Edition Web
Vol. 42- No. 1
Fév. 1994
p. 15-18
|
La
Slovaquie et le Partenariat pour la paix
Michal Kovâc
Président de la République slovaque
En tant que premier président d'une Slovaquie démocratique,
j'ai eu le privilège de m'adresser au Conseil de l'Atlantique Nord
à Bruxelles, le 4 novembre dernier, et peu après le crucial
Sommet de l'OTAN, j'ai participé à la rencontre des chefs
d'État des Quatre pays de Visegrad avec le Président Clinton,
à Prague. Dans cet article, j'aimerais résumer les grands
points de mes interventions lors de ces deux réunions capitales.
Il est très difficile, pour de petites nations et des pays nouvellement
créés, de se situer sur l'échiquier géopolitique
mondial. L'histoire de notre continent européen a montré
qu'aucun pays ne peut exister isolément, dans un cordon sanitaire,
totalement en dehors des sphères d'influence des grandes nations.
Mais si un pays est forcé, contre son penchant politique naturel,
à s'engager dans une direction contraire à ses intérêts,
il devient malheureusement une source d'instabilité et un point
sensible sur le plan politique.
La République slovaque a été créée,
selon des modalités démocratiques et constitutionnelles,
à la suite de la division de la République fédérale
tchèque et slovaque, et elle assume les obligations internationales
liées à cette ancienne appartenance. Dans le même
temps, il est important que presque au lendemain de la fondation de cet
État slovaque indépendant, nous ayons été
invités à renégocier l'Accord d'association avec
la Communauté européenne, ce qui a abouti à la signature
d'un nouvel accord le 4 octobre 1993, à Luxembourg.
Je suis convaincu que la souplesse et la détermination dont a
fait preuve la Slovaquie au cours de ces négociations montrent
clairement la volonté de mon pays de se mettre en phase avec la
communauté des nations occidentales. Il convient d'ajouter que
si la République slovaque a choisi cette orientation, ce n'est
pas seulement la conséquence automatique des accords internationaux
renégociés, mais aussi parce que sa conscience et son penchant
politiques et culturels profonds l'y poussaient. Pour nous, les discussions
qui ont eu lieu, au sein de certaines instances, au sujet de 1'"orientation
imprécise" de la Slovaquie, sont stériles.
La Slovaquie et l'OTAN
Le désir slovaque de coopérer avec l'OTAN et d'en devenir
membre à part entière se fonde sur l'idée que l'on
ne peut chercher une intégration qui ne soit que politique ou économique
avec l'ouest. L'intégration complète exige aussi, en matière
de sécurité, la définition de garanties au sein des
structures qui caractérisent, historiquement et fondamentalement,
l'intégration ouest-européenne.
La Slovaquie voit son rapprochement avec l'OTAN comme un acte politique.
L'opinion publique et politique slovaque est, dans son écrasante
majorité, favorable à la coopération et, à
terme, à l'adhésion à l'Alliance. Mon pays souhaite
être reconnu comme un membre d'une communauté de nations
qui souscrivent à des valeurs communes et il est bien compréhensible
qu'il demande des garanties en ce qui concerne sa sécurité.
Tout cela est lié à son orientation occidentale traditionnelle.
La Slovaquie a amorcé un processus complexe de transformation
économique globale qui, nous en sommes persuadés à
la suite de notre Accord d'association avec la Communauté européenne,
aboutira à notre adhésion pleine et entière à
l'Union européenne. Mais l'intégration européenne
demande des structures de sécurité suffisamment fiables,
non seulement à l'avenir, mais aussi au cours de la difficile période
que constitue la transition. Notre transformation et la réalisation
des réformes nécessaires doivent se faire dans le cadre
d'une Europe sûre.
C'est pourquoi je suggère que la possibilité de créer
un quelconque statut d'associé à l'OTAN et à l'Union
de l'Europe occidentale (UEO) soit envisagée. Ce statut ne demanderait
pas l'intégration totale des unités militaires et ne devrait
même pas nécessairement englober les garanties prévues
à l'Article 5 du Traité de Washington de 1949 ou à
l'Article V du Traité de Bruxelles modifié de 1954. Les
garanties stipulées pourraient, en revanche, être identiques
à celles prévues à l'Article 4 du Traité de
Washington et comprendre l'assurance, à terme, d'une adhésion
pleine et entière à des conditions fermement établies.
J'aimerais souligner que l'obtention de ces garanties de sécurité
au cours du processus de transformation de notre pays ne servirait pas
notre seul intérêt; elle serait aussi une contribution positive,
j'en suis certain, à la sécurité de l'Occident.
Par ailleurs, la coopération avec l'OTAN et l'UEO serait un coup
de fouet économique pour la Slovaquie car les investisseurs occidentaux
potentiels seraient plus confiants . En outre, cela favoriserait, par
contrecoup, une extension à l'est de la stabilité économique.
Une coopération plus étroite des pays d'Europe centrale
avec l'OTAN et l'UEO agrandirait la ceinture de stabilité et de
démocratie en Europe et servirait d'exemple à d'autres pays
ex-communistes. Enfin, une collaboration accrue avec l'OTAN et l'UEO et
une plus grande participation à leurs activités renforceraient
l'intégration et la sécurité européennes.
En matière de sécurité, la Slovaquie ne doit pas
perdre de vue ses liens avec les pays du Groupe des quatre de Visegrad.
Selon moi, il vaut mieux considérer ce groupe comme un tout, du
point de vue géographique et stratégique, mais aussi du
point de vue politique et économique. Contrairement à la
Russie ou aux pays excommunistes qui font partie des structures militaires
communes de la Communauté des États indépendants,
les quatre de Visegrad trouveraient sans doute difficile de se défendre
eux-mêmes. Par ailleurs, je ne crois pas qu'en se rapprochant de
l'OTAN et de l'UEO, nos pays représentent une menace pour la Russie
ou l'Ukraine, car j'espère que l'OTAN trouvera avec elles aussi
une forme de coopération appropriée.
La sécurité commune
Après ma visite à Bruxelles en novembre dernier, un échange
de vues intensif s'est poursuivi, au sein de l'Alliance et entre ceux
qui se montraient désireux de coopérer avec l'OTAN dans
le cadre du Partenariat pour la paix. C'est avec grand intérêt
que nous avons suivi ce processus, en espérant que notre point
de vue ne serait pas négligé. Mais la décision du
Président Clinton d'envoyer Mme l'Ambassadeur Madelaine Albright
et le Général John Shalikashvili en Europe centrale, sans
même attendre le Sommet de l'OTAN, a prouvé à nos
yeux, en Slovaquie, que notre position était prise au sérieux.
Le message que nous avons reçu, selon lequel les Etats-Unis percevaient
un lien direct entre leur sécurité et celle de mon pays,
était capital pour nous. C'est avec beaucoup d'impatience que nous
avons attendu les conclusions du Sommet de Bruxelles, notamment parce
que nous espérions qu'une décision politique serait prise
au sujet de l'élargissement possible de l'OTAN à l'Est.
Et la Déclaration de Bruxelles nous a rassurés. J'ai même
eu le plaisir, avec les Présidents Vaclav Havel, de la République
tchèque, Lech Walesa, de Pologne, et Arpad Gôncz, de Hongrie,
d'être personnellement informé du détail des conclusions
du Sommet, dès sa clôture, par le Président Clinton.
A Prague, j'ai indiqué que la République slave considère
le projet de Partenariat pour la paix comme l'expression d'un changement
qualitatif et, en même temps, d'une évolution vers l'adhésion
de plein droit à l'Alliance atlantique. Le désir de la République
slovaque de faire partie de l'OTAN et de souscrire à son système
de valeurs est de la plus haute importance politique et a le soutien de
tout le spectre politique démocratique du pays. Nous souhaitons
remplir au plus vite les conditions nécessaires à la signature
d'un accord dans le cadre du Partenariat pour la paix afin de donner un
aboutissement concret à nos efforts pour confirmer otre orientation
en matière de politique étrangère. Nous sommes absolument
persuadés que tel est également le voeu des États
membres de l'Alliance. Nous ne voulons pas seulement réaliser nos
aspirations, mais aussi prouver, en coopérant avec l'Alliance à
travers l'initiative du Partenariat pour la paix, que nous sommes prêts
à participer activement à ses projets et à ses missions.
Je tiens à souligner que si la République slovaque aspire
à faire partie de l'Alliance, ce n'est en rien parce qu'elle se
sent menacée sur le plan militaire. Nous n'avons pas d'ennemis
dans l'Europe d'aujourd'hui. Nous avons cependant vécu quelques
mauvaises expériences par le passé et ne voulons pas voir
l'Histoire se répéter. C'est pourquoi nous nous efforçons
de nous ancrer fermement à la structure des États démocratiques,
structure en mesure de défendre efficacement les valeurs démocratiques
- auxquelles nos citoyens souscrivent eux aussi. Cette entreprise et les
engagements qui en découlent faciliteront également le difficile
processus de transformation que connaît actuellement notre société.
Dans un monde bipolaire, l'Alliance atlantique a su assurer avec succès
et honneur la défense historique de la démocratie et de
la liberté. C'est pourquoi nous sommes certains qu'elle saura relever
les défis du présent avec la même réussite.
L'un d'eux est la définition d'une nouvelle relation avec la Russie
et l'Ukraine, car un tel partenariat renforcerait non seulement la sécurité
européenne, mais aussi la sécurité de l'ensemble
du globe. Pour nous, les spécificités de la puissance européenne
et leur rapport avec les processus globaux exigent la présence
active des États-Unis sur notre continent. Nous sommes donc fort
satisfaits que les États-Unis aient réaffirmé leurs
engagements vis-à-vis de l'Europe.
Nous sommes bien conscients du fait que le Partenariat pour la paix,
tel qu'il est prévu, établira probablement entre l'Alliance
et les divers pays intéressés des formes de coopération
distinctes. Il ne faudrait cependant pas que les différences qui
pourront surgir fassent naître un environnement concurrentiel; en
effet, si la rivalité est tout à fait naturelle en économie,
elle est très dangereuse en ce qui concerne la sécurité
nationale et internationale. L'Alliance devrait, selon nous, aborder les
grands problèmes de sécurité de façon systématique
et ne pas craindre d'arrêter des décisions courageuses prenant
en compte une zone géopolitique élargie.
Nous savons que la création de relations démocratiques stables
sur la scène internationale et le renforcement de la sécurité
demandent que tous y contribuent activement, et pas seulement les plus
influents. Et la République slovaque veut, elle aussi, apporter
sa pierre à l'édifice de la stabilité européenne,
notamment grâce à de bonnes relations avec ses voisins.
La confirmation mutuelle de l'inviolabilité des frontières
actuelles et le respect des droits de l'homme, y compris ceux des minorités
nationales, sont les conditions politiques préalables à
une coopération intense avec nos voisins. La République
slovaque saisit cette occasion pour affirmer une fois encore sa bonne
volonté et sa détermination à favoriser, sur cette
base, la coopération avec ses voisins.
Un pas vers l'adhésion
Nous avons étudié par le menu la Déclaration de
Bruxelles et les autres documents approuvés lors du Sommet et sommes
convaincus que la Slovaquie remplit les conditions requises pour conclure
un accord d'adhésion au Partenariat pour la paix. Conformément
aux dispositions contenues dans le document cadre, nous nous engageons
à préserver la démocratie dans nos sociétés,
à défendre leur liberté contre la coercition et l'intimidation,
et à observer les principes du droit international. La Slovaquie
réaffirme son engagement à respecter loyalement les obligations
prévues par la Charte des Nations unies et les principes de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, et notamment à
s'abstenir de recourir à la menace ou à l'usage de la force
à rencontre de l'intégrité territoriale ou de l'indépendance
politique d'un autre État, à respecter les frontières
existantes et à régler ses différends par des voies
pacifiques.
Au cours des entretiens bilatéraux que j'ai eus avec le Président
Clinton, j'ai insisté sur le fait que nous nous félicitons
qu'une initiative comme le Partenariat pour la paix ait été
prise et aimerions signer un accord avec l'OTAN dans les plus brefs délais
afin de passer rapidement à la phase concrète de mise en
uvre de ce projet. La République slovaque est prête
à accueillir des experts de l'OTAN et à discuter des mesures
précises qui devront conduire à une coopération intensive
avec l'Alliance. Pour nous, ce processus représente un pas vers
l'adhésion de plein droit dans l'avenir.
En ce qui concerne le potentiel nucléaire de destruction de l'Ukraine,
nous voyons la signature de l'accord trilatéral entre la Russie,
l'Ukraine et les États-Unis comme un autre succès du voyage
européen du Président Clinton. L'Ukraine et la République
slovaque sont des pays voisins et ont signé un accord politique
qui, entre autres choses, stabilise les frontières de ces deux
États nouvellement constitués. L'Ukraine, de ême que
la Russie, est pour nous un partenaire économique très important
et nous avons fortement intérêt à ce que sa transformation
économique continue d'évoluer positivement. Nous espérons
que cet accord trilatéral sera également suivi, de la part
de l'Occident, par une assistance économique à notre voisin
immédiat à l'Est.
La rencontre de Prague a relancé la discussion sur les possibilités
de coordination au sein du Groupe des quatre de Visegrad. Certes, les
opinions divergent quant au degré de coordination à réaliser,
mais nul ne réfute sa nécessité fondamentale. En
ce qui me concerne, je suis convaincu que les occasions d'uvrer
de façon coordonnée vont se multiplier. Si le Partenariat
pour la paix s'adresse à des pays individuels, qui peuvent être
très différents les uns des autres, il constituera néanmoins
une forme d'élargissement de l'OTAN qui finira par aboutir à
un règlement des questions de sécurité à une
plus grande échelle. Toute extension devra accroître la sécurité
dans l'ensemble de l'Alliance, mais il est certain que l'on ne pourrait
atteindre cet objectif s'il subsistait des querelles entre nos voisins.
Je pense que chacun des pays de notre région, et plus particulièrement
ceux du Groupe des quatre de Visegrad, devraient faire des efforts pour
que tous les autres accèdent au Partenariat pour la paix et en
deviennent des participants fiables. Cela renforcerait la sécurité
de chacun d'eux, mais aussi de notre région et de l'Europe tout
entière. Tel est le vu de la Slovaquie et un des principaux
objectifs de notre politique étrangère.
|