Revue de l'OTAN
Mise à jour: 09-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 1
Fév. 1994
p. 12-14

A nouvelle Europe, nouvelle OTAN

Les Aspin
Ancien Ministre de la défense des Etats-Unis

Le jour où l'on écrira l'histoire de l'Europe de l'après-guerre froide, le Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Bruxelles, en janvier 1994, apparaîtra comme un événement capital. En effet, en relevant dans un esprit novateur le défi que constituait la disparition de la raison d'être de l'OTAN - la menace soviétique - les dirigeants des pays de l'Alliance ont préparé le terrain à une Europe plus pacifique, plus libre et plus unie.

Les importantes initiatives qui ont été prises lors de ce Sommet - le Partenariat pour la paix, les Groupes de forces interarmées multinationales et la lutte contre la prolifération - propulsent l'OTAN dans l'ère de l'après-guerre froide. Associées à la prise en compte par l'Alliance de l'identité européenne de sécurité et de défense, elles permettent de constituer un plan cohérent et clair pour faire face à l'environnement sécuritaire radicalement nouveau du vieux continent, maintenant que le Pacte de Varsovie et l'Union soviétique n'existent plus.

Mais l'OTAN ne s'en est pas tenue au nouveau et au sensationnel. Elle a également réaffirmé un principe de longue date: son engagement résolu en faveur du lien transatlantique, fondement de l'Alliance la plus réussie de l'Histoire. Un lien transatlantique fort, en matière de sécurité, est la base même des nouvelles mesures importantes qui ont été prises à Bruxelles.

Le Partenariat pour la main tendue de l'OTAN

La ratification de l'initiative du Président Clinton par l'OTAN, suivie de l'approbation de l'Europe de l'Est, a ouvert la voie à la réalisation du rêve d'une Europe sûre et pacifique, unie dans la liberté de l'Atlantique à l'Oural, que nourrissait George C. Marshall.

Le Partenariat pour la paix constitue, pour les efforts multinationaux en faveur de la sécurité européenne qui sont au cœur de l'OTAN, un cadre précis de coopération militaire opérationnelle. Il permettra aux États partenaires de participer, aux côtés des forces de l'OTAN, à des activités telles que des opérations de maintien de la paix, de secours aux victimes d'une catastrophe naturelle ou encore de sauvetage. Enfin, il préparera ces pays à leur adhésion à l'OTAN s'ils savent tirer pleinement avantage des occasions qui leur seront offertes.

Les modalités de participation au Partenariat seront des plus simples. Lors du Sommet, l'OTAN a lancé une invitation à tous les États membres du Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA), mais d'autres États européens désireux de rejoindre cette nouvelle structure pourront être admis par l'Alliance.

Une fois qu'un pays aura été accepté au sein du Partenariat pour la paix, il fournira à l'OTAN un programme de travail expliquant le comment et le pourquoi de sa participation. Ce programme indiquera quelles forces et quelles ressources il mettra à la disposition des opérations du Partenariat et à quels exercices il entend prendre part. Autre point important, il devra aussi faire preuve de son intention d'établir un contrôle civil de son appareil militaire et la transparence de ses budgets et politiques de défense; autrement dit, ses citoyens devront pouvoir en prendre connaissance.

Une fois qu'il aura déposé son programme, le nouveau partenaire pourra avoir des représentants au sein d'une cellule de coordination qui sera installée au SHAPE, à Mons, en Belgique. Il participera également à certaines activités politiques au siège de l'OTAN, à Bruxelles. Dès le courant de cette année, probablement, les forces des États partenaires participeront à des exercices des forces de l'OTAN. Ces exercices réaffirmeront à l'ensemble de l'Europe de l'Est que le Partenariat pour la paix est une initiative concrète et que l'OTAN entend vraiment réaliser une coordination militaire.

Il devrait d'ores et déjà être clair que le Partenariat pour la paix est, à certains égards, bien plus avantageux que des propositions d'adhésion immédiate et de plein droit des pays d'Europe de l'Est à l'OTAN.

Premièrement, il évite d'établir, en matière de sécurité européenne, de nouvelles divisions géographiques qui risqueraient de déstabiliser ce continent. Les partisans de l'élargissement immédiat de l'OTAN ont pu laisser de côté la question du choix et de l'ordre des pays à admettre. Or elle n'a rien d'accessoire. Si nous avions admis certains pays d'emblée, qu'est-ce que cela aurait laissé penser au sujet des pays exclus? Les purs et durs de Russie auraient-ils considéré qu'ils avaient le champ libre pour les malmener à leur gré? Au lieu de dresser de nouvelles barrières entre les nations, le Partenariat pour la paix jettera de nouveaux ponts entre elles.

Deuxièmement, le Partenariat crée les incitations nécessaires. En effet, dans le nouveau monde de l'après-guerre froide, l'OTAN propose à ses futurs partenaires une alliance fondée sur des valeurs communes de démocratie et de liberté économique, et certains pays d'Europe de l'Est sont plus avancés que d'autres sur cette voie. Mais si la participation au Partenariat exige, de la part des pays intéressés, l'indication des mesures qu'ils prendront pour réaliser le contrôle civil de leur appareil militaire et améliorer la transparence de leurs politiques de défense, c'est pour que l'on puisse récompenser ceux qui évoluent dans le bon sens.

Troisièmement, il assure l'égalité des chances pour tous les pays admissibles, mais mesurera les progrès accomplis uniquement d'après le comportement de chacun d'eux. Dans le cadre du Partenariat, il ne sera établi de distinctions entre les pays qu'en fonction des efforts qu'ils feront, et non d'après un quelconque ensemble de critères abstraits. Peut-être certains États se borneront-ils à signer la déclaration de principes, et d'autres à participer de façon toute symbolique. Mais les gagnants seront les partenaires actifs et engagés, autrement dit, ceux qui saisiront l'occasion qui leur est offerte de se joindre aux forces alliées pour faire de la planification, de la formation et des exercices, mais aussi de participer à des consultations politiques régulières. En effet, ils seront plus rapidement au fait des procédures de fonctionnement standard de l'OTAN, de ses habitudes de coopération et de ses calendriers de consultation. Qui plus est, les partenaires actifs pourront bien entendu
consulter l'OTAN s'ils percevaient une quelconque menace à rencontre de leur sécurité. C'est un processus d'auto-sélection. Plus un pays s'investira, plus les moyens qu'il a de se défendre importeront à l'Alliance.
Enfin, le Partenariat situe la question de l'adhésion à l'OTAN à sa juste place, c'est-à-dire en fin de parcours. Lorsqu'il aura été en place un certain temps, les pays admissibles qui sont vraiment désireux d'intégrer les idées de valeurs démocratiques communes et de sécurité coopérative de l'Alliance se dégageront plus clairement.

L'OTAN se doit de tendre la main aux peuples d'Europe de l'Est qui ont enduré quarante ans de totalitarisme. Mais le Partenariat pour la paix souligne que l'OTAN est une Alliance impliquant des obligations mutuelles qui exigent, de la part de ses membres, des efforts et des dépenses non négligeables. Avec ce projet, l'OTAN a habilement réussi à maintenir le cap entre deux extrêmes: donner l'impression de créer un nouveau rideau de fer ou d'être indifférente au sort des nouvelles démocraties de l'ancien Pacte de Varsovie. Et surtout, une mise en œuvre vigoureuse du Partenariat rendra l'Europe tout entière plus sûre, plus forte et plus libre.

Les Groupes de forces interarmées multinationales, ou comment préparer l'OTAN à des missions nouvelles

Les événements de l'après-guerre froide ont montré que l'OTAN doit être en mesure de réagir avec rapidité et souplesse à un large éventail de situations. La tragédie de l'ex-Yougoslavie souligne particulièrement la nécessité d'être prêts à assumer de nouvelles missions de maintien de la paix. De plus, les membres européens de l'OTAN désirent depuis longtemps disposer d'une capacité d'intervention militaire collective qui n'implique pas nécessairement la participation directe des Etats-Unis. La difficulté résidait dans la mise en place d'une telle capacité au sein de l'OTAN.

Les dirigeants des pays membres de l'OTAN ont relevé ces défis en approuvant, lors du Sommet de Bruxelles, la création de Groupes de forces interarmées multinationales. Ce projet prévoit que des forces militaires intégrées à l'OTAN et formées par celles-ci, ainsi que des ressources de l'Alliance, pourront être affectées à des forces d'intervention exclusivement européennes, agissant dans des situations d'urgence exclusivement européennes, lorsque certains membres de l'OTAN ne souhaiteront pas s'engager. Un groupe de forces interarmées multinationales pourrait même inclure des forces de pays extérieurs à l'OTAN - peut-être nos "partenaires pour la paix", une fois que le Partenariat sera lancé.

Le concept de Groupes de forces interarmées multinationales est étroite-ment lié à l'émergence d'une identité européenne de sécurité et de défense et concrétise l'idée d'une identité européenne séparable mais non séparée de l'OTAN. Cette force, qui bénéficiera de ressources, de moyens logistiques, ainsi que de capacités de commandement et de conduite des opérations de l'Alliance, évitera les problèmes de double emploi et de concurrence entre l'OTAN et l'UEO. Elle apportera également la preuve du ferme soutien des Etats-Unis au développement d'une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l'Union européenne.

La lutte contre la proligération- l'OTAN face aux menaces émergentes

Une des plus graves menaces qui pèse sur le monde d'aujourd'hui est celle des efforts que font divers États pour développer des armes de destruction massive et leurs vecteurs. Or la perspective que des pays dévoyés ou des terroristes détiennent des armes nucléaires, chimiques ou biologiques est des plus effrayantes. En tant qu'alliance de défense, il faut absolument que l'OTAN affronte directement cette menace. Les chefs des États membres de l'OTAN l'ont explicitement reconnu à l'occasion du Sommet et ont donné mandat à l'Alliance pour définir un cadre politique en la matière. Aux termes de l'initiative de lutte contre la prolifération, l'OTAN ne se contentera pas d'abonder dans le sens des efforts engagés pour éviter la diffusion de ces armes; elle fera également face à la menace politique qu'elles constituent et concevra des moyens de se protéger contre elles.

La Bosnie, un test pour l'OTAN?

Le Sommet de Bruxelles s'est déroulé avec, en toile de fond, la poursuite du conflit bosniaque. L'OTAN s'est efforcée déjouer un rôle constructif dans sa résolution: des navires de guerre de l'Alliance aident à faire respecter l'embargo contre la Serbie et des avions de combat surveillent la zone d'exclusion aérienne en Bosnie. A l'occasion du Sommet, les plus hauts responsables de l'OTAN ont réaffirmé la détermination de l'Alliance à lancer des frappes aériennes afin d'empêcher l'étranglement de Sarajevo et d'autres zones menacées de Bosnie-Herzégovine.

Il est tout à fait compréhensible que la tragédie bosniaque suscite la sympathie de nos opinions publiques, mais c'est aux parties directement impliquées dans cette crise qu'il incombe, en dernier ressort, de faire la paix. Ni l'OTAN ni aucune autre entité extérieure ne peut les obliger à faire la paix contre leur volonté.

L'OTAN se tourne vers l'avenir

Si le Partenariat pour la paix, les Groupes de forces interarmées multinationales et les mesures de lutte contre la prolifération vont propulser l'OTAN dans l'ère de l'après-guerre froide de façon spectaculaire, ces initiatives répondent aussi à un souci de pragmatisme. En effet, elles maintiendront l'Alliance au cœur des affaires de sécurité européennes et, du même coup, l'engagement américain au cœur de l'Europe.

Certains ont reproché à l'OTAN de ne pas avoir réagi plus rapidement à de nouvelles menaces comme la crise bosniaque. D'autres se sont demandés si elle a encore un sens, maintenant que la menace soviétique n'existe plus -curieuse question concernant une organisation dont le problème le plus sérieux, à l'heure actuelle, est de définir la réponse à apporter aux demandes des nombreux pays qui frappent à sa porte.

Le Sommet de Bruxelles a apporté la preuve de l'importance primordiale de l'OTAN pour la sécurité européenne. Du temps de la guerre froide, elle a montré que les démocraties occidentales étaient capables de faire quelque chose d'apparemment impossible: maintenir une attitude de défense ferme et cohérente en une période de paix manifeste. Lors du Sommet, les pays de l'OTAN ont franchi un autre pas difficile: ils ont regardé devant eux, envisagé les défis qu'ils auront à relever et se sont préparés à passer à l'action.
A l'époque de la guerre froide, l'OTAN était le fondement d'une Europe occidentale sûre, forte et libre. Les mesures prises à Bruxelles en janvier dernier permettront d'assurer la continuité de ce rôle dans l'ensemble de l'Europe pendant l'après-guerre froide. Ce sommet a montré une fois encore que pour l'OTAN comme pour Mark Twain, les bruits qui couraient au sujet de sa disparition étaient très exagérés.