Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 41- No. 1
Fév. 1993
p. 12-16

L'évolution de la politique de sécurité
de la Finlande

jaakko Blomberg
Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires politiques Ministère finlandais des Affaires étrangères

Bien que située à la périphérie, la Finlande a ressenti de manière tangible les changements de pouvoir et les convulsions politiques qui ont bouleversé le paysage de la sécurité européenne. L'histoire témoigne d'un paradoxe: du point de vue stratégique, la Finlande qui est contiguë à la Russie - la grande puissance de l'Europe de l'Est - occupe une position névralgique.

Alors que la Finlande cherche sa voie dans la transformation de l'ordre de la sécurité européenne issue de la fin de la guerre froide et de la dissolution de l'Union soviétique, des leçons importantes mais nuancées doivent être tirées.
Qu'elle soit faible ou puissante, qu'elle poursuive une politique d'expansion agressive ou qu'elle collabore au concert des grandes puissances, la Russie (l'Union soviétique) constitue un facteur essentiel du devenir de la paix et de la stabilité en Europe. En raison de cette situation, la Finlande a dû ajuster ses politiques à des accords plus larges.

Pendant des siècles, la Finlande a fait partie de la Suède. Au XIXème, après être devenue un grand-duché autonome au sein de l'empire russe, elle connut une période prospère d'édification nationale, tout en bénéficiant de contacts économiques et culturels avec la Russie. Mais des pressions liées à la russification vers la fin du siècle provoquèrent la résistance des Finlandais, ce qui - au lendemain de la Révolution d'octobre - déboucha sur l'indépendance nationale.

Entre les deux guerres mondiales, la Finlande faisait partie de ces nouvelles petites démocraties victimes de l'échec de la Société des Nations à empêcher les dictatures fascistes et communistes de miner le système de sécurité collective. Il ne fut jamais possible d'établir de réelles relations de bon voisinage avec l'Union soviétique. Les efforts de notre pays pour se joindre à la sphère de neutralité nordique afin de garantir sa sécurité ne servirent à rien face à F agression soviétique en 1939 qui conduisit à la guerre de novembre 1939 à mars 1940 et qui entraîna la perte d'un dixième de notre territoire national. De 1941 à 1944, la Finlande combattit à nouveau son voisin oriental, afin de corriger les injustices qu'elle avait subies et de défendre son indépendance. A la fin de la Deuxième guerre mondiale, la Finlande se retrouva dans une position imposée par 1 ' équilibre des forces et l'ordre de Yalta. Forcé d'accepter des accords de paix onéreux avec son principal adversaire, le pays échappa à l'occupation et conserva intactes ses institutions démocratiques occidentales. L'Union soviétique se lança alors dans une politique étrangère expansionniste, mais la Finlande parvint à négocier avec elle des relations gérables, reposant sur des traités, lui garantissant son indépendance et lui offrant une position de neutralité. Aujourd'hui, pour la première fois, une Russie démocratique, à la politique étrangère et à l'ordre intérieur modifiés, voit le jour dans le voisinage de la Finlande.

D'autres facteurs externes affectant la sécurité finlandaise apparaissent également sous un jour nouveau. Moscou-Berlin-Stockholm est traditionnellement considéré comme le triangle qui détermine le destin de la Finlande. Les relations entre les pays de la Baltique constituent aujourd'hui un cadre complexe et dynamique pour la politique étrangère et de sécurité finlandaise.

Un pays nordique

En raison de sa longue période suédoise et de l'obtention ultérieure de son statut de pays démocratique indépendant, la Finlande est, avant tout, un pays membre de la famille des nations nordiques. Des intérêts communs et des aspirations parallèles dans une Europe en mutation offrent de nouvelles possibilités à la coopération nordique, non seulement en termes d'intégration, mais également pour ce qui a trait aux affaires de sécurité.

La Finlande a en outre des liens spéciaux au niveau de la langue, de la culture et de l'histoire avec l'Estonie, tout en se sentant proche de la Lettonie et de la Lituanie, même si ces pays n'ont pas eu une histoire identique à la sienne. Notre pays apporte son soutien à l'indépendance retrouvée des Etats baltes et à leur développement démocratique, un processus qui constitue un facteur de stabilité essentiel dans toute la région maritime de la Baltique.

L'unification de l'Allemagne a mis un accent nouveau sur son identité septentrionale, tout en renforçant son rôle majeur parmi les pays situés en bordure de la Baltique. La Finlande espère un accroissement de la contribution allemande au développement de la coopération et des réformes dans la région. Concurremment à la réunification de l'Allemagne en septembre 1990, la Finlande a unilatéralement déclaré caducs les termes du Traité de Paris de 1947 qui concernaient l'Allemagne et qui avaient imposé des restrictions sur les forces années finlandaises du temps de paix et leurs acquisitions de matériel de défense. En déclarant nulles et non avenues ces limitations à sa souveraineté, la Finlande a tourné la page sur son rôle dans la Deuxième guerre mondiale, en tant qu'Allié de l'Allemagne.

La guerre froide avait introduit un nouveau facteur dans l'environnement de sécurité de la Finlande - la confrontation stratégique américano-soviétique dans le Nord - et notre sécurité fut grandement affectée par le jeu stratégique auquel les deux superpuissances se livrèrent en matière de doctrines, d'armements et de déploiements autour du complexe de bases de la presqu'île de Kola, ainsi que dans les eaux et l'espace aérien nordiques.

En dépit des importantes réductions des arsenaux nucléaires stratégiques et tactiques déj à mises en oeuvre et annoncées par les Etats-Unis et la Russie, l'Europe du Nord conserve son importance stratégique pour les forces résiduelles des superpuissances. La confrontation politique a disparu, mais les capacités de destruction demeurent.

Pendant la guerre froide, l'OTAN est devenue une composante importante de l'environnement de sécurité de la Finlande. La neutralité de la Suède, l'appartenance de la Norvège et du Danemark à l'OTAN - avec des restrictions unilatérales quant au stationnement de forces militaires alliées en temps de paix - constituaient des préalables essentiels au fonctionnement de la neutralité de la Finlande en tant que stratégie de sécurité viable dans un monde bipolaire.

Il appartenait à notre pays de convaincre l'Union soviétique que notre territoire ne servirait ni de base, ni de route de transit à une agression militaire contre l'URSS. En même temps, la Finlande devait déjouer les efforts soviétiques pour transformer dans la pratique les relations régies par le traité bilatéral en une alliance avec intégration militaire et coordination politique.
Reconnue à part entière par l'Union soviétique en 1989 seulement, la neutralité finlandaise n'en a pas moins rempli sa tâche et s'est attirée la considération internationale. Dans ce contexte, il était important de convaincre les voisins de la Finlande à l'ouest, ainsi que les puissances occidentales en général, que nous veillerions à l'inviolabité de notre territoire en toute circonstance.
Une capacité de défense nationale proportionnée à l'environnement en matière de sécurité constituait donc un élément nécessaire à une politique axée sur la neutralité en cas de conflit. Même si notre neutralité ne reposait pas essentiellement sur la dissuasion militaire, la Finlande édifia, grâce à des efforts à long terme cohérents, une défense nationale qui était, et demeure, à la mesure de sa tâche de dissuasion. Les Finlandais ont fait la preuve - en temps de guerre comme en période de paix - de leur détermination à défendre leur indépendance.

La neutralité fournissait à la Finlande une manière de promouvoir une politique active en matière de détente et de sécurité régionales et européennes. Par ses efforts, elle aspirait à atténuer les effets résultant de la tension internationale.

Dans le cadre du processus de la CSCE, la Finlande, de concert avec d'autres pays neutres et non-alignés, aida à surmonter les répercussions de la division Est-Ouest et contribua à sa transformation pacifique. En même temps, la neutralité acquit une légitimité et une estime accrues en tant que choix de politique et ligne d'action en Europe. Lorsque la guerre froide arriva à son terme, la Finlande était considérée sur un pied d'égalité avec les autres pays neutres armés d'Europe.

Stabilité à l'Est

En tant que démocratie occidentale, la Finlande accueille favorablement l'unification de l'Europe autour d'une série de valeurs et de principes communs. La fin de la guerre froide affecte cependant notre politique étrangère et notre position internationale. La stabilisation de la transition démocratique et de la restructuration économique en cours en Russie est essentielle pour la sécurité et le bien-être de la Finlande. Et un environnement de sécurité stable constitue un facteur important pour une transformation pacifique en Russie. La Finlande peut au mieux contribuer à ce processus - qui va pleinement dans le sens de ses intérêts en matière de sécurité nationale - par le biais de la coopération transfrontalière et du développement des régions voisines. A cette fin, elle soutient activement une plus grande efficacité de la coordination et de l'octroi de l'aide et de l'appui internationaux à la Russie.

Le respect de l'égalité souveraine des Etats baltes est également indispensable à la stabilité et au progrès dans notre sous-région. La Finlande fera tout son possible pour soutenir un développement fructueux des relations baltico-russes sur cette base. Dans ce contexte, nous encourageons le recours aux instruments de la CSCE pour l'analyse et le règlement des différends.
Comme le retrait des forces russes d'Europe centrale et des Etats baltes a accru - du moins temporairement -1'importance des troupes et matériels russes près de nos frontières, nous avons entamé un dialogue visant à plus de transparence et d'ouverture avec la Russie. Nous veillerons également à utiliser activement le forum offert par la CSCE pour établir une coopération d'un nouveau genre en matière de sécurité, à des niveaux européens et régionaux.

A l'instar de ce qui se passe dans d'autres pays traditionnellement neutres, la neutralité de la Finlande est entrée dans un processus de changement fondamental. La fin de la division politique et idéologique de l'Europe et l'apparition d'une communauté de valeurs inhérentes aux principes de la CSCE ont en grande partie erodés les fondements de notre neutralité. Dans la nouvelle Europe, la politique et l'action menées par la Finlande reposent sur la constation que le cours des relations internationales sera déterminé par la manière dont ces valeurs et principes communs sont respectés.

Pour la Finlande, la conséquence la plus évidente du nouvel état d'esprit réside naturellement dans le fait que les différences fondamentales qui existaient dans nos relations avec l'Union soviétique sur le plan des valeurs et de l'idéologie, sont en voie de disparition. Aujourd'hui, pour la première fois, la Russie soutient les mêmes valeurs et principes internationaux que la Finlande dans la communauté des Etats européens. Le nouvel accord bilatéral de 1992 sur les relations entre la Finlande et la Russie repose donc sur ces principes communs définis par la CSCE.

L'intégration européenne

En même temps, en raison de l'interdépendance et de l'internationalisation croissantes des économies de marché, la société et l'économie finlandaises traversent une phase de profonde restructuration, comme cela se passe dans d'autres pays occidentaux comparables. C'est pourquoi, la Finlande considère que son entrée dans la Communauté européenne constitue le meilleur moyen de servir ses intérêts nationaux et de promouvoir ses aspirations internationales.

Si les motivations immédiates qui ont poussé la Finlande à poser sa candidature étaient économiques, les implications fondamentales de cette décision pour la politique de sécurité de notre pays dans un monde en changement ont été pleinement prises en compte. Introduite en mars 1992, la demande d'entrée dans la CE a marqué le début d'une phase nouvelle pour la politique étrangère et de sécurité finlandaise. Pour la première fois, notre objectif consiste en une participation pleine et entière au processus d'intégration politique et économique européenne.

En se joignant à ce mouvement, la Finlande sera dans une position plus forte pour soutenir pacifiquement les changements en Europe en vue de l'établissement d'une zone unifiée de démocratie, de prospérité et de sécurité sur un pied d'égalité, telle que définie par le Sommet de la CSCE de Paris en 1990. En même temps, la sécurité de la Finlande se trouvera placée dans un cadre nouveau. En sa qualité de membre de la CE, notre pays soutiendra l'indépendance et la sécurité de la Communauté et de ses membres dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle, tout en attendant en retour un soutien similaire pour son indépendance et sa sécurité propres.
Les implications précises en matière de sécurité et de défense de l'appartenance de la Finlande à la CE sont toutefois difficiles à prédire.

En sa qualité de membre, la Finlande participera dans un esprit constructif à la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne en cours de développement et acceptera les objectifs de celle-ci en matière de politique de défense et de défense commune, comme défini par le Traité de Maastricht.
La Finlande ne cherche pas à profiter de la transformation européenne en cours pour améliorer sa sécurité militaire. Tout en demandant son entrée dans la CE, notre pays souhaite conserver l'essentiel de sa neutralité: non-alignement militaire et défense indépendante. En négociant son appartenance sur base du Traité de Maastricht, la Finlande reconnaît que sa défense nationale puisse faire partie d'un accord commun plus large, dans un stade ultérieur du processus d'intégration. Mais un tel changement dépendra de la décision unanime des membres de l'Union, au nombre desquels la Finlande s'exprimera sur un pied d'égalité, probablement à partir de 1996 ou ultérieurement.

L'Union de l'Europe occidentale (UEO) a invité les Etats membres de la future Union européenne à accéder à l'organisation ou à acquérir le statut d'observateurs. L'UEO faisant partie intégrante du développement de l'Union européenne, la Finlande envisagera en temps utile la question de l'établissement de relations avec cette organisation. Dans tous les cas, l'appartenance à l'Union européenne engendrera de nouvelles formes de responsabilité pour notre pays en matière de coopération à la sécurité internationale. La plus immédiate et la plus nouvelle d'entre elles pourrait impliquer notre contribution à une capacité conjointe de l'Union pour la gestion des crises, ainsi que le maintien et l'imposition de la paix. Le rôle de la Finlande serait étayé par notre expérience, ancienne et largement reconnue, dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations unies.
Indépendamment de futurs accords de défense, la Finlande est prête à accepter de plus grandes responsabilités dans l'établisement d'une sécurité durable et équitable en Europe - une tâche aussi urgente qu'indispensable. Notre pays soutient depuis longtemps le renforcement des compétences des Nations unies et de la CSCE.

Les engagements et décisions du Sommet de la CSCE d'Helsinki en juillet 1992 (1) définissent le fonctionnement d'une sécurité en coopération pour la région rassemblant la CSCE et d'autres institutions et organisations européennes et transatlantiques se renforçant mutuellement. Cette architecture en matière de sécurité fournit une base pratique pour la tâche commune de prévention, gestion et règlement des conflits et de promotion d'une transition pacifique vers la démocratie et l'économie de marché. Le principal défi réside dans la volonté politique d'une action concertée et l'efficacité de l'utilisation des instruments mis à disposition par les décisions conjointes.

De nouvelles structures

II est vital pour la sécurité d'un petit pays que toutes les nouvelles structures internationales en Europe soient globales et empêchent une nouvelle division du continent. Des changements dans le cadre des alignements devraient promouvoir la sécurité et la stabilité communes.

Les zones d'instabilité politique et économique et de sous-développement, de même que les zones d'insécurité, mineront la sécurité de chacun de nous, et pas seulement celle des pays situés en bordure de l'actuel fossé de bien-être socio-économique. Comme le Président Mauno Koivisto l'a déclaré le 28 octobre 1992 dans ses remarques au Collège de l'Europe, nous voulons "maintenir les régions qui nous entourent aussi stables que possible, sur le plan politique et militaire".

Nous considérons que c'est en demeurant non-ali-gnée militairement et en conservant une défense indépendante crédible que la Finlande pourra le mieux promouvoir, la stabilité dans sa sous-région dans un avenir prévisible. Nous pensons que cette politique est compatible avec notre accession à l'Union européenne sur base du Traité de Maastricht. Nous sommes également convaincus que nos intérêts à l'égard des développements en Russie sont compatibles avec ceux de l'OTAN et de la communauté occidentale dans son ensemble et sont également similaires.

Lors d'une réunion entre le Président Koivisto et le Secrétaire général de l'OTAN Manfred Wôrner tenue à Bruxelles le 28 octobre 1992, l'accent a été mis sur le fait que les contacts entre la Finlande et l'OTAN s'inscrivent naturellement dans l'intensification du dialogue européen. La Finlande reconnaît et apprécie le rôle et la contribution de l'OTAN à la stabilité de l'Europe. Elle considère comme particulièrement opportunes les nouvelles formes de coopération en matière de sécurité, telles que le maintien de la paix dans le cadre de la CSCE ou le soutien apporté par le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) à la transition militaire dans les pays d'Europe centrale et orientale et l'ancienne Union soviétique.

Le passage de la guerre froide à une sécurité en coopération constituant également un élément essentiel du renforcement de la stabilité, la Finlande a demandé et obtenu le statut d'observateur au sein du CCNA. Nous espérons bénéficier d'informations sur les changements militaires dans notre sous-région par le biais de cette organisation. Ajoutons que des questions de transition militaire telles que la planification de la défense, les réformes démocratiques, la reconversion des industries de la défense et les risques pour l'environnement liés à cette même défense présentent pour nous le plus grand intérêt, et que l'accent récemment mis par le CCNA sur le maintien de la paix pourrait représenter une contribution valable à la sécurité en Europe.

Les enjeux de l'édification d'une sécurité en coopération sont considérables pour la Finlande et nous sommes prêts et désireux de contribuer pleinement ace processus.

(1) Voir "Les décisions de la réunion d'Helsinki 1992 sur les suites de la CSCE - Un pas dans la bonne direction", Victor-Yves Ghebali, Revue de l'OTAN, no. 4, août 1992, p. 3-8.