Edition Web
Vol. 40- No. 4
Aout1992
p. 14-19-
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Le
rôle de l'OTAN en Europe et le rôle
des Etats-Unis au sein de l'OTAN
William H. Taft
Depuis mon arrivée à Bruxelles en 1989, diverses choses
ont disparu avant 1 ' achèvement de mon mandat, à commencer
par l'Union soviétique. Le monde soviétique, il est vrai,
n'a pas pris fin avec fracas, mais plutôt dans un souffle; cette
fin n'en est pas moins incontestable. Les disparitions sont souvent brutales,
même si elles ne font guère de bruit.
Les commencements sont, pour leur part, souvent plus difficiles à
discerner et à cerner. Impossible de savoir avec certitude ce qui
prend forme dans l'ancienne Union soviétique, ni à quel
moment cela a commencé. Les périodes de transition entre
les fins certaines et les commencements moins certains sont à la
fois riches de défi et importantes pour les événements
qu'elles préfigurent.
Tel est manifestement le cas, aujourd'hui, en matière de sécurité
européenne.
D'autres choses, plus importantes encore que la défunte Union soviétique,
ont également connu un terme au cours de mon mandat à l'OTAN.
Deux guerres européennes, entre autres. La deuxième guerre
mondiale a pris fin le 3 octobre 1990 avec la réunification de
l'Allemagne, tandis que la guerre froide s'est terminée au cours
de l'année 1991 avec la désintégration de l'empire
soviétique. Ces événements pourraient marquer l'achèvement
de plus d'un siècle de tensions, de conflits et de divisions en
Europe. A l'origine de ces cent vingt années de conflit, on trouve
d'abord le nationalisme militant et armé qui caractérisa
la dernière partie du XIXe siècle et conduisit à
la première guerre mondiale. Il y eut ensuite l'avènement
de l'Allemagne nazie, l'empire soviétique staliniste et la deuxième
guerre mondiale qui, à son tour, déboucha sur la division
de 1'Europe entre 1'Est et l'Ouest. Cette page terrible de l'histoire
est désormais tournée.
Il convient toutefois de se rappeler qu'avant le début de cette
période de tensions et de conflits, l'entité européenne
était déjà sur le point de naître. Au XIXe
siècle, le Concert européen, le premier accord multinational
conçu pour préserver la paix sur le Vieux continent grâce
à de fréquentes réunions des ministres des Affaires
étrangères et des chefs de gouvernement européens
- avait apporté une relative stabilité, permettant à
certains visionnaires de prédire l'avènement d'une Europe
unifiée et en paix.
Envisageant l'avenir à long terme, Victor Hugo écrivait
en 1867: "Au vingtième siècle, il y aura une nation
extraordinaire... Elle sera illustre, riche, puissante, pacifique, cordiale
au reste de l'humanité... Elle s'appellera l'Europe...".
Ces espoirs d'unité européenne s'étendirent également
à la sphère économique. Une série d'accords
de libre échange conclus dans les années 1860 entre pays
européens fut même complétée par ce que l'on
peut assimiler à une monnaie commune, du moins en Europe continentale.
La notion d'Europe - un continent prospère, unifié et en
paix - commença à faire son chemin au milieu du XIXe siècle.
La relation entre l'unité et la paix en Europe fut explorée.
Mais dès 1870, la voix du Concert européen s'était
tue. Le rêve d'une Europe libre et pacifique vola en éclats
avec la guerre de Crimée, avant d'être anéanti par
la guerre entre la France et la Prusse. Des conflits commerciaux éclatèrent
au début des années 1870. En 1875, l'ambassadeur de France
à Rome écrivait que l'une des principales raisons des dangers
de cette époque était l'absence de ce que l'on appelait
"une Europe". L'unification de l'Allemagne et celle de l'Italie
n'entraînèrent pas celle de l'Europe. Au contraire, un courant
virulent de nationalisme commença à se dessiner et, conjugué
aux armées nationales et à la méfiance, il condamna
l'idée d'Europe et marqua l'aube de cent vingt années d'événements
tragiques qui aboutirent à deux guerres mondiales et à la
guerre froide.
Aujourd'hui, il se pourrait que nous ayons une fois encore l'opportunité
d'assister à la naissance de l'Europe dont rêvait Hugo :
illustre, riche, réfléchie, pacifique, amicale envers le
reste de l'humanité, bref, une Europe que les Etats-Unis seraient
très heureux d'avoir comme partenaire à part entière.
C ' est à ce partenariat équilibré avec une telle
Europe unifiée qu'aspirent les Etats-Unis depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale.
Nous recherchons l'unité d'une Europe pacifique, dans le cadre
d'une communauté Nord-Atlantique unifiée. Je pense franchement
que c'est dans ce cadre uniquement que l'effort européen d'intégration
et d'union politique pourra être maintenu et amplifié. Cela
explique pourquoi il est d'une importance vitale que, dans cette période
de transition, nous puissions remodeler l'Alliance sur des bases durables.
L'intégration européenne
J'aimerais faire quelques commentaires sur le lien entre l'Alliance et
la Communauté européenne (CE), pour montrer à quel
point leur action est complémentaire et peut le rester. Il est
communément admis que l'OTAN est le bouclier protecteur essentiel
derrière lequel la CE a pu progresser vers l'union économique.
C' est bien sûr la vérité, mais on commettrait une
erreur en mettant trop en avant cette fonction de l'Alliance, surtout
si cela poussait à croire qu' avec l'éclatement du Pacte
de Varsovie, la capacité de l'OTAN à contribuer à
l'intégration européenne a perdu sa raison d'être.
En fait, parmi les contributions majeures de l'OTAN au processus d'intégration
européenne, il y en a une dont l'utilité n'a jamais été
plus grande qu'aujourd'hui : une conception de la sécurité
dépassant le cadre national. Pour traduire cette perspective continentale
en fonction de la réalité américaine, on pourrait
imaginer que si la sécurité du New Jersey était menacée
en quelque manière que ce soit, les habitants de l'Oregon se sentiraient
eux aussi menacés. Alors que l'Europe va au-delà de l'union
économique pour entrer dans l'union politique, et surtout au moment
où elle élabore la politique étrangère et
de sécurité commune qui constitue un élément
essentiel de cette union politique, la perspective continentale, qui a
toujours été et restera celle qui sert l'OTAN, devra se
renforcer sans cesse.
D'aucuns considèrent que pour édifier une union européenne,
pour que l'Europe assoie son identité en matière de sécurité
et de défense, il est nécessaire de couper le lien qui l'unissait
à la famille atlantique grâce à laquelle elle a grandi.
Il ne faut toutefois pas confondre la géopolitique de la fin du
XXe siècle avec le monde de rêve de certains bildungsroman
du XVIIIe siècle. C'est l'Alliance atlantique et, naturellement,
sa structure militaire intégrée qui sont et resteront la
principale contribution à l'internationalisation de la politique
de sécurité en Europe. Les gouvernements nationaux agissant
dans le cadre de l'Alliance ont dû s'unir et mettre leurs intérêts
au service de la perspective continentale de la sécurité
qui transparaît dans la manière dont l'OTAN conçoit
son propre rôle.
Cette question de perspective est, à mon avis, le facteur déterminant
des modalités de réalisation de l'union politique et de
l'ampleur que celle-ci atteindra. En fait, l'un des principaux risques
que l'on pourrait faire courir à cette entreprise serait de sous-évaluer
l'importance de la vision et de la vocation continentales en tant que
fondements de l'union européenne, et de concevoir plutôt
celle-ci comme l'apogée des structures et d'arrangements pratiques.
Voici près de cent ans, commentant la personnalité d'un
des protagonistes anglais de son remarquable roman Nostromo, Joseph Conrad
écrivait qu'il n'était pas rare que le vieux M. Gould, "par
ailleurs sagace et admirable", attachât trop d'importance à
la forme. Pour ce qui a trait à ce qui se passe aujourd' hui à
Bruxelles, je dois dire que s'il s'agit d'une propension des Britanniques,
alors ceux-ci s'apparentent plus qu'on ne le dit aux Européens
du continent. Mais la forme ne fait-elle pas fureur à Bruxelles?
L'idée semble être que l'adoption d'un formalisme commun
- dans la coopération politique, la monnaie, les tribunaux, les
brigades, les corps d'armée, etc. - suscitera une apparence commune,
qu'en traitant les gens comme des Européens, ils finiront par penser
en Européens.
Non qu'il faille nier l'idée que la forme peut influencer la conduite
des gens; point n'est besoin d'adopter sans réserve toutes les
idées de B.F. Skinner (1) pour savoir que le
comportement est influencé par l'environnement. Mais cette approche
de l'Europe par le formalisme, si elle n'est pas inintéressante,
est tout simplement insuffisante. Après tout, tant l'Union soviétique
que la Yougoslavie disposaient de toutes les structures communes auxquelles
aspire l'Europe, et plus encore... comme c'est également le cas
du Canada et d'un certain nombre de pays de la CE où les mouvements
séparatistes se développent. Il faut plus qu'une communauté
de formes pour assurer l'union d'un peuple.
C'est là où l'OTAN entre en scène. A ce moment de
son histoire et quelle qu'ait pu être la situation antérieure,
l'OTAN constitue la manifestation concrète et effective d'un engagement
européen envers une défense et une politique de sécurité
européennes communes, ainsi que d'un engagement transatlantique
envers une politique de sécurité de l'Alliance. Plus qu'une
structure formaliste, l'OTAN constitue aujourd'hui une façon de
penser les problèmes de sécurité à partir
d'une perspective continentale.
L'inéluctable habitude d'une politique de sécurité
dénationalisée trouve son expression dans ses orientations
et ses procédures. La stratégie que les dirigeants de l'OTAN
ont entérinée à Rome en novembre dernier (2)
traduit l'évaluation commune des risques pour la sécurité
auxquels nos membres sont confrontés et l'attitude - militaire
et politique - qu'il nous faudrait adopter pour faire front. La règle
qui est la nôtre, consistant à n'agir que sur la base d'un
consensus, émane de la confiance que nous avons en notre communion
d'intérêt. :
A L'OTAN, nous avons découvert que le système du consensus
- reconnu comme offrant en théorie le pouvoir de contrôle
à ceux chez qui l'aptitude de persuader fait défaut - est
rarement source d'abus dans la pratique, et qu'il focalise sans nul doute
de manière constructive nos efforts sur ce qui nous rassemble plutôt
que sur ce qui nous divise. Ce principe est et restera l'une des contributions
essentielles de l'OTAN à l'intégration européenne.
La structure militaire intégrée de l'OTAN constitue assurément
une des autres manifestations de dénationalisation du mécanisme
politique en matière de sécurité en Europe militant
de façon déterminante en faveur de cette tendance à
l'union politique. La planification militaire, les décisions sur
les structures de forces et la formation qui se réalisent dans
le cadre de l'OTAN contribuent certainement à
décourager, sinon à exclure, tout sentiment de nationalisme
excessif dans ce domaine capital. Tant que cette structure sera maintenue,
les efforts pour faire progresser l'intégration à d'autres
échelons pourront se poursuivre en échappant dans une large
mesure à des déboires d'ordre militaire. Mais il va de soi
qu'elle doit être maintenue, et c'est la raison pour laquelle ceux
qui cherchent à mettre sur pied une politique de sécurité
commune et une défense commune au sein de la Communauté
européenne doivent soigneusement veiller, ce faisant, à
ne pas compromettre la structure militaire intégrée de l'OTAN.
S'agissant de définir les relations entre l'identité de
sécurité européenne et l'Union de l'Europe occidentale
(UEO), d'une part, et l'OTAN d'autre part, il est en particulier vital
qu'il y ait correspondance avec celles qu'entretien-nent les pays qui
sont membres du Comité des plans de défense et participent
à la structure militaire intégrée, de préférence
au modèle français, qui est l'exception.
La dernière contribution de l'Alliance à la cause de l'intégration
européenne porte sur l'élargissement de cadre qu'elle confère
à l'entreprise - la communauté atlantique. Pour réussir,
l'intégration européenne doit constituer un processus ouvert
sur l'extérieur. L'idée selon laquelle l'Europe est appelée
à jouer un rôle plus important que précédemment
dans les affaires mondiales est l'une des forces motrice qui sous-tend
le désir d'une union politique. Le partenariat transatlantique,
fondé sur l'Alliance, est un élément essentiel pour
la réalisation de cet objectif. Il est virtuellement impossible
d'imaginer que les Etats-Unis ou l'Europe puissent contribuer valablement
et sans défaillance à la stabilité mondiale en l'absence
des consultations et de la coopération étroites qui, conformément
aux décisions prises par nos ministres des Affaires étrangères
à Copenhague l'année dernière (3),
ont pour cadre l'OTAN. Les Etats-Unis comme 1 ' Europe, pour être
efficaces dans le monde, dépendent donc de l'Alliance et la marche
de l'Europe vers l'union tire une force vitale de ses aspirations à
jouer dans les affaires de sécurité mondiale un rôle
plus important que celui que lui permet l'Alliance.
Il s'agit là de quelques-unes des contributions essentielles que
l'OTAN apporte et continue d'apporter à la cause de l'intégration
européenne : l'habitude d'un mécanisme politique dénationalisé
en matière de sécurité, la structure militaire intégrée
et le fondement d'une politique d'engagement cons-tructif pour les questions
de sécurité globale. Aussi longtemps qu'elles seront maintenues,
il y a de bonnes raisons d'être optimiste face aux perspectives
d'union européenne. Ces contributions sont nécessaires pour
vaincre ce nationalisme destructeur qui empêche depuis trop longtemps
l'émergence de l'Europe.
Le renforcement de 1'européanisme et de l'atlan-tisme est réel.
L'OTAN uvre à la promotion de la perspective d'une sécurité
s'étendant à tout le continent, si nécessaire à
l'unité de la CE. Les pays européens devraient, dès
lors, viser à établir une unité collective en matière
de sécurité dans le cadre de l'Alliance. Les progrès
réalisés depuis un an pour ce qui a trait à l'identité
de la sécurité européenne révèlent
que l'objectif peut être atteint - si nous sommes prudents.
Le Sommet de Rome, en novembre dernier, a clairement montré que
le président Bush et les autres dirigeants de l'OTAN espèrent
l'élaboration d'une identité européenne de sécurité
et de défense qui formerait le pilier européen de 1 ' Alliance
atlantique. L'Union de l'Europe occidentale semble appelée à
devenir la passerelle entre l'OTAN et l'Union européenne. Si un
certain nombre de décisions essentielles doivent encore être
prises - il s'agit d'ailleurs de ne pas faire d'erreur - dans un sens
qui puisse renforcer l'Alliance plutôt que l'affaiblir, il y a des
raisons d'être optimiste.
Le rôle des Etats-Unis
Si l'Alliance est essentielle pour la sécurité en Europe
et la réussite de sa marche vers l'union politique, la participation
des Etats-Unis est essentielle pour l'Alliance. Quel rôle est-il
envisagé pour l'Alliance et les Etats-Unis dans la sécurité
européenne? Génèrera-t-il le soutien de l'opinion
publique américaine indispensable à la poursuite de notre
engagement en Europe?
II semble y avoir, au sens large, trois écoles de pensée
sur ces questions, tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Il y a d'abord ceux
qui en Europe estiment qu'un désengagement des Etats-unis est inévitable
à plus ou moins brève échéance. A de nombreux
égards, ces personnes correspondent aux isolationnistes américains.
Viennent ensuite ceux qui considèrent l'Alliance et les Etats-Unis
comme investis de la mission essentielle consistant à garantir
la sécurité des alliés européens contre les
menaces majeures, ceux-ci assumant la charge de gérer au jour le
jour la sécurité du continent et de régler les problèmes
moins importants qu'ils peuvent maîtriser eux-mêmes.
Un troisième groupe voit l'Alliance elle-même jouer le rôle
central dans la politique de sécurité de l'Europe, les Etats-Unis
apportant une garantie contre les menaces majeures et participant également
à d'autres actions sur la même base que les alliés
européens.
Les partisans de chacune de ces optiques, il est important de le souligner,
considèrent comme acquis que les membres de la Communauté
européenne se doterontd'une politique de sécurité
et d'une défense commune. En l'occurrence, là n'est pas
la question.
Nous ne nous attarderons guère sur la première école
de pensée, celle des isolationnistes. Leur attitude est l'expression
du désespoir. Les Américains qui la professent ont au moins
tendance à déclarer qu'ils souhaitent le divorce. La majeure
parti des isolationnistes européens, pour leur part, regrettent
d'en arriver là mais ne voient pas pourquoi ils s'échineraient
à tenter d'éviter l'inévitable. Il vaut mieux, disent-ils,
se préparer dès maintenant au départ des Etats-unis.
Il serait légitime de demander à ces gens comment ils peuvent
être si sûrs d'une thèse réfutée par
la majorité de l'opinion. On pourrait également leur faire
remarquer que leurs préparatifs en prévision de ce jour
malheureux risquent d'en accélérer la venue et de faire
échouer les efforts de ceux qui uvrent à préserver
et à renforcer le lien transatlantique. Quelle que soit l'approche
adoptée, le dialogue avec les isolationnistes tant américains
qu'européens n'est pas chose facile.
La deuxième approche, dans laquelle l'Alliance et les Etats-Unis
fourniraient aux alliés européens ce que l'on pourrait appeler
une assurance anti-catastrophe, jouit d'une extrême popularité
des deux côtés de l'Atlantique. Elle rallie en particulier
les faveurs des Européens qui considèrent que l'affaiblissement
de l'influence américaine est important pour la construction européenne
- ceux que l'on pourrait appeler les abolitionnistes. Elle séduit
également fortement les Américains qui veulent que l'on
réduise les budgets de défense et que l'on ne risque plus
des vies et des fonds américains pour ce qu'ils qualifient avec
condescendance de luttes tribales européennes répétées,
sans toutefois souhaiter l'abandon pur et simple de l'Europe.
Cette approche n'est toutefois pas sans comporter certains inconvénients
qui suscitent des hésitations. La principale inquiétude
est tout simplement que, du moins dans le domaine de la sécurité,
cette politique d'assurance est difficilement crédible. Les Européens
peuvent-ils miser en toute confiance sur le fait que les Etats-unis ne
seraient prêts à lier leur sécurité à
celle de l'Europe qu'au moment où celle-ci connaîtrait les
plus grands périls? Ne seraient-ils pas tentés d'envisager
également des possibilités alternatives? Cela permettrait-il
de dissuader des adversaires potentiels dans les deux cas? Le risque de
commettre une grave erreur d'appréciation est élevé.
L'une des considérations plus prosaïques qu'inspiré
cette approche est qu'elle prive les alliés européens du
soutien actif - politique comme militaire - des Etats-Unis dans la gestion
des questions de moindre importance. Sans l'engagement des Etats-unis
dans le règlement de tels problèmes, les chances de trouver
une solution seraient assurément plus minces.
Enfin, et on ne peut plus prosaïquement, il serait onéreux
pour l'Europe de dédoubler les moyens militaires que les Etats-Unis
peuvent affecter dans ce genre de situations. On peut d'ailleurs se demander,
sachant que nous avons généralement mis ce potentiel à
la disposition de nos alliés européens lors de crises locales
ou hors zone - Zaïre, Tchad, Ma-louines, etc. - si les parlements
européens accepteraient effectivement de voter les crédits
nécessaires. On pourrait alors se trouver confronté à
une situation doublement déplorable : une défense moins
que crédible face aux menaces majeures et un dispositif insuffisamment
efficace pour gérer celles de moindre importance. Conjuguée
à la tendance naturelle des pays au "chacun pour soi"
dans de telles circonstances, cette situation produirait un cocktail franchement
détonant.
Quelle est la troisième école de pensée? Selon elle,
les Etats-unis devraient continuer à garantir la sécurité
de l'Europe face aux menaces majeures et participer ainsi, comme un "pays
européen normal", à la gestion de la sécurité
sur le continent.
Cette solution devrait manifestement constituer aux yeux de tout le monde,
à l'exception des "abo-litionnistes" à tous crins,
une formule attrayante pour l'Europe. Elle permet des économies,
renforce la capacité de régler des crises mineures et associe
fermement l'Europe aux Etats-Unis pour la gestion des crises majeures.
Il est vrai qu'elle permet aux Etats-Unis d'avoir leur mot à dire,
dans l'élaboration et la mise en uvre des orientations politiques,
mais la plupart des Européens ont confiance dans la valeur de leurs
positions et dans la volonté de leur principal allié de
se ranger à des arguments raisonnables. La tendance croissante
de l'Alliance, depuis quelques années, à refléter
des positions trouvant leur origine en Europe devrait constituer, de ce
point de vue, un encouragement.
Aux Etats-Unis, cette approche ne reçoit toutefois pas un accueil
aussi favorable. La tentation est grande de considérer que notre
victoire dans la guerre froide pourrait nous libérer de nos engagements
face aux questions de sécurité européenne, toujours
complexes et apparemment sans fin. Certains ont le sentiment que des économies
dans le budget de la défense nous permettraient de nous attaquer
plus efficacement aux problèmes sociaux du pays. En même
temps, d'autres milieux éprouvent de la réticence à
troquer le rôle dominant qui est traditionnellement celui des Etats-Unis
au sein de l'Alliance contre un partenariat plus équilibré,
implicite dans tout accord de participation à la gestion des crises
sur le continent européen remodelé.
Les Américains devraient éviter de rejeter cette troisième
approche si elle recueille la préférence de leurs alliés
européens. La fin de la guerre froide n'a rien changé au
fait que la sécurité de l'Amérique du Nord et celle
de l'Europe sont inexorablement liées. Le surcroît de dépenses
qu'impliqué le maintien de forces en Europe plutôt qu'aux
Etats-Unis et la poursuite de l'engagement envers la politique de sécurité
européenne n'exclut pas une réduction sensible du budget
de la défense. Enfin, comme c'est le cas pour les Européens,
on jugera de plus en plus les choix politiques sur leurs mérites
et non sur le pays d'origine. Nous ne devons pas craindre cette évolution.
Cela étant dit, il n'en demeure pas moins que cette troisième
approche sera l'objet d'un grand débat, et en fin de compte, il
me semble qu'un autre aspect très terre à terre risque de
s'avérer décisif : cette solution nous offre la meilleure
chance de conserver l'unité de l'Alliance à long terme.
A mon sens, la politique d'assurance contre les catastrophes représente
tout simplement un trop grand risque pour la cohésion fondamentale
de l'Alliance. Elle donne lieu à une répartition des tâches
fondée sur une séparation des rôles, et non sur leur
partage. Une fois ces rôles séparés, qu'adviendra-t-il
des perspectives et des intérêts communs? L'Alliance est
notre patrimoine; il n'est pas souhaitable de galvauder les principes
de communauté de valeurs, de perspectives et d'intérêts
qui en sont les fondements.
(1) Note éditoriale: Burrhus Frédéric
Skinner, éminent psychologue américain et chef de file du
"beha-viorisme".
(2) Pour le texte du nouveau concept stratégique
de l'Alliance et d'autres documents du Sommet, voir la Revue de l'OTAN,
No 6, décembre 1991, p. 19-32.
(3) Pour le communiqué et d'autres documents
publiés par le Conseil à Copenhague les 6 et 7 juin 1991,
voir la Revue de l'OTAN No 3, juin 1991, p. 28-33.
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