Edition Web
Vol. 41- No. 2
Avril 1993
p. 4-9
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Préparer
le terrain pour les activités de maintien de la paix de l'Alliance
Salvo Andò,
Ministre de la Défense de l'Italie
La fin de la guerre froide a sonné le glas de la confrontation
entre les deux blocs et, en ce qui concerne l'Occident, éliminé
la menace massive que représentaient l'Union soviétique
et le Pacte de Varsovie.
Cette transformation historique de l'équilibre global est allée
étroitement de pair avec une accélération du processus
de désarmement nucléaire et conventionnel et un accroissement
de la capacité des Nations unies à contribuer à la
stabilité, grâce à un degré accru de convergence
entre les membres permanents du Conseil de sécurité quant
aux objectifs à atteindre.
Toutefois, cette évolution positive a également contribué
à enrayer le mécanisme qui avait jusque là maintenu
sous contrôle les foyers de crise. C'est ainsi que nous avons assisté
à l'émergence de tensions et de risques nouveaux, qui -
loins d'être contrôlables - se sont multipliés et propagés,
défiant tous les efforts de la communauté internationale
pour les stabiliser. Il en résulte que le contexte stratégique
actuel, caractérisé par l'instabilité et les tensions,
exige un considérable engagement aux niveaux politique et militaire.
Il est dit que l'histoire tend à se répéter. En effet,
même les événements auxquels nous avons assisté
ces dernières années ne sont pas nouveaux puisque, dès
le XVIIIème siècle, des stratèges avaient identifié
ce qu'ils classaient dans la catégorie des "petites guerres".
Ajoutons que la période de la guerre froide eut elle aussi sa part
de guerres périphériques, n'impliquant pas directement les
deux superpuissances et leurs alliés ou satellites respectifs.
Ces différends parfois violents à la périphérie
des principaux systèmes d'alliance servaient de baromètre
de l'équilibre global et étaient, en général,
rapidement maîtrisés dès qu'ils semblaient susceptibles
d'échapper à tout contrôle.
Mais de tels scénarios sont plus dangereux aujourd'hui que par
le passé, en raison de la plus grande sophistication des instruments
guerriers et du radicalisme idéologique, ethnique et religieux
à la base des tensions. Outre les guerres de partisans et de guérillas
traditionnelles, on assiste à une prolifération des crises
militaires intérieures et internationales qui, si elles n'affectent
pas directement l'équilibre et la sécurité au niveau
mondial, minent la stabilité régionale, menacent des populations
entières d'extermination par la famine et entravent l'établissement
d'un nouvel ordre international reposant sur la coopération et
la primauté du droit, auquel tout le monde aspirait après
la chute du Mur de Berlin. Dans ces circonstances, il est impératif
que nos pays ne soient pas victimes de l'euphorie de l'après-guerre
froide. Les fameux dividendes de la paix, que nous ne devons cesser d'appeler
avec détermination, ne doivent pas nous empêcher de maintenir
un engagement politique fort. Cet engagement est vital du point de vue
militaire, mais difficile du point de vue opérationnel en raison
de l'étendue géographique de la zone à couvrir et
très onéreux du point de vue économique.
Ces petites guerres, crises régionales et foyers de tensions ethniques
et religieuses exigent que l'on repense les garanties traditionnelles
en matière de sécurité, tant au niveau collectif
qu'au plan des moyens militaires nationaux.
Paradoxalement, tout au long de la guerre froide, l'équation stratégique
était relativement simple. La paix mondiale était certes
entachée par un degré élevé de tension, mais
elle était assurée par l'équilibre de la terreur.
Le monde était divisé entre ceux qui assuraient la sécurité
et ceux qui en bénéficiaient. Les cartes sont aujourd'hui
redistribuées, et le changement de rôles a engendré
une situation dans laquelle les pays de l'OTAN sont à la fois les
garants et les bénéficiaires de la sécurité.
L'époque de la confrontation étant reléguée
au passé, nous nous orientons vers une structure internationale
beaucoup plus complexe, dans laquelle de nombreuses organisations doivent
interagir pour assurer une stabilité qui continue à nous
échapper.
Très récemment encore, la situation en Europe donnait l'impression
- aussi trompeuse qu'elle pût être - que le contexte dans
lequel nous vivions était sûr et immuable. Avec leurs arsenaux
nucléaires et conventionnels, l'OTAN et le Pacte de Varsovie se
faisaient mutuellement face, dans une situation d'une apparente stabilité.
Depuis plusieurs années déjà, nous cherchons à
établir en Europe une architecture de sécurité en
coopération, reposant sur un réseau d'institutions interdépendantes
telles que la CSCE, l'OTAN, la Communauté européenne, l'UEO,
etc. Cet objectif, qui a suscité des espoirs trop grands pour être
abandonné en dépit des formidables obstacles à surmonter,
s'avère beaucoup plus difficile à atteindre que prévu.
Dans cette situation plus complexe, qui s'apparente à de nombreux
égards au contexte international prévalant à la veille
de la Première guerre mondiale, il est nécessaire de réviser
nos accords opérationnels.
Le débat sur les opérations "hors zone"
L'OTAN, qui personnifie non seulement la solidarité transatlantique
mais également l'engagement militaire américain envers l'Europe,
représente l'instrument le plus immédiatement disponible
et, surtout, le plus crédible pour relever les nouveaux défis.
Evidemment, je veux dire par là une Alliance qui ait procédé
aux adaptations nécessaires pour mener à bien un nouveau
type de mission, tout en préservant son rôle original de
garant de la défense de ses membres, car les risques qui ont aujourd'hui
perdu en gravité, voire disparu, pourraient réapparaître
avec une virulence renouvelée.
Le Sommet de l'Alliance qui s'est tenu à Rome en novembre 1991
a fourni les fondements devant permettre à l'OTAN d'assumer la
tâche nouvelle et très importante qui consiste à contribuer
au maintien de la stabilité en Europe. Cette avancée majeure
a été consolidée par la création, le mois
suivant, du Conseil de coopération nord-atlantique. Sans altérer
la composition originelle de l'OTAN, ni diluer la cohésion forgée
tout au long de quarante années d'efforts en commun, cet organisme
a rendu possible la création d'un lien direct avec les anciens
adversaires de l'Alliance, dont la Russie, qui se sentent désormais
unis, comme tel doit être le cas, dans la construction de l'avenir
de l'Europe.
L'apparition d'un cadre nouveau sur le continent, et la fréquence
accrue de crises d'une nature différente de celles pour lesquelles
l'OTAN fut conçue à l'origine, ont suscité un débat
sur le thème des "problèmes hors zone". Ce débat
implique que les compétences de l'Alliance doivent être repensées.
L'expression "hors zone" elle-même peut, en fait, s'avérer
imprécise, tant du point de vue linguistique que conceptuel.
Lorsque l'on se réfère aux objectifs de l'Alliance atlantique,
le concept s'applique, en réalité, non à la situation
géographique, mais à l'aspect fonctionnel, c'est-à-dire
qu'il pose la question de savoir si l'OTAN peut assumer des responsabilités
autres que la défense de ses membres, comme stipulé par
l'article 5 de son Traité.
L'expérience de ces dernières années révèle
qu'il existe un consensus de plus en plus large parmi les alliés
- presque dicté par les circonstances - sur la compétence
de l'OTAN concernant la conduite d'opérations humanitaires et de
maintien de la paix pour le compte des Nations unies et de la CSCE, débordant
ainsi le cadre des situations hypothétiques envisagées dans
l'article 5. Cette évolution dans l'interprétation du Traité
n'a pas de quoi surprendre lorsque l'on songe que, même pendant
la guerre froide, l'Alliance atlantique souscrivit toujours à une
vision élargie de la sécurité, ne se limitant pas
à la seule protection de l'intégrité territoriale
de ses Etats membres.
De fait, il apparaîtrait curieux que nous nous imposions des limites,
étant donné que les pays membres du Conseil de coopération
nord-atlantique, qui appartiennent à une région géographique
bien plus vaste que la nôtre, ont fait part au sein de cette enceinte
de leurs espoirs de voir l'OTAN procéder à des actions incisives
aux conséquences considérables.
Les relations avec l'UEO
II est à espérer que la question des actions hors zone de
l'Alliance sera plus facile à aborder grâce au fait que,
en dépit des malentendus et de la réticence de certains
à accepter le changement, il semble que le problème de l'harmonisation
de ce nouveau rôle atlantique avec l'implication de l'UEO soit désormais
résolu. Un début d'équilibre entre ces deux organisations
se profile parce que nous affrontons le problème sans idées
préconçues, persuadés que les cadres atlantique et
européen ne doivent pas seulement coexister, mais se renforcer
mutuellement.
L'OTAN et l'UEO décideront qui doit entreprendre une initiative
humanitaire ou de maintien de la paix, quelle qu'elle soit, sur base de
critères pragmatiques dépendant de la nature de la crise
et de la région où elle a lieu. Un facteur ressort très
clairement: toute intervention de l'OTAN implique un engagement plus actif
de la part des Etats-Unis, avec toutes les conséquences politiques
et militaires qui pourraient en découler.
D'autre part, pour ce qui a trait à une éventuelle intervention
humanitaire, l'OTAN pourrait bénéficier d'une contribution
plus substantielle de son pilier européen, qui serait parallèlement
renforcé par l'émergence d'une identité européenne
de défense. L'interaction entre l'OTAN et l'UEO devrait faire percevoir
davantage le rôle des pays occidentaux qui, dans l'ensemble, sont
appelés à fournir une base politique et opérationnelle
en vue d'aider à résoudre les crises et à empêcher
qu'elle ne s'étendent.
Le cas de l'ex-Yougoslavie, et les lacunes qu'il a montré dans
la capacité de la communauté internationale à agir,
confirment que l'Occident doit de toute urgence concevoir des moyens efficaces
pour traduire en actes concrets son intention de jouer un rôle dans
le règlement des nouveaux phénomènes qui entachent
la scène internationale.
Avec les nouveaux horizons qui s'ouvrent à l'OTAN et à l'UEO
se profilent toutefois des problèmes de nature militaire et juridique.
Au niveau militaire, l'Alliance a adopté un nouveau concept stratégique,
qui répond pleinement aux exigences de la sécurité
dans l'après-guerre froide et définit les critères
sur lesquels une action stabilisatrice doit reposer.
Les pays membres, pour leur part, ont entrepris un ambitieux programme
de restructuration de leurs forces armées afin d'améliorer
l'interopérabilité, la souplesse et la mobilité,
de manière à répondre plus efficacement aux menaces
de type nouveau et aux exigences des actions de maintien de la paix. La
configuration nouvelle de leurs forces militaires respectives devrait
également tenir compte des réductions des budgets de défense
opérées dans le contexte global de diminution des dépenses
publiques en cette période de crise économique généralisée.
Ces mêmes conditions invitent également à renforcer
la coopération dans les secteurs de la technologie et des industries
de défense, dont la rentabilité doit être accrue afin
de faire face aux exigences d'un marché moins prospère mais,
dans bien des cas, plus sophistiqué. Le nouveau modèle de
défense italien répond à ces objectifs.
Des problèmes constitutionnels
Du point de vue juridique, des questions qui auraient été
inconcevables il y a quelques années encore sont dorénavant
posées.Nos systèmes constitutionnels ont été,
dans l'ensemble, conçus pour faire face à deux situations
très distinctes: un état de paix et un état de guerre.
En général, des procédures spécifiques existent
pour la déclaration de guerre. C'est ainsi que, en cas d'état
de guerre, des normes précises doivent être appliquées
aux activités militaires comme aux institutions civiles.
Quelles seront alors les conséquences juridico-constitutionnelles
d'interventions qui, bien que de nature militaire, se dérouleront
dans des circonstances autres qu'un état de guerre classique et
se singulariseront par des règles d'engagemement et un recours
à la force pouvant varier considérablement en fonction de
la situation? Chaque pays dispose d'arrangements qui lui sont propres
pour de telles éventualités. Il peut donc être utile
de procéder à une analyse du système juridique italien,
dans l'espoir qu'il puisse fournir une base de comparaison par rapport
à l'expérience des autres alliés.
A cet égard, il est nécessaire de faire la distinction entre
les conflits non déclarés, qui menacent la sécurité
nationale, comme ceux qui se sont produits dans la région méditerranéenne
au cours de la dernière décennie, et les opérations
humanitaires auxquelles l'Italie participe en tant que membre de diverses
organisations internationales.
S'agissant des premiers, la référence appropriée
doit être trouvée dans l'article 78 de la Constitution italienne,
qui déclare que "les Chambres du parlement délibéreront
sur l'état de guerre et conféreront au gouvernement les
pouvoirs appropriés". Il est en outre utile de se référer
à d'autres législations existantes relatives à l'état
de guerre.
Notons toutefois que la Constitution fait uniquement mention des délibérations
et de la déclaration de l'état de guerre dans le sens classique.
Il faudrait donc l'amender pour couvrir le type de situations auquel nous
devons faire face aujourd'hui. Un problème crucial qui se pose
en particulier est celui du contrôle parlementaire pendant un état
de belligérance qui n'est ni proclamé, ni déclaré;,
autrement dit, les procédures parlementaires en cas d'urgence,
de crise, de conflits de petite envergure ou de toute situation impliquant
le recours aux forces armées mais qui, par nécessité
ou volonté expresse, ne fait pas l'objet d'une déclaration
de guerre telle que stipulée par l'article 78. Des cas de ce genre
peuvent néanmoins exiger ce que l'on appelle une "loi d'indemnité",
destinée à couvrir les différentes dépenses
ou à conférer au gouvernement les "pouvoirs nécessaires".
Il est vrai qu'en l'absence de dispositions constitutionnelles pour affronter
de telles circonstances, les organes constitutionnels ont élaboré
au cours de la dernière décennie des dispositions pratiques
qui, si l'on s'en réfère à des experts juridiques
faisant autorité, ont d'ores et déjà abouti à
de véritables conventions à caractère constitutionnel.
Suivant les mêmes critères, l'action entreprise par le gouvernement
a toujours bénéficié, dans chacun des cas, du consentement
du chef de l'Etat et du Parlement, dans les formes appropriées
et en accord avec leurs compétences respectives. Compte tenu de
la nécessité d'avoir une certitude et pour les besoins d'une
actualisation de la Constitution, il serait néanmoins avisé
d'amender celle-ci de manière appropriée, comme l'ont d'ailleurs
déjà fait d'autres alliés. La législation
ordinaire exige également une réforme urgente. Les normes
existantes datent de 1938 et, dans ce cas, une révision paraît
nécessaire, non seulement pour les moderniser afin qu'elles répondent
aux nouveaux types de conflits, mais également pour les adapter
aux principes et institutions constitutionnelles.
Le passé récent offre d'ailleurs différents exemples
de situations dans lesquelles des Etats ont recouru à l'usage de
la force. Bien que de dimension internationale, en ce sens que des forces
armées furent déployées contre d'autres Etats ou
sur un territoire étranger, les incidents en question ne peuvent
pas vraiment être classés dans la catégorie des guerres
véritables.
Les exemples les plus manifestes sont les cas d'actions de forces armées
à des fins de dissuasion ou de sanctions, mais limitées
par leurs objectifs même, à savoir empêcher ou contrer
un acte d'agression ou une menace à rencontre de la sécurité
internationale. En l'espèce, si une organisation internationale
dont l'Italie est membre, comme stipulé dans l'article 11 de la
Constitution, prend une décision visant à autoriser une
réponse appropriée à une transgression hypothétique,
la participation italienne à l'initiative ne relèverait
pas d'un contrôle parlementaire direct, comme ce serait le cas si
un "état de guerre" était déclaré.
S'il en allait autrement, le sens profond de l'article 11 serait infirmé,
la conséquence étant que la participation de l'Italie à
des organisations internationales doit être considérée
comme un simple signe de notre volonté de rechercher des actions
concertées et coordonnées avec d'autres Etats membres, mais
toujours avec une autorisation parlementaire préalable et spécifique
pour toute décision impliquant le recours à la force.
De toute façon, ces situations n'engloberaient pas les actions
impliquant le recours à la force que l'Italie pourrait être
appelée à entreprendre - éventuellement de concert
avec d'autres Etats avec lesquels elle a conclu des traités d'assistance
mutuelle - avant l'intervention d'une décision collective prévoyant
la mise en oeuvre de mesures pour restaurer la paix internationale.
Etant donné qu'une action de ce type peut être considérée
comme un exercice du droit de donner légitimité à
l'autodéfense, c'est-à-dire celle rendue nécessaire
pour sauvegarder l'intégrité territoriale et la souveraineté
d'un pays dans l'attente d'une réaction adéquate de la communauté
internationale, toutes les mesures éventuelles seraient également
soumises à des formes de contrôle parlementaire totalement
différentes de celles stipulées par la Constitution pour
un état de guerre déclaré.
D'autres situations récentes ont, elles aussi, fait ressortir la
nécessité urgente d'envisager de nouveaux mécanismes
pour garantir des relations équilibrées entre les organes
constitutionnels en cas de crise internationale impliquant les forces
armées italiennes. Je veux parler des cas où, suite à
des accords avec les Etats intéressés, les forces militaires
italiennes sont déployées en dehors du territoire national
afin de sauvegarder certains principes fondamentaux gouvernant les relations
entre Etats, tels que la liberté de navigation dans les eaux internationales
ou, avec le consentement de l'Etat détenant la souveraineté
sur le territoire en question, de garantir des conditions de sécurité
et une stabilité intérieure qui, autrement, ne pourraient
être assurées. Dans des cas de ce genre, un organe approprié
pour l'exercice du contrôle parlementaire pourrait être désigné
dans le document d'approbation de la loi qui autorise l'activité
en question. Toutefois, de tels accords doivent souvent être négociés
et mis en oeuvre dans des conditions d'urgence. Il pourrait donc être
utile de rechercher d'autres formes de collaboration et de dialogue entre
organes constitutionnels, sans pour autant enfreindre le précepte
constitutionnel exigeant que les accords politiques internationaux soient
soumis au parlement pour approbation.
D'autre part, lorsque l'autorisation parlementaire est exigée ainsi
que le stipule l'article 80 de la Constitution, et même si l'accord
en question porte sur une activité que l'on ne peut pas véritablement
qualifier de recours à la force dans les relations internationales,
il serait souhaitable que le contrôle parlementaire ne s'exerce
qu'au moment où le cadre international gouvernant l'activité
concernée est défini. De toute évidence, l'autorisation
parlementaire devrait pouvoir couvrir adéquatement tout accord
susceptible d'être conclu avec d'autres partenaires, et également
garantir une réponse appropriée par des forces engagées
en territoire étranger, si elles étaient attaquées.
Il est plus important encore de concevoir des formes de collaboration
entre les organes constitutionnels pour les cas où la présence
de forces armées en territoire étranger n'est pas justifiée
par un accord international. Cela inclut les opérations de maintien
de la paix, menées par des forces militaires en territoire étranger
où règne la guerre civile et où aucun gouvernement
stable n'exerce son contrôle.
Le cas de l'"ingérence" humanitaire est tout à
fait différent. Bien qu'elles impliquent le recours à la
force et posent donc également un problème concernant le
respect des compétences et procédures sanctionnées
par la Constitution, les actions humanitaires ne servent aucun des objectifs
liés à la protection de la sécurité nationale.
Elles visent plutôt à promouvoir la paix par le biais de
la défense des droits de l'homme dans les pays où de tels
droits sont violés de façon systématique et brutale.
La référence pertinente dans la Constitution italienne est
l'article 11, qui déclare que "l'Italie considère la
guerre comme un instrument qui porte atteinte à la liberté
d'autres peuples et la rejette comme moyen de résoudre les conflits
internationaux; elle accepte, dans des conditions de parité avec
d'autres Etats, les limites de souveraineté que pourraient justifier
la mise en application de dispositions visant à garantir la paix
et la justice entre les nations; elle encourage et soutient les organisations
internationales oeuvrant à cette fin".
Il a été démontré de façon convaincante
que, comme la proclamation du renoncement à la guerre, l'acceptation
de limites de souveraineté nécessaires à la paix
et à la justice entre les nations est l'expression, transposée
au niveau des relations entre Etats, des principes de préservation
de la paix, de la solidarité et de l'équité. Toutefois,
si la première proposition exprime ces principes en termes négatifs,
par le biais de l'interdiction d'agir en opposition avec eux, la seconde
les formule en termes positifs, en fixant des voies d'action visant à
la réalisation concrète des objectifs.
Il s'agit donc des mêmes idéaux, mais les méthodes
pour les atteindre sont différentes. Il convient d'ajouter que,
si la renonciation à la guerre (un appel négatif dans le
sens défini ci-dessus) est formulée d'abord et avant tout
en tant qu'engagement solennel de l'"Italie", les valeurs de
paix et de justice entre nations (le même idéal exprimé
en termes positifs) sont évoquées en relation avec les "dispositions
pour garantir" ces valeurs.
Sur la base de cette formulation des notions, on peut dire que, d'après
sa Constitution, l'Italie s'engage à renoncer à la guerre
offensive et aussi à oeuvrer positivement pour la paix, mais que
l'on ne peut servir ce second objectif qu'à condition d'accepter
les limites de souveraineté nécessaires à l'établissement
des dispositions pour assurer la paix et la justice entre les nations,
ainsi qu'en "encourageant et en soutenant les organisations internationales
qui oeuvrent à cette fin". Au cours des sessions de l'assemblée
constitutionnelle italienne, il a d'ores et déjà été
constaté qu'il convenait d'étendre le concept traditionnel
de défense, pour qu'il englobe la protection d'intérêts
autres que la sécurité de l'Etat. Ainsi, d'après
certains des protagonistes de ce débat, il serait possible d'entrer
en guerre "non pour l'intérêt spécifique d'une
nation, mais dans l'intérêt général de la paix".
Mais une telle hypothèse, qui élargit assurément
l'éventail des situations dans lesquelles la guerre est acceptée
au-delà de la nécessité purement défensive
de protéger le territoire national, confirme ce que nous avons
dit plus haut, puisque la question concernant la définition de
"l'intérêt général de la paix" et
les mesures à adopter en conséquence ne peut être
tranchée que par les organisations internationales dont l'Italie
est membre, et qui peuvent et doivent développer l'action politique
pour promouvoir et défendre les droits de l'homme, surtout dans
les cas de violations flagrantes.
En outre, l'interprétation de l'article lia considérablement
évolué. Il suffit de se souvenir de l'appartenance de l'Italie
au cadre juridique de la Communauté européenne pour constater
qu'une doctrine désormais unanimement approuvée et une jurisprudence
constitutionnelle unifiée y trouvent leurs fondements. Et il en
va ainsi en dépit du fait que l'assemblée constitutionnelle
ait rejeté un amendement visant à spécifier que les
nécessaires "limites de souveraineté" se réfèrent
essentiellement à l'unité européenne.
Toutefois, il est indéniable que les fondements constitutionnels
d'une intervention humanitaire résident dans les deuxième
et troisième paragraphes de l'article 11, précisément
parce que, dans ce contexte, la Constitution italienne fait clairement
référence à la paix, dans un sens positif, et donc
à la promotion des droits de l'homme.
Comme nous l'avons déjà souligné, la notion de "paix
et de justice entre les nations" reflète également
une doctrine libertaire. Elle proclame que les idéaux de liberté,
sanctionnés par notre Constitution, doivent être l'apanage
non seulement des citoyens italiens, mais de tous les individus. Cela
signifie fondamentalement que le système libéral-démocrate
de relations entre l'Etat et l'individu, sanctionné par notre Constitution,
représente le système idéal, auquel toutes les sociétés
devraient aspirer. L'intention n'est pas ici d'imposer nos principes aux
autres, mais plutôt d'oeuvrer au niveau international à la
conclusion de traités visant à assurer le respect de ces
principes par tous les Etats signataires.
Il ne fait aucun doute que le nouveau contexte international réclame
un élargissement substantiel de cette approche. En conséquence,
le problème de la sauvegarde des droits de l'homme au niveau international,
surtout dans la forme extrême que constitue l'intervention militaire,
est résolu, d'après notre Constitution, par la participation
de l'Italie aux mécanismes décisionnels internationaux pertinents.
Les bases d'une telle action doivent être évaluées
à cette aune.
L'extension des responsabilités de l'OTAN au-delà des objectifs
d'autodéfense stipulés dans l'article 5 du Traité,
dans l'optique d'une participation active de l'Alliance à des actions
humanitaires menées sous les auspices des Nations unies et de la
CSCE, constitue, de ce point de vue, un banc d'essai incontournable pour
prendre la mesure du nouvel ordre international.
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