Edition Web
Vol. 40- No. 2
Avril 1992
p. 18-23
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CSCE
Phase 2 -
De Paris à Helsinki, via Berlin et Prague
Christopher Anstis,
Directeur, Division de Id politique de sécurité internationale
et des Affaires de la CSCE, Département des affaires extérieures,
Canada
Bien que la Conférence sur la sécurité et la coopération
en Europe (CSCE) ait commencé il y a 20 ans à peine à
Helsinki, ses origines remontent à plusieurs décennies,
plus exactement aux années 30. A l'époque en effet, Maxim
Litvinov, commissaire soviétique aux relations étrangères,
avait tenté de mettre sur pied un système de sécurité
collectif en Europe. L'Union soviétique avait lancé l'initiative,
lorsqu'elle préconisait une Conférence sur la sécurité
européenne au lendemain de la deuxième guerre mondiale.
Mais le résultat - la CSCE - fut différent de celui escompté
par Moscou, les Alliés de l'OTAN insistant pour conférer
une dimension pratique aux droits des citoyens à quitter leur pays
et à y revenir librement, à échanger et recevoir
des informations.
Ces dispositions, qui constituent le troisième volet de l'Acte
final d'Helsinki signé en 1975 par les chefs d'Etat et de gouvernement,
reflétaient les divergences fondamentales qui divisaient alors
l'Europe en deux camps: l'Est et l'Ouest. Pendant des années, les
débats de la CSCE ont été dominés par des
thèmes comme la liberté de circulation ou une diffusion
plus large de l'information, au point que les commentateurs qualifiaient
souvent la CSCE - à tort - de "réunion des droits de
l'homme". Mais comme presque toutes les autres constantes sur la
scène de la sécurité européenne, ce débat
explosif a subi des transformations radicales suite aux révolutions
de 1989. L'Europe avait changé : la CSCE devait, elle aussi, changer.
Une nouvelle CSCE
Tel était le message de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe
adopté en novembre 1990 au sommet de la CSCE (1).
Cette charte énonce un projet pour "Une nouvelle ère
de démocratie, de paix et d'unité" et prévoit
de "Nouvelles structures et institutions du processus de la CSCE",
dans le but de promouvoir une "nouvelle qualité de dialogue
et de coopération politiques" par "des consultations
plus intenses à tous les niveaux...".
Dans la Charte de Paris, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris
rendez-vous pour 1992 à Helsinki (la date exacte de cette réunion
ayant été ultérieurement arrêtée aux
9 et 10 juillet), dans le cadre des suites de la CSCE et d'autres réunions
similaires. Ils ont également instauré un Conseil des ministres
des Affaires étrangères et un Comité de hauts fonctionnaires,
chargé de préparer les réunions du Conseil et d'agir
en tant que mandataire dudit Conseil.
A leur réunion de Rome en novembre 1991 les chefs d'Etat et de
gouvernement de l'OTAN reconnaissant que le processus de la CSCE avait
déjà contribué de manière significative à
surmonter la division en Europe, ont constaté les changements intervenus
au sein de la CSCE: "A la suite du sommet de Paris, (le processus
de la CSCE) inclut à présent de nouveaux arrangements institutionnels
et offre un cadre contractuel de consultation et de coopération
susceptible déjouer, en complément de celui de l'OTAN et
du processus d'intégration européenne, un rôle positif
pour la sauvegarde de la paix." (2)
La CSCE a un toit
Les hauts fonctionnaires des Etats participant à la CSCE ont très
vite commencé à se réunir fréquemment à
Prague, où fut établi le nouveau secrétariat de la
CSCE. Leurs réunions se tenaient à l'élégant
Palais Cernin, qui abrite également les bureaux du ministère
des Affaires étrangères. L'automne dernier, par exemple,
les hauts fonctionnaires ont été convoqués à
plusieurs reprises par le Président en exercice de leur Comité
(l'Allemagne à l'époque) pour étudier la situation
en Yougoslavie dans le cadre du "mécanisme de consultation
et de coopération pour les situations d'urgence", adopté
à la première réunion du Conseil des Ministres, en
juin 1991 à Berlin. Ils ont également entamé les
préparatifs de la seconde réunion du Conseil, convoquée
à Prague.
Le Conseil de Prague
Après Paris et Berlin, c'est à Prague que les ministres
de la CSCE se sont réunis les 30 et 31 janvier dernier et ils se
retrouvèrent de nouveau à Helsinki pour la CSCE Phase 2.
Le Conseil de Prague a adopté un projet résumant les conclusions
de ses travaux (y compris une déclaration détaillée
sur la situation en Yougoslavie) et le "Document de Prague sur la
poursuite du développement des institutions et des procédures
de la CSCE". Ce document sert de référence aux négociateurs
qui participent à la réunion sur la suites de la CSCE, entamée
en mars dernier. Le Conseil a également publié une "Déclaration
sur la non-prolifération et le transfert des armements". La
non-prolifération est un domaine relativement nouveau pour la CSCE.
Cette déclaration, qui renforce les actions menées par les
Nations unies en la matière, était en partie le fruit d'une
initiative canadienne.
Tous ces documents ont été rédigés par le
Comité des hauts fonctionnaires et un groupe de travail spécialement
constitué à cet effet. Leur préparation a été
précédée de négociations difficiles, se prolongeant
souvent au delà de minuit - les hôtes tchèques et
slovaques veillant à soutenir les efforts des négociateurs
en mettant à leur disposition bière et saucisses à
volonté. Conformément à la Charte de Paris, ce travail
avait pour but de soumettre aux ministres des recommandations quant à
la manière de poursuivre le développement des institutions
et des structures de la CSCE - c'est-à-dire comment améliorer,
d'une façon générale, la capacité de la CSCE
de résoudre des crises, de prévenir et résoudre des
conflits, bref comment améliorer la gestion de la sécurité.
Cette mission a non seulement nécessité un travail conceptuel
visant à dresser la liste des instruments de la gestion de la sécurité,
mais elle a également impliqué l'étude de questions
sensibles, apparentées à cette problématique, telles
que la manière de modifier la sacro-sainte règle du consensus
en vigueur à la CSCE et comment prendre des mesures pour protéger
les droits de l'homme, la démocratie et le règne du droit.
Les nouveaux Etats membres de la CSCE
Ces questions étaient d'autant plus essentielles qu'elles impliquaient
plusieurs Etats désireux de participer à la CSCE - en l'occurrence
les républiques issues de l'ex-Union soviétique et de la
Yougoslavie. Prenant provisoirement la place de l'Union soviétique,
la Fédération de Russie a très vite été
acceptée par la Conférence des hauts fonctionnaires, mais
l'adhésion à la CSCE a posé plus de problèmes
pour les onze autres républiques de l'ex-Union soviétique
(rappelons que les trois Républiques baltes se sont jointes à
la CSCE en septembre 1991, à la réunion de Moscou sur la
dimension humaine), de même que pour les républiques ayant
déclaré leur indépendance par rapport à la
Yougoslavie.
Finalement, au cours d'une réunion informelle précédant
l'ouverture du Conseil le 30 janvier, les ministres sont convenus d'accueillir
dix républiques de l'ex-Union soviétique au sein de la CSCE
(l'adhésion de la Géorgie, en pleine guerre civile, ayant
été reportée). Avec la Fédération de
Russie, ces nouveaux Etats membres ont accepté, dans une lettre
rédigée par le Comité des hauts fonctionnaires, de
respecter les engagements de la CSCE et d'accueillir des missions de rapporteurs
de la CSCE.
Ils ont également reconnu que leur territoire fera partie de la
zone couverte par le régime des mesures de confiance et de sécurité
adopté par la CSCE. Cette précision s'applique, entre autres,
aux cinq républiques asiatiques de l'ex-Union soviétique
- ce qui étend jusqu'à l'Asie la zone précitée,
autrefois déh'mitée par la région allant de 1 ' Atlantique
à 1 ' Oural. Paradoxalement toutefois, la partie asiatique de la
nouvelle Fédération de Russie a été exclue
de la zone, à la demande de la Russie elle-même, dans l'attente
de négociations complémentaires. Les ministres ont également
invité la Croatie et la Slovénie à assister en tant
qu'observateurs aux réunions de la CSCE - renouvelant ainsi le
précédent accordé à l'Albanie, un an plus
tôt.
Alors que les délégués se rendaient en séance
plénière pour assister au Conseil de Prague, de nouveaux
drapeaux et de nouvelles plaquettes d'identification étaient installés
puisque la CSCE était passée de 38 à 48 pays membres.
Au moment de l'ouverture, le 24 mars, de la réunion de suivi d'Helsinki,
la Géorgie, la Croatie et la Slovénie ont à leur
tour rejoint les rangs de la CSCE qui compte désormais 51 pays
membres.
Les ministres réunis à Prague ont pris des mesures immédiates
concernant deux des nouveaux Etats membres. L'Arménie et l'Azerbaïdjan
avaient déjà accepté des missions de rapporteurs
comme condition préalable à leur adhésion à
la CSCE. Le Conseil des ministres a décidé d'organiser une
mission prioritaire dans le Haut-Karabakh, l'enclave arménienne
de l'Azerbaïdjan, pour faire le point sur les luttes sanglantes dans
cette région. Cette mission et la mission de suivi (dont le transport
dans la région a été assuré par les Forces
armées canadiennes) ont été exécutées
et rapport a été fait à la CSCE. Au cours d'une réunion
spéciale du Conseil à Helsinki le 24 un processus de paix,
sous l'égide de la CSCE, pour résoudre ce conflit.
Par cette mesure, le Conseil des ministres a montré qu'il était
décidé à développer les compétences
de la CSCE en matière de gestion des crises et de prévention
des conflits - faisant ainsi écho à la politique formulée
par les ministres de l'OTAN à leur sommet de Rome. Ceux-ci avaient
en effet reconnu le rôle de la CSCE dans la résolution des
crises et la prévention des conflits: "Nous appuierons donc
activement le développement de la CSCE, afin qu'elle soit mieux
à même d'être l'instance de consultation et de coopération
entre tous les Etats participants, capable de mener une action efficace,
conformément aux responsabilités nouvelles et accrues qui
lui incombent, en particulier dans les domaines des droits de l'homme
et de la sécurité, y compris la maîtrise des armements
et le désarmement, et l'instance de gestion efficace des crises
et de règlement pacifique des différends, dans le respect
du droit international et des principes de la CSCE. A cette fin nous suggérons...
que les mécanismes de la CSCE pour la prévention des conflits
et la gestion des crises soient améliorés." (3)
Des points de vues divergents
Toutefois, le Comité des hauts fonctionnaires n'a pas toujours
fait preuve d'une telle détermination au cours de ses délibérations.
Comme le soulignait Mme Barbara McDougall, Secrétaire d'Etat aux
Affaires extérieures du Canada au Conseil de Prague, certains milieux
n'accordent plus toute leur confiance au rôle de la CSCE. L'enthousiasme
du sommet de Paris s'est estompé, lorsqu'il est apparu évident
que la CSCE ne parviendrait pas à arrêter les combats en
Yougoslavie, en dépit du fait que la Communauté européenne
et les Nations unies, qui ont déployé des efforts considérables,
ont également rencontré des difficultés.
Certains Etats se sont montrés sceptiques quant à l'octroi
de fonctions de gestion des crises et de prévention des conflits
à la CSCE. Leurs représentants au Comité des hauts
fonctionnaires ont avancé que la CSCE devrait confier ce genre
de mission à d'autres organisations internationales, sans préciser
lesquelles. Cette position traduit une certaine tendance à considérer
l'architecture du nouvel ordre de la sécurité européenne
de manière exclusive, d'aucuns estimant que le nouveau régime
devrait s'articuler soit autour de l'OTAN, soit autour de la CSCE, soit
autour de la Communauté européenne.
D'autres responsables ont fait remarquer que cette attitude n'était
pas dans la ligne de la politique adoptée par les ministres de
l'OTAN au sommet de Rome. Appuyant les positions de plusieurs autres Etats
membres de la CSCE, les dirigeants alliés avaient indiqué
que la CSCE devait subir de nouvelles transformations, conformément
à la Charte de Paris, pour accentuer son rôle opérationnel,
tout en insistant, cependant, sur le fait que la sécurité
européenne devrait s'appuyer sur un tissu d'institutions interdépendantes
et interagissantes.
Aux yeux du Canada, la CSCE devrait devenir la cheville ouvrière
de la 'sécurité collective' - un concept formulé
pour la première fois aux Nations unies à l'automne 1990
par le Secrétaire d'Etat canadien aux Affaires extérieures
de l'époque, Joe Clark. Ce concept défend la thèse
selon laquelle une réelle sécurité nationale et internationale
dépend du dialogue, de la consultation et de la coopération
au niveau régional, couvrant l'ensemble des relations inter-étatiques
- politiques, économiques, sociales et écologiques.
Selon cette définition, la sécurité a une portée
bien plus grande que l'absence de conflit: elle exige des Etats une confiance
mutuelle, qui leur permette
de gérer des problèmes ou des crises et d'éviter
qu'ils ne dégénèrent en menace militaire ou en conflit.
La CSCE, gardienne de la paix
Une large part du débat sur le rôle de la CSCE en matière
de gestion de la sécurité a trait au maintien de la paix.
Dans le Document de Prague, les ministres ont demandé que soient
étudiées, lors de la réunion d'Helsinki, les possibilités
qui permettraient d'améliorer les instruments de gestion des crises
et de prévention des conflits. La CSCE ne se contenterait donc
plus de missions d'observation et de comptes-rendus, mais proposerait
ses bons offices et son intervention dans le règlement de différends.
Les ministres ont en outre demandé que l'on examine attentivement
la possibilité de faire de la CSCE la gardienne de la paix, ou
comment lui conférer un rôle dans le maintien de la paix.
Cet exemple d'ambiguïté créative, si typique de la
CSCE, masque deux thèses contradictoires: l'une voulant que la
CSCE soit en mesure de mobiliser de plein droit ses propres ressources
- des forces de maintien de la paix - pour assurer la gestion de la sécurité;
l'autre, qu'elle confie ce rôle à d'autres institutions disposant
des ressources nécessaires - et l'on pense ici bien sûr à
l'OTAN et à l'UEO.
L'issue de ce débat, qui se poursuivra à Helsinki, ne sera
pas sans conséquences majeures. Une CSCE gardienne de la paix ne
serait pas 'un instrument de plus' au service de la gestion de la sécurité;
elle serait aussi un signe politique manifeste de la volonté des
Etats participants de renforcer cette instance.
L'interface OTAN-CSCE
Le Document de Prague et les conclusions du débat en Conseil des
ministres suggèrent une approche qui pourrait se dessiner à
Helsinki. Le Document stipule que les tâches liées à
la gestion des crises et à la prévention des conflits pourraient
être déléguées à des groupes ad hoc
d'Etats participants. En insistant sur le rôle prédominant
que devrait jouer la CSCE dans le développement de l'architecture
européenne, les ministres ont demandé que l'on étudie
à Helsinki les moyens de promouvoir des formes polyvalentes de
coopération et un rapprochement des institutions européennes,
transatlantiques et internationales en tirant parti de leurs compétences
respectives.
En guise d'exemple de cette coopération, Mme McDougall a suggéré
au Conseil de Prague que l'OTAN et la CSCE interagissent par le biais
de leurs Etats membres communs. En d'autres termes, les 16 Etats membres
de l'OTAN - également membres de la CSCE - pourraient coopérer
avec d'autres Etats de la CSCE pour tenter de résoudre une crise,
en s'appuyant sur les ressources de l'OTAN. Cette démarche favoriserait
le développement de ces relations 'interdépendantes et interagissantes'
que les dirigeants de l'OTAN réunis à Rome souhaitent promouvoir
entre les différentes institutions qui composent l'architecture
européenne. Elle serait également conforme à un principe
né des leçons de la Guerre du Golfe, à savoir que
l'OTAN pourrait mettre ses ressources et son infrastructure à la
disposition des Alliés qui oeuvrent à la prévention
ou à la résolution d'un conflit, que l'Alliance soit ou
non impliquée officiellement dans ce processus.
Dans pareil cas de figure, il est essentiel que la CSCE prenne des initiatives
et justifie des opérations de gestion de la sécurité,
puisqu'elle est la seule institution à couvrir toute la région
concernée et à jouir de l'autorité morale et politique
requises, celles-ci lui étant conférées par l'engagement
des Etats participants à respecter les principes énoncés
dans l'Acte final d'Helsinki et dans la Charte de Paris.
Le mécanisme de prévention des conflits
La CSCE a besoin d'un mécanisme de prévention des conflits
qui englobe engagements et consultations politiques, accords institutionnels
et ressources opérationnelles pour relever les défis menaçant
la sécurité. Ce point a été confirmé
dans le Document de Prague, qui stipule clairement que les Etats membres
de la CSCE devraient disposer d'un éventail d'options pour gérer
les crises et réagir à des conflits réels ou potentiels.
Le Document de Prague contient également l'ébauche d'une
procédure de mise en route de la gestion de la sécurité
par la CSCE. Le Comité consultatif du Centre pour la prévention
des conflits de la CSCE peut soumettre une situation à l'attention
du Comité des hauts fonctionnaires, par l'intermédiaire
de son président en exercice, lequel serait autorisé à
convoquer les hauts fonctionnaires pour examiner le problème. Cette
procédure vient s'ajouter aux dispositions qui autorisent le Centre
pour la prévention des conflits à réagir face à
des activités militaires inhabituelles ou qui prévoient
sa convocation - dans le cadre du mécanisme de consultation et
de coopération pour des situations d'urgence - par un quorum de
13 Etats, afin d'étudier une situation délicate et urgente
née de la violation des principes de l'Acte final d'Helsinki ou
de troubles majeurs mettant en danger la paix, la sécurité
ou la stabilité.
Ces dispositions, par lesquelles la CSCE entamerait sa mission de gestion
des crises, constituent un bon point de départ, mais il reste à
élaborer un mécanisme complet en la matière. En tant
qu'institution, la CSCE doit notamment pouvoir anticiper les situations
susceptibles de dégénérer en conflits. Elle devrait
être en mesure d'identifier et d'analyser pareilles situations avant
- et non après -l'éclatement de la violence. Il s'agit là
d'un des objectifs à atteindre lors de la réunion d'Helsinki.
Une proposition canadienne
Un mécanisme de gestion de la sécurité propre à
la CSCE assurerait la prévention des conflits par la convocation
d'un comité de crise, où seraient représentés
les Etats concernés plus un, désigné conjointement,
afin de faciliter la recherche d'une solution. Alternativement, le Comité
des hauts fonctionnaires, mandaté par le Conseil des ministres,
pourrait charger un groupe de pays d'une mission de bons offices. Au cas
où ces efforts ne parviendraient pas à déjouer la
crise, le Conseil ou le Comité des hauts fonctionnaires, réuni
d'urgence, pourrait recommander une ligne de conduite, par les moyens
appropriés. Pour le Canada, une des tâches de la réunion
d'Helsinki devrait consister à étudier et adopter une série
de mesures concrètes, à mettre en oeuvre selon les circonstances.
En cas de conflit entre des Etats participants, le Conseil des ministres
devrait être convoqué sans délai et pourrait exiger
l'arrêt des combats, déclarer un embargo sur les envois d'équipements
militaires dans la/les zone(s) du conflit et/ou en appeler à un
retour au statu quo ante. Le Conseil traiterait directement avec les parties
concernées afin d'enclencher un mécanisme de règlement
obligatoire du différend, lequel pourrait s ' appuyer sur la procédure
de la CSCE applicable au règlement pacifique des différends
(et être géré par une instance de conciliation et
d'arbitrage de la CSCE). En cas de poursuite des hostilités, le
Conseil envisagerait des mesures politiques, économiques et autres
afin de mettre un terme aux combats, y compris le déploiement de
contingents de surveillance ou de maintien de la paix, organisées
soit directement par la CSCE, soit par l'intermédiaire du Comité
consultatif du Centre pour la prévention des conflits ou encore
par un groupe d'Etats membres de la CSCE. Pour l'organisation et le déploiement
de telles missions, le Conseil des ministres pourrait faire appel aux
compétences, à l'expérience et aux ressources de
groupes d'Etats ou d'institutions multinationales dans la région
de la CSCE.
Consensus moins un
Le développement du rôle de la CSCE en matière de
gestion de la sécurité implique aussi une définition
plus précise des actions que pourrait et que devrait mener la CSCE
contre un Etat ayant enfreint, manifestement ou non, les engagements souscrits
en matière de droits de l'homme, démocratie et règne
du droit - si nécessaire (et fort probablement) sans le consentement
de cet Etat. Cela impliquerait bien sûr une procédure de
consensus moins un, et permettrait à la CSCE d'agir, dans certains
cas, sans unanimité préalable de ses membres.
La formule adoptée par les ministres dans le document de Prague
sous le titre "Sauvegarder les droits de l'homme, la démocratie
et le règne du droit" insiste sur le recours aux moyens pacifiques
pour traiter avec le pays qui aurait enfreint ces principes et préconise
des déclarations politiques ou 'autres mesures politiques à
appliquer en dehors du territoire de l'Etat concerné'. Même
les auteurs de cette section n'ont pu dire ce qu'elle signifiait exactement.
Helsinki devrait veiller à ce qu'aucune ambiguïté ne
subsiste en la matière.
Il est à noter que la règle du consensus moins un s'applique
particulièrement à la dimension humaine - expression forgée
par la CSCE pour désigner les droits de l'homme, la démocratie
et le règne du droit. Enfin, la plupart des menaces qui planent
aujourd' hui sur la sécurité en Europe relèvent moins
d'un risque calculé d'agression territoriale que de la dimension
humaine - rivalités ethniques, mauvais traitement des minorités,
racisme résurgent et migration incontrôlée. Les protagonistes
sont davantage des groupes et des communautés que des Etats-nations.
La CSCE doit tenir compte de ces facteurs dans sa stratégie de
gestion de la sécurité.
Le mécanisme de la dimension humaine, qui, aux yeux du Canada,
fait partie de la gestion de la sécurité par la CSCE, est
le point de départ de cette analyse. Il a été adopté
à la réunion sur les Suites de la CSCE en 1989, à
Vienne, et affiné au cours d'une série de rencontres sur
le sujet à Paris d'abord, à Copenhague ensuite - où
des progrès sans précédents furent enregistrés
- et à Moscou enfin en octobre dernier. C'est à Moscou que
les Etats de la CSCE ont déploré les "actes de discrimination,
d'hostilité et de violence contre des personnes ou des groupes
pour des raisons nationales, ethniques ou religieuses", exprimant
ainsi leur inquiétude face aux événements en Yougoslavie,
dans le Haut-Karabakh, à Tbilisi et ailleurs encore.
Face à la violence de ces conflits, le mécanisme de la dimension
humaine - une procédure permettant initialement aux Etats d'obtenir
des renseignements ou de faire des déclarations auprès d'autres
Etats sur des questions principalement liées aux droits de l'homme
- s'est transformé en un système d'intervention plus poussé.
Avec l'appui de cinq autres pays, un Etat peut désormais organiser
une mission de rapporteurs dans un autre Etat afin d'enquêter sur
des questions relatives à la dimension humaine de la CSCE.
Le type de questions visées ici a trait aux violations des droits
des minorités et à d'autres sources de conflits similaires
en Europe. En ce sens, le mécanisme de la dimension humaine constitue
l'une des extrémités du spectre de la gestion de la sécurité
par la CSCE, l'autre extrémité devant englober des instruments
plus musclés de maintien de la paix.
La CSCE reconnaît donc que le respect des droits de l'homme et la
protection des minorités sont des facteurs de stabilité
et de sécurité. Les négociations d'Helsinki, dans
le domaine de la sécurité, doivent aller de pair avec celles
qui ont trait à la dimension humaine. Il faut que des mesures concrètes
spécifiques soient prises pour éliminer l'habitude, qu'ont
certains milieux, de dénigrer l'existence même de minorités
en quête de protection. La résurgence du racisme dans certains
Etats participants doit faire l'objet d'une surveillance adéquate
- qui pourrait être définie à Helsinki - pour assurer
une totale conformité aux engagements pris par les Etats de protéger
individus et groupes contre toute discrimination raciale, ethnique et
religieuse. Il conviendrait également d'étudier les moyens
de contrôler les déplacements d'immigrants illégaux
et des demandeurs d'asile, une des principales causes de la résurgence
du racisme.
Avec de tels sujets d'analyse et de discussion, Helsinki devrait offrir
aux Etats participants l'occasion de renouveler leur foi et leur engagement
dans le processus de la CSCE.
(1) Texte publié dans la Revue de l'OTAN, N°
6, décembre 1990
(2) Nouveau concept stratégique de l'Alliance,
par. 5. Texte publié dans la Revue de l'OTAN, N° 6, décembre
1991, page 25
(3) Déclaration de Rome, paragraphe 14, op.cit.
p.21

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