Edition Web
Vol. 39- No. 5
Octobre 1991
p. 23-26
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La
CSCE et la création d'une assemblée parlementaire
Rafaël Estrella,
membre du Sénat espagnol
Dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe signée en novembre
1990(1), les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats
membres de la CSCE, conscients du rôle important que peuvent jouer
les parlementaires dans le processus de la CSCE, appelaient à une
plus grande participation parlementaire, en particulier par la création
d'une assemblée parlementaire de la CSCE réunissant des
membres des parlements de tous les Etats participants.
Soucieux de respecter scrupuleusement la souveraineté parlementaire,
les Etats participants, qui s'étaient entendus sur la structure,
les institutions et le fonctionnement de la CSCE, se sont bornés
à lancer "un appel" pour que soit créée
l'assemblée parlementaire. Cet appel a reçu un écho
dans l'initiative, prise par l'Espagne, de convier une conférence
des parlementaires à Madrid les 3 et 4 avril 1991, au cours de
laquelle furent jetées les bases de l'assemblée parlementaire
de la CSCE. Les propositions résultant de la conférence
de Madrid furent communiquées à la première réunion
du Conseil des ministres de la CSCE, tenue à Berlin les 19 et 20
juin 1991.
Le consensus parlementaire
Les dix-sept propositions écrites reçues des différents
parlements nationaux reflétaient des divergences de vues sur les
caractéristiques, la composition, le fonctionnement et le pouvoir
de la future assemblée et même, dans certains cas, des conceptions
différentes sur la configuration de l'architecture européenne.
Tout comme pour le processus de la CSCE entamé à Helsinki
en 1975, l'obtention d'un consensus, ou tout au moins le rapprochement
de points de vue divergents, constituait un préalable indispensable
à la création de l'assemblée de la CSCE.
L'idée d'une assemblée parlementaire apparaissait déjà
dans la Déclaration de Londres adoptée par les chefs d'Etat
et de gouvernement de l'OTAN au mois de juillet 1990 (2);
on y proposait que soit créé "un organe parlementaire
-l'Assemblée de l'Europe - à établir sur le modèle
de l'actuelle assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à
Strasbourg, avec représentation de tous les Etats membres."
L'insertion de ce paragraphe dans la Déclaration de Londres faisait
suite à une initiative américaine, ce qui ne l'empêcha
pas de provoquer, au Congrès américain, des protestations
courroucées non seulement sur la procédure - le Congrès
n'avait pas été consulté - mais sur le fond : on
craignait que de nouvelles structures ne viennent remplacer l'OTAN et
son émanation parlementaire, l'Assemblée de l'Atlantique
Nord.
Au cours de la réunion préparatoire tenue à Vienne
en vue du sommet de Paris de novembre dernier, l'idée de créer
une assemblée de la CSCE fut adoptée. On convint cependant
de laisser aux parlementaires eux-mêmes le soin d'en déterminer
les caractéristiques. A première vue, une "bataille
institutionnelle" semblait avoir été déclenchée,
visant principalement l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
et l'Assemblée de l'Atlantique Nord mais aussi le Parlement européen
et l'Assemblée de l'Union européenne occidentale (UEO).
Grâce à un rapprochement préliminaire des positions
divergentes adoptées par les différentes institutions, on
parvint cependant, lors de la réunion tenue à Madrid en
juin dernier, à un degré d'entente considérable à
propos de la future assemblée de la CSCE et de ses relations avec
les autres institutions. Cette convergence de vues permit non seulement
d'éviter la cristallisation du clivage sur l'aspect euro-atlantique
de la CSCE, mais contribua également à créer un climat
permettant à la conférence de Madrid de déboucher
sur un compromis consensuel, malgré les nombreux participants et
le large éventail d'opinions représentées.
La structure de l'Assemblée de la CSCE : simplicité,
pluralisme et coopération
Conformément à l'esprit des institutions et des mécanismes
envisagés pour la CSCE, la Résolution de Madrid fixe à
l'Assemblée une structure simple. Cela permettra sans aucun doute
d'éviter le chevauchement des activités et facilitera, en
cas de besoin, la coopération et la coordination avec les autres
assemblées parlementaires à vocation régionale. Cette
simplicité des structures de l'Assemblée se retrouve dans
les dispositions de la Résolution concernant la fréquence
des sessions - à savoir une par an, d'une durée maximale
de cinq jours - et le secrétariat, assuré par le parlement
espagnol jusqu' à la formation d'un secrétariat permanent:
ce sera chose faite lors de l'assemblée constituante qui doit se
tenir à Prague en juin 1992. L'Assemblée sera de même
limitée à deux cent quarante-cinq parlementaires, dont la
répartition suivra celle des autres assemblées parlementaires
actuelles et observera le principe de la pluralité dans la composition
des délégations nationales.
Bien que le consensus demeure la règle pour la prise de décisions
au sein du Comité des chefs de délégation, organe
responsable de tout ce qui a trait à l'organisation et au fonctionnement
de l'Assemblée ainsi qu'aux changements à apporter aux décisions
de Madrid, la Résolution consacre le principe du vote à
la majorité pour toutes les décisions prises au cours des
sessions annuelles, que ce soit sous forme de déclarations, de
recommandations ou de propositions. L'Assemblée apparaît
ainsi comme un forum propice au dialogue, permettant aux parlementaires
de suivre plus efficacement les activités de leurs gouvernements
respectifs dans ce domaine, tout en influençant collectivement
le processus de la CSCE. Il est stipulé, dans cette optique, que
l'Assemblée "informera régulièrement de ses
travaux les parlements des Etats participant à la CSCE, et adressera
ses résolutions au Conseil des ministres afin qu'il les étudie".
Il fallait enfin, à la réunion de Madrid, débattre
du rôle de l'Assemblée en tenant compte des autres institutions
et organes eux aussi intéressés par les questions liées
au processus de la CSCE. La solution adoptée consistait à
créer une nouvelle assemblée capable d'englober des points
de vue divergents dans le cadre général de la CSCE, sans
pour autant négliger les travaux des autres institutions parlementaires
européennes; il est, au demeurant, dûment pris acte de ces
travaux, dans des domaines qui recoupent parfois ceux de la CSCE. Compte
tenu de ce constat, et dans le souci d'éviter des efforts parallèles,
la Résolution exprime "le vu que soient établis
des liens de coopération étroite ..." et "la volonté
d'utiliser les ressources des autres institutions parlementaires (notamment
l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'assemblée
parlementaire de l'UEO, l'Assemblée de l'Atlantique Nord et, à
un niveau différent, le Parlement européen)". Ajoutons
que d'autres organismes, comme l'Union interparlementaire, se sont déclarés
pleinement disposés à collaborer avec l'Assemblée
parlementaire de la CSCE.
Innovation et pragmatisme
La diversité des opinions exprimées lors des préparatifs
de la réunion de Madrid sur la forme à donner à l'Assemblée
reflète, au-delà de "l'orgueil propre à chaque
institution", les divergences quant au rôle qui doit être
dévolu à la CSCE au sein de la nouvelle architecture européenne
de sécurité. Ces divergences, si elles se manifestent parfois
au niveau institutionnel, plongent à l'évidence leurs racines
dans les conceptions nationales de la vie politique. C'est pourquoi la
façon dont l'Assemblée évoluera dans l'avenir sera
en grande partie déterminée par la tournure que prendra
le débat sur les lignes de force de la sécurité européenne.
Cela n'a pas empêché l'Assemblée parlementaire de
la CSCE de faire preuve, dès sa création, de pragmatisme
et d'esprit d'innovation dans la définition de son rôle vis-à-vis
des autres institutions parlementaires. Il semble d'ailleurs que la formule
retenue pour l'Assemblée, qui affirme son individualité
et l'indépendance du processus de la CSCE mais également
sa volonté de coopération avec les organisations existantes,
corresponde au scénario d'une Europe en mutation.
L'Assemblée, qui vient compléter la structure institutionnelle
de la CSCE, est prête à jouer son rôle dans la création
d'un cadre stable et capable d'accompagner les changements actuels en
Europe, tout en atténuant autant que possible les désaccords.
A ce titre, le mécanisme d'urgence destiné aux situations
de crise, créé en juin dernier par le Conseil des ministres
réuni à Berlin, de même que les nouveaux pouvoirs
accordés au Centre de prévention des conflits, représentent
un progrès important dans l'élaboration d'une politique
opérationnelle de la CSCE en matière de sécurité.
Ainsi, des situations qui n'auraient pu être abordées par
d'autres organismes sans accroître les tensions ni outrepasser les
limites de leurs mandats actuels pourront l'être grâce à
la structure paneuropéenne de la CSCE. En outre, le fait que la
procédure puisse, au besoin, être lancée sans l'accord
de l'Etat où se trouve la source du conflit vise à déjouer
la rigidité liée au principe du consensus. Cette décision,
bien que sa portée soit limitée par le principe de la non-intervention,
donne davantage de force psychologique à la garantie de sécurité.
Il ne fait d'ailleurs pas de doute que cette dernière question
figurera à l'ordre du jour de l'Assemblée.
Toutes ces mesures renforcent le rôle de la CSCE, de ses structures
et des institutions qui la composent. Cependant, dans le mesure où
elle est appelée à faire face à des situations précises,
la CSCE, tout comme son assemblée parlementaire, est consciente
de ses propres limites et souhaite, par conséquent, coopérer
avec d'autres organisations. Ainsi, lorsque l'Autriche a réclamé
la mise en oeuvre du mécanisme d'urgence créé à
Berlin, la Communauté européenne et certains pays membres
de la CSCE se sont vu confier une mission délicate en Yougoslavie,
en vue de favoriser l'adoption d'un cessez-le-feu et de surveiller le
retour de toutes les forces armées dans leurs casernes.
La forme de coopération choisie à Madrid par l'assemblée
parlementaire de la CSCE, bien qu'elle soulève des difficultés
diverses notamment au plan opérationnel, semble devoir être
l'orientation future donnée à l'Assemblée. De ce
fait, la façon dont pourront se nouer les relations laisse davantage
de marge à la souplesse et à l'imagination; mais ces relations,
de par leur complexité, iront au-delà d'une simple transposition
des trois "corbeilles" de la CSCE - droits de l'homme, coopération
et sécurité -aux relations avec les instances parlementaires
du Conseil de l'Europe, de la Communauté européenne et de
l'OTAN. Il est clair, cependant, que le Conseil de l'Europe s'est ouvert
à une relation de plus en plus étroite avec les pays d'Europe
centrale et orientale, lesquels se rapprochent progressivement d'une adhésion
à cette institution. Quant à la Communauté européenne,
elle a mis en oeuvre des mécanismes visant à assister le
processus de restructuration économique, et négocie actuellement
des accords d'association avec ces mêmes pays, dont certains nourrissent
d'ailleurs un objectif plus ambitieux encore, à savoir l'appartenance
de plein droit à la Communauté européenne. De plus,
dans le cas du Conseil de l'Europe comme dans celui de la Communauté
européenne, ces mesures de rapprochement ont leur pendant au niveau
de la représentation parlementaire.
Le cadre de la sécurité européenne et l'avenir
de la CSCE
L'OTAN, pour sa part, a établi depuis le mois de juillet 1990
une liaison régulière avec les Etats d'Europe centrale et
orientale et particulièrement avec l'URSS. Tout comme le Conseil
de l'Europe et la Communauté européenne, l'Assemblée
de l'Atlantique Nord a parfois précédé l'Alliance
atlantique dans l'établissement de relations avec ces pays. C'est
ainsi que, projetant d'ajouter une dimension paneuropéenne à
son approche transatlantique traditionnelle, l'Assemblée de l'Atlantique
Nord a maintenu, au cours des trois dernières années, des
contacts étroits avec les parlements des pays concernés
- y compris le Soviet suprême de l'URSS - en leur offrant le statut
de "délégations associées", qui leur permet
de prendre une part active aux travaux de l'Assemblée et de ses
comités.
Mais c'est précisément dans le domaine de la sécurité
que s'expriment les principales réserves à l'égard
du rôle de la CSCE et, bien entendu, de la conception générale
du nouvel ordre en matière de sécurité européenne.
D'une part, en effet, les anciens membres du Pacte de Varsovie considèrent
que la CSCE ne va pas assez loin et exigent de l'OTAN une garantie effective
de sécurité; d'autre part, les Etats-Unis ont toujours répugné
à laisser se diluer leur autorité dans un organisme qui
réunit aujourd'hui trente-huit Etats membres (3)
et où la république de Saint-Marin, par exemple, pourrait
exercer un droit de veto. Cependant, les réticences des Etats-Unis
et de certains autres pays de l'Alliance se sont atténuées
dans la mesure où la CSCE semble aujourd'hui plus complémentaire
de l'OTAN que destinée à lui succéder; cette perception
s'étend automatiquement au domaine des relations parlementaires.
Cependant, même si le rôle dévolu à la CSCE
dans un avenir proche semble se préciser - à savoir la prise
de mesures de confiance, la prévention des conflits, les missions
de médiation et, peut-être, la surveillance et la limitation
de la prolifération des armes nucléaires - le débat
ouvert au sein de la Communauté européenne sur la politique
étrangère et la sécurité commune, de même
que la question, encore plus controversée, de l'identité
de l'union européenne en matière de sécurité,
n'en suscitent pas moins l'opposition de certains membres de la Communauté
et de sérieuses réserves de l'autre côté de
l'Atlantique. Cette opposition se manifeste en dépit de la détermination,
clairement exprimée, à ce que le renforcement de l'identité
de l'Europe en matière de défense tienne compte de la situation
de certains Etats membres et contribue à renforcer l'Alliance atlantique;
elle se manifeste aussi malgré les vues exprimées par le
Conseil de l'Atlantique Nord à sa réunion de Copenhague
en juin dernier (4). Là encore, l'incertitude
plane sur le rôle futur de l'UEO, dont on connaît les liens
parlementaires avec le Conseil de l'Europe, en tant que passerelle entre
l'OTAN et la Communauté européenne; la même incertitude
existe sur sa place dans les futurs mécanismes de défense
de l'union européenne.
Il va de soi que le cadre des relations entre la CSCE - y compris son
assemblée parlementaire - et d'autres organisations au niveau européen
ne manquerait par d'être affecté par toute modification du
scénario exposé plus haut. A titre d'exemple, si la Communauté
européenne décide d'adopter une politique commune en matière
de sécurité, prolongement apparemment logique d'une politique
étrangère commune, le cadre des relations intra-européennes
en matière de sécurité en sera nécessairement
modifié même si cela n'entraîne pas forcément
un affaiblissement des institutions existantes - et, en particulier, de
la CSCE.
Les récents événements qui ont marqué l'ancienne
URSS et l'accélération du processus de désintégration
de l'Union ont fait peser des doutes sérieux sur l'avenir des dispositions
relatives à la sécurité en Europe, y compris le traité
sur les FCE. La crise yougoslave, notamment, a démontré
la fragilité du processus de la CSCE et mis en relief la faiblesse
des instruments dont elle dispose. Nous ne devons pas pour autant en conclure
que la CSCE ne peut pas devenir un cadre valable de mise en oeuvre des
objectifs énoncés dans la Charte de Paris.
En effet, la CSCE conservera dans tous les cas une dimension unique :
son envergure. Elle constitue le seul cadre de sécurité
paneuropéen englobant intégralement la communauté
euro-atlantique, de Vancouver à Vladivostok. En outre, ce cadre
de sécurité ne se limite pas à l'examen des aspects
purement militaires puisqu'il considère également la stabilité
démocratique, institutionnelle, économique et sociale comme
une dimension indispensable. Grâce à cette vocation globalisante
la CSCE peut produire, sur une Europe marquée par l'instabilité
et dominée par les déséquilibres, un effet catalyseur
d'intégration, voire servir de plate-forme pour une extension de
ce climat de sécurité et de coopération à
toute la région euro-méditerra-néenne. Pour toutes
ces raisons, la coopération avec les autres institutions sera non
seulement profitable à la CSCE mais également - et c'est
là l'essentiel - à ces institutions et à l'ensemble
du processus d'intégration européenne.
(1) Texte paru dans la Revue de l'OTAN n° 6, décembre
1990, p. 31.
(2) Le texte de la Déclaration de Londres est
paru dans la Revue de l'OTANn°4, août 1990, p. 32.
(3) L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont adhéré
au mois de septembre.
(4) Voir la Déclaration sur les fonctions essentielles
de sécurité de l'OTAN dans l'Europe nouvelle et le communiqué
parus dans la Revue de l'OTAN n° 3, juin 1991, pp. 30 - 33.
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