Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Oct-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 40- No. 5
Octobre 1992
p. 17-19

La défense australienne:
une politique d'indépendance

Robert Ray,
Ministre australien de la Défense

Les perspectives en matière de sécurité internationale sont les plus prometteuses de ces quarante-cinq dernières années. La confrontation entre les superpuissances a virtuellement disparu et, avec elle, la menace d'un conflit nucléaire global. Pour la première fois depuis des décennies, la tendance pour les dépenses d'armements est à la baisse, et le rôle des Nations unies est nettement plus actif et plus constructif.

Parallèlement toutefois, l'avenir sera certainement caractérisé par de profonds changements et incertitudes. Dans de nombreux cas, les bouleversements de ces dernières années n'ont pas encore exercé tout leur impact sur la structure complexe des Etats, des alliances et des relations sociales et économiques, intimement liées, qui caractérisent le monde depuis un certain temps.
Les perspectives stratégiques semblent également devoir changer dans la région de l'Asie et du Pacifique. Des questions se posent quant à l'avenir de la présence des Etats-Unis et au rôle stratégique potentiel des grandes puissances régionales, comme la Chine, le Japon et l'Inde. Des préoccupations se manifestent également quant à la prolifération des armements, qui, de plus en plus, ne se limite plus aux technologies nucléaire, chimique ou biologique, mais s'étend également à toute une gamme d'armes et de systèmes "intelligents", comme l'a démontré la guerre du Golfe.

Dans l'ensemble, la situation en matière de sécurité dans la région de l'Asie et du Pacifique s'avère favorable. En Asie du Sud-Est, en particulier, il ne subsiste pratiquement aucune cause fondamentale de différends internationaux après la guerre froide. Des problèmes peuvent néanmoins se poser, comme par exemple les litiges concernant des revendications territoriales. En outre, les troubles générés par différents groupes sécessionistes continuent à engendrer des difficultés dans certains pays de la région.

Bien que ces questions soient importantes du point de vue de l'Australie, elles n'ont cependant pas un impact direct sur notre approche en matière de défense. Aucun signe d'intentions menaçantes ne se manifeste à rencontre de l'Australie, et il faudrait un changement fondamental d'attitude avant qu' une quelconque menace n'apparaisse.

La planification stratégique de l'Australie étant modelée par les caractéristiques de notre environnement géopolitique, la fin de la guerre froide n'a en conséquence eu aucun effet direct sur la politique de défense australienne. Depuis de nombreuses années, notre planification en matière de défense ne repose plus sur la notion d'une menace soviétique ou d'une rivalité entre superpuissances.

Seule nation-continent, l'Australie bénéficie d'une géographie unique et d'une situation stratégique favorable, qui en font l'un des pays les plus en sécurité du monde. Au sud, s'étendent les vastes étendues de l'Antarctique; d'immenses océans nous encadrent à l'est et à l'ouest; nos plus proches voisins, au nord et au nord-ouest, sont séparés de notre territoire par de considérables distances, qu' on ne peut franchir que par air ou par mer.

Nos voisins œuvrent à la stabilité régionale et au développement d ' économies de libre marché. Aucun d'eux n'est fortement armé et ne nourrit d'ambition expansionniste. Nous avons pu, en conséquence, penser notre politique de défense dans le cadre d'un contexte régional. Cela n' a pas été exactement le cas pour les démocraties d'Europe et d'Amérique du Nord, qui - jusqu'à récemment - ont dû accorder la priorité au développement d'une posture de défense dictée par les exigences d'un scénario de sécurité qui était fonction de deux blocs.

Des leçons ignorées

Durant la majeure partie du XXème siècle, les leçons de l'histoire et de la géographie ont été pour une large part ignorées par la politique de défense australienne. La sécurité était perçue comme inextricablement liée à celle des puissances occidentales. Le retrait des Britanniques de "!' est de Suez", "la doctrine de Guam" énoncée par le président Nixon et la fin de la perception d'une menace émanant d'un communisme monolithique ont fini par nous convaincre que notre sécurité se devait d'être davantage définie en fonction des événements présentant une importance directe pour l'Australie.
Cette évolution se manifesta clairement dans un livre blanc publié en 1976. Elle fut renforcée par l'Examen des capacités de défense australiennes commandé par le gouvernement travailliste en 1985. Le point culminant de la refonte de la politique de défense australienne fut la publication, en 1987, d'un livre blanc intitulé "La défense de l'Australie". Ce livre détaille une politique globale prenant en compte des facteurs géographiques, stratégiques, démographiques et économiques. En 1991, l'Examen de la structure des forces fut adopté pour hâter la mise en œuvre des objectifs de 1987.
La première prémisse de notre politique de défense est le développement d'une indépendance qui soit à la hauteur. Nous avons dès lors planifié une Force de défense extensible, apte à répondre adéquatement et efficacement à toute contingence envisageable. Nous avons également reconsidéré l'implantation des bases et nous veillons à mieux répondre aux exigences de mobilité et de communication, en basant en particulier nos forces dans le nord du continent.

De nouvelles dispositions pour les Forces de réserve sont entrées en vigueur, afin de garantir, si elles étaient appelées à contribuer à répondre à une menace, que leur état de préparation soit plus élevé, avec des délais de mobilisation raccourcis. Cela répond au besoin de disposer d'une force efficace appropriée à des contingences à plus long terme, dans les limites raisonnables que le pays peut se permettre.

Nos efforts en vue de renforcer la prise de conscience et la compréhension ont contribué à faire reconnaître à nos voisins la pertinence de la politique de défense que nous avons adoptée. Citons à cet effet, la réponse d'un haut responsable militaire indonésien, à propos du déploiement plus important de nos troupes dans le nord:

"Cela s'explique tout simplement parce que l'Australie est le pays le plus méridional de cette partie de l'hémisphère. Il est tout naturel qu'ils occupentcette position". (Indonesia Times, 20/9/91 ).

La coopération régionale

Une coopération régionale efficace est, après l'indépendance en matière de défense, la deuxième prémisse fondamentale de la politique de défense détaillée dans le livre blanc de 1987. Le succès de l'Association des pays de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et le développement économique général de la région depuis une vingtaine d'années constituent deux facteurs majeurs contribuant à cette perspective stratégique rassurante.

Notre sécurité nationale, au sens large, bénéficie en outre de l'accroissement de la tolérance chez nos voisins. L'ASEAN est appelée à demeurer l'un des piliers des tentatives de tous les Etats de la région de parvenir à des pratiques de sécurité régionale viables. Le gouvernement australien soutient fermement la décision d'inclure le dialogue sur les questions de sécurité régionale à l'ordre du jour des sessions ministérielles et des consultations post-ministérielles de l'ASEAN.

Dans le cadre de l'attention que nous accordons aux développements qui surviennent dans notre environnement stratégique immédiat, l'Australie a mis en place un mode intéressant d'activités de coopération avec les Etats de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique Sud. Notre objectif consiste à forger des liens plus solides avec les Etats du Sud-Est asiatique. Les liens en matière de défense continueront à être caractérisés par des visites de haut niveau, des exercices et des manœuvres destinés à souligner le concept d'association.

Dans les Etats du Pacifique Sud, nous œuvrons à développer une coopération qui ne se limite pas à des domaines de défense spécifiques, mais qui s'étende également à des questions de sécurité plus larges, telles que la surveillance maritime et la gestion des zones économiques exclusives des Etats insulaires du Pacifique. Nous avons récemment achevé un programme prévoyant la livraison de quinze navires de patrouille polyvalents à huit pays du Pacifique. Au cours des cinq prochaines années, nous achèverons la mise en place d'un réseau de Centres de surveillance nationaux dans la région. Nous sommes en outre étroitement impliqués dans la création d'un système de communication pour la surveillance maritime régionale.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande coopèrent étroitement depuis longtemps pour les questions de défense et les deux pays étudient actuellement des moyens de resserrer encore leurs relations en matière de défense. A l'avenir, l'accent sera mis sur des structures de forces plus complémentaires, compatibles avec les responsabilités respectives des deux pays en matière de souveraineté.

Notre politique qui consiste à soutenir la paix et la stabilité régionales de manière très pratique est actuellement démontrée par les forces australiennes affectées à l'Autorité transitoire des Nations unies au Cambodge. Ces forces jouent un rôle essentiel avec celles d'autres pays de la région et fournissent un bel exemple des avantages qui résultent d'un effort régional concerté.

Des alliances fortes


La troisième prémisse fondamentale de notre politique de défense réside dans le maintien d'alliances étroites, en particulier avec les Etats-Unis. Pour nous, l'encouragement de contacts régionaux plus étroits et le maintien de nos alliances et amitiés traditionnelles sont des activités complémentaires.

La réduction par les Etats-Unis de leurs niveaux de forces à l'étranger stimulera les ententes en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique Sud. L'Australie
constitue un maillon essentiel de cette chaîne.

L'Australie et les Etats-Unis souhaitent la poursuite de leur alliance, comme l'ont réaffirmé le président Bush et le Premier ministre Keating lors du discours historique du président devant les chambres réunies du parlement australien au début de cette année.

Par ailleurs, l'Australie continuera à apporter sa contribution à la sécurité globale au sens large dans le cadre des opérations de maintien de la paix et de sécurité des Nations unies. Notre contribution actuelle aux opérations de maintien de la paix de l'ONU est à son plus haut niveau depuis la création des Nations unies. Nous avons fourni du personnel pour des tâches importantes, hautement spécialisées, accomplies dans le cadre des opérations de l'ONU au Sahara occidental, en Iraq, en Iran, en Namibie, en Afghanistan, en Yougoslavie et au Cambodge. Récemment, nous avons également fourni des navires aux Forces multinationales lors de la guerre du Golfe et pour l'application des sanctions. Notre aptitude à apporter de telles contributions résulte des dispositions avisées adoptées pour la défense directe de l'Australie. Nous possédons en effet une capacité de défense considérable dans notre région, dans laquelle nous pouvons puiser pour des activités de maintien de la paix et d'autres activités similaires.

La fin de la guerre froide et les leçons de la guerre du Golfe renforcent notre conviction quant à la pertinence d'une politique d'indépendance en matière de défense, d'une coopération régionale efficace et d'alliances fortes. Si des changements de priorité sont inévitablement appelés à intervenir, la raison essentielle du développement des forces de défense australiennes demeurera la défense de l'Australie, couplée, grâce aux capacités que nous avons développées pour notre propre sécurité, à la poursuite de notre engagement aux missions de maintien de la paix de l'ONU et à l'aide destinée à nos alliés et à nos amis.

Il est de plus en plus communément admis que les pays de notre région devront se prendre eux-mêmes en charge. Grâce à sa politique de défense indépendante, l'Australie est bien placée pour y parvenir.