Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 5
Oct. 1993
p. 33-35

Les conséquences de la guerre froide sur l'environnement

Jean-Marie Cadiou,
Secrétaire général adjoint de l'OTAN pour les affaires scientifiques et l'environnement

Les experts commencent seulement à percevoir toute l'ampleur des atteintes à l'environnement dues aux activités militaires menées à l'époque de la guerre froide. Ces activités ont provoqué, particulièrement en Europe centrale et orientale et dans plusieurs régions de l'ex-Union soviétique, de tels dommages à l'environnement, à la santé des populations et peut-être même au génotype humain que les conséquences s'en feront ressentir pendant des décennies et davantage encore dans le cas de certaines formes de contamination radioactive. Malheureusement, aucun de nos pays n'échappe aux problèmes engendrés par la contamination des sites militaires, la dévastation des paysages, la pollution des nappes phréatiques ou les atteintes à la faune et à la flore. Tout autour de nous, à l'Est comme à l'Ouest, l'atmosphère et les océans sont gagnés par la pollution.


La nature de ces problèmes se révèle de plus en plus catastrophique à mesure que l'on découvre de nouveaux sites endommagés et que l'on évalue mieux la portée réelle des dégâts sur les sites connus. C'est ainsi que, pour prendre deux exemples concrets, l'infiltration de polluants chimiques ou radioactifs dans les systèmes hydrographiques, et la corrosion des conteneurs jetés à la mer avec leur chargement d'armes chimiques ou de substances radioactives sont des phénomènes dont les effets ne se font sentir qu'à retardement.

Les très nombreux sites militaires fortement pollués par l'occupation des troupes soviétiques constituent un sujet de préoccupation majeure. Ces sites sont souvent très proches de zones urbaines. Le niveau de la contamination du sol et des eaux souterraines est très élevé et a déjà eu des conséquences très graves pour la santé publique. Eliminer les carburants, les métaux lourds, les munitions et autres substances contaminantes qui s'y trouvent est un processus extrêmement long et coûteux.

Comme l'ont révélé un certain nombre de publications russes depuis 1990, les centres d'essais d'armes nucléaires de l'ex-Union soviétique ont été le théâtre de centaines d'explosions en surface, qui, pendant des décennies, ont exposé les populations des environs à des taux de radioactivité élevés. Il faudra par exemple déployer des efforts considérables dans la région de Semipalatinsk, au Kazakhstan, et dans l'Altaï, en Russie sibérienne pour assainir l'environnement et rassembler des données essentielles relatives aux effets sur la santé humaine.

Ajoutons que la crainte pour la sécurité des populations constitue souvent un frein au démantèlement des armes chimiques ou nucléaires, et que ces populations, ou les institutions politiques locales qui les représentent s'opposent généralement au transport de telles armes vers leurs sites de destruction.

L'effort à déployer pour traiter à fond l'ensemble de ces problèmes est véritablement colossal. La société n'a pas aujourd'hui les moyens de mettre en œuvre rapidement une solution globale. Même en étalant l'action à mener sur plusieurs générations, il ne sera possible de parvenir à un degré d'assainissement satisfaisant qu'en établissant des priorités, en s'attaquant aux problèmes les plus urgents, ou en prévenant leur aggravation, et en élaborant au plus tôt des technologies beaucoup moins coûteuses que celles dont nous disposons actuellement.

Seule une coopération internationale destinée à mettre en commun les compétences et les ressources permettra de mener à bien les actions nécessaires, non seulement à cause de l'ampleur des problèmes, mais aussi parce qu'ils sont souvent de nature comparable d'un pays à un autre, ou encore parce qu'ils sont par essence transfrontaliers. A plus long terme, il faudra mettre au point des technologies nouvelles et radicalement moins coûteuses, afin de ramener le coût global de l'assainissement à l'intérieur d'une enveloppe financière abordable. Plusieurs perspectives prometteuses se dessinent, notamment les techniques de biorestauration et de traitement par fais-ceux électroniques, mais il faut établir une coopération internationale pour accélérer la mise au point de ces technologies.

Pour traiter des séquelles de la guerre froide sur l'environnement, l'OTAN peut tirer parti de toute l'expérience accumulée dans le domaine de l'environnement grâce aux programmes de son Comité scientifique et de son Comité sur les défis de la société moderne (CDSM). En outre, depuis la création du Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA), il est devenu possible d'aborder ces problèmes dans un cadre plus vaste.

Formé en 1991, après la dissolution de l'Organisation du Traité de Varsovie, le CCNA permet aux pays de l'OTAN de coopérer avec ceux d'Europe centrale et orientale et d'Asie centrale, dans des domaines de compétence et d'intérêt communs. Le CCNA a déjà démontré son utilité comme cadre de coopération et de consultation pour de nombreuses questions liées à la sécurité, à travers l'élaboration et la mise en œuvre de son Programme de travail. A l'occasion des contacts qu'ils ont avec le Comité scientifique et le CDSM dans ce contexte, les partenaires de la coopération ont clairement indiqué qu'ils attachaient une grande importance aux problèmes de l'environnement et ils ont commencé à contribuer aux travaux en apportant des informations jusqu'ici couvertes par le secret militaire.

Le champ des études du CDSM couvre à présent toute une gamme de préoccupations en matière d'environnement, y compris celles qui ont trait à la défense. Les nombreux scientifiques ayant participé à ces études forment un vaste réseau de compétences et d'expériences couvrant tous les pays de l'Alliance. Le cadre du CCNA permet désormais non seulement d'englober dans ce réseau des experts de tous les pays de la coopération, mais également d'y faire appel pour traiter des problèmes d'environnement intéressant tous les pays du CCNA.

A l'heure actuelle, trente études pilotes sont en cours dans des domaines tels que la prévention de la pollution, l'évaluation de l'impact sur l'environnement, l'équilibre du développement et l'étude des moyens de faire face aux catastrophes et aux accidents chimiques.

Les sujets de ces études pilotes sont proposés par les pays, et ce sont eux qui en assurent le financement. Chaque pays pilote, en collaboration avec les autres pays membres intéressés, organise et conduit les travaux et en diffuse les résultats. Des rapports sur l'état d'avancement des études sont soumis, à intervalles réguliers, à l'OTAN par les pays pilotes. Les études durent en général de trois à quatre ans. Au terme de chaque étude, un rapport et des recommandations sont transmis au Conseil de l'Atlantique Nord, puis éventuellement portés à l'attention des gouvernements de tous les pays membres. Les rapports techniques sont d'ailleurs disponibles sur demande et distribuables dans le monde entier.

La Norvège et l'Allemagne dirigent conjointement une étude pilote sur les problèmes d'environnement transfrontières liés aux activités de défense. Neuf pays partenaires de la coopération y participent: la Russie, les trois pays baltes, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et l'Ukraine. Cette étude comporte deux thèmes. D'une part, la pollution par des substances radioactives, principalement dans les océans et les cours d'eau et d'autre part la pollution chimique, y compris celle qui pourrait parvenir de l'élimination d'armes chimiques. Dans les deux cas, les zones géographiques concernées en priorité sont les mers de Barents et de Kara, la mer Baltique, la mer Noire et le bassin du Danube.

Les participants à cette étude acceptent maintenant de communiquer des informations sur le niveau de la contamination radioactive dans les mers de Kara et de Barents, ainsi que dans l'Arctique russe, alors qu'auparavant ces informations étaient tenues secrètes.

Ils ont également examiné les problèmes de contamination radioactive résultant de la perte accidentelle ou de la mise à la réforme de sous-marins nucléaires (comme le Komsomoletsk, coulé en mer de Norvège), problèmes qui ont vivement inquiété l'opinion publique ces derniers temps. Tous s'accordent à reconnaître la nécessité d'évaluer, non seulement les conséquences sur l'environnement marin et humain des niveaux actuels de radioactivité, mais également celles découlant des risques d'augmentation de ces niveaux, sous l'effet, par exemple, de la corrosion.

La pollution par les déchets radioactifs stockés à terre ou rejetés à la mer constitue également un sujet important de l'étude. Il existe en effet de nombreuses zones où des déchets nucléaires sont enfouis au mépris des normes internationalement admises pour la protection de l'environnement. La localisation et l'évaluation de ces sites sont considérées comme particulièrement urgentes.

Le stockage et la liquidation des armes chimiques posent des problèmes comparables. Cet aspect de l'étude a d'ores et déjà permis d'examiner les moyens de mesurer la contamination et d'identifier les différents agents chimiques en cause. L'étape suivante consistera en une analyse des risques, prenant en considération l'évaluation des processus de corrosion, d'écoulement et de dispersion, ainsi que les possibilités de propagation et de bioaccumulation locales.

L'OTAN est pleinement consciente que d'autres organisations s'intéressent à certains aspects de ces questions. Afin d'éviter tout double emploi, une liaison étroite a d'ailleurs été établie avec l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) et la Commission d'Helsinki (HELCOM).

Une deuxième étude pilote mérite d'être citée dans ce contexte. Elle porte sur l'évaluation des techniques de régénération appliquées aux terrains et aux eaux souterraines contaminés. Cette étude, dirigée conjointement par l'Allemagne, les Pays-Bas et les Etats-Unis, permet aux participants non seulement d'échanger des informations techniques et économiques sur les technologies utilisées, mais aussi d'établir un système uniforme de recueil de données. Cette étude s'appuie essentiellement sur des projets de démonstration qui permettent d'évaluer concrètement les résultats de l'application des différentes techniques de régénération. Entamée il y a cinq ans, elle a ainsi donné lieu à une trentaine de projets de démonstration concernant des technologies biologiques, chimiques, physiques et thermiques de traitement des déchets.

Cette étude a notamment conduit à la signature d'un accord de coopération bilatéral américano-allemand, portant sur des projets de démonstration relatifs à l'assainissement de terrains pollués. Par ailleurs, et également à la suite de cette étude, la Norvège a pu faire bénéficier un certain nombre de pays partenaires de la coopération de son aide et de ses compétences en matière d'environnement.


Les participants à cette étude travaillent désormais en liaison étroite avec des experts d'Europe centrale et orientale afin d'organiser un symposium qui se tiendra à Budapest l'année prochaine. Parmi les sujets qui seront traités figurent le transfert de technologies, ainsi que les équipements nécessaires pour faire face aux besoins urgents de ces pays.

D'autres études pilotes sont également en préparation. C'est ainsi, par exemple, que la Hongrie et la République tchèque proposent de mener en commun une action pour la décontamination des bases et installations militaires abandonnées par les troupes soviétiques. Dans les deux cas, les sites sont très proches de zones urbaines et il y a forte contamination des eaux souterraines.

L'OTAN et le CCNA constituent un cadre approprié pour traiter de ces questions et plus généralement de tous les problèmes d'environnement liés à la défense. La réorientation récente des activités du Comité scientifique de l'OTAN et de son Comité sur les défis de la société moderne, dans le cadre du Programme de travail du CCNA, permettent désormais à l'OTAN d'amplifier son action dans ce domaine.

Concrètement, je pense qu'il faut maintenant établir un plan d'action assorti de priorités, comprenant une évaluation des risques encourus, une base rationnelle pour décider de l'urgence avec laquelle ils doivent être traités, et une sélection des technologies de décontamination appropriées.

Je ne suggère pas la création d'une nouvelle agence ou l'attribution de ressources massives à un organisme centralisé. Je recommande plutôt qu'un effort concerté soit entrepris, en faisant largement appel aux institutions existantes, afin de partager les compétences et les ressources, et d'établir un plan rationnel pour affronter la menace qui pèse sur la sécurité de chacun d'entre nous. L'élaboration d'un tel plan, englobant tous les pays du CCNA, constitue une première étape essentielle dans l'élimination des séquelles les plus dangereuses et les plus durables de la guerre froide.

Il serait donc du plus haut intérêt que, lors de leur réunion à Bruxelles en janvier prochain, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN réaffirment la volonté de l'Alliance de s'attaquer à ce problème. Ce serait l'aboutissement naturel de deux récentes réunions au sommet de l'OTAN, celle de 1989 où les chefs d'Etat et de gouvernement ont déclaré leur intention d'intensifier les programmes de l'OTAN pour la sauvegarde de l'environnement, et celle de 1991, où ils ont approuvé la participation des partenaires de la coopération à ces programmes.

Il ne fait aucun doute qu'un programme international placé sous l'égide de l'OTAN et destiné à réparer les conséquences néfastes de la guerre froide sur l'environnement aurait une influence extrêmement importante et concrète sur l'avenir de l'OTAN comme sur celui du Conseil de coopération nord-atlantique.