Edition Web
Vol. 41- No. 1
Fév. 1993
p. 12-16
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L'évolution
de la politique de sécurité
de la Finlande
jaakko Blomberg
Sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires politiques Ministère
finlandais des Affaires étrangères
Bien que située à la périphérie, la Finlande
a ressenti de manière tangible les changements de pouvoir et les
convulsions politiques qui ont bouleversé le paysage de la sécurité
européenne. L'histoire témoigne d'un paradoxe: du point
de vue stratégique, la Finlande qui est contiguë à
la Russie - la grande puissance de l'Europe de l'Est - occupe une position
névralgique.
Alors que la Finlande cherche sa voie dans la transformation de l'ordre
de la sécurité européenne issue de la fin de la guerre
froide et de la dissolution de l'Union soviétique, des leçons
importantes mais nuancées doivent être tirées.
Qu'elle soit faible ou puissante, qu'elle poursuive une politique d'expansion
agressive ou qu'elle collabore au concert des grandes puissances, la Russie
(l'Union soviétique) constitue un facteur essentiel du devenir
de la paix et de la stabilité en Europe. En raison de cette situation,
la Finlande a dû ajuster ses politiques à des accords plus
larges.
Pendant des siècles, la Finlande a fait partie de la Suède.
Au XIXème, après être devenue un grand-duché
autonome au sein de l'empire russe, elle connut une période prospère
d'édification nationale, tout en bénéficiant de contacts
économiques et culturels avec la Russie. Mais des pressions liées
à la russification vers la fin du siècle provoquèrent
la résistance des Finlandais, ce qui - au lendemain de la Révolution
d'octobre - déboucha sur l'indépendance nationale.
Entre les deux guerres mondiales, la Finlande faisait partie de ces nouvelles
petites démocraties victimes de l'échec de la Société
des Nations à empêcher les dictatures fascistes et communistes
de miner le système de sécurité collective. Il ne
fut jamais possible d'établir de réelles relations de bon
voisinage avec l'Union soviétique. Les efforts de notre pays pour
se joindre à la sphère de neutralité nordique afin
de garantir sa sécurité ne servirent à rien face
à F agression soviétique en 1939 qui conduisit à
la guerre de novembre 1939 à mars 1940 et qui entraîna la
perte d'un dixième de notre territoire national. De 1941 à
1944, la Finlande combattit à nouveau son voisin oriental, afin
de corriger les injustices qu'elle avait subies et de défendre
son indépendance. A la fin de la Deuxième guerre mondiale,
la Finlande se retrouva dans une position imposée par 1 ' équilibre
des forces et l'ordre de Yalta. Forcé d'accepter des accords de
paix onéreux avec son principal adversaire, le pays échappa
à l'occupation et conserva intactes ses institutions démocratiques
occidentales. L'Union soviétique se lança alors dans une
politique étrangère expansionniste, mais la Finlande parvint
à négocier avec elle des relations gérables, reposant
sur des traités, lui garantissant son indépendance et lui
offrant une position de neutralité. Aujourd'hui, pour la première
fois, une Russie démocratique, à la politique étrangère
et à l'ordre intérieur modifiés, voit le jour dans
le voisinage de la Finlande.
D'autres facteurs externes affectant la sécurité finlandaise
apparaissent également sous un jour nouveau. Moscou-Berlin-Stockholm
est traditionnellement considéré comme le triangle qui détermine
le destin de la Finlande. Les relations entre les pays de la Baltique
constituent aujourd'hui un cadre complexe et dynamique pour la politique
étrangère et de sécurité finlandaise.
Un pays nordique
En raison de sa longue période suédoise et de l'obtention
ultérieure de son statut de pays démocratique indépendant,
la Finlande est, avant tout, un pays membre de la famille des nations
nordiques. Des intérêts communs et des aspirations parallèles
dans une Europe en mutation offrent de nouvelles possibilités à
la coopération nordique, non seulement en termes d'intégration,
mais également pour ce qui a trait aux affaires de sécurité.
La Finlande a en outre des liens spéciaux au niveau de la langue,
de la culture et de l'histoire avec l'Estonie, tout en se sentant proche
de la Lettonie et de la Lituanie, même si ces pays n'ont pas eu
une histoire identique à la sienne. Notre pays apporte son soutien
à l'indépendance retrouvée des Etats baltes et à
leur développement démocratique, un processus qui constitue
un facteur de stabilité essentiel dans toute la région maritime
de la Baltique.
L'unification de l'Allemagne a mis un accent nouveau sur son identité
septentrionale, tout en renforçant son rôle majeur parmi
les pays situés en bordure de la Baltique. La Finlande espère
un accroissement de la contribution allemande au développement
de la coopération et des réformes dans la région.
Concurremment à la réunification de l'Allemagne en septembre
1990, la Finlande a unilatéralement déclaré caducs
les termes du Traité de Paris de 1947 qui concernaient l'Allemagne
et qui avaient imposé des restrictions sur les forces années
finlandaises du temps de paix et leurs acquisitions de matériel
de défense. En déclarant nulles et non avenues ces limitations
à sa souveraineté, la Finlande a tourné la page sur
son rôle dans la Deuxième guerre mondiale, en tant qu'Allié
de l'Allemagne.
La guerre froide avait introduit un nouveau facteur dans l'environnement
de sécurité de la Finlande - la confrontation stratégique
américano-soviétique dans le Nord - et notre sécurité
fut grandement affectée par le jeu stratégique auquel les
deux superpuissances se livrèrent en matière de doctrines,
d'armements et de déploiements autour du complexe de bases de la
presqu'île de Kola, ainsi que dans les eaux et l'espace aérien
nordiques.
En dépit des importantes réductions des arsenaux nucléaires
stratégiques et tactiques déj à mises en oeuvre et
annoncées par les Etats-Unis et la Russie, l'Europe du Nord conserve
son importance stratégique pour les forces résiduelles des
superpuissances. La confrontation politique a disparu, mais les capacités
de destruction demeurent.
Pendant la guerre froide, l'OTAN est devenue une composante importante
de l'environnement de sécurité de la Finlande. La neutralité
de la Suède, l'appartenance de la Norvège et du Danemark
à l'OTAN - avec des restrictions unilatérales quant au stationnement
de forces militaires alliées en temps de paix - constituaient des
préalables essentiels au fonctionnement de la neutralité
de la Finlande en tant que stratégie de sécurité
viable dans un monde bipolaire.
Il appartenait à notre pays de convaincre l'Union soviétique
que notre territoire ne servirait ni de base, ni de route de transit à
une agression militaire contre l'URSS. En même temps, la Finlande
devait déjouer les efforts soviétiques pour transformer
dans la pratique les relations régies par le traité bilatéral
en une alliance avec intégration militaire et coordination politique.
Reconnue à part entière par l'Union soviétique en
1989 seulement, la neutralité finlandaise n'en a pas moins rempli
sa tâche et s'est attirée la considération internationale.
Dans ce contexte, il était important de convaincre les voisins
de la Finlande à l'ouest, ainsi que les puissances occidentales
en général, que nous veillerions à l'inviolabité
de notre territoire en toute circonstance.
Une capacité de défense nationale proportionnée à
l'environnement en matière de sécurité constituait
donc un élément nécessaire à une politique
axée sur la neutralité en cas de conflit. Même si
notre neutralité ne reposait pas essentiellement sur la dissuasion
militaire, la Finlande édifia, grâce à des efforts
à long terme cohérents, une défense nationale qui
était, et demeure, à la mesure de sa tâche de dissuasion.
Les Finlandais ont fait la preuve - en temps de guerre comme en période
de paix - de leur détermination à défendre leur indépendance.
La neutralité fournissait à la Finlande une manière
de promouvoir une politique active en matière de détente
et de sécurité régionales et européennes.
Par ses efforts, elle aspirait à atténuer les effets résultant
de la tension internationale.
Dans le cadre du processus de la CSCE, la Finlande, de concert avec d'autres
pays neutres et non-alignés, aida à surmonter les répercussions
de la division Est-Ouest et contribua à sa transformation pacifique.
En même temps, la neutralité acquit une légitimité
et une estime accrues en tant que choix de politique et ligne d'action
en Europe. Lorsque la guerre froide arriva à son terme, la Finlande
était considérée sur un pied d'égalité
avec les autres pays neutres armés d'Europe.
Stabilité à l'Est
En tant que démocratie occidentale, la Finlande accueille favorablement
l'unification de l'Europe autour d'une série de valeurs et de principes
communs. La fin de la guerre froide affecte cependant notre politique
étrangère et notre position internationale. La stabilisation
de la transition démocratique et de la restructuration économique
en cours en Russie est essentielle pour la sécurité et le
bien-être de la Finlande. Et un environnement de sécurité
stable constitue un facteur important pour une transformation pacifique
en Russie. La Finlande peut au mieux contribuer à ce processus
- qui va pleinement dans le sens de ses intérêts en matière
de sécurité nationale - par le biais de la coopération
transfrontalière et du développement des régions
voisines. A cette fin, elle soutient activement une plus grande efficacité
de la coordination et de l'octroi de l'aide et de l'appui internationaux
à la Russie.
Le respect de l'égalité souveraine des Etats baltes est
également indispensable à la stabilité et au progrès
dans notre sous-région. La Finlande fera tout son possible pour
soutenir un développement fructueux des relations baltico-russes
sur cette base. Dans ce contexte, nous encourageons le recours aux instruments
de la CSCE pour l'analyse et le règlement des différends.
Comme le retrait des forces russes d'Europe centrale et des Etats baltes
a accru - du moins temporairement -1'importance des troupes et matériels
russes près de nos frontières, nous avons entamé
un dialogue visant à plus de transparence et d'ouverture avec la
Russie. Nous veillerons également à utiliser activement
le forum offert par la CSCE pour établir une coopération
d'un nouveau genre en matière de sécurité, à
des niveaux européens et régionaux.
A l'instar de ce qui se passe dans d'autres pays traditionnellement neutres,
la neutralité de la Finlande est entrée dans un processus
de changement fondamental. La fin de la division politique et idéologique
de l'Europe et l'apparition d'une communauté de valeurs inhérentes
aux principes de la CSCE ont en grande partie erodés les fondements
de notre neutralité. Dans la nouvelle Europe, la politique et l'action
menées par la Finlande reposent sur la constation que le cours
des relations internationales sera déterminé par la manière
dont ces valeurs et principes communs sont respectés.
Pour la Finlande, la conséquence la plus évidente du nouvel
état d'esprit réside naturellement dans le fait que les
différences fondamentales qui existaient dans nos relations avec
l'Union soviétique sur le plan des valeurs et de l'idéologie,
sont en voie de disparition. Aujourd'hui, pour la première fois,
la Russie soutient les mêmes valeurs et principes internationaux
que la Finlande dans la communauté des Etats européens.
Le nouvel accord bilatéral de 1992 sur les relations entre la Finlande
et la Russie repose donc sur ces principes communs définis par
la CSCE.
L'intégration européenne
En même temps, en raison de l'interdépendance et de l'internationalisation
croissantes des économies de marché, la société
et l'économie finlandaises traversent une phase de profonde restructuration,
comme cela se passe dans d'autres pays occidentaux comparables. C'est
pourquoi, la Finlande considère que son entrée dans la Communauté
européenne constitue le meilleur moyen de servir ses intérêts
nationaux et de promouvoir ses aspirations internationales.
Si les motivations immédiates qui ont poussé la Finlande
à poser sa candidature étaient économiques, les implications
fondamentales de cette décision pour la politique de sécurité
de notre pays dans un monde en changement ont été pleinement
prises en compte. Introduite en mars 1992, la demande d'entrée
dans la CE a marqué le début d'une phase nouvelle pour la
politique étrangère et de sécurité finlandaise.
Pour la première fois, notre objectif consiste en une participation
pleine et entière au processus d'intégration politique et
économique européenne.
En se joignant à ce mouvement, la Finlande sera dans une position
plus forte pour soutenir pacifiquement les changements en Europe en vue
de l'établissement d'une zone unifiée de démocratie,
de prospérité et de sécurité sur un pied d'égalité,
telle que définie par le Sommet de la CSCE de Paris en 1990. En
même temps, la sécurité de la Finlande se trouvera
placée dans un cadre nouveau. En sa qualité de membre de
la CE, notre pays soutiendra l'indépendance et la sécurité
de la Communauté et de ses membres dans un esprit de loyauté
et de solidarité mutuelle, tout en attendant en retour un soutien
similaire pour son indépendance et sa sécurité propres.
Les implications précises en matière de sécurité
et de défense de l'appartenance de la Finlande à la CE sont
toutefois difficiles à prédire.
En sa qualité de membre, la Finlande participera dans un esprit
constructif à la politique étrangère et de sécurité
commune de l'Union européenne en cours de développement
et acceptera les objectifs de celle-ci en matière de politique
de défense et de défense commune, comme défini par
le Traité de Maastricht.
La Finlande ne cherche pas à profiter de la transformation européenne
en cours pour améliorer sa sécurité militaire. Tout
en demandant son entrée dans la CE, notre pays souhaite conserver
l'essentiel de sa neutralité: non-alignement militaire et défense
indépendante. En négociant son appartenance sur base du
Traité de Maastricht, la Finlande reconnaît que sa défense
nationale puisse faire partie d'un accord commun plus large, dans un stade
ultérieur du processus d'intégration. Mais un tel changement
dépendra de la décision unanime des membres de l'Union,
au nombre desquels la Finlande s'exprimera sur un pied d'égalité,
probablement à partir de 1996 ou ultérieurement.
L'Union de l'Europe occidentale (UEO) a invité les Etats membres
de la future Union européenne à accéder à
l'organisation ou à acquérir le statut d'observateurs. L'UEO
faisant partie intégrante du développement de l'Union européenne,
la Finlande envisagera en temps utile la question de l'établissement
de relations avec cette organisation. Dans tous les cas, l'appartenance
à l'Union européenne engendrera de nouvelles formes de responsabilité
pour notre pays en matière de coopération à la sécurité
internationale. La plus immédiate et la plus nouvelle d'entre elles
pourrait impliquer notre contribution à une capacité conjointe
de l'Union pour la gestion des crises, ainsi que le maintien et l'imposition
de la paix. Le rôle de la Finlande serait étayé par
notre expérience, ancienne et largement reconnue, dans le cadre
des opérations de maintien de la paix des Nations unies.
Indépendamment de futurs accords de défense, la Finlande
est prête à accepter de plus grandes responsabilités
dans l'établisement d'une sécurité durable et équitable
en Europe - une tâche aussi urgente qu'indispensable. Notre pays
soutient depuis longtemps le renforcement des compétences des Nations
unies et de la CSCE.
Les engagements et décisions du Sommet de la CSCE d'Helsinki en
juillet 1992 (1) définissent le fonctionnement
d'une sécurité en coopération pour la région
rassemblant la CSCE et d'autres institutions et organisations européennes
et transatlantiques se renforçant mutuellement. Cette architecture
en matière de sécurité fournit une base pratique
pour la tâche commune de prévention, gestion et règlement
des conflits et de promotion d'une transition pacifique vers la démocratie
et l'économie de marché. Le principal défi réside
dans la volonté politique d'une action concertée et l'efficacité
de l'utilisation des instruments mis à disposition par les décisions
conjointes.
De nouvelles structures
II est vital pour la sécurité d'un petit pays que toutes
les nouvelles structures internationales en Europe soient globales et
empêchent une nouvelle division du continent. Des changements dans
le cadre des alignements devraient promouvoir la sécurité
et la stabilité communes.
Les zones d'instabilité politique et économique et de sous-développement,
de même que les zones d'insécurité, mineront la sécurité
de chacun de nous, et pas seulement celle des pays situés en bordure
de l'actuel fossé de bien-être socio-économique. Comme
le Président Mauno Koivisto l'a déclaré le 28 octobre
1992 dans ses remarques au Collège de l'Europe, nous voulons "maintenir
les régions qui nous entourent aussi stables que possible, sur
le plan politique et militaire".
Nous considérons que c'est en demeurant non-ali-gnée militairement
et en conservant une défense indépendante crédible
que la Finlande pourra le mieux promouvoir, la stabilité dans sa
sous-région dans un avenir prévisible. Nous pensons que
cette politique est compatible avec notre accession à l'Union européenne
sur base du Traité de Maastricht. Nous sommes également
convaincus que nos intérêts à l'égard des développements
en Russie sont compatibles avec ceux de l'OTAN et de la communauté
occidentale dans son ensemble et sont également similaires.
Lors d'une réunion entre le Président Koivisto et le Secrétaire
général de l'OTAN Manfred Wôrner tenue à Bruxelles
le 28 octobre 1992, l'accent a été mis sur le fait que les
contacts entre la Finlande et l'OTAN s'inscrivent naturellement dans l'intensification
du dialogue européen. La Finlande reconnaît et apprécie
le rôle et la contribution de l'OTAN à la stabilité
de l'Europe. Elle considère comme particulièrement opportunes
les nouvelles formes de coopération en matière de sécurité,
telles que le maintien de la paix dans le cadre de la CSCE ou le soutien
apporté par le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA)
à la transition militaire dans les pays d'Europe centrale et orientale
et l'ancienne Union soviétique.
Le passage de la guerre froide à une sécurité en
coopération constituant également un élément
essentiel du renforcement de la stabilité, la Finlande a demandé
et obtenu le statut d'observateur au sein du CCNA. Nous espérons
bénéficier d'informations sur les changements militaires
dans notre sous-région par le biais de cette organisation. Ajoutons
que des questions de transition militaire telles que la planification
de la défense, les réformes démocratiques, la reconversion
des industries de la défense et les risques pour l'environnement
liés à cette même défense présentent
pour nous le plus grand intérêt, et que l'accent récemment
mis par le CCNA sur le maintien de la paix pourrait représenter
une contribution valable à la sécurité en Europe.
Les enjeux de l'édification d'une sécurité en coopération
sont considérables pour la Finlande et nous sommes prêts
et désireux de contribuer pleinement ace processus.
(1) Voir "Les décisions de la réunion
d'Helsinki 1992 sur les suites de la CSCE - Un pas dans la bonne direction",
Victor-Yves Ghebali, Revue de l'OTAN, no. 4, août 1992, p. 3-8.
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