Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Oct-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 39- No. 1
Fév. 1991
p. 11-14

L'architecture de la sécurité européenne
Les liens transatlantiques demeurent indispensables

Joâo de Deus Pinheiro
Ministre des Affaires étrangères du Portugal

L'année 1990, parmi les nombreux changements qu'elle a apportés à la politique mondiale, a marqué le commencement d'une phase décisive dans le processus d'unification européenne. Deux conférences intra-gouvernementales ont débuté dans le cadre de la Communauté européenne, pour préparer tant l'union économique et monétaire que l'union politique. Le débat sur la faisabilité et les paramètres d'une future politique étrangère et de sécurité commune aux Douze de la CE s'est avéré particulièrement animé, démontrant ainsi l'importance et le caractère très délicat du sujet.

La sécurité demeure l'un des rôles fondamentaux du ressort des gouvernements, et l'opinion publique est donc en droit d'attendre de ceux-ci des mesures adéquates pour assurer le maintien de la paix et de la stabilité, ainsi que des capacités militaires pourrépondre à une agression en cas d'échec de la dissuasion. Le rôle de l'Alliance de F Atlantique Nord est, en conséquence, demeuré très clair jusqu'aux récents événements historiques survenus en Europe centrale et orientale: dissuader et, en cas de besoin, se défendre face à une attaque soviétique contre ses membres.

En 1949, le secrétaire d'Etat américain Dean Acheson déclarait que l'Alliance de l'Atlantique Nord constituait "un acte de foi dans le destin de la civilisation occidentale. Basée sur l'exercice des libertés civiles et politiques, sur le respect de la personne humaine, elle ne peut disparaître". Mais les circonstances nouvelles exigent une analyse approfondie et urgente des multiples composantes de notre structure de sécurité, afin de préserver ce que nous considérons comme toujours indispensable, adapter ce qui doit être modifié pour conserver son utilité, et éliminer ce qui ne répond plus à un objectif souhaitable. A cette fin, il conviendrait d'examiner impartialement les différentes propositions avancées pour garantir le maintien de la stabilité et de la sécurité des alliés et, si possible, de l'Europe dans son ensemble.

Beaucoup a déjà été accompli à cette fin au cours des six derniers mois (à savoir, au sommet de l'OTAN à Londres en juillet dernier) et certains faits fondamentaux sont apparus qui, à mon sens, devront être pris en compte dans l'élaboration de toute architecture crédible pour la sécurité européenne. D'une part, l'Union soviétique n'est plus considérée comme une menace potentielle dans un avenir immédiat, même si elle demeure une puissance militaire très importante même après la mise en oeuvre du traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe (FCE); d'autre part, de nouveaux défis peuvent mettre ou mettent déjà à l'épreuve nos intérêts en matière de sécurité, et il convient d'y faire face.

Si nous voulons maintenir une structure crédible apte à soutenir le partenariat transatlantique essentiel qui nous a apporté quatre décennies de paix, et tenir compte, parallèlement, d'une identité européenne qui doit elle aussi être présente sur la scène de la sécurité commune, il importe de visualiser comment les entités existantes sont appelées à se développer et à interagir en fonction de l'objectif que nous venons de mentionner. Si seules des structures existantes sont prises en compte, c'est principalement en raison du fait qu'elles offrent un acquis précieux en termes de doctrine et d'expérience - acquis susceptible de rendre plus réalistes les indispensables spéculations sur les développements futurs et d'éviter autant que possible le recours à la "boule de cristal".

Trois sphères interactives

Si l'on considère l'Union de l'Europe occidentale (UEO), l'OTAN et la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) comme trois cercles concentriques dont la taille est liée au nombre d'Etats membres qui en font respectivement partie, l'on peut se faire une idée claire des structures existantes dont pourrait s'inspirer l'architecture de la sécurité européenne, étant donné que le Pacte de Varsovie ne constitue plus une option viable. Chacun de ces cercles présente des capacités propres qui, si elles sont toutes judicieusement mises au service d'objectifs agréés, sont à même d'engendrer un modèle cohérent et structuré.

Dans le cadre de cet objectif, l'UEO devrait continuer d'oeuvrer à l'accroissement indispensable du rôle européen en matière de sécurité, dans le cadre de l'unification de l'Europe. Ees principes établis à cette fin par la Plate-forme de La Haye d'octobre 1987 conservent toute leur valeur, puisqu'ils reposent sur le postulat qu'une "Europe plus unie apportera une contribution plus forte à l'Alliance, au profit de la sécurité occidentale dans son ensemble". Le rôle de l'UEO dans la nouvelle architecture européenne en matière de sécurité peut, dès lors, s'avérer compatible avec les progrès qui seront réalisés par les Douze, au fur et à mesure de l'établissement des indispensables ponts ou liens organiques entre les deux entités. L'efficacité de ce processus, notons-le, pourrait être grandement facilitée si le siège de l'UEO était transféré à Bruxelles.

Le rôle d'une politique étrangère et de sécurité commune aux Douze constitue un aspect fondamental du processus d'édification d'une union politique. Il constitue également un problème délicat qui exige une élaboration prudente et progressive de ses principes et paramètres. Au cours de la période de construction d'une identité européenne dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, il serait à notre sens souhaitable d'utiliser l'UEO comme point de départ d'une dimension communautaire en matière de sécurité.

En même temps, une révision du Traité de l'UEO pourrait permettre à cette organisation de réaliser la totalité de son potentiel afin de devenir un pilier véritablement européen au sein de l'OTAN, apte à contribuer à un partenariat plus équilibré entre les alliés des deux côtés de F Atlantique tout en maintenant des relations ouvertes axées sur la coopération avec les autres alliés européens qui n'appartiennent pas pour l'instant à l'organisation. Ces relations devraient d'ailleurs, à mon sens, conduire à un élargissement accéléré de l'organisation aux autres pays partenaires dans la Communauté européenne.

La capacité, par deux fois démontrée, de discuter et de coordonner les efforts dans des zones de crises extérieures à l'Europe constitue, elle aussi, un atout important. Face aux nouveaux défis posés à la sécurité, une telle expérience doit être considérée comme un facteur pertinent lorsque l'on envisage le plus petit des trois cercles dont nous avons entrepris de parler.

Le cercle moyen représente, naturellement, l'Alliance atlantique et constitue la structure fondamentale de l'ensemble du modèle - ceci en premier lieu parce que l'Alliance a pendant de nombreuses années constitué le seul cercle garantissant la défense occidentale; deuxièmement, parce que l'indivisibilité de la sécurité des alliés européens et nord-américains est contenue dans le Traité de Washington et demeure aussi vitale aujourd'hui qu'il y a quarante-deux ans; et troisièmement, parce que les changements intervenus en Europe doivent être très largement attribués à l'exemple politique, au succès économique ainsi qu'à la solidarité et à la cohésion militaires des pays membres de F Alliance. Aussi devons-nous transformer et adapter l'Alliance en fonction du nouvel environnement politique et militaire en Europe, mais éviter à tout prix de considérer le partenariat transatlantique comme dépassé ou inapproprié. Nous connaissons pertinemment l'influence stabilisatrice des pays de 1 ' OTAN, à un moment où les processus de réforme sont toujours en cours dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale et où l'URSS est confrontée à des incertitudes en grand nombre.

Lorsque nous avons décidé de créer avec ces pays une relation de liaison diplomatique tout en développant les contacts militaires et en intensifiant la coopération dans les domaines scientifiques et de l'environnement, nous avons montré la remarquable adaptabilité de 1 ' Alliance et à sa capacité à maintenir une contribution majeure à la suppression des divisions sur notre ' continent. La sécurité présente de nombreuses facettes, et une meilleure compréhension de nos multiples niveaux de coopération au sein de l'Alliance, de même que les résultats bénéfiques qu'elle a engendrés pour ses membres au cours de ses quarante-deux années d'existence, constituent dès lors un puissant stimulant à l'établissement de relations plus confiantes au-delà des limites des seize pays de l'OTAN.

L'Alliance doit également jouer un rôle important pour stimuler les Européens à participer à leur propre sécurité, en encourageant des consultations plus étroites dans son enceinte et en utilisant des voies de communication directes et efficaces avec la CE et l'UEO. Nos intérêts communs exigent une approche politique flexible lors de l'analyse des nombreuses questions qui se poseront à court terme, qu'il s'agisse de la vérification de la maîtrise des armements et des accords de désarmement, de la création d'unités multinationales, des défis posés par les nouvelles menaces à la sécurité, etc.

Les exemples que nous venons de citer révèlent que l'OTAN doit agir concentriquement, c'est-à-dire vers le centre des cercles (CE et UEO), mais également excentriquement, c'est-à-dire vers l'extérieur où se situent les autres membres de la CSCE. Celle-ci constitue le troisième et le plus vaste des cercles analysés, puisqu'elle regroupe les 34 pays signataires de la Charte de Paris en novembre dernier - une Charte qui marque le début de l'institutionnalisation du processus d'Helsinki de 1975. Les liens de sécurité unissant les participants à ce cercle sont moins anciens et moins développés qu'au sein des deux autres cercles, mais ils n'en jouent pas moins aujourd'hui un rôle essentiel, en créant un climat de transparence et de prévisibilité accrues en matière d'activités militaires ayant pour cadre l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural. En tant que forum (à l'importance croissante) du processus de consultations paneuropéennes régulières associant les partenaires nord-américains, ainsi que de la prévention des conflits, la CSCE possède une capacité potentielle unique qui peut connaître un développement soutenu dans les prochaines années. Ceci nécessitera non seulement un travail préparatoire important si l'on veut s'assurer de l'efficacité des nouvelles institutions, mais également une prise de conscience généralisée que les résultats seront plus durables et utiles si le processus n'est pas envisagé sur la base du "tout ou rien". L'indispensable équilibre entre tous les composants du processus de la CSCE doit, en même temps, continuer d'être respecté.

La dynamique de l'interaction

Après avoir défini les composants du modèle, j'aimerais à présent aborder brièvement sa dynamique, qui constitue un aspect essentiel dans toute projection.

Le rôle central joué par l'OTAN est, je crois, incontestable. Il suffit, pour s'en convaincre, de penser à l'importance d'une présence militaire américaine et canadienne continue en Europe, de la combinaison appropriée de forces conventionnelles et nucléaires de 1 ' OTAN et de la structure militaire intégrée. Ceci étant, il est également clair que l'Alliance n'est plus la seule organisation qui puisse assumer des responsabilités pour la dimension de sécurité de la nouvelle Europe que nous sommes en train d'édifier. Un dialogue intense doit, dès lors, avoir lieu entre les Seize de l'OTAN et les Neuf de l'UEO, non pas comme deux cercles séparés, mais comme deux composantes d'une structure au sein de laquelle la composante plus petite est appelée à fournir un soutien accru et mieux coordonné, et donc renforcer, la composante plus grande. Ce processus devrait conduire, en fait, à la création de liens institutionnalisés entre les deux organisations et peut-être également avec la Communauté européenne, par le biais de représentants agréés.
Le lien étroit qui existe entre le développement de la coopération européenne en matière de sécurité et le renouveau de l'Alliance atlantique pourrait, par exemple, se traduire par des rapports de la présidence tournante de l'UEO au Conseil de l'Atlantique Nord, ainsi que par des contacts réguliers entre les Secrétaires généraux et les hauts responsables des deux organisations. Dans le même temps, la possibilité que les Douze de la CE disposent, par le biais du système de présidence tournante, de l'opportunité de maintenir un dialogue avec l'Alliance sur des questions d'intérêt commun relatives à lapolitique et la sécurité renforcerait incontestablement tant le processus d'édification de l'Europe que l'évolution de l'OTAN.

L'évolution vers une composante politique plus prononcée de l'Alliance bénéficierait de cette interaction plus étroite entre les deux cercles, comme, par exemple, dans le cas des consultations sur la sécurité et sur 1 ' impact d ' événements survenant en dehors de l' Europe.

Les deux organisations ont en même temps intérêt à voir la poursuite du développement de la dimension de sécurité de la CSCE, alors que de nouvelles négociations sur la maîtrise des armements et les mesures de confiance entre les 34 Etats sont en cours de préparation et qu'elles devraient contribuer à un renforcement significatif de la stabilité sur le continent. Une pleine considération devrait donc toujours être accordée au fait que, dans le cadre de la CSCE, nous sommes en train de créer des institutions appelées à lier non seulement les pays d'Europe, mais également ceux d'Amérique du Nord. Les deux cercles centraux doivent en conséquence oeuvrer de manière à garantir la solidarité atlantique par le biais d'une approche conjointe des questions, après une concertation appropriée. Une telle attitude est susceptible d'accroître plutôt que de diminuer l'importance des initiatives qui seront prises en commun avec d'autres membres du troi sième cercle du modèle. Les contacts que le président et le Secrétaire général de l'UEO, ainsi que le Secrétaire général de l'OTAN, ont établis avec l'Union soviétique et les autres pays d'Europe centrale et orientale, de même que ceux noués par les corps parlementaires des deux organisations, constituent également une part importante des liens qui doivent se développer entre le cercle central et le cercle extérieur.

La perspective que j ' ai esquissée pour cette période de transition est orientée vers l'avenir, non seulement en termes d'exigences immédiates, mais aussi, et principalement, en tant que réponse positive aux doutes qui ont été exprimés sur la possibilité de combiner, au sein d'une architecture de sécurité crédible et durable, les éléments transatlantiques et européens, que je considère tous deux comme indispensables. J'espère sincèrement que ces doutes peuvent à présent être levés.