Edition Web
Vol. 40- No. 2
Avril 1992
p. 24-27
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Le
rôle de l'OTAN face aux défis écologiques
Dr.PaulC.Rambaut,
Secrétaire général adjoint délégué
pour les affaires scientifiques et de l'environnement de l'OTAN
Récemment, l'état de l'environnement dans un pays d'Europe
a été décrit en ces termes:
"Une grande partie de nos forêts se meurt; si l'on trempait
le doigt dans l'eau de certaines de nos rivières, on en serait
dégoûté: il y a des endroits où l'on peut à
peine respirer. Dans ces régions, les gens meurent plus jeunes
et les enfants naissent avec des maladies. De temps en temps, on interdit
aux habitants de quitter leur maison ou d'ouvrir une fenêtre. J'ai
vu un message publicitaire télévisé recommandant
le port de masques à gaz aux enfants se rendant à l'école.
De vastes étendues de notre pays ressemblent aujourd'hui à
des paysages lunaires désolés. Nos produits alimentaires
sont contaminés depuis des années ..."
Ces paroles ont été prononcées par Vaclav Havel,
Président de la République fédérative tchèque
et slovaque, alors qu'il s'adressait aux ministres de l'environnement
et à d'autres hommes politiques, à l'occasion de l'inauguration
de la conférence "Un environnement pour l'Europe", organisée
en juin 1991 à Dobris Castle près de Prague. Bien qu'évoquant
son propre pays, M. Havel visait sans aucun doute plus particulièrement
1 ' héritage écologique du communisme. Malheureusement,
cette description s'applique aussi, dans un sens apocalyptique, au reste
du monde.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus rester indifférents à
des questions concernant la qualité de l'air que nous respirons,
celle de l'eau que nous buvons et du sol sur lequel nous vivons et travaillons.
La détérioration de nos ressources naturelles et de notre
patrimoine historique nous préoccupe. Notre inquiétude porte
sur la survie des espèces animales et végétales menacées
et sur la santé des êtres humains. Elle vise toutes les formes
de matière et d'énergie déposées ou rejetées
sans précautions par 1' homme sur terre, dans la mer et dans l'atmosphère.
Elle s'étend même aux déchets qui s'accumulent en
orbite autour de notre planète et à la multiplication des
ondes diffusées dans tout le spectre électromagnétique.
Depuis plusieurs décennies, le mouvement écologique ne cesse
de s'affirmer, mobilisant les citoyens, donnant naissance à diverses
organisations, inspirant des partis politiques. Peut-être le lecteur
sera-t-il étonné d'apprendre que l'OTAN a toujours été
à l'avant-plan de ce mouvement et qu'elle demeure très active
aujourd'hui. L'origine de ses préoccupations écologiques
remonte à plusieurs années, et plus précisément
à la signature du traité de l'Atlantique Nord en 1949. L'application
de l'Article 2 du Traité a fini par revêtir la forme d'une
coopération scientifique et écologique, avec la création
en 1957 d'un Comité scientifique, bientôt suivi, en 1969,
d'un Comité sur les défis de la société moderne.
En 1979, un programme baptisé "La science pour la stabilité"
s'est ajouté aux travaux du Comité scientifique pour aider
la Grèce, le Portugal et la Turquie dans leur développement
technologique.
Les programmes du Comité sur les défis de la société
moderne (CDSM) et les projets du Comité scientifique couvrent de
nombreuses activités liées à l'environnement. Avec
certaines des activités menées par l'Institut Von Karman
(1), affilié à l'OTAN, ces projets forment
l'ensemble du programme écologique de l'OTAN.
Le fait que notre environnement se modifie aujourd'hui à un rythme
sans précédent a retenu 1 ' attention de la communauté
scientifique, des décideurs et de l'opinion publique en général.
Pourtant, les controverses sont légion. D'aucuns soulignent l'urgence
de mesures immédiates, tandis que d'autres insistent pour qu'on
leur soumette d'abord des preuves plus évidentes de la menace.
Tous, cependant, s'accordent à reconnaître l'impérieuse
nécessité de comprendre les processus sous-jacents.
L'OTAN contribue depuis des années à favoriser cette compréhension,
en parrainant des études dans des domaines tels que la recherche
océanographique, l'interaction entre l'atmosphère et la
mer, les sciences marines et les mécanismes globaux du transport.
Ces programmes ont permis, à bien des égards, de mieux comprendre
les enjeux et d'étoffer les connaissances déjà acquises
en la matière.
Le dernier programme d'environnement lancé par l'OTAN vise plus
particulièrement à améliorer notre aptitude à
anticiper les changements résultant des activités humaines,
y compris l'effet de serre dans la troposphère et l'appauvrissement
de la couche d'ozone dans la stratosphère.
Une contribution unique
On pourrait se demander pourquoi l'OTAN poursuit ses travaux dans ce domaine,
puisqu'il existe à présent un réseau complexe d'organisations
internationales qui opèrent sous des mandats apparemment similaires.
Le Comité scientifique de l'OTAN a largement débattu de
cette question il y a deux ans, avant d'entamer son dernier programme.
Il en a conclu qu'aucune autre instance n'organisait de séminaires
spécialisés ni de sessions d'été semblables
à ceux parrainés par l'OTAN et que ces événements
représentaient dès lors une contribution unique.
Les études de l'OTAN ne portent pas uniquement sur la science des
changements écologiques en général. Plusieurs problèmes
régionaux font, eux aussi, l'objet de recherches, auxquelles participent
des experts gouvernementaux ainsi que des représentants de l'industrie
et des milieux universitaires, afin de développer des moteurs moins
polluants et de formuler les priorités dont les Etats devraient
tenir compte dans leurs programmes de recherche et de développement.
Une des études OTAN suggérée par la Norvège
montre que les polluants atmosphériques rejetés par les
gros moteurs diesel marins posent un problème majeur lorsque les
bateaux naviguent dans des eaux intérieures, des canaux et d'autres
voies fluviales. Les recherches visent à trouver le moyen de réduire
ces polluants en modifiant la conception des moteurs et en faisant appel
à de nouveaux carburants. Des projets en Turquie cherchent à
exploiter plus proprement les immenses réserves nationales de lignite
à des fins commerciales et à améliorer la conception
des foyers domestiques qui polluent actuellement l'atmosphère d'Ankara
et d'autres villes turques.
Plusieurs études de l'OTAN portent sur la pollution des océans,
des fleuves, des rivières et des nappes phréatiques. L'urbanisation
tous azimuts du littoral de la mer de Marmara par exemple a considérablement
détérioré l'environnement de cette région.
Un projet OTAN a étudié les processus qui pourraient être
mis en oeuvre pour traiter les phosphates, les borates et les fluorures
rejetés par les mines, les usines d'engrais et d'autres installations
chimiques installées dans la baie d'Izmit, en Turquie.
Des études OTAN, dirigées par la France, portent sur les
effets des collisions de navires et sur l'utilisation de revêtements
anti- encrassants. Une étude pilote menée par l'Italie vient
d'être entamée, dans le but de mieux comprendre l'interaction
des différents éléments de la mer et des lagunes.
Cette étude est motivée par des préoccupations spécifiques
quant aux effets de dénivellation, aux répercussions de
l'élévation du niveau de l'eau par rapport à des
villes situées au niveau de la mer, ou en dessous, et aux conséquences
des polluants industriels, agricoles et urbains.
Par ailleurs, l'OTAN évalue les répercussions économiques,
financières et écologiques de diverses politiques de gestion
des eaux intérieures. Un projet d'étude du bassin fluvial
très pollué de l'Ave, dans le Nord du Portugal, a entraîné
la création de la première Commission de gestion intégrée
des ressources aquatiques du Portugal et devrait aboutir au développement
d'un cadre de gestion de ces ressources pour l'ensemble du pays.
Le patrimoine artistique fait lui aussi partie intégrante de l'environnement
que l'OTAN souhaite préserver. Une étude des vitraux historiques,
dirigée parFAllemagne, a été décidée
dès que l'on s ' est rendu compte que la détérioration
de vitraux médiévaux sous l'effet des pluies acides était
telle que, faute de mesures rapides et efficaces, il ne resterait pratiquement
plus rien de cet héritage unique au XXIème siècle.
Un nouvel enduit spécial a été mis au point; il semblerait
qu'il soit le premier du genre à offrir une protection adéquate.
La détérioration des monuments historiques sous l'effet
de la pollution atmosphérique est, elle aussi, de plus en plus
fréquente. Dans le cadre d'une étude dirigée par
la Grèce, des chercheurs ont étudié l'efficacité
de plusieurs produits destinés à protéger la pierre
et mis au point une base de données sur l'état des monuments
historiques. Une autre étude pilote dirigée par l'Allemagne
vise à mesurer l'étendue et les causes de la détérioriation
de structures historiques en briques, et à identifier des méthodes
de préservation appropriées.
Impact des activités militaires
Que ce soit en temps de paix ou de guerre, les activités militaires
sont nuisibles à l'environnement. Plusieurs exemples dramatiques
récents en apportent la preuve: les effets du conflit du Golfe
sur les zones de production pétrolière du Koweït -
qui a fait surgir l'image d'un hiver nucléaire tant redouté
il y a quelque temps - la destruction par les chars de parcs nationaux
et de villes historiques en Yougoslavie, ou encore le bruit fracassant
des avions à réaction volant à basse altitude au-dessus
des campagnes et des villages d'Europe. L'OTAN a toujours été
consciente de ses responsabilités et de ses aptitudes particulières
face aux problèmes d'environnement liés aux activités
militaires.
Plusieurs conférences et séminaires internationaux organisés
par l'OTAN depuis 1980 se sont penchés sur les répercussions
écologiques de ces activités. Dans ce contexte, il y a lieu
de noter plus particulièrement la récente formulation d'une
déclaration de principe pour la Sensibilisation des forces armées
aux problèmes écologiques et la protection de l'environnement
par les communautés militaires. Celles-ci reconnaissent que la
préservation de l'environnement doit être au coeur des préoccupations
majeures de toutes les forces armées.
Des enquêtes organisées sous l'égide de l'OTAN et
menées par 1 ' Allemagne et les Etats-Unis montrent que les forces
armées ont déjà pris de nombreuses mesures pour minimiser
la pollution aquatique, atmosphérique et terrestre. Les autorités
militaires reconnaissent qu'il faut réduire le bruit que provoquent
les exercices aériens à basse altitude, les dommages occasionnés
aux camps d'entraînement et l'utilisation des champs de tir. Une
étude actuellement pilotée par les Pays-Bas cherche à
identifier les cas où l'OTAN pourrait plus largement faire appel
à des simulateurs, tandis qu ' une autre étude, terminée
récemment et pilotée par l'Allemagne et les Etats-Unis,
a étudié les moyens de réduire, à la fois
par des modifications techniques et par des adaptations opérationnelles,
le niveau sonore des moteurs d'avions, des hélices et des rotors.
Que les problèmes écologiques soient d'envergure mondiale
ou régionale, une coopération internationale s'avère
indispensable si on veut leur apporter des solutions efficaces. A cet
égard, on peut considérer que l'OTAN a développé
un potentiel unique non seulement d'échange, mais aussi d'utilisation
pratique de données technologiques et scientifiques à l'échelle
internationale. Il lui semble naturel de tirer les leçons d'expériences
passées, pour formuler des recommandations susceptibles d'inciter
les pouvoirs publics des différents Etats à prendre des
mesures appropriées.
Dès la création du CDSM en 1969,1 ' OTAN avait estimé
que les efforts déployés par l'Alliance en matière
d'environnement seraient ouverts au reste du monde et qu'ils pourraient,
à terme, impliquer une coopération entre Etats membres et
non-membres. Cette dimension a été réaffirmée
par les ministrès des Affaires étrangères réunis
à Turnberry (Ecosse) en juin 1990, puis à Copenhague l'année
suivante. Les ministres ont notamment prévu la participation d'experts
d'Europe centrale et orientale à certaines activités de
l'Alliance, y compris celles liées à l'environnement.
Le Conseil de l'OTAN a par ailleurs approuvé une série de
mesures pratiques devant assurer une participation plus importante des
scientifiques d'Europe centrale et orientale aux programmes scientifiques
et écologiques de l'OTAN. Des experts de ces pays ont, par exemple,
déjà été invités à participer
à une nouvelle étude pilote des technologies de contrôle
de la pollution, menée par les Etats-Unis. Les participants à
ce projet, dont la gestion a été confiée à
l'Agence américaine pour la protection de l'environnement, ont
estimé qu'il était particulièrement important de
s'assurer la contribution de représentants des pays d'Europe centrale
et orientale - sur le point de développer les structures d'une
économie de marché - afin qu'ils stimulent l'application
anticipée de mesures antipollution.
En conclusion, il n'est pas inutile de rappeler la déclaration
de Richard Nixon, à l'occasion du XXème anniversaire du
Traité de l'Atlantique Nord en 1969:
"Nos sociétés évoluées partagent les
avantages et les inconvénients d'une technologie industrielle en
rapide évolution. Le défi à relever en priorité
par les nations industrialisées consiste à harmoniser l'homme
du XXème siècle et son environnement, c'est-à-dire
faire en sorte que le monde convienne à l'homme et aider l'homme
à apprendre à vivre en harmonie avec un monde qui se modifie
à une cadence accélérée."
Au sommet de 1989 marquant le quarantième anniversaire de l'Alliance,
les chefs d'Etat et de gouvernement alliés ont exprimé leur
désir de voir 1 ' OTAN prendre de nouvelles initiatives, qui donneraient
encore plus d'impact à ses projets écologiques et scientifiques.
A cet égard, ils ont rappelé combien l'OTAN s'emploie, sans
relâche et avec une intensité toujours accrue, à relever
ces défis (2). A l'aube d'un nouveau millénaire,
c'est ce mandat qui sous-tend les efforts de coopération entre
les seize Etats membres de l'OTAN et, dans une mesure toujours plus grande,
entre l'OTAN et ses nouveaux partenaires d'Europe centrale et orientale
(1) Installé à Bruxelles, l'Institut
Von Karman pour la dynamique des fluides est une organisation scientifique
internationale sans but lucratif qui se consacre à l'enseignement
post-universitaire et à la recherche appliquée et fondamentale
dans le domaine de la dynamique des fluides.
(2) Le texte de la Déclaration a été
publié dans la Revue de l'OTAN, N°3, juin 1989, p.28
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