Revue de l'OTAN
Mise à jour: 09-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 2
Avril 1994
p. 16-22

La CSCE s'efforce de développer son potentiel de prévention des conflits

M. Wilhelm Höynck
Secrétaire général de la CSCE

De nouvelles et graves menaces à rencontre de la sécurité européenne s'inscrivent à l'ordre du jour international de l'après-guerre froide. Une vague de conflits ethniques et nationalistes, et des violations systématiques des droits de l'homme, notamment des droits des minorités, provoquent un climat de tension. Les conflits locaux s'intensifient et les guerres régionales ont fait des dizaines de milliers de morts, et des millions de réfugiés, sans parler de la destruction et de l'absence totale de développement dans les régions déchirées par la guerre.

Les conflits interethniques incontrôlés avaient pratiquement disparu durant la période de confrontation est-ouest. Leur résurgence soudaine, qui a pris les institutions internationales complètement au dépourvu, sans expérience ni instruments appropriés, a nécessité la mise au point de nouvelles approches pour y faire face.

Dans ce contexte, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) se devait également de contribuer à la prévention des conflits et à la gestion des crises. Ce rôle a été intégré au processus de développement institutionnel et de redéfinition des fonctions de la CSCE. Avec la décision majeure de la Charte de Paris de 1990(1) et le document d'Helsinki de 1992, la nouvelle CSCE a relevé le défi consistant à faire face aux mutations révolutionnaires et historiques en cours dans sa zone d'intervention. Elle devait passer du rôle de forum de négociation et de dialogue à celui de structure opérationnelle active. L'alerte rapide, la prévention des conflits et la gestion des crises'sont devenues les aspects essentiels de la nouvelle CSCE. Ils découlent et sont directement liés à la mission de la CSCE dans le domaine de la dimension humaine et à ses efforts pour contribuer à la réalisation d'une sécurité coopérative. La nouvelle CSCE veut ainsi devenir un agent de stabilité de Vancouver à Vladivostok et veiller à ce que la sécurité dans cette région devienne véritablement indivisible.

Si face à des situations à différents stades d'évolution, la CSCE dispose en théorie de moyens allant de l'alerte rapide à la gestion des crises et aux mesures post-conflit, la priorité est en fait donnée à l'alerte rapide et à la prévention des conflits en vertu du principe selon lequel il vaut mieux prévenir que guérir.

L'alerte rapide

Un instrument immédiatement disponible d'alerte rapide, prévu dans le document d'Helsinki de 1992, est "le recours intensif à des consultations politiques régulières et approfondies, dans le cadre des structures et des institutions de la CSCE", (Décisions, III.(3)). Le dialogue politique est une source d'informations utile et, dans le même temps, un moyen de décider des actions à engager.

Les possibilités de consultation et de dialogue au sein de la CSCE ont été sensiblement élargies avec la création, à partir de décembre 1993, d'un nouvel organisme installé à Vienne - la commission permanente. Il s'agit de la première instance permanente de la CSCE ayant une mission de prise de décision et de consultation politique. Les discussions au sein de la commission permanente, qui se réunit normalement au moins une fois par semaine, sont de plus en plus franches et directes.

Les délégations se sentent encouragées à soulever des problèmes et des questions et à en débattre dans un esprit de concertation. Ce type de dialogue ouvert, qui implique la communauté de la CSCE au-delà des États directement concernés, peut contribuer à apaiser les tensions naissantes, à dissiper les malentendus et à susciter des décisions plus rapides.

La situation dans les pays baltes fournit un exemple d'échange de points de vue régulier dans le cadre de la CSCE. Le document d'Helsinki préconisait le retrait rapide, ordonné et total des troupes étrangères des territoires des pays baltes, et en vertu de cette clause, les organismes de la CSCE procèdent à des contrôles réguliers de ce retrait. Simultanément, les réunions de la commission permanente ont permis l'expression des préoccupations relatives à la situation de minorités importantes en Estonie et en Lettonie.

Les débats réguliers sur la mise en application qui ont lieu dans le cadre de la CSCE peuvent être vus comme un autre instrument d'alerte rapide. Les États participants examinent en commun la façon dont les principes, les nonnes et les engagements sont respectés au quotidien. Les violations régulières des engagements sont souvent un signe avant-coureur de conflit. La CSCE ne procède à ce type d'examen approfondi que tous les deux ans lors d'une conférence de révision, la prochaine devant se dérouler le 10 octobre prochain à Budapest. En outre, des contrôles sectoriels sont régulièrement effectués dans le domaine militaire et des droits de l'homme.

Les mesures de confiance et de sécurité (CSBM) mises au point par la CSCE peuvent également servir de voyant d'alerte. Ainsi, le refus de la Yougoslavie de soumettre les chiffres relatifs à ses structures militaires, en décembre 1991, avait laissé présager un important regroupement de forces à des fins potentiellement offensives. En outre, les contrôles annuels de l'application des CSBM peuvent être l'occasion de débattre des risques de crise liés à l'évolution de la situation militaire dans les États participants.

Les mesures de confiance et de sécurité font l'objet de réformes constantes afin d'accroître leur qualité de moyens d'alerte rapide et, notamment, leur applicabilité aux conflits entre États. Ainsi, en novembre dernier, le Forum pour la coopération sur la sécurité a adopté une proposition prévoyant un échange d'informations et un dialogue sur la planification en matière de défense. Les États participants se sont engagés par là à communiquer à l'avance leurs plans à long terme et leurs intentions en ce qui concerne la taille, la structure, le déploiement et la formation de leurs forces armées, les modifications de leur infrastructure, l'affectation projetée de leurs ressources et, surtout, leurs budgets de défense.

Le Haut commissaire pour les minorités nationales a lui aussi une mission d'alerte rapide spécifique et explicite. D'après son mandat, il doit assurer un travail d'alerte rapide dans le cas de tensions liées à des problèmes de minorités nationales qui n'en sont encore qu'au tout premier stade mais qui, de l'avis du Haut commissaire, risquent de déboucher, au sein de la région couverte par la CSCE, sur un conflit affectant la paix, la stabilité ou les relations entre les États participants (Helsinki 92, Décisions, 11(3)).
Autre instrument d'alerte rapide: le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme, installé à Varsovie, qui recueille et traite des informations émanant de sources très diverses sur les questions liées à la dimension humaine. Une décision prise lors du Conseil de Rome en décembre dernier devrait renforcer son rôle.

La CSCE peut également être alertée par plusieurs autres sources. Des organisations non-gouvernementales, notamment, fournissent à divers organismes et institutions de la CSCE des informations sur des conflits existants ou potentiels. Cela peut être une source de rapports rapides, et éventuellement de témoignages directs, qui viennent compléter d'autres informations disponibles.

Intervention rapide et prévention des conflits

Le point crucial de toute stratégie de gestion de conflits est le passage de l'alerte rapide à l'intervention rapide, car les États sont passés maîtres dans l'art de faire comme si de rien n'était ou de "laisser faire les autres". Il existe plusieurs moyens d'engager une action de la CSCE et de l'impliquer dans la résolution d'une situation conflictuelle. Parmi les instruments pouvant être utilisés pour mobiliser une action concertée de la CSCE, on trouve ce que l'on appelle les "mécanismes", qui touchent actuellement aux domaines suivants :

  • évolution de la situation militaire ("Le mécanisme de Vienne relatif aux activités militaires inhabituelles");
  • les questions liées à la dimension humaine ("Le mécanisme de Moscou");
  • les situations d'extrême urgence ("Le mécanisme de Berlin").

Ces mécanismes reposent sur une approche progressive, partant d'une clarification des situations à travers des consultations avec les États en cause, et ils peuvent déboucher sur des réunions de la CSCE où des enquêtes sont décidées. Ils peuvent être déclenchés par un petit nombre d'États. Toutefois, comme les nombreuses réformes et mises au point subies par ces mécanismes ont rendu certains d'entre eux peu maniables, les instances de la CSCE débattent actuellement des moyens de les simplifier et de les harmoniser et cherchent les moyens de contrôler leur emploi comme outils de concertation et non de confrontation.

Un des aspects opérationnels de ces mécanismes est l'enquête approfondie et impartiale sur le terrain. Elle aboutit assez souvent à des recommandations concrètes concernant un engagement spécifique de la CSCE, ce qui peut inclure la mise en œuvre d'autres instruments de la CSCE. Ainsi, la mission d'enquête au Kosovo, dans l'ex-Yougoslavie, entreprise en 1992 dans le cadre du mécanisme relatif aux activités militaires inhabituelles, a permis de renforcer l'engagement de la CSCE et amené à la décision d'envoyer des missions de longue durée de la CSCE au Kosovo, en Voïvodine et au Sandjak. Autres exemples: les missions d'enquête sur les situations des minorités et des droits de l'homme en Estonie et en Moldova, dans les deux cas demandées par ces pays eux-mêmes. Les rapports correspondants ont débouché sur la décision d'établir des missions permanentes dans ces pays.

Particulièrement depuis les décisions d'Helsinki de 1992, le Président en exercice de la CSCE - le ministre des affaires étrangères du pays hôte de la dernière réunion du Conseil des ministres -joue un grand rôle sur le plan opérationnel. En fait, dans la plupart des cas, la première étape menant à l'engagement de la CSCE dans la prévention des conflits (et la gestion des crises) a été la nomination de représentants personnels du Président en exercice. Ainsi, leurs recommandations ont été le point de départ de discussions sur l'engagement de la CSCE dans les conflits de Géorgie, de la Moldova et, plus récemment, du Tadjikistan.

Un des résultats positifs de la CSCE en matière de prévention des conflits de la CSCE est à mettre au compte du Haut Commissaire pour les minorités nationales, M. Max van der Stoel. Nommé en décembre 1992, il a dû s'occuper des problèmes de minorités en Estonie, en Lettonie, dans l'ex-république yougoslave de Macédoine, en Albanie, en Slovaquie et en Hongrie. Dans ce dernier cas, conformément à une recommandation faite par M. van der Stoel, un groupe d'experts a été désigné pour travailler sur un programme de deux ans. Il a également entrepris une étude sur la situation de la population tzigane. La diplomatie subtile, discrète et impartiale dont a fait preuve le Haut Commissaire, assortie des compétences nécessaires, a démontré que la diplomatie préventive peut concourir à désamorcer les tensions. Bien qu'il jouisse d'une grande autonomie, il consulte souvent le Président en exercice et informe régulièrement les États participants de ses activités. L'appui continu de ses actions par la communauté de la CSCE et le soutien actif d'un grand nombre d'États participants influents sont essentiels à sa réussite.

Autre instrument de la CSCE permettant de prévenir les conflits: la mission à long terme. Les premières missions de ce genre ont été entreprises en 1992, devant l'imminence du danger d'extension du conflit de l'ex-Yougoslavie.
En septembre 1992, la CSCE a créé une mission de huit membres dans l'ex-république yougoslave de Macédoine. Elle est chargée de surveiller l'évolution de la situation, de fournir des conseils et d'encourager des initiatives au niveau des populations afin d'empêcher que le pays ne soit entraîné dans le conflit. Le même mois, des missions de longue durée de la CSCE ont été envoyées au Kosovo, au Sandjak et en Voïvodine. Leur principal objectif était de promouvoir le dialogue entre les autorités et les communautés locales et de créer un climat de confiance au niveau local. Malheureusement, en août dernier, elles ont été expulsées par les autorités de Belgrade, au détriment de la situation dans l'ensemble de la région.

Les missions de la CSCE en Estonie et en Lettonie ont également une fonction préventive: non seulement elles favorisent le dialogue et l'instauration d'un climat de confiance au niveau local, mais elles servent également à surveiller les événements porteurs d'éventuelles menaces. Leur collaboration étroite avec le Haut Commissaire, qui associe une présence permanente à des consultations de haut niveau, s'est révélée particulièrement utile.

Outre les mécanismes, les décisions politiques communes et l'action menée indépendamment par des hauts fonctionnaires dans le cadre de la prévention des conflits, la CSCE a mis au point plusieurs autres instruments de règlement pacifique des différends. La Convention sur la conciliation et l'arbitrage, signée par 33 États et ratifiée, jusqu'ici, par six d'entre eux (12 étant nécessaires pour son entrée en vigueur), prévoit une procédure de conciliation obligatoire débouchant sur des propositions de règlement non contraignantes. En revanche, les procédures d'arbitrage basées sur l'accord des États en cause devraient déboucher sur une décision liant les parties. La CSCE dispose également de procédures de Conciliation dirigée dans le cadre desquelles le Conseil ou le Comité des hauts fonctionnaires peut imposer à deux États participants de chercher un accord par voie de conciliation. Cela dit, aucune de ces procédures n'a été utilisée à ce jour par les États participants.

Gestion des crises

Dans un certain nombre de cas où l'heure n'était plus à la diplomatie préventive, vu le degré d'aggravation des conflits, la CSCE s'est vue obligée de recourir à des instruments de gestion des crises. La responsabilité globale de la gestion des crises incombe aux organes politiques de la CSCE - le Comité des hauts fonctionnaires ou la Commission permanente, qui évaluent la situation et déclenchent et orientent les interventions. Il arrive que la CSCE constitue des groupes directeurs ad hoc tout particulièrement chargés de régler des conflits, tel le Groupe de Minsk, composé de onze membres investis d'une mission de médiateur et de règlement du conflit du Haut-Karabakh.

Des missions de bons offices sur le terrain sont fournies par les équipes de la CSCE envoyées directement sur les points chauds. Actuellement, des missions de la CSCE sont présentes en Moldova, en Géorgie et au Tadjikistan.

La mission en Moldova, formée de six membres, a été envoyée en avril 1993 dans le but de contribuer au règlement du conflit en Transnistrie. La présence de la CSCE en Géorgie, établie en décembre 1992 et principalement axée sur le conflit en Ossétie du Sud, remplit également une fonction auxiliaire dans le processus de paix en Abkhazie, où l'initiative revient aux Nations unies. La dernière mission en date, au Tadjikistan, s'efforce de faciliter le dialogue entre les forces régionalistes et politiques du pays.

En clair, le rôle de toutes ces missions, composées de représentants politiques, civils et militaires, consiste à faciliter le dialogue, encourager la conciliation, émettre des avis sur les dispositifs politiques et légaux nécessaires, suivre l'évolution de la situation et, s'il y a lieu, enquêter sur les incidents. Dans le cadre de leur mandat, elles opèrent avec un certain degré d'autonomie, mais demeurent sous la direction politique constante du Président en exercice.

La CSCE n'a pas encore déclenché d'opération importante de maintien de la paix pour assurer la stabilité sur le terrain, bien que cette éventualité soit également prévue dans les documents de la CSCE. Cela dit, les préparatifs sont déjà bien avancés pour la première mission de ce type - un déploiement d'assez grande envergure dans le cadre du conflit du Haut-Karabakh.

A tous les niveaux de la gestion des conflits, le Président en exercice joue un rôle de premier plan et c'est là un des traits originaux et distinctifs de la CSCE. Il assure l'engagement direct de l'organisation et fournit une assistance permanente en matière d'orientation politique. Le Président assure par ailleurs la coordination des efforts et une division efficace du travail, donnant des conseils aux missions sur le terrain, prenant l'initiative quant au calendrier de travail des organes politiques, et mettant leurs décisions en application.
Le président en exercice, qui agit souvent de concert avec son prédécesseur et avec la personne appelée à lui succéder - ils forment ainsi la Troïka - est également épaulé par le secrétaire général dans la réalisation des objectifs de la CSCE.

La légitimation politique des actions entreprises par d'autres organisations internationales ou l'apport d'un soutien politique complémentaire à leurs initiatives est l'une des contributions de la CSCE à la gestion des conflits. En août 1992, la CSCE a approuvé le déploiement de la Mission de surveillance de la communauté européenne dans les régions de l'ex-Yougoslavie. Cette décision a garanti l'acceptation de cette mission par l'ensemble des Etats participants de la CSCE, y compris la fédération de Russie, et a ouvert la voie permettant à des Etats non membres de la CEE de se joindre à cette initiative (Canada, Tchécoslovaquie, Pologne et Suède).

A partir d'octobre 1992, sept Missions d'aide à l'application des sanctions ont été déployées dans les pays proches de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) - Albanie, Bulgarie, Croatie, Hongrie, ex-république yougoslave de Macédoine, Roumanie et Ukraine -sous l'égide de la CSCE, qui en assurait le financement. Les fonctionnaires des douanes attachés à ces missions, qui se composent de plus de 150 membres, conseillent les autorités des pays hôtes sur l'application des sanctions et les aident ainsi à mettre en œuvre les sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations unies. En février 1993, le Comité des hauts fonctionnaires a nommé un Coordinateur commun à la CSCE et à l'Union européenne chargé de surveiller la mise en application des sanctions à rencontre de la Serbie et du Monténégro.

En avril 1993, la CSCE s'est félicitée de l'opération de patrouille de l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) pour l'application des sanctions sur le Danube, ce qui a permis l'acceptation de cette opération par l'ensemble des États riverains du Danube.

La CSCE étudie la possibilité de définir des règles communes pour des accords de coopération sur des déploiements militaires de tiers dans le cadre de conflits au sein d'autres Etats de la CSCE. C'est là une question délicate et complexe. Si certains ont exprimé leur inquiétude devant le danger de ce qu'ils appellent le "néoimpérialisme" russe, particulièrement après les résultats des dernières élections en Russie, l'évolution de la situation au Tadjikistan ou en Géorgie a montré que la Russie est à la fois désireuse et en mesure de fournir les forces nécessaires pour assurer un minimum de stabilité sur le terrain. Lors de sa réunion à Rome, en décembre dernier, le Conseil des ministres de la CSCE a convenu qu'à titre exceptionnel, au cas par cas et à certaines conditions, la CSCE pouvait envisager de créer un dispositif coopératif afin de contrôler, entre autres, que le rôle et les fonctions d'une force militaire d'une tierce partie dans une zone de conflit étaient bien compatibles avec les objectifs et les principes de la CSCE. Les ministres ont unanimement déclaré que si la CSCE décide de créer de tels dispositifs de coopération, il sera nécessaire d'observer certains critères et certains principes: respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale, consentement des parties, impartialité, caractère multinational, mandat clairement défini, transparence, intégration à un processus politique de résolution des conflits, planification d'un retrait ordonné. Les débats suscités par ce délicat problème n'ont toutefois pas encore abouti à un résultat définitif.

L'adoption, en novembre dernier, par le Forum sur la coopération en matière de sécurité d'un document sur les mesures de stabilisation des situations de crise localisées est venue élargir la panoplie des instruments de gestion des crises de la CSCE. Il contient une liste et une description détaillée des mesures militaires envisageables pour compléter un processus de règlement politique et comprenant, entre autres, diverses formes d'échange d'informations militaires et de démilitarisation locale, des mesures coercitives ainsi que la surveillance et la vérification sur le terrain.

Le renforcement réciproque de la coopération

La prévention des conflits et la gestion des crises doivent reposer sur un concept assurant la continuité de l'action allant de l'alerte rapide à la mise en œuvre éventuelle et au rétablissement de la paix. La réaction face à un conflit naissant doit être crédible dès le tout début. Il devrait notamment être possible, dès le stade préventif, lors de l'émergence des conflits, de recourir à des moyens militaires en cas d'échec des autres moyens. Cette option devrait accroître sensiblement les chances d'aboutir à un règlement pacifique.
Pour la CSCE, qui est un organisme dépourvu de capacités et de pouvoirs d'intervention sur le terrain, cela signifie qu'elle doit maintenir des liens étroits avec d'autres organisations et, en premier lieu, avec les Nations unies. De ce point de vue, le fait que la CSCE ait été créée par les chefs d'État et de gouvernement lors du Sommet d'Helsinki de 1992 en tant qu'accord régional aux termes du chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, revêt une importance toute particulière. Une coopération concrète a été mise sur pied, en 1993, dans un accord-cadre entre les Nations unies et la CSCE en 1993, et cette dernière a désormais un statut d'observateur à l'Assemblée générale des Nations unies.

La coopération avec les Nations unies prend des formes très diverses. Plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Haut-Karabakh, par exemple, ont clairement signifié que la CSCE intervient dans cette crise avec le soutien et la confiance sans réserve du Conseil de sécurité. Pour faciliter la coopération et la coordination, la CSCE informe les Nations unies de toutes ses activités, et notamment de ses missions. Des fonctionnaires de l'ONU sont souvent présents aux réunions de la CSCE portant sur des situations conflictuelles, et la mission permanente, à New York, du Président en exercice, est constamment en contact avec le secrétaire général de l'ONU et le Conseil de sécurité de l'ONU.

En outre, il a été déclaré lors du Sommet d'Helsinki de 1992 que, n'ayant aucune structure militaire propre, la CSCE pouvait bénéficier des ressources, de l'expérience et des connaissances éventuelles d'organisations existantes telles que la Communauté européenne, l'OTAN et l'UEO, et pouvait donc leur demander de mettre leurs ressources à sa disposition pour l'aider à mener des activités de maintien de la paix. Je pense qu'il serait grand temps que nous exploitions davantage cette possibilité!

Une forme de coopération très concrète et souvent pratiquée dans le cadre des missions est la "participation croisée", notamment dans les missions d'enquête, ainsi que la participation réciproque aux réunions et séminaires sur les aspects théoriques et pratiques de la gestion des conflits. La CSCE a coopéré de la sorte avec l'OTAN et avec le Conseil de l'Europe. Il est toutefois essentiel, si l'on veut rétablir la crédibilité de l'action internationale, que la coordination et la coopération entre les organisations internationales soient mieux organisées et plus efficaces. L'opinion publique admet mal l'impérialisme institutionnel.

Cette coopération devrait permettre à chacune des organisations internationales de préserver son domaine d'intervention et de compétence en évitant du même coup les doubles emplois, ce qui économiserait des ressources et assurerait une meilleure rentabilité. Nous devons rechercher une division constructive du travail selon le principe des avantages comparés. Dans la gestion des crises, en particulier, nous devons absolument éviter qu'en se livrant concurrence, les organisations internationales ne soient elles-mêmes poussées au conflit par les parties concernées.

Une transformation radicale des organisations internationales ne pouvant se faire du jour au lendemain, un certain chevauchement des tâches et des responsabilités est peut-être inévitable à court terme. Ces problèmes peuvent et doivent être résolus de façon pragmatique. Il faut de toute évidence reconsidérer la division du travail entre la CSCE et le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA), vu la similitude croissante que présentent ces institutions tant en ce qui concerne leurs membres que leurs tâches. Si le domaine de la CSCE est la prévention opérationnelle des conflits, quelle sera alors la vocation du CCNA dans le domaine global de la gestion des crises?

Les avantages comparés

Si l'expérience de la CSCE dans le domaine de la prévention des conflits et de la gestion des crises demeure limitée, certains avantages comparés commencent néanmoins à faire émerger un profil spécifique de la CSCE. Une de ses particularités est qu'elle est à même de légitimer politiquement des actions et des mesures internationales en raison, notamment, du très grand nombre de ses participants. Tous les États situés entre Vancouver et Vladivostok participent à la CSCE sur un pied d'égalité. La valeur politique d'une décision de la CSCE est consolidée par la règle du consensus, qui légitime cette décision; il devient alors plus difficile, pour les États, de s'en désolidariser une fois qu'elle a été prise.

Fondée sur un concept global de sécurité, qui lie de façon explicite le maintien de la sécurité et de la stabilité au respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la CSCE est à même de trouver les causes profondes des tensions et de leur appliquer un "traitement de fond" dès le début. En outre, la CSCE a aussi clairement pour mission de chercher à résoudre les crises au sein des États, son mandat franchissant aisément les barrières de la souveraineté nationale. En 1991, déjà, au lendemain de la tentative de coup d'État à Moscou, les États de la CSCE avaient déclaré de façon catégorique et irrévocable que les engagements contractés dans le domaine de la dimension humaine étaient un sujet de préoccupation directe et légitime pour tous les États participants et qu'ils ne relevaient pas exclusivement des seules affaires intérieures de l'État en cause.

Du potentiel au réel

L'engagement de la CSCE en matière de diplomatie préventive et de gestion des crises durant ces deux ou trois dernières années est le résultat d'un effort tendant, dans des conditions d'urgence, à régler de façon pacifique les conflits ouverts et potentiels qui se font jour. Une question revient souvent: quels sont vos résultats concrets, tangibles? Je dirai pour y répondre, que la CSCE a réellement contribué à calmer le jeu là où ses missions sont déployées et qu'elle a sans aucun doute favorisé un relâchement de la tension dans les pays baltes. Certes, aucune solution définitive n'a été trouvée, mais la gestion des conflits demande du temps et de la patience. C'est un processus qui exige une attention constante et de la persévérance. Il faut de l'endurance pour surmonter la frustration et le découragement que provoquent les impasses et les revers. Bien que la gestion des conflits soit aujourd'hui sévèrement critiquée, parfois avec des conséquences préjudiciables, c'est un domaine des activités internationales qui bénéficie d'un solide crédit auprès de l'opinion publique. Les organisations impliquées dans la gestion des conflits devraient faire fond sur ce capital.

La CSCE est également déterminée à élargir son potentiel de prévention des conflits, politique qui a été appuyée par les ministres lors de la réunion en décembre dernier, à Rome, du conseil de la CSCE. En outre, le soutien qui lui a été apporté lors du Sommet de l'OTAN en janvier dernier a de toute évidence donné un nouvel élan politique au développement dynamique des capacités de la CSCE. Ainsi qu'il ressort de la Déclaration des chefs d'État et de gouvernement, les Alliés restent "profondément attachés à la poursuite du renforcement de la CSCE, qui est la seule organisation regroupant tous les pays d'Europe et d'Amérique du Nord et qui constitue un instrument de diplomatie préventive, de prévention des conflits, de sécurité par la coopération et de promotion de la démocratie et des droits de l'homme". Ils "soutiennent activement les efforts visant à développer ses moyens opérationnels d'alerte rapide, de prévention des conflits et de gestion des crises".

Dans le cadre de la préparation de la conférence de synthèse et du Sommet des 53 nations, qui doit avoir lieu en décembre de cette année à Budapest, la CSCE procède à un examen de ses tâches et responsabilités futures. Une part importante de ces travaux préparatoires sera consacrée à l'étude des
moyens: d'améliorer le fonctionnement des mécanismes existants de la CSCE; de simplifier la prise de décision dans les situations d'urgence; de promouvoir une approche coopérative de la prévention des conflits; de renforcer l'application et le respect des décisions de la CSCE; d'exploiter les ressources et l'expérience des organisations non-gouvernementales; et d'approfondir les liens avec les organes internationaux.

Les instruments dont dispose la CSCE, conjugués à la volonté politique des Etats participants, peuvent contribuer de façon décisive à la stabilité et la sécurité dans une région composée d'Etats interdépendants, et qui est une zone de sécurité commune. Les États de la CSCE ont affirmé, lors de leur réunion à Rome, en décembre dernier, que leur sécurité est indivisible, ce qui a été confirmé par les dirigeants des pays de l'OTAN, dont la déclaration implique l'engagement de traiter en commun les problèmes et les conflits et d'œuvrer activement à la stabilité. La CSCE est prête à apporter sa pierre à cet édifice.

(1) Cf. texte in Revue de l'OTAN, n 6, décembre 1990, pp. 27-31