Edition Web
Vol. 42- No. 1
Fév. 1994
p. 12-14
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A
nouvelle Europe, nouvelle OTAN
Les Aspin
Ancien Ministre de la défense des Etats-Unis
Le jour où l'on écrira l'histoire de l'Europe de l'après-guerre
froide, le Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Bruxelles, en janvier
1994, apparaîtra comme un événement capital. En effet,
en relevant dans un esprit novateur le défi que constituait la
disparition de la raison d'être de l'OTAN - la menace soviétique
- les dirigeants des pays de l'Alliance ont préparé le terrain
à une Europe plus pacifique, plus libre et plus unie.
Les importantes initiatives qui ont été prises lors de
ce Sommet - le Partenariat pour la paix, les Groupes de forces interarmées
multinationales et la lutte contre la prolifération - propulsent
l'OTAN dans l'ère de l'après-guerre froide. Associées
à la prise en compte par l'Alliance de l'identité européenne
de sécurité et de défense, elles permettent de constituer
un plan cohérent et clair pour faire face à l'environnement
sécuritaire radicalement nouveau du vieux continent, maintenant
que le Pacte de Varsovie et l'Union soviétique n'existent plus.
Mais l'OTAN ne s'en est pas tenue au nouveau et au sensationnel. Elle
a également réaffirmé un principe de longue date:
son engagement résolu en faveur du lien transatlantique, fondement
de l'Alliance la plus réussie de l'Histoire. Un lien transatlantique
fort, en matière de sécurité, est la base même
des nouvelles mesures importantes qui ont été prises à
Bruxelles.
Le Partenariat pour la main tendue de l'OTAN
La ratification de l'initiative du Président Clinton par l'OTAN,
suivie de l'approbation de l'Europe de l'Est, a ouvert la voie à
la réalisation du rêve d'une Europe sûre et pacifique,
unie dans la liberté de l'Atlantique à l'Oural, que nourrissait
George C. Marshall.
Le Partenariat pour la paix constitue, pour les efforts multinationaux
en faveur de la sécurité européenne qui sont au cur
de l'OTAN, un cadre précis de coopération militaire opérationnelle.
Il permettra aux États partenaires de participer, aux côtés
des forces de l'OTAN, à des activités telles que des opérations
de maintien de la paix, de secours aux victimes d'une catastrophe naturelle
ou encore de sauvetage. Enfin, il préparera ces pays à leur
adhésion à l'OTAN s'ils savent tirer pleinement avantage
des occasions qui leur seront offertes.
Les modalités de participation au Partenariat seront des plus simples.
Lors du Sommet, l'OTAN a lancé une invitation à tous les
États membres du Conseil de coopération nord-atlantique
(CCNA), mais d'autres États européens désireux de
rejoindre cette nouvelle structure pourront être admis par l'Alliance.
Une fois qu'un pays aura été accepté au sein du
Partenariat pour la paix, il fournira à l'OTAN un programme de
travail expliquant le comment et le pourquoi de sa participation. Ce programme
indiquera quelles forces et quelles ressources il mettra à la disposition
des opérations du Partenariat et à quels exercices il entend
prendre part. Autre point important, il devra aussi faire preuve de son
intention d'établir un contrôle civil de son appareil militaire
et la transparence de ses budgets et politiques de défense; autrement
dit, ses citoyens devront pouvoir en prendre connaissance.
Une fois qu'il aura déposé son programme, le nouveau partenaire
pourra avoir des représentants au sein d'une cellule de coordination
qui sera installée au SHAPE, à Mons, en Belgique. Il participera
également à certaines activités politiques au siège
de l'OTAN, à Bruxelles. Dès le courant de cette année,
probablement, les forces des États partenaires participeront à
des exercices des forces de l'OTAN. Ces exercices réaffirmeront
à l'ensemble de l'Europe de l'Est que le Partenariat pour la paix
est une initiative concrète et que l'OTAN entend vraiment réaliser
une coordination militaire.
Il devrait d'ores et déjà être clair que le Partenariat
pour la paix est, à certains égards, bien plus avantageux
que des propositions d'adhésion immédiate et de plein droit
des pays d'Europe de l'Est à l'OTAN.
Premièrement, il évite d'établir, en matière
de sécurité européenne, de nouvelles divisions géographiques
qui risqueraient de déstabiliser ce continent. Les partisans de
l'élargissement immédiat de l'OTAN ont pu laisser de côté
la question du choix et de l'ordre des pays à admettre. Or elle
n'a rien d'accessoire. Si nous avions admis certains pays d'emblée,
qu'est-ce que cela aurait laissé penser au sujet des pays exclus?
Les purs et durs de Russie auraient-ils considéré qu'ils
avaient le champ libre pour les malmener à leur gré? Au
lieu de dresser de nouvelles barrières entre les nations, le Partenariat
pour la paix jettera de nouveaux ponts entre elles.
Deuxièmement, le Partenariat crée les incitations nécessaires.
En effet, dans le nouveau monde de l'après-guerre froide, l'OTAN
propose à ses futurs partenaires une alliance fondée sur
des valeurs communes de démocratie et de liberté économique,
et certains pays d'Europe de l'Est sont plus avancés que d'autres
sur cette voie. Mais si la participation au Partenariat exige, de la part
des pays intéressés, l'indication des mesures qu'ils prendront
pour réaliser le contrôle civil de leur appareil militaire
et améliorer la transparence de leurs politiques de défense,
c'est pour que l'on puisse récompenser ceux qui évoluent
dans le bon sens.
Troisièmement, il assure l'égalité des chances pour
tous les pays admissibles, mais mesurera les progrès accomplis
uniquement d'après le comportement de chacun d'eux. Dans le cadre
du Partenariat, il ne sera établi de distinctions entre les pays
qu'en fonction des efforts qu'ils feront, et non d'après un quelconque
ensemble de critères abstraits. Peut-être certains États
se borneront-ils à signer la déclaration de principes, et
d'autres à participer de façon toute symbolique. Mais les
gagnants seront les partenaires actifs et engagés, autrement dit,
ceux qui saisiront l'occasion qui leur est offerte de se joindre aux forces
alliées pour faire de la planification, de la formation et des
exercices, mais aussi de participer à des consultations politiques
régulières. En effet, ils seront plus rapidement au fait
des procédures de fonctionnement standard de l'OTAN, de ses habitudes
de coopération et de ses calendriers de consultation. Qui plus
est, les partenaires actifs pourront bien entendu
consulter l'OTAN s'ils percevaient une quelconque menace à rencontre
de leur sécurité. C'est un processus d'auto-sélection.
Plus un pays s'investira, plus les moyens qu'il a de se défendre
importeront à l'Alliance.
Enfin, le Partenariat situe la question de l'adhésion à
l'OTAN à sa juste place, c'est-à-dire en fin de parcours.
Lorsqu'il aura été en place un certain temps, les pays admissibles
qui sont vraiment désireux d'intégrer les idées de
valeurs démocratiques communes et de sécurité coopérative
de l'Alliance se dégageront plus clairement.
L'OTAN se doit de tendre la main aux peuples d'Europe de l'Est qui ont
enduré quarante ans de totalitarisme. Mais le Partenariat pour
la paix souligne que l'OTAN est une Alliance impliquant des obligations
mutuelles qui exigent, de la part de ses membres, des efforts et des dépenses
non négligeables. Avec ce projet, l'OTAN a habilement réussi
à maintenir le cap entre deux extrêmes: donner l'impression
de créer un nouveau rideau de fer ou d'être indifférente
au sort des nouvelles démocraties de l'ancien Pacte de Varsovie.
Et surtout, une mise en uvre vigoureuse du Partenariat rendra l'Europe
tout entière plus sûre, plus forte et plus libre.
Les Groupes de forces interarmées multinationales, ou comment
préparer l'OTAN à des missions nouvelles
Les événements de l'après-guerre froide ont montré
que l'OTAN doit être en mesure de réagir avec rapidité
et souplesse à un large éventail de situations. La tragédie
de l'ex-Yougoslavie souligne particulièrement la nécessité
d'être prêts à assumer de nouvelles missions de maintien
de la paix. De plus, les membres européens de l'OTAN désirent
depuis longtemps disposer d'une capacité d'intervention militaire
collective qui n'implique pas nécessairement la participation directe
des Etats-Unis. La difficulté résidait dans la mise en place
d'une telle capacité au sein de l'OTAN.
Les dirigeants des pays membres de l'OTAN ont relevé ces défis
en approuvant, lors du Sommet de Bruxelles, la création de Groupes
de forces interarmées multinationales. Ce projet prévoit
que des forces militaires intégrées à l'OTAN et formées
par celles-ci, ainsi que des ressources de l'Alliance, pourront être
affectées à des forces d'intervention exclusivement européennes,
agissant dans des situations d'urgence exclusivement européennes,
lorsque certains membres de l'OTAN ne souhaiteront pas s'engager. Un groupe
de forces interarmées multinationales pourrait même inclure
des forces de pays extérieurs à l'OTAN - peut-être
nos "partenaires pour la paix", une fois que le Partenariat
sera lancé.
Le concept de Groupes de forces interarmées multinationales est
étroite-ment lié à l'émergence d'une identité
européenne de sécurité et de défense et concrétise
l'idée d'une identité européenne séparable
mais non séparée de l'OTAN. Cette force, qui bénéficiera
de ressources, de moyens logistiques, ainsi que de capacités de
commandement et de conduite des opérations de l'Alliance, évitera
les problèmes de double emploi et de concurrence entre l'OTAN et
l'UEO. Elle apportera également la preuve du ferme soutien des
Etats-Unis au développement d'une identité européenne
de sécurité et de défense au sein de l'Union européenne.
La lutte contre la proligération- l'OTAN face aux menaces émergentes
Une des plus graves menaces qui pèse sur le monde d'aujourd'hui
est celle des efforts que font divers États pour développer
des armes de destruction massive et leurs vecteurs. Or la perspective
que des pays dévoyés ou des terroristes détiennent
des armes nucléaires, chimiques ou biologiques est des plus effrayantes.
En tant qu'alliance de défense, il faut absolument que l'OTAN affronte
directement cette menace. Les chefs des États membres de l'OTAN
l'ont explicitement reconnu à l'occasion du Sommet et ont donné
mandat à l'Alliance pour définir un cadre politique en la
matière. Aux termes de l'initiative de lutte contre la prolifération,
l'OTAN ne se contentera pas d'abonder dans le sens des efforts engagés
pour éviter la diffusion de ces armes; elle fera également
face à la menace politique qu'elles constituent et concevra des
moyens de se protéger contre elles.
La Bosnie, un test pour l'OTAN?
Le Sommet de Bruxelles s'est déroulé avec, en toile de
fond, la poursuite du conflit bosniaque. L'OTAN s'est efforcée
déjouer un rôle constructif dans sa résolution: des
navires de guerre de l'Alliance aident à faire respecter l'embargo
contre la Serbie et des avions de combat surveillent la zone d'exclusion
aérienne en Bosnie. A l'occasion du Sommet, les plus hauts responsables
de l'OTAN ont réaffirmé la détermination de l'Alliance
à lancer des frappes aériennes afin d'empêcher l'étranglement
de Sarajevo et d'autres zones menacées de Bosnie-Herzégovine.
Il est tout à fait compréhensible que la tragédie
bosniaque suscite la sympathie de nos opinions publiques, mais c'est aux
parties directement impliquées dans cette crise qu'il incombe,
en dernier ressort, de faire la paix. Ni l'OTAN ni aucune autre entité
extérieure ne peut les obliger à faire la paix contre leur
volonté.
L'OTAN se tourne vers l'avenir
Si le Partenariat pour la paix, les Groupes de forces interarmées
multinationales et les mesures de lutte contre la prolifération
vont propulser l'OTAN dans l'ère de l'après-guerre froide
de façon spectaculaire, ces initiatives répondent aussi
à un souci de pragmatisme. En effet, elles maintiendront l'Alliance
au cur des affaires de sécurité européennes
et, du même coup, l'engagement américain au cur de
l'Europe.
Certains ont reproché à l'OTAN de ne pas avoir réagi
plus rapidement à de nouvelles menaces comme la crise bosniaque.
D'autres se sont demandés si elle a encore un sens, maintenant
que la menace soviétique n'existe plus -curieuse question concernant
une organisation dont le problème le plus sérieux, à
l'heure actuelle, est de définir la réponse à apporter
aux demandes des nombreux pays qui frappent à sa porte.
Le Sommet de Bruxelles a apporté la preuve de l'importance primordiale
de l'OTAN pour la sécurité européenne. Du temps de
la guerre froide, elle a montré que les démocraties occidentales
étaient capables de faire quelque chose d'apparemment impossible:
maintenir une attitude de défense ferme et cohérente en
une période de paix manifeste. Lors du Sommet, les pays de l'OTAN
ont franchi un autre pas difficile: ils ont regardé devant eux,
envisagé les défis qu'ils auront à relever et se
sont préparés à passer à l'action.
A l'époque de la guerre froide, l'OTAN était le fondement
d'une Europe occidentale sûre, forte et libre. Les mesures prises
à Bruxelles en janvier dernier permettront d'assurer la continuité
de ce rôle dans l'ensemble de l'Europe pendant l'après-guerre
froide. Ce sommet a montré une fois encore que pour l'OTAN comme
pour Mark Twain, les bruits qui couraient au sujet de sa disparition étaient
très exagérés.

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