Edition Web
Vol. 42- No. 1
Fév. 1994
p. 19-23
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La
Russie et l'Occident: une relation menacée?
Alexei Pushkov
Rédacteur en chef adjoint des Moscow News
La perspective de l'élargissement de l'OTAN aux pays d'Europe
centrale et orientale est devenue un point clé de l'évolution
de la politique étrangère russe. En effet, la vive réaction
qu'elle a provoquée en Russie a également fait naître
une certaine appréhension à l'Ouest, laquelle était
sensible dans l'atmosphère du sommet de Bruxelles en janvier. Certains
observateurs croient qu'ils ont détecté la réémergence
de tendances impérialistes dans la politique russe à l'égard
de l'Europe centrale et orientale.
Toutefois, pour pouvoir comprendre et juger en toute connaissance de
cause la réaction russe à l'extension possible de l'OTAN
vers l'Est, il faut la remettre en perspective. Elle est conditionnée
par un certain nombre de facteurs, dont l'histoire récente de la
Russie et le développement de ses relations avec l'Ouest à
la suite de l'effondrement de l'Union soviétique.
Le syndrome de l'empire perdu
Les résultats inattendus qu'ont obtenu, lors des élections
législatives de décembre dernier en Russie, Vladimir Jirinovski
et son "Parti libéral-démocrate" ultra-nationaliste,
ainsi que les Communistes et leurs alliés, n'étaient pas
seulement le reflet du mécontentement général suscité
par la politique économique et sociale de Boris Eltsine. Ces résultats
signifiaient aussi clairement que pas moins de quarante pour cent des
cent sept millions d'électeurs russes n'appréciaient pas
non plus les objectifs de sa politique étrangère.
M. Eltsine a eu deux ans pour jeter les fondations d'un consensus national
sur la politique étrangère russe. Certes, la tâche
n'était pas facile: la Russie devait se libérer de l'héritage
de la guerre froide, établir une relation qualitativement nouvelle
avec les nations de la Communauté d'États Indépendants
(CEI) et définir son nouveau rôle international.
Cet objectif a été partiellement atteint. En effet, Moscou
n'a jamais été en aussi bons termes avec l'Ouest qu'aujourd'hui.
Elle a réussi à éviter des conflits majeurs avec
les autres anciennes républiques de l'Union soviétique,
en dépit de quelques graves désaccords politiques, notamment
avec l'Ukraine. Et elle a commencé à mettre en place un
nouveau réseau de relations avec l'OTAN, l'Union européenne
et le GATT.
Pourtant, après avoir renoncé à la confrontation
avec l'Ouest, qui était au cur de la politique soviétique
depuis le début de la guerre froide, la Russie n'a pas su se définir
un nouveau rôle international. La Russie d'aujourd'hui semble n'être
qu'un pâle reflet de la puissante et influente Union soviétique.
Bien qu'elle ait hérité du siège de membre permanent
de celle-ci au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, elle
n'a pas su se tailler une place de premier rang aux Nations unies et éviter
de n'être que dans le sillon des États-Unis, de la Grande-Bretagne
et de la France.
Il semble également que Moscou ait perdu la dimension asiatique
d'autrefois. Sa relation avec la Chine est stable et non conflictuelle,
mais sur le plan stratégique, Beijing et Moscou sont toujours aussi
éloignées l'une de l'autre. La question des îles Kouriles
continue d'empêcher l'établissement de rapports économiques
et commerciaux potentiellement rentables avec le Japon. Les anciennes
"relations spéciales" avec le Vietnam et la Corée
du Nord n'existent plus, laissant Moscou sans levier ni influence sur
les politiques de ces pays. Et les nouveaux liens commerciaux instaurés
avec l'ASEAN (l'Association des nations du Sud-Est asiatique), ainsi qu'avec
la Corée du Sud et Taiwan, sont bien fragiles.
Par ailleurs, la rupture idéologique et politique avec le régime
de Fidel Castro, à Cuba - régime qui est lui-même
au bord de la faillite - et la défaite des Sandinistes au Nicaragua
ont aissé Moscou sans alliés ni bastion en Amérique
du Sud. Et la même chose, ou à peu près, s'est produite
en Afrique: avec le renversement de Mengistu Haile Mariam en Ethiopie
et le MPLA, en Angola, qui s'efforce d'établir un dialogue avec
les États-Unis depuis que Moscou n'est plus une valeur sûre,
sa présence autrefois fortement marquée sur le continent
africain est désormais à peine plus qu'un souvenir.
Enfin, en transformant sa politique moyen-orientale d'un soutien exclusif
aux régimes arabes radicaux et à l'Organisation de Libération
de la Palestine en une approche équitable des Arabes et des Israéliens,
et en tournant le dos à l'Irak de Saddam Hussein, Moscou a perdu
presque toute son influence passée dans cette zone critique, sur
le plan stratégique, où elle jouait traditionnellement un
rôle actif.
On peut penser que le rejet de l'idéologie communiste et de son
système politique devait inéluctablement entraîner
la plupart de ces revirements. En effet, dans une Russie en quête
de démocratie et de partenariat avec l'Ouest, un programme de politique
étrangère qui en avait fait l'ennemi numéro un de
l'Occident n'avait plus de raison d'être.
Il est cependant impossible d'évaluer pleinement le choc psychologique
que ce séisme géopolitique a produit sur les Russes. Si
ce processus - qui pourrait paraître "normal" et "logique"
à quelqu'un de l'extérieur - a été si pénible
pour le Russe moyen, c'est à cause de sa grande brutalité.
Avec l'accession de Boris Elstine au Kremlin, plus de soixante-dix années
d'héritage géostratégique ont tout à coup
été balayées au profit d'un partenariat avec l'Ouest.
Qui plus est, comme pour donner un tour encore plus tragique à
ce bouleversement, il est apparu que le nouveau souhait de la Russie d'entrer
rapidement dans la famille des nations libres et prospères était
tout aussi utopique que le rêve bolchevique de renverser l'Amérique
et de reléguer le capitalisme aux poubelles de l'histoire. Il n'était
simplement pas possible pour la Russie de devenir partie intégrante
du monde occidental ou du Groupe des Sept en un ournemain. Lorsque cela
est devenu évident, les Russes ont éprouvé une nouvelle
grande déception.
Le sentiment d'humiliation dû à la "perte" de
la guerre froide et au fait de n'être plus, tout à coup,
qu'un pauvre cousin lointain des riches États-Unis et pays d'Europe
de l'Ouest a été renforcé par une autre perte, celle
de terres qui constituaient l'ex-Union soviétique et que des millions
de Russes considéraient comme leurs. Ce sentiment est particulièrement
fort en ce qui concerne la Crimée - qui a été annexée
à l'Ukraine par Nikita Khrouchtchev en 1954 - et les territoires
septentrionaux du Kazakhstan, peuplés en majeure partie par des
Russes.
Les frictions au sein de la CEI
La dissolution de l'Union soviétique a été un grand
choc pour les Russes: quelques mois plus tôt seulement, lors du
référendum national du 17 mars 1991, une majorité
absolue avait voté en faveur du maintien de l'URSS comme un État
fédéré unique. Les véritables dimensions de
ce choc n'ont toutefois pu être appréciées qu'avec
le temps, une fois qu'il est devenu clair que la Communauté d'États
Indépendants - proclamée le 12 décembre 1991 en lieu
et place de feu l'Union soviétique - ne la remplacerait justement
pas mais n'entraînerait, au contraire, que tensions et conflits.
Le président russe et son Ministre des affaires étrangères,
Andrei Kozyrev, avaient parlé de la CEI comme d'une communauté
harmonieuse d'États politiquement indépendants, mais économiquement
et militairement associés. A l'intérieur de cet ensemble,
les frontières devaient permettre la libre circulation des biens
et des personnes - bref, c'était une sorte de nouveau marché
commun. La réalité est apparue bien différente.
La Russie a presque tout de suite été engagée dans
un long conflit politique vec l'Ukraine au sujet du sort de l'héritage
nucléaire soviétique, de l'avenir de la flotte de la mer
Noire et de Sebastopol - la principale base militaire en Crimée.
L'attitude adoptée par quelques-uns des leaders ukrainiens lors
de ces heurts politiques a été considérée
par un certain nombre de Russes comme délibérément
offensante. La situation a été compliquée par des
tensions entre Moscou et Kiev aux plus hauts niveaux. Tandis que Moscou
essayait sans cesse de faire valoir son rôle de chef de file au
sein de la CEI et son statut de succèsseur de l'URSS sur la scène
mondiale, pour les Ukrainiens, la seule façon d'affirmer leur toute
nouvelle identité au niveau international consistait à le
faire aux dépens de Moscou.
Le désaccord politique entre la Russie et l'Ukraine a empoisonné
l'atmosphère de la CEI et fait clairement apparaître qu'Eltsine
était incapable de contrôler ou de diriger cette communauté
incohérente. En outre, des frictions au sujet du nucléaire
et sur des questions d'économie sont venues compliquer les relations
de la Russie avec le Kazakhstan et l'Ouzbékistan. Mais ce qui a
été plus grave encore pour l'image de Boris Eltsine, c'est
qu'il n'a pas su défendre les droits des minorités russo-phones
dans les ex-républiques soviétiques.
En fait, la négligence du gouvernement au sujet de ce problème
très délicat et potentiellement explosif a été
une erreur majeure. Les vingt-cinq millions de Russes qui vivent dans
des États voisins se sont tout à coup sentis abandonnés
par leur mère patrie. Et ceux du Moldova et des pays baltes se
sont sentis particulièrement en danger. Ni le Président
ni le ministre russe des affaires étrangères n'ont cependant
accordé la moindre attention à ce problème, ce qui
a créé un énorme "trou noir" dans la politique
étrangère russe, lequel ne demandait qu'à être
comblé par les slogans de Jirinovski.
De surcroît, l'attitude floue du gouvernement dans le conflit russo-japonais
au sujet des îles Kouriles a donné un prétexte aux
durs de l'ancien parlement russe et aux mass-media pour accuser le gouvernement
de vouloir vendre les territoires russes à des puissances étrangères.
Une fois encore, Eltsine et Kosyrev ont mésestimé leur marge
de manuvre vis-à-vis de l'opinion politique et publique.
Ils n'ont pas réussi à trouver le juste milieu entre faire
une croix sur l'héritage de la guerre froide et négliger
ce que la majorité des Russes considéraient comme faisant
partie de leurs intérêts nationaux.
Le syndrome de l'amour rejeté
Les résultats des relations établies entre la Russie et
l'Occident, plutôt positifs selon un certain nombre de critères,
sont néanmoins jugés peu convaincants par beaucoup de Russes,
et l'on en trouve même pour qui cette politique est totalement contraire
aux intérêts nationaux russes.
Cette réaction négative est due avant tout au quasi-échec
des programmes d'assistance financière et économique occidentale
en Russie. Certes, cette aide permet au gouvernement Eltsine de survivre,
tout au moins sur le plan financier, mais elle est sans grand effet sur
le plan politique ou comme exercice de relations publiques. La raison
en est, en dépit de nombreux appels à l'élaboration
d'un nouveau plan Marshall pour la Russie et la CEI, que l'on n'a pas
défini de stratégie claire et nette. L'Occident a, bien
au contraire, pris diverses décisions sans grand rapport les unes
avec les autres qui ne forment pas une politique cohérente. Qui
plus est, leur application a trop souvent été liée
à des conditions financières et économiques que la
Russie ne pouvait remplir.
La plus grosse erreur a été l'excès de tapage autour
de cette aide destinée aux Russes. Bien entendu, les programmes
d'aide économique arrêtés par le G-7, tout d'abord
à l'initiative de George Bush, fin 1991 - l'enveloppe de 24 milliards
de dollars - puis à l'initiative de Bill Clinton et de François
Mitterrand, en mars-avril 1993 à Tokyo - l'enveloppe de 43 milliards
de dollars - avaient pour but de faciliter les réformes en Russie.
Mais les masses du pays n'ont jamais ressenti aucune hausse réelle
de leur niveau de vie du fait de cette aide, clairement insuffisante.
Certains Russes en sont même venus à penser que toute cette
histoire de campagne d'aide économique étrangère
n'était qu'une gigantesque supercherie, ou tout au moins que les
pays riches d'Occident n'avaient rien à faire d'une Russie devenue
faible et non menaçante sur le plan militaire.
De leur côté, les dirigeants occidentaux avaient évidemment
besoin de ces campagnes pour faire accepter leurs politiques par leurs
électeurs. Mais quel qu'ait été le profit que le
Président Clinton ou le Président Mitterrand en ait tiré
dans leur pays respectif, en Russie, elles n'ont produit que de la déception
et une perte de confiance dans l'assistance étrangère.
Le coup a été dur pour la politique étrangère
d'Eltsine. Toute sa stratégie de partenariat avec l'Occident Kosyrev
a même parlé, quelquefois, d'"alliance", ne faisant
qu'accroître la confusion - était fondée sur l'hypothèse
très répandue selon laquelle l'Ouest assisterait activement
la nouvelle Russie démocratique et l'aiderait à s'adapter
à l'économie mondiale. Or cette hypothèse résultait
d'un préjugé idéologique et politique. Elle ne tenait
compte ni de la réalité des capacités qu'avait l'Occident
d'assister la Russie ni de la capacité de la Russie de tirer parti
de cet apport. Elle n'a pas non plus prévu le conflit entre la
Russie et les pays occidentaux sur les marchés internationaux au
sujet des armements, de l'uranium, des technologies spatiales etc... De
plus, elle était fondée sur une fausse prémisse,
selon laquelle l'Ouest reconnaîtrait la Russie comme son alliée
ou tout au moins comme un partenaire dès qu'elle aurait renié
le système communiste. Or c'était ignorer l'appréhension
naturelle des pays occidentaux à l'égard d'une très
grosse puissance nucléaire qui venait de tourner le dos au communisme
et n'était pas encore sortie d'une période de transition
instable et potentiellement dangereuse.
Un regain de nationalisme russe a été provoqué par
ce qui est apparu, au départ, comme un soutien sans réserve
de Moscou à la ligne occidentale dans le conflit Yougoslave et
au sujet des sanctions contre la Serbie, laquelle était vue comme
une alliée historique de la Russie dans les Balkans. Andrei Kozyrev
a clairement sous-estime les répercussions intérieures de
cette prise de position, tout comme il a sous-évalué la
vague d'amertume que suscitait son pro-américanisme déclaré.
Beaucoup ont pensé que sur un certain nombre de points, dont les
sanctions à l'encontre de la Serbie et de la Libye et l'affaire
de la fusée cryogénique avec l'Inde, Moscou suivait aveuglément
les États-Unis et l'Occident contre ses intérêts politiques
et commerciaux et sans y gagner grand chose.
En fin de compte, l'image du gouvernement Eltsine comme celle de ses partenaires
de l'Ouest s'en sont trouvées ternies. La déception résultant
de son aventure avec l'Ouest a engendré le "syndrome de l'amour
non partagé". Et communistes et nationalistes ont profité
de ce sentiment, se présentant comme ceux qui avaient averti les
Russes de cette issue.
Les écueils sur la voie du partenariat
Dans ce contexte, la perspective de l'élargissement de l'OTAN ne
pourrait engendrer que frustration, suspicion et même irritation
à Moscou. En Russie, la question de l'ouverture de l'OTAN à
l'Est est considérée dans une perspective bien différente
de celle de l'Europe occidentale et des Etats-Unis. Comme une personne
atteinte d'une maladie grave, la Russie se concentre sur la crise économique
et géopolitique catastrophique qu'elle traverse et se méfie
terriblement de tout plan susceptible de faire naître de nouvelles
coalitions qu'elle pourrait avoir à affronter dans le futur. A
cet égard, lors du Sommet de Bruxelles en janvier, les dirigeants
des États membres de l'OTAN ont fait le bon choix.
Pour commencer, une décision officielle d'élargir l'OTAN
à l'Est dans le futur proche porterait un coup fatal à la
politique menée par Boris Eltsine en 1992-93, laquelle n'a connu
aucun changement fondamental, en dépit d'un discours nouveau et
plus vigoureux, notamment au sujet des États voisins les plus proches.
Elle entraînerait non seulement la démission d'Andrei Kosyrev
mais elle ferait également entrer un certain nombre de conservateurs
dans la bureaucratie de l'État et placerait des militaires aux
positions supérieures.
Ensuite, dans la situation actuelle, alors que le débat fait rage
en Russie au sujet de l'orientation de sa future politique étrangère
et qu'un consensus commence seulement à se dessiner sur ce point,
une telle décision favoriserait certainement des sentiments isolationnistes
et anti-occidentaux, non seulement au sein de l'opinion publique, mais
aussi, ce qui est plus dangereux, au sein des organismes de décision
de l'État et jusque dans l'entourage d'Eltsine.
Troisièmement, cela donnerait du poids aux arguments des durs selon
lesquels l'Occident veut profiter des faiblesses de la Russie pour mettre
la main, au moins politiquement et militairement, sur les anciens pays
du bloc soviétique afin d'amener l'OTAN le plus près possible
des frontières russes.
Enfin, l'accession à l'OTAN de pays d'Europe centrale et orientale
pousserait de plus en plus les pays baltes et l'Ukraine à se porter
eux aussi candidats à l'adhésion. Or cela serait vu, à
Moscou, comme une menace directe à l'encontre de la sécurité
nationale russe et M. Jirinovski et tout le mouvement ultra-nationaliste
en seraient les grands bénéficiaires.
C'est pourquoi le concept de Partenariat pour la paix, qui établit
un programme de coopération entre l'OTAN et les pays d'Europe de
l'Est, Russie comprise, et laisse ouverte la question de l'admission jusqu'à
ce que les choses soient plus claires dans notre pays, est la meilleure
solution pour l'Occident comme pour la Russie. De plus, ce projet n'est
pas non plus préjudiciable aux intérêts de l'Europe
centrale, car contrairement à ce que l'on entend souvent dire,
il n'y a aucun risque, dans l'avenir prévisible, que la Russie
tente de faire pression sur ces pays, et encore moins d'agir agressivement
contre eux. En tout état de cause, le Partenariat pour la paix
éviterait de provoquer, en Russie, une réaction dangereuse
contre l'OTAN, tout en permettant à l'Alliance de faire accéder
ces pays à l'OTAN pratiquement du jour au lendemain en cas de réémergence
d'une véritable menace russe.
La décision prise lors du Sommet de l'OTAN a certainement aidé
Boris Eltsine à poursuivre sa politique de partenariat avec l'Occident.
Lors de sa rencontre avec le Président Clinton à Moscou,
du 12 au 15 janvier, le Président Eltsine a insisté sur
le fait que le concept de partenariat est le résultat d'efforts
conjoints des Américains et des Russes. Il peut désormais
affirmer que le point de vue russe sur les questions internationales importantes
est pris en compte.
Un certain nombre de dangers potentiels planent cependant sur ce partenariat,
et les deux parties devraient veiller très soigneusement à
éviter de commettre de graves erreurs. Il existe une tendance,
au sein du Kremlin, à défendre avec plus de résolution
ce que l'on considère comme les intérêts nationaux
vitaux de la Russie, ce qui est bien normal tant que Moscou protège
ces intérêts par des moyens pacifiques non-militaires. Mais
dans le même temps, la Russie est tentée de parler durement
lorsqu'elle traite avec les pays voisins comme l'Ukraine et les États
baltes. Ce n'est pas un hasard si même le Ministre des affaires
étrangères Kozyrev, "colombe" pro-occiden-tale,
a fait usage d'un tel langage tout de suite après la visite du
Président Clinton, ce qui a fait naître des inquiétudes
dans les États baltes, mais aussi en Occident.
Les "démonstrations de force" de ce genre, qui sont inutiles
et nuisent aux véritables intérêts nationaux de la
Russie, ne peuvent qu'ajouter foi aux idées de ceux qui, en Occident,
pensent que l'apaisement de la Russie aura des résultats particulièrement
négatifs. L'Occident ne devrait cependant pas réagir trop
vivement et interpréter systématiquement les initiatives
russes en matière de politique étrangère comme des
tentatives de rétablissement de l'ancien empire ou comme la conséquence
de la pression exercée par la ligne dure. Il faut comprendre que
la Russie est une puissance mondiale qui revient peu à peu à
elle. C'est en gran-j de partie à l'Ouest qu'il incombe de veiller
à ce que ce réveil ne se transforme pas en nostalgie à
l'égard des anciennes politiques impérialistes. Il faut
que les pays occidentaux reconnaissent que la Russie a ses intérêts
nationaux propres - sur le plan politique, commercial et géopolitique
- et qu'elle a le droit de les défendre par des voies légales.
Il convient de bien faire la différence entre une telle protection
et d'éventuelles politiques impérialistes. En prenant en
considération les préoccupations légitimes de Moscou,
l'Occident aiderait la Russie à s'affirmer comme un membre stable,
actif et influent de la communauté internationale qui partage avec
lui les valeurs fondamentales que sont la démocratie politique,
l'économie de marché et une politique étrangère
non agressive.
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