Revue de l'OTAN
Mise à jour: 09-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 42- No. 1
Fév. 1994
p. 7-11

Le sommet de Bruxelles -Un point de vue militaire

Field Marshal Sir Richard Vincent
Président du Comité militaire de l'OTAN

Quel jugement les historiens porteront-ils sur le Sommet de l'OTAN à Bruxelles? Sera-t-il vu comme une nouvelle réaction pertinente et opportune aux événements internationaux de ce début d'après-guerre froide ou sera-t-il consigné comme un témoignage d'incapacité à agir avec énergie, célérité et efficacité face à l'évolution rapide des situations et des besoins, en matière de sécurité, après la tourmente des événements survenus dans de nombreuses parties d'Europe centrale et orientale? L'OTAN restera-t-elle le nœud central d'un réseau d'institutions de sécurité subtilement imbriquées et demeurera-t-elle le fondement de la paix et d'une prospérité croissante, dans la région euro-atlantique, comme elle l'a été avec succès ces quatre dernières décennies? A moins qu'elle ne soit plus qu'un vestige de plus en plus dénué de sens de la période de la guerre froide et s'engage sur la pente d'un déclin régulier.

Pour moi, qui considère le Sommet en tant que Président du Comité militaire, la réponse à ces interrogations ne fait aucun doute.

Après avoir éprouvé un soulagement bien naturel en assistant à la fin pacifique de la guerre froide, beaucoup de pays occidentaux ont concentré leur attention sur eux-mêmes. Au début des années 90, les problèmes économiques, politiques et sociaux intérieurs sont devenus une des préoccupations principales de bon nombre des capitales de l'Alliance. Dans le même temps, les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale entreprenaient, avec plus ou moins de réussite et de peine, les énormes tâches consistant à reconstruire leurs institutions politiques et leurs économies ainsi qu'à restructurer leurs forces militaires dans le cadre de nouvelles politiques étrangères, de sécurité et de défense. Dans bien des cas, ces bouleversements sont allés de pair avec le début de la réémergence de rivalités ethniques et de différences religieuses étouffées depuis longtemps par des pouvoirs autoritaires. L'année 93 a été marquée par la poursuite de l'escalade de la violence et de la tragédie dans certaines parties de F ex-Yougoslavie tandis qu'en même temps, de nombreux pays d'Europe centrale et orientale demandaient avec de plus en plus d'insistance à bénéficier du parapluie de l'OTAN. En outre, l'inquiétude grandissait au sujet des risques de plus en plus grands qu'engendré la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

L'heure était donc venue, face à ces changements brutaux et à ces grands défis internationaux, de réfléchir à la voie que s'était tracée l'Alliance lors de son dernier sommet, à Rome, fin 91, et de prévoir, aux plus hauts niveaux, une nouvelle conduite et une nouvelle orientation des politiques et des priorités de l'OTAN. A l'issue du Sommet de Bruxelles des 10 et 11 janvier, les chefs d'État et de gouvernement ont collectivement réaffirmé leur engagement sans réserve et sans ambiguïté vis-à-vis de l'Alliance et ont clairement défini les nouvelles tâches et priorités qu'elle doit se donner si elle veut demeurer, à la veille du XXIe siècle, la pierre angulaire de la sécurité euro-atlantique.

Sur le plan militaire aussi, le Sommet a été l'occasion de s'engager et de s'orienter avec clarté. Avant toute chose, les chefs d'État et de gouvernement ont réaffirmé avec fermeté et cohésion que le lien transatlantique restait la base même de l'Alliance; et de son côté, le Président Clinton a personnellement assuré que les États-Unis maintiendront environ 100 000 hommes stationnés en Europe. Or ces troupes étaient vues comme indispensables à l'évolution future de la seule alliance défensive internationale qui garantisse de façon formelle l'indivisibilité de la sécurité dans la région euro-atlantique telle qu'elle est définie par le Traité de Washington de 1949. Par ailleurs, la décision de soutenir concrètement le développement d'une identité européenne de défense et de sécurité renforcera le pilier européen au sein de l'Alliance, tout en évitant des doubles emplois et une concurrence inutiles en une période de pression constante sur les ressources et les budgets de la défense.

Cette évolution doit être située dans le contexte plus large de la rénovation de l'Alliance, amorcée avec la Déclaration de Londres, en 1990 (1). A cette occasion, l'OTAN a officiellement reconnu la fin de la guerre froide, tendu la main de l'amitié à nos anciens adversaires du Pacte de Varsovie et prévu une révision fondamentale de sa stratégie et de ses plans. Le Sommet de Rome, tenu dix-huit mois plus tard, a établi le nouveau Concept Stratégique de l'OTAN (2)qui a, à son tour, abouti à la définition d'un nouveau dispositif de forces militaires. En même temps, la Déclaration de Rome sur la paix et la coopération (3), de novembre 1991, créait le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) comme instrument plus concret pour un rapprochement avec nos nouveaux partenaires d'Europe centrale et orientale et de l'ex-Union soviétique.

Mais depuis le Sommet de Rome, le monde n'est pas resté figé, et la rencontre des chefs d'État et de gouvernement à Bruxelles, en janvier dernier, a marqué une nouvelle étape de la rénovation de l'OTAN en vue de répondre à nos besoins futurs en matière de sécurité et de défense. A travers des initiatives comme le Partenariat pour la paix et la poursuite de l'adaptation de nos structures militaires afin de mettre au point des forces plus souples d'emploi, nous avons prolongé les travaux des deux précédents Sommets. En prenant en compte les enseignements tirés de l'importante participation de l'OTAN à la planification et à la conduite des opérations à l'appui des missions des Nations unies dans F ex-Yougoslavie, les nouvelles aspirations de nos partenaires du CCNA et les besoins changeants de nos États membres en matière de sécurité et de défense, nous avons avancé en tirant parti avec réalisme et pragmatisme de l'expérience utile de ces deux dernières années.

L'ajustement des structures et procédures de l'Alliance

Le nouveau Concept Stratégique de l'Alliance, approuvé fin 91, a reconnu la nécessité de réorganiser nos forces - destinées, à l'origine, à faire face à une menace massive et clairement identifiée - et de s'orienter vers un concept fondé sur des structures plus souples. En résumé, l'accent est mis, aujourd'hui, sur des formations multinationales plus petites, sur une moins grande dépendance à l'égard de l'arme nucléaire et sur une présence en avant nettement réduite en Europe. Ces forces ont été organisées et structurées pour pouvoir, le cas échéant, réagir avec souplesse à un large éventail de risques pesant sur la sécurité des membres de l'Alliance et à remplir leur fonction, si les circonstances le demandent, dans le processus de gestion des crises. Leur tâche fondamentale, conformément à l'Article 5 du Traité de Washington, reste d'empêcher tout agresseur potentiel d'attaquer des pays de l'Alliance et, en cas d'échec, de rétablir la paix et la sécurité dans les plus brefs délais. Telles sont les exigences essentielles qui ont présidé à la création, au sein de notre nouveau dispositif de forces, de capacités et d'organisations opérationnelles que nous entendons maintenant développer.
L'engagement pris par l'Alliance, et approuvé pour la première fois en 1992, de soutenir au cas par cas des activités de maintien de la paix menées sous l'égide de la CSCE ou des Nations unies, nous a également amenés à réexaminer nos structures et procédures afin d'envisager des opérations hors zone, non prévues par l'Article 5 de notre Traité. A ce sujet, certaines des différences les plus importantes sont:

  • le droit de chacun des pays membres de décider si il entend ou non participer à une opération donnée;
  • la nécessité éventuelle d'intégrer des forces extérieures à l'OTAN; et
  • le soutien nécessaire, en matière de logistique, de génie civil et de communications, pour opérer hors zone, de façon indépendante de l'infrastructure de l'Alliance.

Le concept de Groupes de forces interarmées multinationales, entériné lors du récent Sommet de Bruxelles, prévoit l'établissement de quartiers-généraux multinationaux des armées de terre, de l'air, et de la marine. Ils seront fondés sur des éléments autonomes déployables de la chaîne de commandement existante qui seront réadaptés, là où c'est nécessaire, afin d'y incorporer des éléments de nations de l'OTAN qui ne font pas partie, à l'heure actuelle, de nos structures de forces intégrées. Ces Q.G., qui puiseront dans les ressources opérationnelles actuelles de l'Alliance, devront aussi définir, parallèlement au processus du Partenariat pour la paix, les moyens d'intégrer plus efficacement les forces et les états-majors des pays qui ne sont pas membres de l'OTAN et qui décideront de participer, aux côtés de l'Alliance, à des opérations hors zone. Si l'OTAN décide de ne pas intervenir dans une situation donnée, les Groupes de forces interarmées multinationales devront aussi être en mesure de répondre, sous l'égide du Conseil de l'Atlantique nord, à des initiatives conduites par l'Union européenne et/ou l'UEO. Avec cette nouvelle adaptation des forces de l'Alliance qui leur permet d'être séparables mais non séparées des structures existantes, nous évitons, alors que l'heure est à la réduction des budgets de la défense, la coûteuse duplication de capacités excessivement onéreuses. En même temps, nous maintenons une structure de commandement intégré unique pour ne pas nuire à l'efficacité de notre capacité de défense globale, qui demeure une fonction essentielle en vertu de l'Article 5 du Traité de Washington.

La création de Groupes de forces interarmées multinationales n'est pas la seule adaptation nouvelle qui ait été demandée au Sommet, lequel a également reconnu la nécessité de réviser les structures et procédures militaires et politiques dont l'Alliance a besoin pour se doter d'une capacité de gestion des crises moins lourde en vue d'opérations non prévues par l'Article 5. Le besoin croissant de coordination avec les Nations unies, la CSCE et l'UEO, et la nécessité éventuelle de travailler en liaison plus étroite avec des pays non membres de l'OTAN et qui pourront participer à des opérations multinationales, seront quelques-uns des problèmes abordés lors de l'examen de nos dispositifs actuels de gestion des crises.

Le Partenariat pour la paix

Considérant les événements en cours et les nouvelles aspirations des pays d'Europe centrale et orientale, les participants au Sommet se sont également interrogés sur les mesures supplémentaires nécessaires pour concevoir et soutenir plus efficacement la sécurité dans cette région.

L'initiative du Partenariat pour la paix offre à nos futurs partenaires un moyen de participer, à un rythme et un niveau qu'ils pourront déterminer eux-mêmes, à un éventail beaucoup plus vaste d'activités en commun. Cette coopération se situera pour une bonne part dans le domaine militaire, avec des exercices et des formations conjointes en vue d'opérations de maintien de la paix, de sauvetage et d'aide humanitaire. En outre, d'autres aspects de la planification et de l'organisation de leur défense leur offriront la possibilité de se mettre de plus en plus en phase avec l'Alliance, ce qui devrait ouvrir des perspectives d'intégration et d'approche communes. A terme, cela devrait leur permettre de s'intégrer plus efficacement à des opérations multinationales aux côtés des forces de l'Alliance, voire au sein des Groupes de forces interarmées multinationales. Et les nations qui participeront activement à ces diverses formes de coopération et répondront aux conditions plus larges du Partenariat pour la paix auront aussi l'importante possibilité de consulter l'Alliance si elles percevaient une menace directe à rencontre de leur intégrité territoriale, de leur indépendance politique ou de leur sécurité.

La prolifération

Dans la nouvelle situation internationale - dont il faut dans l'ensemble se féliciter - la menace stratégique massive que faisait peser l'ex-Union soviétique a disparu. Mais elle a été remplacée par d'autres risques pour la paix et la stabilité qui sont moins bien définis. En effet, il est bien difficile, de nos jours, de prédire avec certitude où et comment se produiront les événements déstabilisateurs de demain et de quelle manière ils mettront en péril les intérêts essentiels des nations de l'Alliance en matière de sécurité. Aujourd'hui, ces risques sont fortement exacerbés par les énormes stocks d'armes - et notamment d'armes de destruction massive - laissés à l'abandon après la disparition de l'ancien Pacte de Varsovie. Or ceux-ci ont, à leur tour, élargi le champ ouvert à une bien plus grande prolifération de ces systèmes et de leurs vecteurs en constituant une offre tentante, ce qui ne fait qu'accroître les risques et les incertitudes déjà mentionnés. Préoccupés par ces questions, les chefs d'État et de gouvernement présents au Sommet ont décidé d'intensifier et de diversifier les efforts de l'OTAN contre la prolifération, tant sur le plan politique que sur celui de la défense, et les autorités militaires de l'Alliance sont prêtes à soutenir ces initiatives dès qu'un cadre politique général aura été arrêté.

L'ex-Yougoslavie

En dépit de la grande résolution dont ont fait preuve les chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN dans leur déclaration finale, certains continuent d'accuser les pays de l'Alliance de manquer de volonté lorsqu'il s'agit de prendre les mesures nécessaires pour régler la situation de plus en plus dégradée de l'ex-Yougoslavie. Mais ces critiques semblent méconnaître le niveau d'engagement collectif déjà très élevé de l'OTAN, qui a répondu positivement à tous les appels à l'aide de l'ONU en vertu de résolutions du Conseil de sécurité. Bien entendu, les initiatives militaires possibles sont déterminées par les modalités qui ont été définies pour les mandats correspondants des Nations unies, lesquels constituent la principale base juridique internationale de toutes les opérations actuelles dans l'ex-Yougoslavie. Dans l'état actuel des choses, des forces aériennes de l'OTAN interviennent à l'appui de la FORPRONU, dont les opérations au sol sont de nature essentiellement humanitaire, tandis que l'embargo maritime fort efficace qui a été mis en place a été organisé conjointement avec l'UEO en application de la Résolution 820 du Conseil de sécurité des Nations unies. En outre, l'Alliance a plusieurs fois réaffirmé sa détermination à soutenir, sous mandat de l'ONU, la mise en œuvre d'un accord de paix conclu librement et en toute bonne foi par les parties au conflit. A ce sujet, plusieurs plans sont déjà bien avancés et leur mise au point se poursuit parallèlement aux événements sur le terrain dans le cadre des différentes séries de négociations de paix qui se déroulent à Genève et aux Nations unies, à New York.

Aujourd'hui, la réalité des faits est que ce sont les forces intégrées de l'OTAN qui, unitairement, contribuent le plus à l'effort international entrepris en exYougoslavie. Si l'on exclut les forces directement placées sous le commandement des Nations unies, il y a à l'heure actuelle plus de cent avions, plus d'une douzaine de navires de grande capacité et quelque dix milles hommes et femmes des nations de l'Alliance qui conduisent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, des opérations maritimes et aériennes intégrées de l'OTAN à l'appui des Nations unies. Et ce ne sont là que les forces engagées à un moment donné; pour pouvoir les maintenir pendant de longues périodes et permettre de relever périodiquement les hommes et le matériel, il faut en réalité multiplier ces chiffres par trois ou quatre. En outre, quinze mille hommes de plus sont affectés directement aux opérations de la FORPRONU par les pays de l'Alliance. Sur un total d'environ trente-quatre mille personnes engagées à l'appui des opérations des Nations unies en rapport avec l'ex-Yougoslavie, près de vingt-cinq mille d'entre elles - soit quasiment les trois quarts - viennent, directement ou à travers l'Alliance, de pays de l'OTAN.

Parallèlement aux opérations en cours, les participants au récent Sommet se sont engagés à soutenir résolument l'élimination des obstacles à l'accomplissement des mandats de la FORPRONU et à cette fin, nous sommes prêts à fournir des moyens aériens de l'Alliance afin de protéger les forces de la FORPRONU et, plus largement, de les assister dans leurs autres missions autorisées. La communauté internationale a sans nul doute de nombreux enseignements à tirer de l'expérience tragique bien durement acquise de l'ex-Yougoslavie, mais on ne peut en aucun cas alléguer d'un manque de contribution des forces des pays de l'Alliance à cette tâche d'une extrême difficulté, qui ne peut s'arrêter à des solutions militaires simples.

La rénovation de l'Alliance, entamée au Sommet de Londres de 1990 et poursuivie à Rome, à la fin de 1991, a donc permis à l'OTAN d'évoluer afin de faire face à un environnement stratégique changeant et d'œuvrer dans le sens d'une paix et d'une stabilité régionales élargies. Le Sommet de Bruxelles a marqué un nouveau progrès sur cette voie en assurant la réadaptation des forces et des capacités de gestion des crises de l'OTAN à ses tâches futures et en prenant des mesures supplémentaires en ce qui concerne la prolifération des armes de destruction massive.

Avec le Partenariat pour la paix, l'Alliance a offert une nouvelle chance très opportune d'établir peu à peu une coopération concrète plus étroite, fondée sur des relations approfondies, avec les pays d'Europe centrale et orientale et de l'ex-Union soviétique. Le Sommet a ainsi réaffirmé très clairement que l'Amérique du nord et l'Europe sont engagés de façon permanente pour leur sécurité commune et indivisible et il a signifié sa volonté de maintenir son aide aux opérations des Nations unies dans l'ex-Yougoslavie. Au vu des directives très claires et de la détermination renouvelée qui ont été exprimées lors du Sommet, le Comité militaire de l'OTAN, en association avec les plus hauts Commandants de l'OTAN, espère maintenant que ces décisions importantes et opportunes seront mises en pratique.


(1) Cf. texte in Revue de l'OTAN n° 4, août 1990, p. 32-33
(2) Cf. texte in Revue de l'OTAN n° 6, décembre 1991, p. 25-32.
(3)lbid.,p.l9-22.