Edition Web
Vol. 42- No. 2
Avril 1994
p. 23-26
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Relever
le défi des réfugiés en renforçant
la coopération entre le HCR et l'OTAN
José Maria Mendiluce
Représentant régional du MCR pour les pays du Bénélux
et les institutions européennes
Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR) est l'organe des Nations unies qui est chargé par la communauté
internationale d'assurer une protection internationale aux réfugiés
du monde entier et d'essayer de remédier à leur situation.
Créé en 1951 pour une période limitée afin
de chercher des solutions aux problèmes des réfugiés
et du déplacement des populations qui se trouvaient encore dans
des camps en Autriche, en Allemagne et en Italie après la Seconde
Guerre mondiale, il a vu son mandat prolongé à plusieurs
reprises pour faire face aux nouveaux afflux de réfugiés
et à la complexité croissante de ce phénomène.
Pour la seule année 1993, le nombre des réfugiés
dans le monde a augmenté à un rythme de dix mille par jour.
Le HCR, qui a eu deux fois l'honneur de recevoir le prix Nobel de la paix,
protège et aide, à l'heure actuelle, quelques dix-neuf millions
de réfugiés aux quatre coins du monde.
Avec un personnel supérieur à trois mille personnes et
d'innombrables partenaires qui l'assistent dans ses tâches concrètes,
le HCR participe ou dirige des programmes de secours de grande envergure.
Son budget annuel a doublé au cours de ces cinq dernières
années et dépasse désormais le milliard de dollars.
Au delà de sa responsabilité statutaire en matière
de protection et d'aide aux réfugiés, le HCR participe également
à de vastes programmes de rapatriement et de réhabilitation
destinés à aider les réfugiés à retrouver
leur vie et leur communauté antérieures, comme au Cambodge
et au Mozambique. A la demande du Secrétaire général
des Nations unies, il assiste aussi bon nombre des vingt-cinq millions
de personnes déplacées dans leur propre pays.
Nouvelles possibilités et nouveaux défis
Le nombre croissant des réfugiés - qui est passé
de 1,4 million en 1960 au chiffre astronomique de 19 millions en 1993
- reflète tragiquement le monde d'aujourd'hui. Nombreux sont ceux
qui ont cru que la fin de la guerre froide et la chute des régimes
communistes allaient permettre la résolution rapide d'un certain
nombre de conflits anciens et l'instauration d'un nouvel ordre mondial.
On espérait qu'un tel ordre faciliterait le rapatriement de centaines
de milliers de réfugiés dans leurs pays d'origine et permettrait
à la communauté internationale, dans les zones ravagées
par la guerre, de réaffecter à la réhabilitation
et à la reconstruction les fonds jusque là consacrés
à de coûteux programmes de soin et de subsistance.
Il apparaît que la situation de l'après-guerre froide est
loin d'être aussi simple qu'on ne l'avait cru. C'est un mélange
d'occasions de résoudre des conflits de longue date, et donc de
procéder à des rapatriements volontaires, et de crises nouvelles
dont les dimensions et la complexité dépassent tout ce que
l'on avait connu depuis la Seconde Guerre mondiale. "La réduction
des tensions est-ouest a créé de nouvelles possibilités
de coopération internationale en matière de règlement
des conflits. Mais les guerres par procuration des décennies précédentes
se sont révélées avoir leur propre vie, après
le retrait de leurs commanditaires, qui ont laissé aux mains des
factions rivales des arsenaux dévastateurs", indique un ouvrage
récent sur la situation des réfugiés dans le monde.
"Bon nombre des nouveaux États indépendants, nés
de la dissolution de l'Union soviétique, sont déchirés
pour des raisons ethniques, idéologiques, ou tout simplement par
des luttes de pouvoir. En outre, un certain nombre d'États d'autres
parties du monde se sont fragmentés ou ont implosé. Et dans
toutes les régions soumises à ces diverses formes d'instabilité,
nouvelles ou anciennes, des populations ont fui pour échapper à
la persécution et à la violence. Ce même relâchement
des tensions qui a permis que des conflits récents ne soient pas
de nouvelles pommes de discorde dans le cadre de la guerre froide a du
même coup impliqué que ces conflits - et les victimes qu'ils
faisaient - pouvaient être négligés par les plus hautes
instances politiques internationales, notamment lorsqu'ils ne paraissaient
pas mettre en jeu les intérêts des grandes puissances."
(1)
Le Cambodge, où des élections ont pu avoir lieu sous la
surveillance des Nations unies en 1993 et où le HCR a pu rapatrier
plus de 360.000 réfugiés et personnes déplacées,
est un exemple de solution possible. En revanche, la crise dans l'ex-Yougoslavie,
et en particulier la terrible guerre qui dévaste la Bosnie-Herzégovine,
ont débouché sur la plus grave crise humanitaire qu'ait
connu l'Europe depuis 1945. L'Afrique a elle aussi été le
théâtre de violences ethniques aboutissant à de très
importants déplacements de populations. Ainsi, fin 93, plus de
600.000 personnes ont fui le Burundi en quelques jours. Des conflits occasionnés
par des rivalités ethniques, religieuses ou nationalistes qui ont
déjà éclaté ou risquent de le faire dans différentes
républiques de l'ex-Union soviétique et en Afrique, le démembrement
ou la chute de certains États, la poussée des nationalismes
et la montée du fondamentalisme religieux incitent peu à
l'optimisme. Il est même très probable que dans les années
à venir, des problèmes humanitaires sans précédents
se posent à la communauté internationale. En effet, les
déplacements forcés des populations ne sont pas seulement
un effet secondaire des crises politiques, ils constituent aussi un facteur
de déstabilisation qui peut menacer la paix et la sécurité
des Etats alentour.
Les organisations humanitaires et l'appareil militaire
Depuis la guerre du Golfe, un certain nombre de crises ont peu à
peu amené la communauté internationale à comprendre
qu'il existe des liens entre l'action humanitaire et les processus de
résolution ou de prévention des conflits et à reconnaître
la nécessité de combiner, au niveau international, initiatives
politiques et mesures humanitaires. Ainsi, dans le cadre de leurs opérations
d'établissement ou de rétablissement de la paix, les Nations
unies accordent de plus en plus souvent un rôle important - voire,
comme en Bosnie-Herzégovie, prédominant - à l'action
humanitaire. Dans son Agenda pour la paix, le Secrétaire général
des Nations unies définit clairement quelques-uns des défis
que la communauté internationale devra relever en combinant les
interventions militaire et humanitaire.
Quelques exemples de coopération du HCR dans le cadre d'opérations
de maintien de la paix récentes peuvent être tirés
de notre expérience en Amérique centrale, où le HCR
a contribué avec succès au processus de paix en collaborant
étroitement, avec l'ONUCA (Nicaragua) et l'ONUSAL (El Salvador),
au rapatriement dans leur pays d'origine et à la réintégration
de ressortissants du Nicaragua et du Salvador. Les opérations réussies
de Namibie et du Cambodge, où le HCR a également joué
un grand rôle en permettant le retour des réfugiés
à temps pour qu'ils participent au vote envisagé dans le
cadre de l'accord de paix, sont d'autres illustrations de ce type de coopération.
Les crises complexes et de grande ampleur comme le conflit dans l'ex-Yougoslavie
ou le cas des réfugiés kurdes et des personnes déplacées
au nord de l'Irak ont cependant marqué un tournant dans cette coopération
et mis à l'épreuve la capacité des organismes humanitaires,
notamment du HCR, à opérer dans un nouvel environnement.
Elles ont été les premiers exemples de coopération
entre le HCR et des forces armées dans des situations de conflit
armé non résolu. Elles font aujourd'hui l'objet d'un grand
nombre d'analyses et de débats.
"Les capacités logistiques des organisations militaires et
la possibilité qu'elles ont de se déployer rapidement, en
mobilisant des moyens de transport et de communication, mais aussi des
fournitures nécessaires à la survie immédiate, peuvent
constituer une sécurité indispensable pour les réfugiés
dans des situations d'urgence au milieu d'un conflit armé."
(2) Outre les énormes efforts que le HCR a
déployés pour être mieux préparé aux
situations d'urgence, pour améliorer sa capacité de réponse
et pour mieux équiper son personnel appelé à uvrer
dans des conditions de conflit ouvert, il est aussi, parmi les organisations
internationales, celle qui fait le plus appel à des ressources
militaires pour soutenir l'action humanitaire.
Le "détachement" de personnel militaire, et notamment
de personnel spécialisé dans les télécommunications
et la logistique, qui travaille en civil au sein de la structure du HCR,
a apporté au Haut Commissariat non seulement une main-d'uvre
bien utile, mais aussi une expérience militaire et un savoir-faire
technique. D'anciens militaires ont joué un grand rôle dans
des opérations complexes qui demandaient le transport d'aide humanitaire,
la mise en place de réseaux logistiques et la gestion d'importants
stocks de moyens de secours, lesquels sont essentiels lors d'opérations
de grande ampleur, notamment dans des zones de conflit.
Une autre illustration du recours à des ressources militaires
à l'appui de l'action humanitaire est l'acheminement par voie aérienne
de moyens de secours et de personnel, fort demandé, dans un certain
nombre d'opérations d'urgence; on peut citer, comme exemple le
pont aérien de Sarajevo. Les Hercule et autres avions mis à
disposition par les nations participantes (dont la majorité sont
membres de l'OTAN) ont permis de sauver des centaines de milliers de vies.
L'ex-Yougoslavie
Un des exemples les plus importants de coopération entre les militaires
et le HCR est celui des activités en cours dans l'ex-Yougoslavie,
et plus particulièrement en Bosnie-Herzégovine. Il s'agit
de l'opération la plus vaste et sans doute la plus complexe qui
ait été organisée dans un passé récent.
Il a fallu prendre en compte les combats continus, les conditions météorologiques
et, surtout, l'attitude des factions en guerre. Le HCR a assumé
la responsabilité de l'assistance à près de quatre
millions de personnes (2,1 millions pour la seule Bosnie-Herzégovine),
mais il n'aurait pu s'acquitter d'une tâche aussi lourde sans le
soutien et la coopération de l'appareil militaire. Le déploiement
de la FORPRONU, en vertu de la Résolution 776 du Conseil de sécurité,
a constitué un nouveau type de participation des forces militaires
des Nations unies à l'appui de l'action humanitaire -l'escorte
de convois d'aide humanitaires. En dépit de tous les obstacles,
des attaques et d'incidents graves sur le plan de la sécurité,
plus de mille tonnes de marchandises sont distribuées chaque jour
en Bosnie. Depuis le début du conflit, plus de mille deux cents
incidents dans lesquels étaient impliqués des travailleurs
humanitaires ont été signalés.
Il convient cependant de préciser que la coopération entre
le HCR et les militaires n'est pas limitée à la FORPRONU.
Depuis le début de sa participation en Bosnie-Herzégovine
et en Croatie, le HCR a tiré parti de l'expertise militaire dans
différents domaines. L'exemple le plus marquant de cette coopération
est le pont aérien de Sarajevo, le plus grand de l'histoire, qui
a permis de livrer plus de 93.000 tonnes d'aide en 8 120 sorties depuis
son inauguration en juin 1992.
Le pont aérien est l'uvre d'une cellule conjointe HCR/militaires
située à Genève et sur le terrain; elle se compose
de personnel des forces armées des pays participants, qui interviennent
sous l'autorité du HCR. Les parachutages relèvent eux aussi
d'activités conjointes menées sous la direction du HCR en
ce qui concerne les zones cibles et le type de produits à larguer.
Plus de 13 000 tonnes de produits ont été parachutés
entre février 1993 et février 1994.
Considérant ces expériences, le HCR est convaincu qu'à
l'avenir, ce type d'opérations conjointes, avec l'aide de militaires
professionnels, devrait être étendu et intensifié
en vue de nouvelles opérations de même nature. Le recours
à l'expertise militaire et technique dans le cadre d'opérations
humanitaires complexes et de grande ampleur est un des enseignements les
plus positifs que l'on ait tirés de l'expérience du HCR
dans le golfe Persique et dans l'ex-Yougoslavie.
Action politique, militaire et humanitaire
La réussite de l'action ou d'opérations humanitaires ayant
un double aspect humanitaire et militaire dépend en dernier ressort
du niveau politique. En effet, si rien ne progresse sur ce plan, si aucune
solution politique n'est apportée, la coopération militaro-humanitaire
est vouée à l'échec. Il faut tout faire pour parvenir
à une synergie entre le politique, le militaire et l'humanitaire
au profit des victimes des conflits actuels, des populations civiles innocentes.
L'expérience acquise en matière de coopération, que
ce soit dans l'ex-Yougoslavie ou en Somalie, doit être analysée
et de nombreuses leçons importantes doivent en être tirées.
L'intérêt grandissant que présentent les opérations
militaires ayant une composante humanitaire suscite actuellement un débat,
auquel les organisations non gouvernementales (ONG) participent activement,
sur l'avenir de ce type de coopération.
Tout comme il y a une "expertise" militaire, il y a une "expertise"
humanitaire en ce qui concerne la défense des principes humanitaires
universels, ainsi que l'assistance et la protection des victimes de conflits
armés. Le respect de ces principes, mais aussi du rôle et
des mandats des organisations humanitaires, sont des conditions sine qua
non de la mise en uvre efficace et cohérente d'une coopération
entre les instances politiques, militaires et humanitaires.
Une première condition préalable à une collaboration
efficace est de mieux se connaître les uns les autres. C'est pourquoi
la formation des participants actuels ou potentiels aux opérations
militaires à composante humanitaire est essentielle. Une seconde
condition préalable est de mieux comprendre les structures de commandement
et les mécanismes opérationnels de l'autre partie. Un très
gros effort est déjà engagé, aux Nations unies, et
notamment au sein du Département des opérations de maintien
de la paix, mais aussi parmi d'autres organismes humanitaires. Il est
complété par de multiples tables rondes, débats et
sessions de formation organisés par un certain nombre de forces
armées et d'institutions multilatérales, dont l'OTAN.
La coopération entre le HCR et l'OTAN s'intensifie de jour en jour,
comme en témoignent des contacts et des collaborations de plus
en plus nombreux, dont la participation de membres du HCR aux cours et
séminaires de formation de l'OTAN à Oberammergau et à
ceux du CCNA, en prévision d'éventuelles opérations
ayant une composante humanitaire avec l'OTAN ou les forces nationales
de ses membres et ses partenaires en Europe centrale et orientale. Comme
Fa déclaré le Haut Commissaire, Mme Sadako Ogata, dans l'avant-propos
de The state of thé world's refugees: thé challenge of protection:
"Le thème des réfugiés et des personnes déplacées
occupe une des premières places sur la liste des préoccupations
internationales d'aujourd'hui non seulement en raison de son importance
sur le plan humanitaire, mais aussi à cause de son impact sur la
paix, la sécurité et la stabilité. Le monde ne peut
mettre en place un nouvel ordre s'il ne réussit pas à faire
face au problème du déplacement humain." (3)
Les défis à relever sont impressionnants et ne pourront
être affrontés ni par les organisations humanitaires seules
ni sans elles. La réussite ou l'échec de la communauté
internationale dépendra de sa capacité à concevoir
des solutions innovatrices canalisant de façon efficace les efforts
et l'expertise de toutes les parties impliquées. C'est la survie
de millions d'êtres humains qui est en jeu. Le HCR est prêt
à coopérer étroitement avec l'OTAN pour relever ce
défi.
(1) wortd's refugees: tbe challenge of protection,
UHHCR, Penguin Books, 1993, p. 2.
(2) Ibid., p. 78.
(3) Ibid., p. iii.
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