Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 2
Avril 1993
p. 4-9

Préparer le terrain pour les activités de maintien de la paix de l'Alliance

Salvo Andò,
Ministre de la Défense de l'Italie

La fin de la guerre froide a sonné le glas de la confrontation entre les deux blocs et, en ce qui concerne l'Occident, éliminé la menace massive que représentaient l'Union soviétique et le Pacte de Varsovie.

Cette transformation historique de l'équilibre global est allée étroitement de pair avec une accélération du processus de désarmement nucléaire et conventionnel et un accroissement de la capacité des Nations unies à contribuer à la stabilité, grâce à un degré accru de convergence entre les membres permanents du Conseil de sécurité quant aux objectifs à atteindre.

Toutefois, cette évolution positive a également contribué à enrayer le mécanisme qui avait jusque là maintenu sous contrôle les foyers de crise. C'est ainsi que nous avons assisté à l'émergence de tensions et de risques nouveaux, qui - loins d'être contrôlables - se sont multipliés et propagés, défiant tous les efforts de la communauté internationale pour les stabiliser. Il en résulte que le contexte stratégique actuel, caractérisé par l'instabilité et les tensions, exige un considérable engagement aux niveaux politique et militaire.

Il est dit que l'histoire tend à se répéter. En effet, même les événements auxquels nous avons assisté ces dernières années ne sont pas nouveaux puisque, dès le XVIIIème siècle, des stratèges avaient identifié ce qu'ils classaient dans la catégorie des "petites guerres". Ajoutons que la période de la guerre froide eut elle aussi sa part de guerres périphériques, n'impliquant pas directement les deux superpuissances et leurs alliés ou satellites respectifs. Ces différends parfois violents à la périphérie des principaux systèmes d'alliance servaient de baromètre de l'équilibre global et étaient, en général, rapidement maîtrisés dès qu'ils semblaient susceptibles d'échapper à tout contrôle.

Mais de tels scénarios sont plus dangereux aujourd'hui que par le passé, en raison de la plus grande sophistication des instruments guerriers et du radicalisme idéologique, ethnique et religieux à la base des tensions. Outre les guerres de partisans et de guérillas traditionnelles, on assiste à une prolifération des crises militaires intérieures et internationales qui, si elles n'affectent pas directement l'équilibre et la sécurité au niveau mondial, minent la stabilité régionale, menacent des populations entières d'extermination par la famine et entravent l'établissement d'un nouvel ordre international reposant sur la coopération et la primauté du droit, auquel tout le monde aspirait après la chute du Mur de Berlin. Dans ces circonstances, il est impératif que nos pays ne soient pas victimes de l'euphorie de l'après-guerre froide. Les fameux dividendes de la paix, que nous ne devons cesser d'appeler avec détermination, ne doivent pas nous empêcher de maintenir un engagement politique fort. Cet engagement est vital du point de vue militaire, mais difficile du point de vue opérationnel en raison de l'étendue géographique de la zone à couvrir et très onéreux du point de vue économique.

Ces petites guerres, crises régionales et foyers de tensions ethniques et religieuses exigent que l'on repense les garanties traditionnelles en matière de sécurité, tant au niveau collectif qu'au plan des moyens militaires nationaux.

Paradoxalement, tout au long de la guerre froide, l'équation stratégique était relativement simple. La paix mondiale était certes entachée par un degré élevé de tension, mais elle était assurée par l'équilibre de la terreur. Le monde était divisé entre ceux qui assuraient la sécurité et ceux qui en bénéficiaient. Les cartes sont aujourd'hui redistribuées, et le changement de rôles a engendré une situation dans laquelle les pays de l'OTAN sont à la fois les garants et les bénéficiaires de la sécurité. L'époque de la confrontation étant reléguée au passé, nous nous orientons vers une structure internationale beaucoup plus complexe, dans laquelle de nombreuses organisations doivent interagir pour assurer une stabilité qui continue à nous échapper.

Très récemment encore, la situation en Europe donnait l'impression - aussi trompeuse qu'elle pût être - que le contexte dans lequel nous vivions était sûr et immuable. Avec leurs arsenaux nucléaires et conventionnels, l'OTAN et le Pacte de Varsovie se faisaient mutuellement face, dans une situation d'une apparente stabilité.

Depuis plusieurs années déjà, nous cherchons à établir en Europe une architecture de sécurité en coopération, reposant sur un réseau d'institutions interdépendantes telles que la CSCE, l'OTAN, la Communauté européenne, l'UEO, etc. Cet objectif, qui a suscité des espoirs trop grands pour être abandonné en dépit des formidables obstacles à surmonter, s'avère beaucoup plus difficile à atteindre que prévu.

Dans cette situation plus complexe, qui s'apparente à de nombreux égards au contexte international prévalant à la veille de la Première guerre mondiale, il est nécessaire de réviser nos accords opérationnels.

Le débat sur les opérations "hors zone"

L'OTAN, qui personnifie non seulement la solidarité transatlantique mais également l'engagement militaire américain envers l'Europe, représente l'instrument le plus immédiatement disponible et, surtout, le plus crédible pour relever les nouveaux défis. Evidemment, je veux dire par là une Alliance qui ait procédé aux adaptations nécessaires pour mener à bien un nouveau type de mission, tout en préservant son rôle original de garant de la défense de ses membres, car les risques qui ont aujourd'hui perdu en gravité, voire disparu, pourraient réapparaître avec une virulence renouvelée.

Le Sommet de l'Alliance qui s'est tenu à Rome en novembre 1991 a fourni les fondements devant permettre à l'OTAN d'assumer la tâche nouvelle et très importante qui consiste à contribuer au maintien de la stabilité en Europe. Cette avancée majeure a été consolidée par la création, le mois suivant, du Conseil de coopération nord-atlantique. Sans altérer la composition originelle de l'OTAN, ni diluer la cohésion forgée tout au long de quarante années d'efforts en commun, cet organisme a rendu possible la création d'un lien direct avec les anciens adversaires de l'Alliance, dont la Russie, qui se sentent désormais unis, comme tel doit être le cas, dans la construction de l'avenir de l'Europe.

L'apparition d'un cadre nouveau sur le continent, et la fréquence accrue de crises d'une nature différente de celles pour lesquelles l'OTAN fut conçue à l'origine, ont suscité un débat sur le thème des "problèmes hors zone". Ce débat implique que les compétences de l'Alliance doivent être repensées. L'expression "hors zone" elle-même peut, en fait, s'avérer imprécise, tant du point de vue linguistique que conceptuel.

Lorsque l'on se réfère aux objectifs de l'Alliance atlantique, le concept s'applique, en réalité, non à la situation géographique, mais à l'aspect fonctionnel, c'est-à-dire qu'il pose la question de savoir si l'OTAN peut assumer des responsabilités autres que la défense de ses membres, comme stipulé par l'article 5 de son Traité.

L'expérience de ces dernières années révèle qu'il existe un consensus de plus en plus large parmi les alliés - presque dicté par les circonstances - sur la compétence de l'OTAN concernant la conduite d'opérations humanitaires et de maintien de la paix pour le compte des Nations unies et de la CSCE, débordant ainsi le cadre des situations hypothétiques envisagées dans l'article 5. Cette évolution dans l'interprétation du Traité n'a pas de quoi surprendre lorsque l'on songe que, même pendant la guerre froide, l'Alliance atlantique souscrivit toujours à une vision élargie de la sécurité, ne se limitant pas à la seule protection de l'intégrité territoriale de ses Etats membres.

De fait, il apparaîtrait curieux que nous nous imposions des limites, étant donné que les pays membres du Conseil de coopération nord-atlantique, qui appartiennent à une région géographique bien plus vaste que la nôtre, ont fait part au sein de cette enceinte de leurs espoirs de voir l'OTAN procéder à des actions incisives aux conséquences considérables.

Les relations avec l'UEO

II est à espérer que la question des actions hors zone de l'Alliance sera plus facile à aborder grâce au fait que, en dépit des malentendus et de la réticence de certains à accepter le changement, il semble que le problème de l'harmonisation de ce nouveau rôle atlantique avec l'implication de l'UEO soit désormais résolu. Un début d'équilibre entre ces deux organisations se profile parce que nous affrontons le problème sans idées préconçues, persuadés que les cadres atlantique et européen ne doivent pas seulement coexister, mais se renforcer mutuellement.

L'OTAN et l'UEO décideront qui doit entreprendre une initiative humanitaire ou de maintien de la paix, quelle qu'elle soit, sur base de critères pragmatiques dépendant de la nature de la crise et de la région où elle a lieu. Un facteur ressort très clairement: toute intervention de l'OTAN implique un engagement plus actif de la part des Etats-Unis, avec toutes les conséquences politiques et militaires qui pourraient en découler.

D'autre part, pour ce qui a trait à une éventuelle intervention humanitaire, l'OTAN pourrait bénéficier d'une contribution plus substantielle de son pilier européen, qui serait parallèlement renforcé par l'émergence d'une identité européenne de défense. L'interaction entre l'OTAN et l'UEO devrait faire percevoir davantage le rôle des pays occidentaux qui, dans l'ensemble, sont appelés à fournir une base politique et opérationnelle en vue d'aider à résoudre les crises et à empêcher qu'elle ne s'étendent.

Le cas de l'ex-Yougoslavie, et les lacunes qu'il a montré dans la capacité de la communauté internationale à agir, confirment que l'Occident doit de toute urgence concevoir des moyens efficaces pour traduire en actes concrets son intention de jouer un rôle dans le règlement des nouveaux phénomènes qui entachent la scène internationale.

Avec les nouveaux horizons qui s'ouvrent à l'OTAN et à l'UEO se profilent toutefois des problèmes de nature militaire et juridique.

Au niveau militaire, l'Alliance a adopté un nouveau concept stratégique, qui répond pleinement aux exigences de la sécurité dans l'après-guerre froide et définit les critères sur lesquels une action stabilisatrice doit reposer.

Les pays membres, pour leur part, ont entrepris un ambitieux programme de restructuration de leurs forces armées afin d'améliorer l'interopérabilité, la souplesse et la mobilité, de manière à répondre plus efficacement aux menaces de type nouveau et aux exigences des actions de maintien de la paix. La configuration nouvelle de leurs forces militaires respectives devrait également tenir compte des réductions des budgets de défense opérées dans le contexte global de diminution des dépenses publiques en cette période de crise économique généralisée. Ces mêmes conditions invitent également à renforcer la coopération dans les secteurs de la technologie et des industries de défense, dont la rentabilité doit être accrue afin de faire face aux exigences d'un marché moins prospère mais, dans bien des cas, plus sophistiqué. Le nouveau modèle de défense italien répond à ces objectifs.

Des problèmes constitutionnels

Du point de vue juridique, des questions qui auraient été inconcevables il y a quelques années encore sont dorénavant posées.Nos systèmes constitutionnels ont été, dans l'ensemble, conçus pour faire face à deux situations très distinctes: un état de paix et un état de guerre. En général, des procédures spécifiques existent pour la déclaration de guerre. C'est ainsi que, en cas d'état de guerre, des normes précises doivent être appliquées aux activités militaires comme aux institutions civiles.

Quelles seront alors les conséquences juridico-constitutionnelles d'interventions qui, bien que de nature militaire, se dérouleront dans des circonstances autres qu'un état de guerre classique et se singulariseront par des règles d'engagemement et un recours à la force pouvant varier considérablement en fonction de la situation? Chaque pays dispose d'arrangements qui lui sont propres pour de telles éventualités. Il peut donc être utile de procéder à une analyse du système juridique italien, dans l'espoir qu'il puisse fournir une base de comparaison par rapport à l'expérience des autres alliés.

A cet égard, il est nécessaire de faire la distinction entre les conflits non déclarés, qui menacent la sécurité nationale, comme ceux qui se sont produits dans la région méditerranéenne au cours de la dernière décennie, et les opérations humanitaires auxquelles l'Italie participe en tant que membre de diverses organisations internationales.

S'agissant des premiers, la référence appropriée doit être trouvée dans l'article 78 de la Constitution italienne, qui déclare que "les Chambres du parlement délibéreront sur l'état de guerre et conféreront au gouvernement les pouvoirs appropriés". Il est en outre utile de se référer à d'autres législations existantes relatives à l'état de guerre.

Notons toutefois que la Constitution fait uniquement mention des délibérations et de la déclaration de l'état de guerre dans le sens classique. Il faudrait donc l'amender pour couvrir le type de situations auquel nous devons faire face aujourd'hui. Un problème crucial qui se pose en particulier est celui du contrôle parlementaire pendant un état de belligérance qui n'est ni proclamé, ni déclaré;, autrement dit, les procédures parlementaires en cas d'urgence, de crise, de conflits de petite envergure ou de toute situation impliquant le recours aux forces armées mais qui, par nécessité ou volonté expresse, ne fait pas l'objet d'une déclaration de guerre telle que stipulée par l'article 78. Des cas de ce genre peuvent néanmoins exiger ce que l'on appelle une "loi d'indemnité", destinée à couvrir les différentes dépenses ou à conférer au gouvernement les "pouvoirs nécessaires". Il est vrai qu'en l'absence de dispositions constitutionnelles pour affronter de telles circonstances, les organes constitutionnels ont élaboré au cours de la dernière décennie des dispositions pratiques qui, si l'on s'en réfère à des experts juridiques faisant autorité, ont d'ores et déjà abouti à de véritables conventions à caractère constitutionnel. Suivant les mêmes critères, l'action entreprise par le gouvernement a toujours bénéficié, dans chacun des cas, du consentement du chef de l'Etat et du Parlement, dans les formes appropriées et en accord avec leurs compétences respectives. Compte tenu de la nécessité d'avoir une certitude et pour les besoins d'une actualisation de la Constitution, il serait néanmoins avisé d'amender celle-ci de manière appropriée, comme l'ont d'ailleurs déjà fait d'autres alliés. La législation ordinaire exige également une réforme urgente. Les normes existantes datent de 1938 et, dans ce cas, une révision paraît nécessaire, non seulement pour les moderniser afin qu'elles répondent aux nouveaux types de conflits, mais également pour les adapter aux principes et institutions constitutionnelles.

Le passé récent offre d'ailleurs différents exemples de situations dans lesquelles des Etats ont recouru à l'usage de la force. Bien que de dimension internationale, en ce sens que des forces armées furent déployées contre d'autres Etats ou sur un territoire étranger, les incidents en question ne peuvent pas vraiment être classés dans la catégorie des guerres véritables.

Les exemples les plus manifestes sont les cas d'actions de forces armées à des fins de dissuasion ou de sanctions, mais limitées par leurs objectifs même, à savoir empêcher ou contrer un acte d'agression ou une menace à rencontre de la sécurité internationale. En l'espèce, si une organisation internationale dont l'Italie est membre, comme stipulé dans l'article 11 de la Constitution, prend une décision visant à autoriser une réponse appropriée à une transgression hypothétique, la participation italienne à l'initiative ne relèverait pas d'un contrôle parlementaire direct, comme ce serait le cas si un "état de guerre" était déclaré.

S'il en allait autrement, le sens profond de l'article 11 serait infirmé, la conséquence étant que la participation de l'Italie à des organisations internationales doit être considérée comme un simple signe de notre volonté de rechercher des actions concertées et coordonnées avec d'autres Etats membres, mais toujours avec une autorisation parlementaire préalable et spécifique pour toute décision impliquant le recours à la force.

De toute façon, ces situations n'engloberaient pas les actions impliquant le recours à la force que l'Italie pourrait être appelée à entreprendre - éventuellement de concert avec d'autres Etats avec lesquels elle a conclu des traités d'assistance mutuelle - avant l'intervention d'une décision collective prévoyant la mise en oeuvre de mesures pour restaurer la paix internationale.

Etant donné qu'une action de ce type peut être considérée comme un exercice du droit de donner légitimité à l'autodéfense, c'est-à-dire celle rendue nécessaire pour sauvegarder l'intégrité territoriale et la souveraineté d'un pays dans l'attente d'une réaction adéquate de la communauté internationale, toutes les mesures éventuelles seraient également soumises à des formes de contrôle parlementaire totalement différentes de celles stipulées par la Constitution pour un état de guerre déclaré.

D'autres situations récentes ont, elles aussi, fait ressortir la nécessité urgente d'envisager de nouveaux mécanismes pour garantir des relations équilibrées entre les organes constitutionnels en cas de crise internationale impliquant les forces armées italiennes. Je veux parler des cas où, suite à des accords avec les Etats intéressés, les forces militaires italiennes sont déployées en dehors du territoire national afin de sauvegarder certains principes fondamentaux gouvernant les relations entre Etats, tels que la liberté de navigation dans les eaux internationales ou, avec le consentement de l'Etat détenant la souveraineté sur le territoire en question, de garantir des conditions de sécurité et une stabilité intérieure qui, autrement, ne pourraient être assurées. Dans des cas de ce genre, un organe approprié pour l'exercice du contrôle parlementaire pourrait être désigné dans le document d'approbation de la loi qui autorise l'activité en question. Toutefois, de tels accords doivent souvent être négociés et mis en oeuvre dans des conditions d'urgence. Il pourrait donc être utile de rechercher d'autres formes de collaboration et de dialogue entre organes constitutionnels, sans pour autant enfreindre le précepte constitutionnel exigeant que les accords politiques internationaux soient soumis au parlement pour approbation.

D'autre part, lorsque l'autorisation parlementaire est exigée ainsi que le stipule l'article 80 de la Constitution, et même si l'accord en question porte sur une activité que l'on ne peut pas véritablement qualifier de recours à la force dans les relations internationales, il serait souhaitable que le contrôle parlementaire ne s'exerce qu'au moment où le cadre international gouvernant l'activité concernée est défini. De toute évidence, l'autorisation parlementaire devrait pouvoir couvrir adéquatement tout accord susceptible d'être conclu avec d'autres partenaires, et également garantir une réponse appropriée par des forces engagées en territoire étranger, si elles étaient attaquées.

Il est plus important encore de concevoir des formes de collaboration entre les organes constitutionnels pour les cas où la présence de forces armées en territoire étranger n'est pas justifiée par un accord international. Cela inclut les opérations de maintien de la paix, menées par des forces militaires en territoire étranger où règne la guerre civile et où aucun gouvernement stable n'exerce son contrôle.

Le cas de l'"ingérence" humanitaire est tout à fait différent. Bien qu'elles impliquent le recours à la force et posent donc également un problème concernant le respect des compétences et procédures sanctionnées par la Constitution, les actions humanitaires ne servent aucun des objectifs liés à la protection de la sécurité nationale. Elles visent plutôt à promouvoir la paix par le biais de la défense des droits de l'homme dans les pays où de tels droits sont violés de façon systématique et brutale.

La référence pertinente dans la Constitution italienne est l'article 11, qui déclare que "l'Italie considère la guerre comme un instrument qui porte atteinte à la liberté d'autres peuples et la rejette comme moyen de résoudre les conflits internationaux; elle accepte, dans des conditions de parité avec d'autres Etats, les limites de souveraineté que pourraient justifier la mise en application de dispositions visant à garantir la paix et la justice entre les nations; elle encourage et soutient les organisations internationales oeuvrant à cette fin".

Il a été démontré de façon convaincante que, comme la proclamation du renoncement à la guerre, l'acceptation de limites de souveraineté nécessaires à la paix et à la justice entre les nations est l'expression, transposée au niveau des relations entre Etats, des principes de préservation de la paix, de la solidarité et de l'équité. Toutefois, si la première proposition exprime ces principes en termes négatifs, par le biais de l'interdiction d'agir en opposition avec eux, la seconde les formule en termes positifs, en fixant des voies d'action visant à la réalisation concrète des objectifs.

Il s'agit donc des mêmes idéaux, mais les méthodes pour les atteindre sont différentes. Il convient d'ajouter que, si la renonciation à la guerre (un appel négatif dans le sens défini ci-dessus) est formulée d'abord et avant tout en tant qu'engagement solennel de l'"Italie", les valeurs de paix et de justice entre nations (le même idéal exprimé en termes positifs) sont évoquées en relation avec les "dispositions pour garantir" ces valeurs.

Sur la base de cette formulation des notions, on peut dire que, d'après sa Constitution, l'Italie s'engage à renoncer à la guerre offensive et aussi à oeuvrer positivement pour la paix, mais que l'on ne peut servir ce second objectif qu'à condition d'accepter les limites de souveraineté nécessaires à l'établissement des dispositions pour assurer la paix et la justice entre les nations, ainsi qu'en "encourageant et en soutenant les organisations internationales qui oeuvrent à cette fin". Au cours des sessions de l'assemblée constitutionnelle italienne, il a d'ores et déjà été constaté qu'il convenait d'étendre le concept traditionnel de défense, pour qu'il englobe la protection d'intérêts autres que la sécurité de l'Etat. Ainsi, d'après certains des protagonistes de ce débat, il serait possible d'entrer en guerre "non pour l'intérêt spécifique d'une nation, mais dans l'intérêt général de la paix".

Mais une telle hypothèse, qui élargit assurément l'éventail des situations dans lesquelles la guerre est acceptée au-delà de la nécessité purement défensive de protéger le territoire national, confirme ce que nous avons dit plus haut, puisque la question concernant la définition de "l'intérêt général de la paix" et les mesures à adopter en conséquence ne peut être tranchée que par les organisations internationales dont l'Italie est membre, et qui peuvent et doivent développer l'action politique pour promouvoir et défendre les droits de l'homme, surtout dans les cas de violations flagrantes.

En outre, l'interprétation de l'article lia considérablement évolué. Il suffit de se souvenir de l'appartenance de l'Italie au cadre juridique de la Communauté européenne pour constater qu'une doctrine désormais unanimement approuvée et une jurisprudence constitutionnelle unifiée y trouvent leurs fondements. Et il en va ainsi en dépit du fait que l'assemblée constitutionnelle ait rejeté un amendement visant à spécifier que les nécessaires "limites de souveraineté" se réfèrent essentiellement à l'unité européenne.
Toutefois, il est indéniable que les fondements constitutionnels d'une intervention humanitaire résident dans les deuxième et troisième paragraphes de l'article 11, précisément parce que, dans ce contexte, la Constitution italienne fait clairement référence à la paix, dans un sens positif, et donc à la promotion des droits de l'homme.

Comme nous l'avons déjà souligné, la notion de "paix et de justice entre les nations" reflète également une doctrine libertaire. Elle proclame que les idéaux de liberté, sanctionnés par notre Constitution, doivent être l'apanage non seulement des citoyens italiens, mais de tous les individus. Cela signifie fondamentalement que le système libéral-démocrate de relations entre l'Etat et l'individu, sanctionné par notre Constitution, représente le système idéal, auquel toutes les sociétés devraient aspirer. L'intention n'est pas ici d'imposer nos principes aux autres, mais plutôt d'oeuvrer au niveau international à la conclusion de traités visant à assurer le respect de ces principes par tous les Etats signataires.

Il ne fait aucun doute que le nouveau contexte international réclame un élargissement substantiel de cette approche. En conséquence, le problème de la sauvegarde des droits de l'homme au niveau international, surtout dans la forme extrême que constitue l'intervention militaire, est résolu, d'après notre Constitution, par la participation de l'Italie aux mécanismes décisionnels internationaux pertinents. Les bases d'une telle action doivent être évaluées à cette aune.

L'extension des responsabilités de l'OTAN au-delà des objectifs d'autodéfense stipulés dans l'article 5 du Traité, dans l'optique d'une participation active de l'Alliance à des actions humanitaires menées sous les auspices des Nations unies et de la CSCE, constitue, de ce point de vue, un banc d'essai incontournable pour prendre la mesure du nouvel ordre international.