération militaro-humanitaire est vouée à l'échec. Il faut tout faire pour parvenir à une synergie entre le politique, le militaire et l'humanitaire au profit des victimes des conflits actuels, des populations civiles innocentes. L'expérience acquise en matière de coopération, que ce soit dans l'ex-Yougoslavie ou en Somalie, doit être analysée et de nombreuses leçons importantes doivent en être tirées. L'intérêt grandissant que présentent les opérations militaires ayant une composante humanitaire suscite actuellement un débat, auquel les organisations non gouvernementales (ONG) participent activement, sur l'avenir de ce type de coopération.

Tout comme il y a une "expertise" militaire, il y a une "expertise" humanitaire en ce qui concerne la défense des principes humanitaires universels, ainsi que l'assistance et la protection des victimes de conflits armés. Le respect de ces principes, mais aussi du rôle et des mandats des organisations humanitaires, sont des conditions sine qua non de la mise en œuvre efficace et cohérente d'une coopération entre les instances politiques, militaires et humanitaires.
Une première condition préalable à une collaboration efficace est de mieux se connaître les uns les autres. C'est pourquoi la formation des participants actuels ou potentiels aux opérations militaires à composante humanitaire est essentielle. Une seconde condition préalable est de mieux comprendre les structures de commandement et les mécanismes opérationnels de l'autre partie. Un très gros effort est déjà engagé, aux Nations unies, et notamment au sein du Département des opérations de maintien de la paix, mais aussi parmi d'autres organismes humanitaires. Il est complété par de multiples tables rondes, débats et sessions de formation organisés par un certain nombre de forces armées et d'institutions multilatérales, dont l'OTAN.

La coopération entre le HCR et l'OTAN s'intensifie de jour en jour, comme en témoignent des contacts et des collaborations de plus en plus nombreux, dont la participation de membres du HCR aux cours et séminaires de formation de l'OTAN à Oberammergau et à ceux du CCNA, en prévision d'éventuelles opérations ayant une composante humanitaire avec l'OTAN ou les forces nationales de ses membres et ses partenaires en Europe centrale et orientale. Comme Fa déclaré le Haut Commissaire, Mme Sadako Ogata, dans l'avant-propos de The state of thé world's refugees: thé challenge of protection:

"Le thème des réfugiés et des personnes déplacées occupe une des premières places sur la liste des préoccupations internationales d'aujourd'hui non seulement en raison de son importance sur le plan humanitaire, mais aussi à cause de son impact sur la paix, la sécurité et la stabilité. Le monde ne peut mettre en place un nouvel ordre s'il ne réussit pas à faire face au problème du déplacement humain." (3)

Les défis à relever sont impressionnants et ne pourront être affrontés ni par les organisations humanitaires seules ni sans elles. La réussite ou l'échec de la communauté internationale dépendra de sa capacité à concevoir des solutions innovatrices canalisant de façon efficace les efforts et l'expertise de toutes les parties impliquées. C'est la survie de millions d'êtres humains qui est en jeu. Le HCR est prêt à coopérer étroitement avec l'OTAN pour relever ce défi.


(1) wortd's refugees: tbe challenge of protection, UHHCR, Penguin Books, 1993, p. 2.
(2) Ibid., p. 78.
(3) Ibid., p. iii.