Edition Web
Vol. 40- No. 5
Octobre 1992
p. 17-19
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La défense
australienne:
une politique d'indépendance
Robert Ray,
Ministre australien de la Défense
Les perspectives en matière de sécurité internationale
sont les plus prometteuses de ces quarante-cinq dernières années.
La confrontation entre les superpuissances a virtuellement disparu et,
avec elle, la menace d'un conflit nucléaire global. Pour la première
fois depuis des décennies, la tendance pour les dépenses
d'armements est à la baisse, et le rôle des Nations unies
est nettement plus actif et plus constructif.
Parallèlement toutefois, l'avenir sera certainement caractérisé
par de profonds changements et incertitudes. Dans de nombreux cas, les
bouleversements de ces dernières années n'ont pas encore
exercé tout leur impact sur la structure complexe des Etats, des
alliances et des relations sociales et économiques, intimement
liées, qui caractérisent le monde depuis un certain temps.
Les perspectives stratégiques semblent également devoir
changer dans la région de l'Asie et du Pacifique. Des questions
se posent quant à l'avenir de la présence des Etats-Unis
et au rôle stratégique potentiel des grandes puissances régionales,
comme la Chine, le Japon et l'Inde. Des préoccupations se manifestent
également quant à la prolifération des armements,
qui, de plus en plus, ne se limite plus aux technologies nucléaire,
chimique ou biologique, mais s'étend également à
toute une gamme d'armes et de systèmes "intelligents",
comme l'a démontré la guerre du Golfe.
Dans l'ensemble, la situation en matière de sécurité
dans la région de l'Asie et du Pacifique s'avère favorable.
En Asie du Sud-Est, en particulier, il ne subsiste pratiquement aucune
cause fondamentale de différends internationaux après la
guerre froide. Des problèmes peuvent néanmoins se poser,
comme par exemple les litiges concernant des revendications territoriales.
En outre, les troubles générés par différents
groupes sécessionistes continuent à engendrer des difficultés
dans certains pays de la région.
Bien que ces questions soient importantes du point de vue de l'Australie,
elles n'ont cependant pas un impact direct sur notre approche en matière
de défense. Aucun signe d'intentions menaçantes ne se manifeste
à rencontre de l'Australie, et il faudrait un changement fondamental
d'attitude avant qu' une quelconque menace n'apparaisse.
La planification stratégique de l'Australie étant modelée
par les caractéristiques de notre environnement géopolitique,
la fin de la guerre froide n'a en conséquence eu aucun effet direct
sur la politique de défense australienne. Depuis de nombreuses
années, notre planification en matière de défense
ne repose plus sur la notion d'une menace soviétique ou d'une rivalité
entre superpuissances.
Seule nation-continent, l'Australie bénéficie d'une géographie
unique et d'une situation stratégique favorable, qui en font l'un
des pays les plus en sécurité du monde. Au sud, s'étendent
les vastes étendues de l'Antarctique; d'immenses océans
nous encadrent à l'est et à l'ouest; nos plus proches voisins,
au nord et au nord-ouest, sont séparés de notre territoire
par de considérables distances, qu' on ne peut franchir que par
air ou par mer.
Nos voisins uvrent à la stabilité régionale
et au développement d ' économies de libre marché.
Aucun d'eux n'est fortement armé et ne nourrit d'ambition expansionniste.
Nous avons pu, en conséquence, penser notre politique de défense
dans le cadre d'un contexte régional. Cela n' a pas été
exactement le cas pour les démocraties d'Europe et d'Amérique
du Nord, qui - jusqu'à récemment - ont dû accorder
la priorité au développement d'une posture de défense
dictée par les exigences d'un scénario de sécurité
qui était fonction de deux blocs.
Des leçons ignorées
Durant la majeure partie du XXème siècle, les leçons
de l'histoire et de la géographie ont été pour une
large part ignorées par la politique de défense australienne.
La sécurité était perçue comme inextricablement
liée à celle des puissances occidentales. Le retrait des
Britanniques de "!' est de Suez", "la doctrine de Guam"
énoncée par le président Nixon et la fin de la perception
d'une menace émanant d'un communisme monolithique ont fini par
nous convaincre que notre sécurité se devait d'être
davantage définie en fonction des événements présentant
une importance directe pour l'Australie.
Cette évolution se manifesta clairement dans un livre blanc publié
en 1976. Elle fut renforcée par l'Examen des capacités de
défense australiennes commandé par le gouvernement travailliste
en 1985. Le point culminant de la refonte de la politique de défense
australienne fut la publication, en 1987, d'un livre blanc intitulé
"La défense de l'Australie". Ce livre détaille
une politique globale prenant en compte des facteurs géographiques,
stratégiques, démographiques et économiques. En 1991,
l'Examen de la structure des forces fut adopté pour hâter
la mise en uvre des objectifs de 1987.
La première prémisse de notre politique de défense
est le développement d'une indépendance qui soit à
la hauteur. Nous avons dès lors planifié une Force de défense
extensible, apte à répondre adéquatement et efficacement
à toute contingence envisageable. Nous avons également reconsidéré
l'implantation des bases et nous veillons à mieux répondre
aux exigences de mobilité et de communication, en basant en particulier
nos forces dans le nord du continent.
De nouvelles dispositions pour les Forces de réserve sont entrées
en vigueur, afin de garantir, si elles étaient appelées
à contribuer à répondre à une menace, que
leur état de préparation soit plus élevé,
avec des délais de mobilisation raccourcis. Cela répond
au besoin de disposer d'une force efficace appropriée à
des contingences à plus long terme, dans les limites raisonnables
que le pays peut se permettre.
Nos efforts en vue de renforcer la prise de conscience et la compréhension
ont contribué à faire reconnaître à nos voisins
la pertinence de la politique de défense que nous avons adoptée.
Citons à cet effet, la réponse d'un haut responsable militaire
indonésien, à propos du déploiement plus important
de nos troupes dans le nord:
"Cela s'explique tout simplement parce que l'Australie est le pays
le plus méridional de cette partie de l'hémisphère.
Il est tout naturel qu'ils occupentcette position". (Indonesia Times,
20/9/91 ).
La coopération régionale
Une coopération régionale efficace est, après l'indépendance
en matière de défense, la deuxième prémisse
fondamentale de la politique de défense détaillée
dans le livre blanc de 1987. Le succès de l'Association des pays
de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et le développement économique
général de la région depuis une vingtaine d'années
constituent deux facteurs majeurs contribuant à cette perspective
stratégique rassurante.
Notre sécurité nationale, au sens large, bénéficie
en outre de l'accroissement de la tolérance chez nos voisins. L'ASEAN
est appelée à demeurer l'un des piliers des tentatives de
tous les Etats de la région de parvenir à des pratiques
de sécurité régionale viables. Le gouvernement australien
soutient fermement la décision d'inclure le dialogue sur les questions
de sécurité régionale à l'ordre du jour des
sessions ministérielles et des consultations post-ministérielles
de l'ASEAN.
Dans le cadre de l'attention que nous accordons aux développements
qui surviennent dans notre environnement stratégique immédiat,
l'Australie a mis en place un mode intéressant d'activités
de coopération avec les Etats de l'Asie du Sud-Est et du Pacifique
Sud. Notre objectif consiste à forger des liens plus solides avec
les Etats du Sud-Est asiatique. Les liens en matière de défense
continueront à être caractérisés par des visites
de haut niveau, des exercices et des manuvres destinés à
souligner le concept d'association.
Dans les Etats du Pacifique Sud, nous uvrons à développer
une coopération qui ne se limite pas à des domaines de défense
spécifiques, mais qui s'étende également à
des questions de sécurité plus larges, telles que la surveillance
maritime et la gestion des zones économiques exclusives des Etats
insulaires du Pacifique. Nous avons récemment achevé un
programme prévoyant la livraison de quinze navires de patrouille
polyvalents à huit pays du Pacifique. Au cours des cinq prochaines
années, nous achèverons la mise en place d'un réseau
de Centres de surveillance nationaux dans la région. Nous sommes
en outre étroitement impliqués dans la création d'un
système de communication pour la surveillance maritime régionale.
L'Australie et la Nouvelle-Zélande coopèrent étroitement
depuis longtemps pour les questions de défense et les deux pays
étudient actuellement des moyens de resserrer encore leurs relations
en matière de défense. A l'avenir, l'accent sera mis sur
des structures de forces plus complémentaires, compatibles avec
les responsabilités respectives des deux pays en matière
de souveraineté.
Notre politique qui consiste à soutenir la paix et la stabilité
régionales de manière très pratique est actuellement
démontrée par les forces australiennes affectées
à l'Autorité transitoire des Nations unies au Cambodge.
Ces forces jouent un rôle essentiel avec celles d'autres pays de
la région et fournissent un bel exemple des avantages qui résultent
d'un effort régional concerté.
Des alliances fortes
La troisième prémisse fondamentale de notre politique de
défense réside dans le maintien d'alliances étroites,
en particulier avec les Etats-Unis. Pour nous, l'encouragement de contacts
régionaux plus étroits et le maintien de nos alliances et
amitiés traditionnelles sont des activités complémentaires.
La réduction par les Etats-Unis de leurs niveaux de forces à
l'étranger stimulera les ententes en Asie du Sud-Est et dans le
Pacifique Sud. L'Australie
constitue un maillon essentiel de cette chaîne.
L'Australie et les Etats-Unis souhaitent la poursuite de leur alliance,
comme l'ont réaffirmé le président Bush et le Premier
ministre Keating lors du discours historique du président devant
les chambres réunies du parlement australien au début de
cette année.
Par ailleurs, l'Australie continuera à apporter sa contribution
à la sécurité globale au sens large dans le cadre
des opérations de maintien de la paix et de sécurité
des Nations unies. Notre contribution actuelle aux opérations de
maintien de la paix de l'ONU est à son plus haut niveau depuis
la création des Nations unies. Nous avons fourni du personnel pour
des tâches importantes, hautement spécialisées, accomplies
dans le cadre des opérations de l'ONU au Sahara occidental, en
Iraq, en Iran, en Namibie, en Afghanistan, en Yougoslavie et au Cambodge.
Récemment, nous avons également fourni des navires aux Forces
multinationales lors de la guerre du Golfe et pour l'application des sanctions.
Notre aptitude à apporter de telles contributions résulte
des dispositions avisées adoptées pour la défense
directe de l'Australie. Nous possédons en effet une capacité
de défense considérable dans notre région, dans laquelle
nous pouvons puiser pour des activités de maintien de la paix et
d'autres activités similaires.
La fin de la guerre froide et les leçons de la guerre du Golfe
renforcent notre conviction quant à la pertinence d'une politique
d'indépendance en matière de défense, d'une coopération
régionale efficace et d'alliances fortes. Si des changements de
priorité sont inévitablement appelés à intervenir,
la raison essentielle du développement des forces de défense
australiennes demeurera la défense de l'Australie, couplée,
grâce aux capacités que nous avons développées
pour notre propre sécurité, à la poursuite de notre
engagement aux missions de maintien de la paix de l'ONU et à l'aide
destinée à nos alliés et à nos amis.
Il est de plus en plus communément admis que les pays de notre
région devront se prendre eux-mêmes en charge. Grâce
à sa politique de défense indépendante, l'Australie
est bien placée pour y parvenir.
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