Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 39- No. 3
Juin 1991
p. 3-6

L'avenir de la sécurité européenne Conférence de Prague: accord sur les idées fondamentales

Jiri Dienstbier,
Vice-Premier ministre et ministre des Affaires
République fédérative tchèque et slovaque

Chaque fois que l'avenir de la sécurité européenne figure à l'ordre du jour d'une réunion, la date du 23 décembre 1989 me vient à l'esprit. Ce jour-là, en effet, mon collègue M. Genscher et moi-même abolissions officiellement la frontière entre mon pays et la République fédérale d'Allemagne, près des villes de Rozvadov et de Waidhaus. Cet acte symbolisait non seulement le démantèlement du rideau de fer et le début de nouvelles relations entre nos deux pays, mais aussi la nécessité de réévaluer les principes de renforcement de la stabilité du continent européen qui avaient prévalu jusqu'alors. Il marquait aussi l'une des étapes d'un parcours qui doit aboutir à la mise en place d'un nouveau régime de sécurité européenne, basé sur une coopération élargie.

Au lendemain de la révolution de novembre 1989, nous ne pouvions deviner ce qui nous attendait. Nous ne pouvions prévoir alors toutes les complexités inhérentes à la construction d'un nouveau modèle de sécurité en Europe. Tirer un trait sur le passé n'est pas si facile. L'expérience que nous avons accumulée ces dix-huit derniers mois montre qu'un tel processus nécessite un effort considérable. Tous, nous avons intérêt à ce que cette évolution se déroule dans l'environnement le plus stable possible et ne menace pas les résultats déjà obtenus en termes d'intégration européenne.

A tous les niveaux, les débats et réflexions se poursuivent avec intensité sur la manière de procéder, les moyens à mettre en oeuvre, le choix des institutions existantes et la création d'institutions nouvelles. Ces interrogations n'ont naturellement pas échappé aux entretiens que j'ai eus avec M. Manfred Wôrner, Secrétaire général de l'OTAN, lorsqu'il s'est rendu dans mon pays en septembre 1990; c'est d'ailleurs au cours de ces rencontres qu'est née l'idée de convoquer à Prague, sous notre égide commune, une conférence sur la sécurité européenne. Nous étions convaincus qu'une réunion à laquelle participeraient les représentants politiques et militaires des pays de l'OTAN et des pays d'Europe centrale et orientale pourrait donner une impulsion nouvelle et utile au débat sur les nouvelles structures de la sécurité européenne.

La conférence (l) a eu lieu à une période intéressante à plus d'un titre: l'Alliance de l'Atlantique Nord préparait déjà des réunions en vue de l'adoption de sa nouvelle stratégie; le nouveau Conseil des ministres de la CSCE (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) devait se réunir pour la première fois afin d'inaugurer les nouvelles institutions créées en novembre 1990, lors du dernier sommet de la CSCE à Paris; la réunion du Comité consultatif politique du Pacte de Varsovie préparait, à Prague, les modalités de dissolution de la structure militaire du Pacte et le démantèlement ultérieur de toutes les activités liées à cette organisation; les discussions sur l'intégration politique au sein de la Communauté européenne et de l'Union de l'Europe occidentale arrivaient à leur point culminant; de même, celles portant sur le lieu où résiderait l'organisation de cette intégration, dans la nouvelle architecture de sécurité en Europe; enfin, plusieurs accords bilatéraux étaient préparés et signés.

La sécurité européenne: une et indivisible

Cette activité politique et intellectuelle s'est reflétée dans les allocutions et débats de la conférence de Prague. Ce pluralisme de vues a confirmé que personne n'avait ni ne pouvait avoir de modèle garanti pour 1 ' Europe en cette période particulièrement dynamique. Le fil conducteur de toutes les réflexions et suggestions est l'indivisibilité de la sécurité européenne. A cet égard, la sécurité des pays d'Europe centrale et orientale semble être un problème d'une importance cruciale.

Nous ne pensons pas, à l'instar de beaucoup d'autres participants à la conférence, que l'on puisse limiter la notion de sécurité à une dimension strictement militaire. Une structure de sécurité, quelle qu'elle soit, aboutirait à une impasse si elle était confrontée à la menace d'une déstabilisation économique totale, à l'effondrement du système de distribution énergétique ou à d'importants mouvements migratoires. Pour mettre sur pied un nouveau modèle qualitatif de sécurité européenne, il faudra d'abord empêcher la dégradation économique des pays d'Europe centrale et orientale, y compris de l'Union soviétique, et créer les conditions propices à 1 ' instauration méthodique de la démocratie et de l'économie de marché prospère dans ces pays. A sa manière, la situation économique détermine la situation sociale d'un pays et son évolution et, de ce fait même, la solution apportée aux problèmes des minorités et des groupes ethniques. C'est pourquoi nous pensons qu'il est essentiel d'inscrire à l'ordre du jour de la réunion du Conseil des ministres de la CSCE, qui a lieu ce mois de juin à Berlin, l'évaluation et l'évolution probable de la transition économique et du changement social en Europe, en s'attachant plus particulièrement à la région couverte par l'Europe centrale et orientale. Il est impossible de parler de la sécurité ou des droits de l'homme en Europe sans avoir une vue réaliste de la situation et des besoins des "nouvelles démocraties".

A la conférence de Prague, nous avons longuement étudié le rôle et la place des différents mécanismes de sécurité. Le mémorandum tchécoslovaque du 9 avril 1991 exprime notre point de vue sur cet aspect incontestablement vital de la sécurité européenne. Dans ce document, nous soulignons l'idée (dont la justesse et la pertinence ont d'ailleurs été démontrées lors de la conférence) que le meilleur moyen d'assurer la stabilité et le développement de l'Europe de demain serait de promouvoir une interaction harmonieuse entre les principales institutions de l'architecture de la sécurité européenne - la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, l'Alliance de l'Atlan-tique Nord, la Communauté européenne, l'Union de l'Europe occidentale et le Conseil de l'Europe -chacune respectant intégralement ses propres missions. Nous sommes pleinement conscients de la complexité du processus qu'impliqueront la création de ces liens et la coopération entre ces institutions. Nous pensons qu'une première étape pourrait consister à améliorer le flux d'informations sur les activités de ces institutions, par l'intermédiaire du secrétariat de la CSCE par exemple. A notre avis, il serait également opportun d'organiser un séminaire, peut-être dans le cadre de la CSCE, sur les formes possibles de coopération entre les principales institutions concernées.

La plupart des orateurs de la conférence de Prague ont évoqué l'idée de liens directs entre la sécurité des pays d'Europe centrale et orientale et d'autres démocraties. L'intérêt des pays de l'OTAN à voir se développer la liberté, la démocratie et la prospérité dans les pays d'Europe centrale et orientale est un facteur important de sécurité pour cette région. Pour la Tchécoslovaquie, ce facteur est 1 ' une des principales garanties de voir aboutir les efforts qu'elle déploie en vue de son intégration à une Europe unie. Aussi avons-nous été heureux d'entendre M. Wôrner, Secrétaire général de l'OTAN, nous donner l'assurance que l'Alliance de l'Atlantique Nord comprenait les besoins des nouvelles démocraties et souhaitait y répondre.

La Tchécoslovaquie, ainsi que plusieurs autres pays d'Europe centrale et orientale, profitent de l'offre formulée dans la Déclaration de Londres (2) de l'OTAN, et développe des contacts diplomatiques et un dialogue politique par des échanges et une coopération plus larges et plus actifs dans des domaines d'intérêt commun. A notre avis, le mécanisme de consultations mutuelles devrait être confirmé dans un cadre précis, définissant les calendriers des réunions et la nature des activités.

Les participants à la conférence de Prague ont également longuement discuté de l'importance considérable que revêtent la coopération transatlantique et la participation des Etats-Unis à la sécurité et à la défense européennes, et des rôles respectifs croissants de l'Union de l'Europe occidentale et de la Communauté européenne. J'aimerais préciser, à ce propos, que nous souhaiterions vivement approfondir et élargir nos contacts et notre coopération avec l'Union de l'Europe occidentale. Les pourparlers en cours sur notre association à la Communauté européenne renforcent notre intérêt pour les questions relatives aux futures dimensions de la sécurité. Nous voulons que les problèmes de sécurité fassent eux aussi partie du mécanisme de dialogue politique entre la Tchécoslovaquie et la Communauté européenne, qui sera repris dans l'accord d'association.

L'indispensable participation de l'Union soviétique

On a beaucoup parlé, lors de la conférence, de la situation en URSS, et notamment des développements politiques internes de ce pays et de leurs conséquences possibles à l'échelle internationale. Nous reconnaissons tous, comme il a déjà été dit à plusieurs reprises, qu'il est impossible d'assurer la sécurité de l'Europe en isolant l'Union soviétique. Il faut que celle-ci prenne directement part à la résolution des problèmes paneuropéens si l'on veut ouvrir une ère de stabilité plus durable.

Tous les pays membres du processus d'Helsinki ont intérêt à ce que l'URSS parvienne, si possible sans bouleversements intérieurs, à se transformer en un état pluraliste, doté d'un régime économique correspondant. Parallèlement, il nous appartient de ne pas agir en fonction des scénarios particulièrement pessimistes fréquemment avancés, si nous ne voulons pas revenir en arrière et prendre une orientation inverse à celle que nous avons conjointement choisie lors du sommet de Paris, en novembre dernier. Les courants de pensée démocratiques qui se dessinent dans l'opinion publique soviétique, de même que les politiciens qui constituent la force motrice du changement économique et social dans ce pays, méritent non seulement que nous les reconnaissions, mais aussi que nous leur apportions notre appui. La structure de sécurité d'une Europe libre, démocratique et prospère est impensable sans la participation de peuples soviétiques libres, démocratiques et prospères.

La création d'une réelle stabilité, de Vladivostok à San Francisco, passe obligatoirement par la participation de l'Union soviétique, mais aussi par la liaison transatlantique aux événements qui se déroulent en Europe. Aujourd'hui, ces deux aspects ne se retrouvent réunis que dans le processus de la CSCE, et en font une sorte de plate-forme naturellement apte à englober les questions de sécurité et de coopération paneuropéennes. Les limites actuelles du processus d'Helsinki ne permettent pas pour l'instant à la CSCE d'assumer une responsabilité plus importante et plus directe quant au maintien de la sécurité sur le continent. Cette idée a été exprimée sous diverses formes à la conférence, de même d'ailleurs que des concepts concernant l'utilisation d'institutions existantes et le potentiel de la CSCE pour renforcer la sécurité européenne.

Le renforcement des institutions existantes de la CSCE et l'élargissement de leurs fonctions, notamment pour ce qui concerne le Centre pour la prévention des conflits à Vienne, ont été considérés comme le moyen le plus aisé et le plus pratique de progresser. Ainsi, outre ses fonctions militaires, le Centre pour la prévention des conflits pourrait aussi assumer des fonctions politiques.

Si les ministres réunis en Conseil à Berlin ce mois de juin adoptaient un mécanisme d'urgence, il s'agirait d'une mesure importante de renforcement de la confiance. Des réunions extraordinaires permettraient aux pays participants de mieux comprendre certains problèmes et questions tout en leur offrant une enceinte propice à des échanges de vues formels et informels pour parvenir à une solution. Nous espérons que le réalisme prévaudra sur les intérêts politiques à court terme et que ce mécanisme sera adopté. Les débats actuels sur la création d'un mécanisme d'urgence posent donc la question de savoir s'il est utile de créer une institution politique permanente de,la CSCE capable de réagir rapidement à des problèmes spécifiques. L'une des manières de créer une telle institution pourrait être de multiplier les réunions entre hauts responsables.

Une autre idée très intéressante concernant le processus de la CSCE a été formulée à la conférence de Prague. Le nouveau forum de 34 pays sur la sécurité et le désarmement, qui entrera en action après la réunion sur les suites de la CSCE à Helsinki au printemps prochain, façonnera le nouveau visage de la stabilité en Europe. Dans cette perspective, il convient d'entamer conjointement et sans tarder la préparation de ce nouveau forum.

La conférence de Prague, il faut le souligner, n'a pas effacé toutes les interrogations liées à l'avenir de la sécurité européenne - tel n'était d'ailleurs pas son objectif. Mais elle a confirmé un consensus sur des principes de base. Ainsi sommes-nous tous persuadés que l'avenir de la sécurité européenne réside dans un système qui englobera la totalité du continent, y compris l'Union soviétique, ainsi que la coopération transatlantique avec les Etats-Unis et le Canada. Lorsque nous créerons ce système, nous devrons exploiter pleinement le potentiel des institutions existantes et voir dans quelle mesure elles se complètent et quelles interconnexions peuvent être établies entre elles; voici les conclusions à partir desquelles nous pourrons aller de l'avant. Nous sommes d'avis que les mesures prises devraient être concrètes et pratiques, plutôt que purement déclaratoires. Les nouvelles structures de la sécurité européenne devraient être fondées sur un réseau de mécanismes de coopération tant bilatérale que multilatérale. La coopération mutuelle entre ces mécanismes pourrait les transformer en structures nouvelles, répondant aux intérêts de toutes les parties concernées.


(1) Conférence sur l'avenir de la sécurité européenne, Palais Cernin, Prague, 25-26 avril 1991.
(2) Voir Revue de l'OTAN, N° 4, août 1990, page 32