Revue de l'OTAN
Mise à jour: 30-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 40- No. 5
Octobre 1992
p. 27-30

Un programme scientifique de
l'OTAN dans l'esprit de la Conférence de Rio

Luis Veiga da Cunha,
Directeur du Programme spécial de l'OTAN sur la science des modifications de l'environnement terrestre

Voici cinq cents ans, 'homme décida de découvrir la taille de la terre. Cette réunion nous a permis de découvrir ses limites." Telles furent les paroles du Premier ministre espagnol, Felipe Gonzalez, lors du Sommet de la Terre, organisé à Rio de Janeiro en juin dernier. Cette réunion, officiellement baptisée Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED), constitua le plus important rassemblement de dirigeants nationaux de l'histoire. Des représentants de 178 pays étaient présents, dont 118 chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi que de nombreuses organisations internationales.

Le lendemain de la clôture de la conférence, les opinions quant à ses résultats étaient manifestement divisées. Certains considéraient que la conférence était un échec et que ses résultats étaient loin de répondre à ce que l'on attendait. D'autres voyaient en elle un succès et une promesse pour l'avenir.
Peu après la tenue du Sommet de la Terre, Maurice Strong, secrétaire général de la Conférence de Rio et de la Conférence des Nations unies sur l'environnement organisée à Stockholm vingt ans plus tôt, avait défini ce succès comme l'apport annuel minimum de dix milliards de dollars supplémentaires d'"argent frais" par les pays occidentaux pour financer 1' engagement envers 1' environnement du Tiers monde. Ce résultat fut loin d'être atteint, puisque - à la fin de la conférence - Maurice Strong dut se contenter d'évaluer l'aide à l'environnement à six milliards de dollars, tandis que les organisations écologiques calculèrent que l'apport de l'aide nouvelle n'atteignait que deux milliards de dollars. Le Sommet de la Terre fut manifestement marqué par un accroissement de la tension Nord-Sud sur les questions pécuniaires.

C'est au début des années soixante-dix que l'environnement apparut pour la première fois comme un domaine dans lequel des politiques à la fois nationales et internationales devaient être établies et comme une source de préoccupation pour les administrations publiques nationales. La Conférence de Stockholm de 1972 constitua sans nul doute un jalon important dans ce changement d'attitude. Un autre événement important fut constitué par le rapport intitulé "Les limites de la croissance", élaboré pour le Club de Rome la même année par le groupe MIT dirigé par Donella Meadows. Au cours des deux décennies qui se sont écoulées entre les Conférences de Stockholm et Rio, des changements importants sont certainement intervenus, non seulement dans la nature des problèmes d'environnement auxquels nous sommes confrontés, mais également dans l'attitude du grand public et des dirigeants politiques face à ces problèmes. Il est intéressant de noter que, si "Le développement et l'environnement" constituait le dernier des cinq grands sujets à l'ordre du jour de la Conférence de Stockholm, cette question représenta le thème d'ensemble de la Conférence de Rio.

A Stockholm, l'idée prédominante était "d'abord le développement, l'environnement viendra ensuite"; à Rio, le développement et l'environnement furent considérés comme deux aspects d'une même réalité. A Stockholm, l'environnement apparaissait comme l'objet d'une politique: la politique de l'environnement; à Rio, il fut admis que toutes les politiques devaient prendre l'environnement en considération. Après Stockholm, plusieurs pays se dotèrent d'un ministère de l'Environnement; après Rio, il apparut que les ministères de l'Environnement ne devaient plus, en théorie, être nécessaires, puisque l'environnement était sensé être présent dans les politiques de tous les ministères.

En outre, à Stockholm, le principe moteur consistait à considérer que les questions d'environnement étaient essentiellement du ressort des pays riches et que les pays pauvres ne devaient par conséquent pas s'en préoccuper exagérément. A Rio, l'incidence des problèmes d'environnement sur les pays du Tiers monde apparut comme une question majeure. L'un des acquis essentiels de la Conférence de Rio réside dans l'accession de l'environnement au nombre des questions de portée internationale, avec l'économie et la sécurité.

Le "Rapport Brundtland", rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l'environnement et le développement créée à l'initiative de l'Assemblée générale des Nations unies, constitua le point de départ de la décision d'organiser la CNUED. Ce rapport s'articule autour du concept de "développement durable", défini comme "un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre l'aptitude des futures générations à répondre à leurs propres besoins". Ce concept fut au coeur des préoccupations du Sommet de la Terre et, après deux ans de discussions politiques et techniques, a débouché sur le rapport stratégique de 800 pages de la conférence, "AGENDA 21", qui constitue l'ébauche de l'action en matière d'environnement pour tout le XXIème siècle et l'un des acquis majeurs de la conférence. La "Déclaration de Rio" constitue un autre acquis. Il s'agit d'une déclaration de principes non-contraignante traitant des droits et responsabilités des pays en relation avec l'environnement. Parmi les autres acquis importants, citons quatre conventions traitant des problèmes de l'environnement terrestre (qui devaient être signées pendant ou peu après la Conférence de Rio), à savoir, respectivement, les conventions sur les changements climatiques, la biodiversité, les forêts et la désertification.
Deux de ces conventions - celles sur les changements climatiques et la biodiversité - furent signées à Rio, même si, dans le cas de la première, les engagements sur les objectifs et le calendrier ne furent pas aussi fermes que certains l'auraient souhaité, et, dans le cas de la seconde, l'absence de signature de la part des Etats-Unis engendra une profonde déception. Il n'en demeure pas moins que la signature de ces deux conventions par 153 pays peut probablement être considérée comme la réussite la plus importante de la Conférence de Rio. Remarquons ace sujet l'évolution intervenue depuis 1985, lorsque 14 pays seulement signèrent la Convention de Vienne sur la limitation des produits chimiques nocifs pour la couche d'ozone, tout en notant qu'elle aboutit finalement à la signature du Protocole de Montréal, un accord international indéniablement très positif portant sur le problème global de l'environnement.

La convention sur les forêts ne put être signée en raison de la résistance de certains pays pour lesquels le bois constitue une importante richesse, et seule une timide "Déclaration sur les principes de la forêt" fut approuvée. Enfin, il convient de noter que l'idée de la signature d'une convention sur la désertification ne fut évoquée qu'à un stade avancé des travaux préparatoires de la conférence. En conséquence, il ne fut pas possible de signer cette convention à Rio, mais il fut convenu que les mécanismes appropriés seraient rapidement activés.

Parmi les thèmes ayant fait l'objet de discussions à la conférence, la croissance démographique fut pratiquement évitée à Rio pour des raisons politiques, religieuses et culturelles. Elle n'apparaît que timidement, sous la forme d'un des 40 chapitres de F "AGENDA 21", et a reçu moins d'attention que les changements climatiques. Nombre des possibles effets négatifs, dus aux changements climatiques, se manifestent toutefois dès maintenant, et n'ont rien à voir avec le dioxyde de carbone: la désertification progresse, les forêts disparaissent, les récoltes sont moins abondantes et certaines espèces s'éteignent. Il s'agit-là de l'action conjointe des forces exercées par la croissance démographique et la pauvreté, qui constituent de fait les principales menaces pour l'environnement et le développement - les deux préoccupations à Rio.

La contribution de l'OTAN

Bien que largement absente de la préparation de la Conférence de Rio et en dépit de son absence à la conférence proprement dite aux côtés des nombreuses organisations intergouvernementales, agences spécialisées et programmes participants à la CNUED, l'OTAN a participé de manière sporadique à certains des événements préparatoires (1). En outre, le Comité scientifique de l'OTAN a, indépendamment, pris une initiative importante, qui s'inscrit dans la ligne des objectifs de la Conférence de Rio, en approuvant le "Programme spécial sur la science des modifications de T'environnement terrestre" (programme qui sera actif de 1990 à 1995).

Ce programme spécial a pour but de promouvoir la recherche liée aux changements potentiels de l'environnement de la terre. Il vise en particulier à décrire et à comprendre les processus physiques, chimiques et biologiques interactifs qui assurent la régulation du système planétaire dans son ensemble. Son objectif essentiel consiste à développer notre aptitude à prédire les changements de l'environnement terrestre, particulièrement ceux qui résultent de l'impact de l'homme sur le climat.

La plupart des recherches liées aux changements de l'environnement terrestre sont organisées aux niveaux international et national. On considère cependant que la recherche interdisciplinaire ne progresse pas comme elle devrait pour nous permettre de mieux comprendre les changements qui interviennent dans l'environnement. Le plus souvent en effet, les efforts demeurent confinés à des disciplines spécifiques. C'est pourquoi le Programme spécial de l'OTAN est conçu pour promouvoir le développement d'une forte collaboration inter-discipli-naire, afin d'étudier en profondeur les interactions et rétroactions entre les différents composants du système terrestre.

Les changements de l'environnement terrestre portent sur les conséquences de tout processus biosphérique, géosphérique, atmosphérique, océanique ou socio-économique qui affecte directement l'environnement terrestre ou par l'accumulation d'impacts locaux ou régionaux. Parmi les changements et menaces à l'échelle mondiale, citons le réchauffement de la terre, la raréfaction de l'ozone dans la stratosphère, la dégradation des sols, la déforestation, la pollution des mers régionales, etc. Les causes des changements trouvent leur origine dans les interventions humaines sur les systèmes de l'environnement biophysique, tels que les cycles du carbone, du soufre, de l'azote, etc, les perturbations dans les échanges d'eau et d'énergie entre la surface de la terre et l'atmosphère, et la surexploitation des ressources naturelles. La compréhension de l'interface entre les sous-systèmes biophysiques et humains constitue la clef de la formulation de politiques correctrices en réponse aux changements à l'échelle mondiale. L'objectif du Programme spécial de 1 ' OTAN consi ste à contribuer à une meilleure compréhension des processus impliqués, ainsi qu'à une évaluation et à une minimisation de leurs menaces.
Cinq domaines d'intérêt ont été définis pour ce programme scientifique de l'OTAN:

  • systèmes climatiques et cycle hydrologique;
  • processus et dynamique bio-géochimiques;
  • écosysternes et changements de 1 ' environnement terrestre;
  • changements de l'environnement terrestre dans le passé;
  • dimensions humaines des modifications de l'environnement terrestre.

Lors d'une réunion organisée à l'instigation de l'OTAN en mai 1990, une quarantaine de scientifiques de réputation mondiale, s'occupant de recherche sur les modifications de l'environnement terrestre, furent priés d'identifier les sujets pouvant faire l'objet d'investigations plus poussées dans les cinq domaines d'intérêt cités plus haut. Leurs suggestions ont été prises en compte lors de l'élaboration des activités du programme spécial destinées à couvrir ces cinq domaines, tandis que des propositions sont demandées à des experts reconnus dans lesdits domaines pour remédier aux lacunes.

Le programme spécial tente de comprendre le comportement des systèmes tant biophysique qu'humain ainsi que leur interface, en parrainant l'organisation d'une série de séminaires de recherche avancée (ARU) et d'écoles d'été (DSI). En conformité avec les activités du Comité scientifique de l'OTAN, les séminaires tentent de faire la synthèse de l'état actuel des connaissances et de définir de futurs programmes de recherche dans des domaines scientifiques déjà bien délimités. Les écoles d'été fournissent pour leur part une formation avancée à de jeunes scientifiques dans le domaine des modifications de l'environnement terrestre, en tentant de remédier à l'inadéquation du savoir-faire scientifique dans ce domaine et, en particulier, de satisfaire le besoin d'attirer déjeunes scientifiques dans cette discipline nouvelle, mais de plus en plus complexe.

Au total, vingt cinq séminaires de recherche avancée ont déjà été organisés ou sont prévus pour traiter d'une vaste gamme de questions, telles que les interactions des cycles biogéochimiques du carbone, de l'azote, du phosphore et du soufre; la modélisation paléoclimatique; les impacts des changements à l'échelle mondiale sur les océans côtiers; les implications biologiques des changements climatiques; la chimie troposphérique de l'ozone; la glace dans le système climatique; le rôle des organisations régionales dans le contexte des changements climatiques; les changements climatiques et la sécurité alimentaire mondiale. Six écoles d'été ont été approuvées et fournissent une contribution significative à des activités internationales de formation de haut niveau, telles que les cycles du carbone, de l'énergie et de l'eau dans le système climatique, la modélisation des interactions climatiques océaniques, le rôle de la stratosphère dans les changements globaux et la modélisation des données des variations climatiques à long terme.

Des interactions complexes

En termes généraux, on peut considérer que la définition des activités du Programme spécial repose sur la prise de conscience du fait que le système climatique terrestre est le résultat d'interactions et d'échanges de flux d'énergie complexes entre l'atmosphère, les océans, les continents, les champs de neige et de glace, et les systèmes biologiques de chacun de leurs constituants. Il n'existe pas encore de modèle complet de prévision numérique, décrivant les échanges d'énergie entre les constituants et les sous-systèmes connexes. Toutefois, l'étude de certaines interactions entre plusieurs de ces sous-systèmes a fait de gros progrès ces trois dernières années. Elle a notamment comporté la réalisation d'essais de modèles couplés océan-atmosphère, l'élaboration de modèles de glace marine, des estimations brutes d'humidité du sol, l'établissement de bilans améliorés du rayonnement pour divers types de nuages et une meilleure prise en compte des flux d'énergie provenant des sous-systèmes biologiques.

L'impact des changements climatiques potentiels sur le développement socio-économique ne peut encore être calculé avec un degré de précision significatif, mais des efforts sont faits au niveau interdisciplinaire par des séminaires de recherche avancée de l'OTAN pour mieux comprendre cet impact. En conséquence, et même si elles reposent sur des connaissances incertaines, les données nécessaires à de nombreuses prises de décisions importantes devraient être améliorées. La contribution du Programme spécial de l'OTAN en la matière est indiscutable et a d'ailleurs été pleinement reconnue par les organisations nationales et internationales menant des programmes de recherche majeurs dans le domaine des changements de l'environnement terrestre.

L'activité développée par la Division des affaires scientifiques de l'OTAN apporte une précieuse contribution en aidant à clarifier les aspects scientifiques de certaines des questions les plus brûlantes abordées au Sommet de la Terre. Le Programme spécial sur la science des modifications de l'environnement terrestre s'inscrit directement dans la ligne définie à Rio, en contribuant à la réalisation d'un développement efficace et soutenable sur une échelle globale.

Les éléments positifs issus de la CNUED doivent être approfondis. Les éléments plus faibles doivent être analysés et l'action ajustée en conséquence. Le prix d'un échec pourrait être une nouvelle guerre froide, non entre l'Est et l'Ouest cette fois, mais entre le Nord et le Sud. Si les politiciens persistent dans la tendance consistant simplement à répondre aux désastres pour l'environnement plutôt qu'à les empêcher, il se pourrait fort bien qu'après la Conférence de Stockholm de 1972 sur l'environnement et celle de Rio de 1992 sur l'environnement et le développement, une conférence ayant lieu d'ici vingt ans ait pour thème "La survie de l'humanité". Comme l'a déclaré le secrétaire général des Nations unies M. Boutros Boutros-Ghali à la fin de la Conférence de Rio: "Aujourd'hui, nous avons décidé de maintenir la pollution aux niveaux actuels dont nous sommes responsables. Un jour, nous devrons faire mieux. Nettoyer la planète."

Le Sommet de la Terre ne doit pas être jugé aux résultats immédiats obtenus à Rio, mais au processus qu'il a lancé. L'OTAN continuera à participer à ce processus par le biais des activités du "Programme spécial sur la science des modifications de l'environnement terrestre" et par le biais d'activités liées à l'environnement encouragées par les deux comités associés à la Troisième dimension de l'OTAN, le Comité scientifique et le Comité sur les défis de la société moderne.

(1) En réponse à des invitations personnelles, l'auteur a participé à certaines étapes de la préparation de la CNUED. Il a ainsi préparé sur demande un document comme contribution au rapport du Comité intergouvernemental sur les changements climatiques (CICC) et a participé à ASCEND 21 (Agenda of Science for Environment and Development into thé 21stCentury) -la conférence d'experts organisée par le Conseil international des unions scientifiques (CIUS) pour discuter les aspects scientifiques de l'environnement et du développement en relation avec la CNUED (Vienne, novembre 1991) -, ainsi qu'à la Conférence internationale sur l'eau et l'environnement (Dublin, janvier 1992) - une conférence d'experts organisée par l'Organisation météorologique mondiale (OMM).