Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 5
Oct. 1993
p. 3-7

Les oprations de maintien de la paix de l'ONU
et la coopration avec l'OTAN

Koffi A. Annan,
Secrétaire général adjoint des Nations unies pour les opérations de maintien de la paix

Le mois de juin dernier a marqué le quarante-cinquième anniversaire du premier déploiement d'une force de maintien de la paix des Nations unies. Vingt-neuf opérations ont été menées depuis lors, dont quinze toujours en cours, et deux sont en préparation. Nous sommes ainsi présents en Asie, en Afrique, en Amérique latine et en Europe. Dans un sens, nous constituons une entreprise en plein essor, bien qu'incontestablement sans but lucratif.

Il est donc peut-être temps de réfléchir au chemin parcouru et aux directions vers lesquelles il nous est encore possible d'aller. Face à des situations aussi préoccupantes que celles qui prévalent en Somalie, au Cambodge et en Bosnie, l'exercice n'est pas seulement approprié, mais essentiel.
Jamais depuis l'apparition du concept de maintien de la paix n'a-t-on autant songé qu'aujourd'hui à en rédéfinir la nature. Au cours des deux dernières années seulement, onze nouvelles opérations ont été mises sur pied. Cette prolifération est allée de pair avec une évolution du point de vue sur l'essence même du concept de maintien de la paix qui fut le nôtre pendant les quatre premières décennies de l'existence des Nations unies. La rapide multiplication des opérations dans ce domaine conduit également l'ONU à rechercher de nouvelles formes de coopération avec des groupes d'Etats membres déjà organisés pour mener des actions militaires conjointes, tels que l'OTAN.

Quels sont les facteurs qui ont entraîné cette expansion des opérations de maintien de la paix? La fin de la guerre froide a eu un impact substantiel sur l'échelle des opérations, et cette évolution, en même temps que celle propre aux Nations unies et au concept de maintien de la paix lui-même, a rendu cette action possible. Pour comprendre cette tendance, il convient d'examiner, du moins brièvement, les sources du maintien de la paix, la situation et les perspectives.

Principes et précédents

II est pratiquement impossible de définir une technique qui, presque à chaque fois qu'elle a été mise en oeuvre, s'est présentée sous un jour différent. Parfois au prix d'une certaine improvisation, le "maintien de la paix" a servi plusieurs objectifs: enquêter et faire rapport sur des situations explosives, exercer une surveillance des trêves et des cessez-le-feu, vérifier le respect des accords, établir des zones tampons entre des armées hostiles, contribuer à créer les conditions nécessaires à la mise en oeuvre d'accords complexes et apporter une aide humanitaire à des populations locales frappées par la guerre. Ajoutons que le concept de maintien de la paix tel que nous en sommes venus à le considérer n'est ni défini, ni proscrit dans la Charte elle-même, puisque la seule référence à des activités des Nations unies impliquant la force figure dans le chapitre VII (1), rarement invoqué en matière de maintien de la paix. Il s'agit plutôt d'un outil qui a largement été utilisé dans des situations où l'application du chapitre VI (2) de la Charte s'avérait inadéquate et l'utilisation du chapitre VII, impossible. C'est ainsi que le maintien de la paix est devenu, selon les termes mémorables de l'ancien Secrétaire général Dag Hammarskjold, "le chapitre six et demi".

La seule manière de définir le maintien de la paix, tel qu'il est pratique, est d'établir le profil des opérations menées à ce jour. Dans ce contexte, le maintien de la paix apparaît comme l'utilisation d'un personnel militaire, armé ou non, sous commandement international et avec le consentement des parties, pour contribuer à contrôler et à résoudre un conflit entre Etats hostiles, ou entre communautés hostiles au sein d'un Etat. Aussi claire que cette définition puisse paraître, elle est aujourd'hui partiellement remise en question par les événements.

Historiquement, le maintien de la paix a acquis les caractéristiques que nous venons de mentionner parce qu'il reflétait les tâches dont les Etats membres étaient prêts à confier la responsabilité aux Nations unies. L'absence d'unanimité au sein des membres du Conseil de sécurité tout au long de la guerre froide exigeait une navigation très prudente. La marge de manoeuvre était pour le moins étroite, et un certain niveau de finesse et de souplesse était indispensable pour tenir le cap.

Ce n'est qu'avec la fin de la guerre froide que les activités de maintien de la paix ont vraiment commencé à proliférer. Deux raisons expliquent cette situation: le nouvel accord régnant au sein du Conseil de sécurité a rendu possible une action plus large, tandis que le nouveau paysage politique, qui a vu des conflits prendre fin par manque de soutien d'une superpuissance et se fissurer certains Etats en raison de la disparition des pressions qui avaient longtemps assuré leur cohésion, l'a rendue nécessaire.

Les paramètres actuels

En ces nouvelles circonstances, les principes et pratiques de rigueur pendant la période de la guerre froide sont soudain apparus comme inutilement contraignants. A l'intérieur comme à l'extérieur de l'ONU, le concept de "maintien de la paix musclé" rallie désormais un nombre croissant de partisans. Lorsque les Casques bleus légèrement armés s'avérèrent impuissants en Somalie et en Bosnie, des Eta membres et l'opinion publique en général se pronoi cèrent en faveur d'une action plus énergique. Un nombre croissant de situations semble exiger ceti attitude et la Charte des Nations unies fournit l'autl rite légale pour y pourvoir.

Mais comment donc cette attitude "musclé peut-elle au s'exercer mieux? La tentation d'abordi divers problèmes avec plus de fermeté est nuancé par la désintégration de divers éléments de la défin tion que nous avons citée. Par le passé, la traditio voulait que les opérations aient le consentement d< parties impliquées. Dans les conflits actuels, corr ment définir une partie? Chaque faction dans l'e; Yougoslavie a-t-elle droit à ce titre? De même qu chaque tribu somalienne? L'article 2 de la Charl met en garde contre les interventions dans de domaines qui relèvent essentiellement de la juridit tion intérieure d'un Etat, mais il devient difficil d'appliquer ce principe lorsqu'il n'existe aucun autorité souveraine reconnue ou reconnaissable. pï le passé, le maintien de la paix limitait le recours à 1 force au cas de l'autodéfense, même si celle-ci poi vait être interprétée comme la défense de l'aptitude accomplir le mandat confié. L'idée de maintien de 1 paix n'en était pas moins toujours soumise au princi pe d'un recours minimum à la force, et les opération étaient mises en oeuvre par des contingents et de équipements rendant impossible toute mesure plu incisive. Les Casques bleus étaient déployés pou maintenir la paix et non pour faire la guerre avec pour arme essentielle, leur autorité morale et non leu puissance militaire.

Les conflits actuels en Somalie et en Bosnie on totalement modifié ces paramètres. Il n'est plus suf fisant de veiller au respect des accords ou de sépare les adversaires; la communauté internationale désir désormais que les Nations unies démarquent les fron tières, contrôlent et éliminent les armes lourdes, arrê tent l'anarchie et garantissent l'apport d'une aidi humanitaire dans les zones de guerre. Il s'agit mani festement là de tâches qui exigent de la "poigne" e des "muscles", en plus des qualités moins tangible: qui gouvernaient nos actions auparavant. En d'autre: mots, on exige de plus en plus souvent que lei Nations unies imposent la paix, comme envisagé i l'origine dans la Charte.

Perspectives de coopération avec l'OTAN

Concevoir la forme future que prendra l'action des Nations unies exige des prévisions de deux types: une extrapolation à partir des tendances actuelles ei
des réactions qu'elles suscitent, et la détermination de possibilités actuellement hors de portée.

Quel que soit le point de départ adopté, le premier et plus formidable obstacle est, et demeurera plus que probablement, la traduction des engagements en actes. A la lumière des nouvelles possibilités que le maintien de la paix présente, les Etats membres encouragent désormais des engagements d'une envergure et d'une profondeur que la communauté internationale ne pouvait aupravant imaginer. Au cours des derniers mois, un nouveau bataillon a été ajouté à la Mission d'observateurs Iraq-Koweït (UNIKOM), l'Opération somalienne (UNOSOM) a été réorganisée sur une échelle plus ambitieuse, la Force de protection dans l'ex-Yougoslavie (FOR-PRONU) a ravi à l'autorité de transition des Nations unies au Cambodge (UNTAC) le titre de plus vaste opération de maintien de la paix de l'histoire, tandis que des opérations ont commencé au Mozambique, en Géorgie et sur la frontière entre l'Ouganda et le Rwanda. Des missions en Haïti et au Libéria sont envisagées par le Conseil de sécurité.

La diversité de ces actions n'a d'égale que l'ampleur des activités envisagées. En janvier 1992, les Nations unies ont déployé 11.500 Casques bleus pour couvrir toutes les opérations alors à l'ordre du jour. Ajourd'hui, l'UNOSOM II constitue à elle seule une force de plus de 28.000 hommes en Somalie.

Toutefois, alors que le monde se rallie au principe de l'action collective, il s'avère incapable, dans la pratique, d'adopter des mesures en conséquence. En 1992, le rapport du Secrétaire général à l'Assemblée générale a fait apparaître un solde impayé de 723 millions de dollars, soit l'équivalent de 62 % du budget global de l'Organisation pour 1993. Sur la dotation de 1,1 milliard de dollars allouée jusqu'à présent pour 1993, 695 millions étaient encore impayés à la fin août. Une allocation supplémentaire de 800 millions de dollars a récemment été autorisée, qui sera bientôt réclamée aux Etats membres. Et derrière cette situation déjà très préoccupante se profile un scénario bien plus sombre encore.

Les Nations unies ne disposent d'aucun fond, d'aucun équipement et d'aucune force en réserve pour le maintien de la paix tel que nous le connaissons actuellement. Pour surmonter les problèmes frustrants de retards, de structure et d'échelle, relever le défi que suscite l'intérêt renouvelé et l'élargissement de nos mandats, il faut nous en donner les moyens. Un maintien de la paix musclé repose obligatoirement sur cette double base: un mandat et des moyens.

L'ampleur et la complexité mêmes des opérations de maintien de la paix font qu'il est impératif de trouver de nouveaux modes de coopération avec des organisations régionales telles que l'OTAN. Avec sa structure militaire, ses ressources et son envergure politique, l'OTAN peut avoir un poids considérable vis-à-vis du concept de maintien de la paix, surtout dans une forme plus musclée. Les opérations de plus grande ampleur, davantage orientées vers l'action, exigeront une plus grande sophistication des structures de commandement et de contrôle, ainsi que des équipements. Alors que le Conseil de sécurité a de plus en plus souvent recours à ses pouvoirs d'imposition de la paix aux termes de la Charte, les opérations des Nations unies doivent être dotées de moyens militaires et de protection ne se limitant pas, loin s'en faut, aux traditionnels blindés légers peints en blanc et aux armes de poing. Dans ce contexte, la volonté de l'OTAN de participer aux opérations des Nations unies, telle qu'elle est exprimée dans le communiqué publié à l'issue de la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord tenue en décembre 1992 et en juin dernier (3), renferme la promesse d'un considérable développement qualitatif et quantitatif des moyens d'action collective mis à la disposition des Nations unies.

Déjà, et en particulier dans le contexte des opérations menées dans l'ex-Yougoslavie, l'OTAN a offert plusieurs moyens dont elle dispose (4). Le système aéroporté de détection lointaine et des aéronefs de contrôle surveillent la zone d'exclusion aérienne que le Conseil de sécurité a décidé d'imposer au-dessus de la Bosnie-Herzégovine en octobre 1992. De plus, depuis avril 1993, des chasseurs et des avions de reconnaissance, désormais au nombre de cent et appartenant à des Etats membres de l'OTAN, fournissent les "muscles" nécessaires à l'imposition de l'interdiction de vols militaires décrétée par le Conseil. Enfin, en guise de nouveau précédent, des Etats membres agissant dans le cadre de l'OTAN fournissent depuis juillet 1993 une couverture aérienne de protection aux troupes de la FORPRONU opérant au sol, pour dissuader des attaques contre les "zones de sécurité" établies par le Conseil de sécurité.

Le processus de planification pour la mise en oeuvre du plan de paix Vance-Owen pour la Bosnie-Herzégovine est aujourd'hui abandonné, mais il a constitué une expérience utile tant pour l'OTAN que pour les Nations unies. L'ONU déclara clairement dès l'abord que cette opération, qui aurait exigé quelque 70.000 à 85.000 soldats, se situait au-delà de ses capacités de planification et de mise en oeuvre. Dans ce processus de planification, les deux organisations eurent l'occasion de se familiariser avec leurs formes de fonctionnement respectives, et l'on espère qu'elles collaboreront étroitement si un nouvel accord de paix devait intervenir en Bosnie au cours du dernier trimestre.

Il est évident que le commandement et le contrôle posent des problèmes lorsque deux organisations possédant leurs propres mécanismes de prise de décisions politiques et militaires doivent coopérer. Il ne fait aucun doute que le Conseil de sécurité constitue l'ultime autorité légale et - politique lorsqu'il s'agit de décider d'une opération des Nations unies. Le Conseil utilise cette autorité avec circonspection et insiste généralement pour conserver le contrôle des opérations de maintien de la paix et de la sécurité internationales qu'il a mandatées. Dans la plupart des cas, il confie au Secrétaire général la responsabilité de veiller à ce que ses résolutions soient fidèlement mises en oeuvre.

Mais, il a aussi, dans certains cas, adopté des résolutions autorisant des Etats membres ou des organisations régionales à mener des actions en rapport avec la paix et la sécurité internationales, comme dans le cas de l'opération Tempête du Désert ou encore de l'UNITAF menée en Somalie. Il est concevable que, dans le cas de la Bosnie, le Conseil demande au Secrétaire général d'exercer cette responsabilité en fournissant des lignes de conduite politiques et stratégiques générales par le biais de son représentant spécial, tout en laissant les décisions tactiques et opérationnelles aux soins d'un commandant de théâtre susceptible de recourir aux structures de commandement et aux compétences de l'OTAN pour diriger une force qui, pour l'essentiel, serait composée de troupes de l'Alliance. Comme on peut le comprendre, il est essentiel pour l'OTAN de déterminer à quel niveau de sa propre hiérarchie politique et militaire le commandement et le contrôle doivent relever du Conseil de sécurité par le biais du Secrétaire général des Nations unies. Les Etats membres de l'OTAN ont manifestement intérêt à conserver autant que possible le contrôle de leurs troupes. Cet intérêt ne devrait pas être difficile à concilier avec le souci des Nations unies de garder en main les rênes d'une opération mandatée par le Conseil de sécurité.

Cette question institutionnelle devra encore être débattue et précisée, mais il existe déjà de nombreuses perspectives de coopération à plus petite échelle. La plupart des pays membres de l'OTAN sont parmi les plus avancés au monde du point de vue technologique, et de nombreuses techniques sophistiquées mises au point par l'OTAN pourraient être utilement mises en œuvre dans des opérations de maintien de la paix. Des moyens techniques de surveillance, allant des simples avions téléguidés aux technologies de télédétection par satellite, pourraient contribuer à améliorer le rapport coût-efficacité de certaines tâches de routine liées au maintien de la paix, telles que l'observation et la surveillance, tout en réduisant le nombre de Casques bleus exposés à un environnement dangereux sur le terrain. Les Etats membres de l'OTAN disposent en outre de moyens logistiques et de transport aérien qui aideraient grandement à réduire les délais de réaction entre l'attribution d'un mandat par le Conseil de sécurité et le déploiement effectif des forces de maintien de la paix sur le terrain. Quant à l'apport d'un appui aérien rapproché aux troupes de l'ONU en danger, il reste d'une valeur incalculable.

Comme pour le concept de maintien de la paix proprement dit, la coopération entre les organisations chargées de l'exécution du mandat devra être développée au cas par cas. Aucun conflit susceptible d'impliquer des forces de maintien de la paix internationales n'est pareil à un autre. Les Nations unies ont une responsabilité globale liée à la paix et à la sécurité, tandis que la zone d'opérations de l'OTAN est, par définition, limitée à l'Europe. Il appartiendra dès lors aux membres de l'OTAN de déterminer dans chaque cas s'ils souhaitent contribuer individuellement ou collectivement au règlement d'un conflit déterminé. Il convient toutefois de toujours garder à l'esprit que l'objectif politique global reste de résoudre les différends par des voies pacifiques.

(1) Le chapitre VII concerne 1"'Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression".
(2) Règlement pacifique de différends.
(3) Pour le texte des communiqué de ces sessions ministérielles, voir Revue de l'OTAN, No. 6, décembre 1992, P. 28-31 et No. 3, juin 1993, p. 31-33.
(4) Pour une analyse plus détaillée de la contribution de l'OTAN aux forces de l'ONU dans l'ex-Yougoslavie, voir l'article de John Kriendler, "L'évolution du rôle de l'OTAN -les opportunités et les contraintes liées au maintien de la paix", Revue de l'OTAN, No. 3, juin 1993, p. 16-22.