Revue de l'OTAN
Mise à jour: 29-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 40- No. 2
Avril 1992
p. 24-27

Le rôle de l'OTAN face aux défis écologiques

Dr.PaulC.Rambaut,
Secrétaire général adjoint délégué pour les affaires scientifiques et de l'environnement de l'OTAN

Récemment, l'état de l'environnement dans un pays d'Europe a été décrit en ces termes:

"Une grande partie de nos forêts se meurt; si l'on trempait le doigt dans l'eau de certaines de nos rivières, on en serait dégoûté: il y a des endroits où l'on peut à peine respirer. Dans ces régions, les gens meurent plus jeunes et les enfants naissent avec des maladies. De temps en temps, on interdit aux habitants de quitter leur maison ou d'ouvrir une fenêtre. J'ai vu un message publicitaire télévisé recommandant le port de masques à gaz aux enfants se rendant à l'école. De vastes étendues de notre pays ressemblent aujourd'hui à des paysages lunaires désolés. Nos produits alimentaires sont contaminés depuis des années ..."

Ces paroles ont été prononcées par Vaclav Havel, Président de la République fédérative tchèque et slovaque, alors qu'il s'adressait aux ministres de l'environnement et à d'autres hommes politiques, à l'occasion de l'inauguration de la conférence "Un environnement pour l'Europe", organisée en juin 1991 à Dobris Castle près de Prague. Bien qu'évoquant son propre pays, M. Havel visait sans aucun doute plus particulièrement 1 ' héritage écologique du communisme. Malheureusement, cette description s'applique aussi, dans un sens apocalyptique, au reste du monde.

Aujourd'hui, nous ne pouvons plus rester indifférents à des questions concernant la qualité de l'air que nous respirons, celle de l'eau que nous buvons et du sol sur lequel nous vivons et travaillons. La détérioration de nos ressources naturelles et de notre patrimoine historique nous préoccupe. Notre inquiétude porte sur la survie des espèces animales et végétales menacées et sur la santé des êtres humains. Elle vise toutes les formes de matière et d'énergie déposées ou rejetées sans précautions par 1' homme sur terre, dans la mer et dans l'atmosphère. Elle s'étend même aux déchets qui s'accumulent en orbite autour de notre planète et à la multiplication des ondes diffusées dans tout le spectre électromagnétique.

Depuis plusieurs décennies, le mouvement écologique ne cesse de s'affirmer, mobilisant les citoyens, donnant naissance à diverses organisations, inspirant des partis politiques. Peut-être le lecteur sera-t-il étonné d'apprendre que l'OTAN a toujours été à l'avant-plan de ce mouvement et qu'elle demeure très active aujourd'hui. L'origine de ses préoccupations écologiques remonte à plusieurs années, et plus précisément à la signature du traité de l'Atlantique Nord en 1949. L'application de l'Article 2 du Traité a fini par revêtir la forme d'une coopération scientifique et écologique, avec la création en 1957 d'un Comité scientifique, bientôt suivi, en 1969, d'un Comité sur les défis de la société moderne. En 1979, un programme baptisé "La science pour la stabilité" s'est ajouté aux travaux du Comité scientifique pour aider la Grèce, le Portugal et la Turquie dans leur développement technologique.
Les programmes du Comité sur les défis de la société moderne (CDSM) et les projets du Comité scientifique couvrent de nombreuses activités liées à l'environnement. Avec certaines des activités menées par l'Institut Von Karman (1), affilié à l'OTAN, ces projets forment l'ensemble du programme écologique de l'OTAN.

Le fait que notre environnement se modifie aujourd'hui à un rythme sans précédent a retenu 1 ' attention de la communauté scientifique, des décideurs et de l'opinion publique en général. Pourtant, les controverses sont légion. D'aucuns soulignent l'urgence de mesures immédiates, tandis que d'autres insistent pour qu'on leur soumette d'abord des preuves plus évidentes de la menace. Tous, cependant, s'accordent à reconnaître l'impérieuse nécessité de comprendre les processus sous-jacents.

L'OTAN contribue depuis des années à favoriser cette compréhension, en parrainant des études dans des domaines tels que la recherche océanographique, l'interaction entre l'atmosphère et la mer, les sciences marines et les mécanismes globaux du transport. Ces programmes ont permis, à bien des égards, de mieux comprendre les enjeux et d'étoffer les connaissances déjà acquises en la matière.

Le dernier programme d'environnement lancé par l'OTAN vise plus particulièrement à améliorer notre aptitude à anticiper les changements résultant des activités humaines, y compris l'effet de serre dans la troposphère et l'appauvrissement de la couche d'ozone dans la stratosphère.

Une contribution unique

On pourrait se demander pourquoi l'OTAN poursuit ses travaux dans ce domaine, puisqu'il existe à présent un réseau complexe d'organisations internationales qui opèrent sous des mandats apparemment similaires. Le Comité scientifique de l'OTAN a largement débattu de cette question il y a deux ans, avant d'entamer son dernier programme. Il en a conclu qu'aucune autre instance n'organisait de séminaires spécialisés ni de sessions d'été semblables à ceux parrainés par l'OTAN et que ces événements représentaient dès lors une contribution unique.

Les études de l'OTAN ne portent pas uniquement sur la science des changements écologiques en général. Plusieurs problèmes régionaux font, eux aussi, l'objet de recherches, auxquelles participent des experts gouvernementaux ainsi que des représentants de l'industrie et des milieux universitaires, afin de développer des moteurs moins polluants et de formuler les priorités dont les Etats devraient tenir compte dans leurs programmes de recherche et de développement. Une des études OTAN suggérée par la Norvège montre que les polluants atmosphériques rejetés par les gros moteurs diesel marins posent un problème majeur lorsque les bateaux naviguent dans des eaux intérieures, des canaux et d'autres voies fluviales. Les recherches visent à trouver le moyen de réduire ces polluants en modifiant la conception des moteurs et en faisant appel à de nouveaux carburants. Des projets en Turquie cherchent à exploiter plus proprement les immenses réserves nationales de lignite à des fins commerciales et à améliorer la conception des foyers domestiques qui polluent actuellement l'atmosphère d'Ankara et d'autres villes turques.

Plusieurs études de l'OTAN portent sur la pollution des océans, des fleuves, des rivières et des nappes phréatiques. L'urbanisation tous azimuts du littoral de la mer de Marmara par exemple a considérablement détérioré l'environnement de cette région. Un projet OTAN a étudié les processus qui pourraient être mis en oeuvre pour traiter les phosphates, les borates et les fluorures rejetés par les mines, les usines d'engrais et d'autres installations chimiques installées dans la baie d'Izmit, en Turquie.

Des études OTAN, dirigées par la France, portent sur les effets des collisions de navires et sur l'utilisation de revêtements anti- encrassants. Une étude pilote menée par l'Italie vient d'être entamée, dans le but de mieux comprendre l'interaction des différents éléments de la mer et des lagunes. Cette étude est motivée par des préoccupations spécifiques quant aux effets de dénivellation, aux répercussions de l'élévation du niveau de l'eau par rapport à des villes situées au niveau de la mer, ou en dessous, et aux conséquences des polluants industriels, agricoles et urbains.

Par ailleurs, l'OTAN évalue les répercussions économiques, financières et écologiques de diverses politiques de gestion des eaux intérieures. Un projet d'étude du bassin fluvial très pollué de l'Ave, dans le Nord du Portugal, a entraîné la création de la première Commission de gestion intégrée des ressources aquatiques du Portugal et devrait aboutir au développement d'un cadre de gestion de ces ressources pour l'ensemble du pays.

Le patrimoine artistique fait lui aussi partie intégrante de l'environnement que l'OTAN souhaite préserver. Une étude des vitraux historiques, dirigée parFAllemagne, a été décidée dès que l'on s ' est rendu compte que la détérioration de vitraux médiévaux sous l'effet des pluies acides était telle que, faute de mesures rapides et efficaces, il ne resterait pratiquement plus rien de cet héritage unique au XXIème siècle. Un nouvel enduit spécial a été mis au point; il semblerait qu'il soit le premier du genre à offrir une protection adéquate. La détérioration des monuments historiques sous l'effet de la pollution atmosphérique est, elle aussi, de plus en plus fréquente. Dans le cadre d'une étude dirigée par la Grèce, des chercheurs ont étudié l'efficacité de plusieurs produits destinés à protéger la pierre et mis au point une base de données sur l'état des monuments historiques. Une autre étude pilote dirigée par l'Allemagne vise à mesurer l'étendue et les causes de la détérioriation de structures historiques en briques, et à identifier des méthodes de préservation appropriées.

Impact des activités militaires

Que ce soit en temps de paix ou de guerre, les activités militaires sont nuisibles à l'environnement. Plusieurs exemples dramatiques récents en apportent la preuve: les effets du conflit du Golfe sur les zones de production pétrolière du Koweït - qui a fait surgir l'image d'un hiver nucléaire tant redouté il y a quelque temps - la destruction par les chars de parcs nationaux et de villes historiques en Yougoslavie, ou encore le bruit fracassant des avions à réaction volant à basse altitude au-dessus des campagnes et des villages d'Europe. L'OTAN a toujours été consciente de ses responsabilités et de ses aptitudes particulières face aux problèmes d'environnement liés aux activités militaires.
Plusieurs conférences et séminaires internationaux organisés par l'OTAN depuis 1980 se sont penchés sur les répercussions écologiques de ces activités. Dans ce contexte, il y a lieu de noter plus particulièrement la récente formulation d'une déclaration de principe pour la Sensibilisation des forces armées aux problèmes écologiques et la protection de l'environnement par les communautés militaires. Celles-ci reconnaissent que la préservation de l'environnement doit être au coeur des préoccupations majeures de toutes les forces armées.

Des enquêtes organisées sous l'égide de l'OTAN et menées par 1 ' Allemagne et les Etats-Unis montrent que les forces armées ont déjà pris de nombreuses mesures pour minimiser la pollution aquatique, atmosphérique et terrestre. Les autorités militaires reconnaissent qu'il faut réduire le bruit que provoquent les exercices aériens à basse altitude, les dommages occasionnés aux camps d'entraînement et l'utilisation des champs de tir. Une étude actuellement pilotée par les Pays-Bas cherche à identifier les cas où l'OTAN pourrait plus largement faire appel à des simulateurs, tandis qu ' une autre étude, terminée récemment et pilotée par l'Allemagne et les Etats-Unis, a étudié les moyens de réduire, à la fois par des modifications techniques et par des adaptations opérationnelles, le niveau sonore des moteurs d'avions, des hélices et des rotors.

Que les problèmes écologiques soient d'envergure mondiale ou régionale, une coopération internationale s'avère indispensable si on veut leur apporter des solutions efficaces. A cet égard, on peut considérer que l'OTAN a développé un potentiel unique non seulement d'échange, mais aussi d'utilisation pratique de données technologiques et scientifiques à l'échelle internationale. Il lui semble naturel de tirer les leçons d'expériences passées, pour formuler des recommandations susceptibles d'inciter les pouvoirs publics des différents Etats à prendre des mesures appropriées.

Dès la création du CDSM en 1969,1 ' OTAN avait estimé que les efforts déployés par l'Alliance en matière d'environnement seraient ouverts au reste du monde et qu'ils pourraient, à terme, impliquer une coopération entre Etats membres et non-membres. Cette dimension a été réaffirmée par les ministrès des Affaires étrangères réunis à Turnberry (Ecosse) en juin 1990, puis à Copenhague l'année suivante. Les ministres ont notamment prévu la participation d'experts d'Europe centrale et orientale à certaines activités de l'Alliance, y compris celles liées à l'environnement.

Le Conseil de l'OTAN a par ailleurs approuvé une série de mesures pratiques devant assurer une participation plus importante des scientifiques d'Europe centrale et orientale aux programmes scientifiques et écologiques de l'OTAN. Des experts de ces pays ont, par exemple, déjà été invités à participer à une nouvelle étude pilote des technologies de contrôle de la pollution, menée par les Etats-Unis. Les participants à ce projet, dont la gestion a été confiée à l'Agence américaine pour la protection de l'environnement, ont estimé qu'il était particulièrement important de s'assurer la contribution de représentants des pays d'Europe centrale et orientale - sur le point de développer les structures d'une économie de marché - afin qu'ils stimulent l'application anticipée de mesures antipollution.

En conclusion, il n'est pas inutile de rappeler la déclaration de Richard Nixon, à l'occasion du XXème anniversaire du Traité de l'Atlantique Nord en 1969:
"Nos sociétés évoluées partagent les avantages et les inconvénients d'une technologie industrielle en rapide évolution. Le défi à relever en priorité par les nations industrialisées consiste à harmoniser l'homme du XXème siècle et son environnement, c'est-à-dire faire en sorte que le monde convienne à l'homme et aider l'homme à apprendre à vivre en harmonie avec un monde qui se modifie à une cadence accélérée."

Au sommet de 1989 marquant le quarantième anniversaire de l'Alliance, les chefs d'Etat et de gouvernement alliés ont exprimé leur désir de voir 1 ' OTAN prendre de nouvelles initiatives, qui donneraient encore plus d'impact à ses projets écologiques et scientifiques. A cet égard, ils ont rappelé combien l'OTAN s'emploie, sans relâche et avec une intensité toujours accrue, à relever ces défis (2). A l'aube d'un nouveau millénaire, c'est ce mandat qui sous-tend les efforts de coopération entre les seize Etats membres de l'OTAN et, dans une mesure toujours plus grande, entre l'OTAN et ses nouveaux partenaires d'Europe centrale et orientale


(1) Installé à Bruxelles, l'Institut Von Karman pour la dynamique des fluides est une organisation scientifique internationale sans but lucratif qui se consacre à l'enseignement post-universitaire et à la recherche appliquée et fondamentale dans le domaine de la dynamique des fluides.
(2) Le texte de la Déclaration a été publié dans la Revue de l'OTAN, N°3, juin 1989, p.28