Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 3
Juin 1993
p. 28-30

L'Argentine se rapproche de l'OTAN

Alberto Miguez
Correspondant diplomatique de
"La Vanguardia", Barcelone, Espagne

La République argentine est l'un des rares pays du continent latino-américain qui a profondément révisé sa politique extérieure et réévalué ses intérêts géostratégiques ces dernières années.

L'arrivée à la présidence de la République de Carlo Saul Menem en août 1989 a marqué un retournement complet de la politique extérieure de l'Argentine. La surprise fut d'autant plus grande que Menem était parvenu au pouvoir sous les couleurs du péronisme, doctrine politique du général Juan Domingo Peron qui, dans les années quarante et cinquante se traduisit, du point de vue diplomatique, par un certain isolement sur le continent hispano-américain et au-delà.

La présence de bâtiments argentins pendant le conflit avec l'Iraq et la participation à des opérations pour la sauvegarde de la paix, sous l'égide des Nations unies, témoignent de la magnitude et de l'ambition de ce changement. L'Argentine a abandonné le "Mouvement des pays non-alignés" dont elle était membre fondateur parce que, selon le porte-parole du gouvernement de Buenos Aires, il ne répondait plus aux intérêts nationaux actuels. L'ancienne politique extérieure qui, d'après le ministre des Affaires étrangères, a créé des "liens exotiques", a séparé l'Argentine des pays qui avaient les mêmes affinités historiques, culturelles, politiques et géographiques.

Mais ce processus de changement s'est non seulement attaqué à la politique extérieure et la sécurité, mais encore à l'économie et aux finances. Le président Menem et son puissant ministre des finances et ancien ministre des Affaires étrangères, Domingo Cavallo, adoptèrent un ambitieux programme de privatisations, touchant les grandes compagnies publiques y compris les industries de défense. Ils lancèrent en même temps, un plan de convertibilité monétaire instituant la parité du "peso" avec le dollar américain. Les résultats de ce traitement de choc ne se firent pas attendre: l'hyperinflation des années passées (en 1989, dernière année du mandat présidentiel de Raul Alfonsin, on battit un record mondial: 26.000% de taux annuel), se cantonna dans un modeste 9% annuel, le chômage fut ramené de 14 à 6% les deux dernières années et le déficit public a été spectaculairement réduit. Bien évidemment certains secteurs sociaux ont payé le prix fort pour ces réformes radicales et, au mois de novembre dernier, le président Mènera a dû affronter la première grève générale de son mandat, organisée précisément par les puissants syndicats péronistes qui avaient soutenu sa candidature.

La politique extérieure

L'actuelle politique extérieure de l'Argentine est fondée sur une nouvelle perception des intérêts géostratégiques et de sécurité du pays. Le soutien au système de sécurité collective des Nations unies, l'affermissement des mécanismes régionaux de sécurité, la nécessité d'un système de réponse "hémisphérique", le renforcement des accords régionaux d'intégration économique comme Mercosur (l), les accords de coopération économique et politique avec les pays voisins constituent les bases de ce projet.

C'est dans le cadre de cette nouvelle projection internationale qu'il faut situer l'actuel processus de rapprochement de l'Alliance, en cours de développement. Le 29 septembre dernier, le ministre argentin des Affaires étrangères, Guido di Telia, se rendit au siège de l'OTAN. Il exposa devant le Secrétaire général de l'Organisation et les représentants permanents des pays membres, la politique de son pays en matière de sécurité et de non-prolifération. Le ministre s'est d'abord sommairement référé à la politique extérieure du passé ou déclara-t-il "notre pondération erronée poussa l'Argentine à adopter une politique extérieure théoriquement universaliste mais en réalité isolationniste". Il a ensuite annoncé que son pays avait cessé de développer des systèmes de missiles (en particulier le "Programme Condor II"), puisqu'il ne s'intéressait plus aux activités stratégiques spatiales.

En ce qui concerne le système de sécurité collective défendu par les Nations unies, M. di Telia estime qu'il est insuffisant surtout dans certaines zones, comme l'Atlantique Sud par exemple, où il n'existe aucune organisation, ni de système collectif de sécurité et de défense. En dépit des efforts de l'Argentine et de ses voisins, en particulier le Brésil et le Chili, pour adopter des mesures de confiance et de transparence dans le domaine de la sécurité, la situation présente certaines carences.

Le ministre évoqua aussi les relations entre son pays et le Royaume-Uni, totalement normalisées après la rupture qui suivit la guerre des Malouines. Les liens économiques et commerciaux se sont considérablement resserés dernièrement entre les deux pays et, à l'avenir, le renforcement de la coopération bilatérale contribuera au désamorçage d'un dangereux foyer de tension dans l'Atlantique Sud. "La querelle sur la souveraineté (des îles Malouines, Géorgie et Sandwich du Sud) persiste", affirma néanmoins di Telia "et l'Argentine maintiendra ses droits sur ces territoires". Mais malgré tout, les deux gouvernements souhaitent développer leurs relations économiques, commerciales et politiques. L'Argentine et le Royaume-Uni ont traditionnellement entretenu une relation spéciale, mutuellement bénéfique. C'est au moment où l'Argentine était étroitement liée au Royaume-Uni qu'elle a connu sa plus grande prospérité. La renaissance politique et économique de mon pays, devrait créer une nouvelle époque tout aussi prospère".

"Au nom du renforcement de la stabilité dans l'Atlantique Sud, l'Argentine", ajouta le ministre di Telia "est favorable à un dialogue multinational, pour étudier l'éventuel établissement de mécanismes de coopération dans cet espace maritime"; l'Atlantique Sud est l'une des rares régions du monde qui ne bénéficie d'aucun accord spécifique sur la sécurité, ni d'aucun autre accord. Etant donné que "depuis l'après-guerre, l'OTAN a été le pilier des fondements du monde occidental et qu'elle est un moyen et un élément efficace pour la stabilité du monde, l'Argentine tient à resserrer les liens avec l'Alliance". Et il poursuivit: "Notre intérêt est le dialogue et la consultation avec l'OTAN" et le chef de l'Etat-Major de l'Armée argentine, l'amiral Ferrer, a formulé des propositions concrètes de coopération dans ce sens comme, par exemple, autoriser la participation d'un bâtiment de guerre argentin aux manœuvres des forces navales permanentes de l'Atlantique (STANAVFORLANT). M. di Telia rappela que deux des partenaires de l'Alliance (les Etats-Unis et le Canada) font aussi partie des "Amériques" et qu'ils participent à l'Organisation des Etats Américains (OEA), organisation qui rassemble tous les états du continent américain et les Caraïbes.

Une relation professionnelle et technique avec l'OTAN

Au cours d'un entretien à Buenos Aires avec le professeur Julio Cirino, l'amiral Jorge Ferrer précisa ultérieurement sa proposition présentée par M. di Telia à Bruxelles. L'Argentine recherche une relation professionnelle et technique avec l'OTAN, au sein d'une interopérabilité avec les unités navales de l'Alliance. Lors de l'intervention dans le Golfe, l'Argentine a intégré la coalition multinationale aux côtés de pays tous membres de l'OTAN sauf
l'Australie. Les coordinations et les processus d'interopération qui ont été nécessaires ont évidemment pris quelques jours. Mais, comme il n'existait à ce moment-là aucune menace navale importante, cette perte de temps était acceptable. A l'avenir, dans une situation différente, cela pourrait cependant s'avérer impossible.

Etant donné, assura l'amiral, que toute action future dans le monde, contre des pays ou des groupes fauteurs de troubles, doit obtenir une forte légitimité, proportionnelle au nombre de pays participants, une éventuelle interopérabilité avec l'OTAN accroîtrait cette légitimité, au moment d'une action mondiale pour neutraliser une crise ou pour défendre les plus hautes valeurs de l'humanité: liberté, paix, justice et développement.

Un organisme de sécurité dans L'Atlantique Sud

D'après l'amiral Ferrer, la constitution d'un organisme de sécurité dans l'Atlantique Sud est une autre priorité politique et géostratégique de l'Argentine. Le chef de l'Armée argentine est persuadé qu'après l'échec de projets comme l'OTAS (Organisation du Traité de l'Atlantique Sud) et d'autres aussi ambitieux, on pourrait utiliser l'Accord AMAS (Contrôle de la zone maritime de l'Atlantique Sud) dont font partie le Brésil, l'Uruguay, le Paraguay et l'Argentine. Il faudrait renforcer et élargir l'Accord, le rendre multiconti-nental, afin que certains pays africains concernés, comme l'Afrique du Sud et le Nigeria, puissent y coopérer. On pourrait aussi y convier des pays qui se trouvent "hors zone" comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Espagne et l'Italie. Les objectifs de la nouvelle organisation seraient les suivants: assurer les voies maritimes de communication, la protection de l'écologie et de l'équilibre de l'écosystème, ainsi que le maintien de la légalité internationale dans les normes d'exploitation des ressources maritimes, la recherche, etc... La proposition de l'amiral Ferrer a bien entendu des limites. L'AMAS rénové deviendrait une organisation à caractère uniquement aéronaval. Les deux grands pays de l'Amérique du Sud, l'Argentine et le Brésil, comme l'Afrique du Sud, ont encore de grandes ambitions, même s'ils ne les ont pas encore précisées dans un projet associatif de sécurité. Or les conditions pour mener à bien ce projet sont réunies surtout depuis que les relations entre l'Argentine et l'Afrique du Sud sont à tous points de vue très étroites.

"Ni le monde occidental, ni l'OTAN ne peuvent ignorer ce qui se passe dans l'Atlantique Sud", a déclaré récemment le président Menem au cours d'un long entretien que j'ai eu avec lui à la Quinta Olivos, sa résidence officielle dans les environs de Buenos Aires.

"Nous sommes parfaitement conscients" a-t-il ajouté, "qu'il n'existe pas de statut de pays observateur dans l'Alliance et que par simple logique géographique, nous ne pourrons jamais entrer dans une organisation de l'Atlantique Nord. Mais nous souhaitons instituer un système de coopération et de consultation stable avec l'Alliance. Il en va de notre intérêt commun. L'Atlantique est un espace indivisible et sa sécurité aussi".

(1) Mercosur: Marché Commun du Sud composé de l'Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay.