Edition Web
Vol. 39- No. 1
Fév. 1991
p. 11-14
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L'architecture
de la sécurité européenne
Les liens transatlantiques demeurent indispensables
Joâo de Deus Pinheiro
Ministre des Affaires étrangères du Portugal
L'année 1990, parmi les nombreux changements qu'elle a apportés
à la politique mondiale, a marqué le commencement d'une
phase décisive dans le processus d'unification européenne.
Deux conférences intra-gouvernementales ont débuté
dans le cadre de la Communauté européenne, pour préparer
tant l'union économique et monétaire que l'union politique.
Le débat sur la faisabilité et les paramètres d'une
future politique étrangère et de sécurité
commune aux Douze de la CE s'est avéré particulièrement
animé, démontrant ainsi l'importance et le caractère
très délicat du sujet.
La sécurité demeure l'un des rôles fondamentaux du
ressort des gouvernements, et l'opinion publique est donc en droit d'attendre
de ceux-ci des mesures adéquates pour assurer le maintien de la
paix et de la stabilité, ainsi que des capacités militaires
pourrépondre à une agression en cas d'échec de la
dissuasion. Le rôle de l'Alliance de F Atlantique Nord est, en conséquence,
demeuré très clair jusqu'aux récents événements
historiques survenus en Europe centrale et orientale: dissuader et, en
cas de besoin, se défendre face à une attaque soviétique
contre ses membres.
En 1949, le secrétaire d'Etat américain Dean Acheson déclarait
que l'Alliance de l'Atlantique Nord constituait "un acte de foi dans
le destin de la civilisation occidentale. Basée sur l'exercice
des libertés civiles et politiques, sur le respect de la personne
humaine, elle ne peut disparaître". Mais les circonstances
nouvelles exigent une analyse approfondie et urgente des multiples composantes
de notre structure de sécurité, afin de préserver
ce que nous considérons comme toujours indispensable, adapter ce
qui doit être modifié pour conserver son utilité,
et éliminer ce qui ne répond plus à un objectif souhaitable.
A cette fin, il conviendrait d'examiner impartialement les différentes
propositions avancées pour garantir le maintien de la stabilité
et de la sécurité des alliés et, si possible, de
l'Europe dans son ensemble.
Beaucoup a déjà été accompli à cette
fin au cours des six derniers mois (à savoir, au sommet de l'OTAN
à Londres en juillet dernier) et certains faits fondamentaux sont
apparus qui, à mon sens, devront être pris en compte dans
l'élaboration de toute architecture crédible pour la sécurité
européenne. D'une part, l'Union soviétique n'est plus considérée
comme une menace potentielle dans un avenir immédiat, même
si elle demeure une puissance militaire très importante même
après la mise en oeuvre du traité sur les Forces armées
conventionnelles en Europe (FCE); d'autre part, de nouveaux défis
peuvent mettre ou mettent déjà à l'épreuve
nos intérêts en matière de sécurité,
et il convient d'y faire face.
Si nous voulons maintenir une structure crédible apte à
soutenir le partenariat transatlantique essentiel qui nous a apporté
quatre décennies de paix, et tenir compte, parallèlement,
d'une identité européenne qui doit elle aussi être
présente sur la scène de la sécurité commune,
il importe de visualiser comment les entités existantes sont appelées
à se développer et à interagir en fonction de l'objectif
que nous venons de mentionner. Si seules des structures existantes sont
prises en compte, c'est principalement en raison du fait qu'elles offrent
un acquis précieux en termes de doctrine et d'expérience
- acquis susceptible de rendre plus réalistes les indispensables
spéculations sur les développements futurs et d'éviter
autant que possible le recours à la "boule de cristal".
Trois sphères interactives
Si l'on considère l'Union de l'Europe occidentale (UEO), l'OTAN
et la Conférence sur la sécurité et la coopération
en Europe (CSCE) comme trois cercles concentriques dont la taille est
liée au nombre d'Etats membres qui en font respectivement partie,
l'on peut se faire une idée claire des structures existantes dont
pourrait s'inspirer l'architecture de la sécurité européenne,
étant donné que le Pacte de Varsovie ne constitue plus une
option viable. Chacun de ces cercles présente des capacités
propres qui, si elles sont toutes judicieusement mises au service d'objectifs
agréés, sont à même d'engendrer un modèle
cohérent et structuré.
Dans le cadre de cet objectif, l'UEO devrait continuer d'oeuvrer à
l'accroissement indispensable du rôle européen en matière
de sécurité, dans le cadre de l'unification de l'Europe.
Ees principes établis à cette fin par la Plate-forme de
La Haye d'octobre 1987 conservent toute leur valeur, puisqu'ils reposent
sur le postulat qu'une "Europe plus unie apportera une contribution
plus forte à l'Alliance, au profit de la sécurité
occidentale dans son ensemble". Le rôle de l'UEO dans la nouvelle
architecture européenne en matière de sécurité
peut, dès lors, s'avérer compatible avec les progrès
qui seront réalisés par les Douze, au fur et à mesure
de l'établissement des indispensables ponts ou liens organiques
entre les deux entités. L'efficacité de ce processus, notons-le,
pourrait être grandement facilitée si le siège de
l'UEO était transféré à Bruxelles.
Le rôle d'une politique étrangère et de sécurité
commune aux Douze constitue un aspect fondamental du processus d'édification
d'une union politique. Il constitue également un problème
délicat qui exige une élaboration prudente et progressive
de ses principes et paramètres. Au cours de la période de
construction d'une identité européenne dans le domaine de
la politique étrangère et de sécurité, il
serait à notre sens souhaitable d'utiliser l'UEO comme point de
départ d'une dimension communautaire en matière de sécurité.
En même temps, une révision du Traité de l'UEO pourrait
permettre à cette organisation de réaliser la totalité
de son potentiel afin de devenir un pilier véritablement européen
au sein de l'OTAN, apte à contribuer à un partenariat plus
équilibré entre les alliés des deux côtés
de F Atlantique tout en maintenant des relations ouvertes axées
sur la coopération avec les autres alliés européens
qui n'appartiennent pas pour l'instant à l'organisation. Ces relations
devraient d'ailleurs, à mon sens, conduire à un élargissement
accéléré de l'organisation aux autres pays partenaires
dans la Communauté européenne.
La capacité, par deux fois démontrée, de discuter
et de coordonner les efforts dans des zones de crises extérieures
à l'Europe constitue, elle aussi, un atout important. Face aux
nouveaux défis posés à la sécurité,
une telle expérience doit être considérée comme
un facteur pertinent lorsque l'on envisage le plus petit des trois cercles
dont nous avons entrepris de parler.
Le cercle moyen représente, naturellement, l'Alliance atlantique
et constitue la structure fondamentale de l'ensemble du modèle
- ceci en premier lieu parce que l'Alliance a pendant de nombreuses années
constitué le seul cercle garantissant la défense occidentale;
deuxièmement, parce que l'indivisibilité de la sécurité
des alliés européens et nord-américains est contenue
dans le Traité de Washington et demeure aussi vitale aujourd'hui
qu'il y a quarante-deux ans; et troisièmement, parce que les changements
intervenus en Europe doivent être très largement attribués
à l'exemple politique, au succès économique ainsi
qu'à la solidarité et à la cohésion militaires
des pays membres de F Alliance. Aussi devons-nous transformer et adapter
l'Alliance en fonction du nouvel environnement politique et militaire
en Europe, mais éviter à tout prix de considérer
le partenariat transatlantique comme dépassé ou inapproprié.
Nous connaissons pertinemment l'influence stabilisatrice des pays de 1
' OTAN, à un moment où les processus de réforme sont
toujours en cours dans la plupart des pays d'Europe centrale et orientale
et où l'URSS est confrontée à des incertitudes en
grand nombre.
Lorsque nous avons décidé de créer avec ces pays
une relation de liaison diplomatique tout en développant les contacts
militaires et en intensifiant la coopération dans les domaines
scientifiques et de l'environnement, nous avons montré la remarquable
adaptabilité de 1 ' Alliance et à sa capacité à
maintenir une contribution majeure à la suppression des divisions
sur notre ' continent. La sécurité présente de nombreuses
facettes, et une meilleure compréhension de nos multiples niveaux
de coopération au sein de l'Alliance, de même que les résultats
bénéfiques qu'elle a engendrés pour ses membres au
cours de ses quarante-deux années d'existence, constituent dès
lors un puissant stimulant à l'établissement de relations
plus confiantes au-delà des limites des seize pays de l'OTAN.
L'Alliance doit également jouer un rôle important pour stimuler
les Européens à participer à leur propre sécurité,
en encourageant des consultations plus étroites dans son enceinte
et en utilisant des voies de communication directes et efficaces avec
la CE et l'UEO. Nos intérêts communs exigent une approche
politique flexible lors de l'analyse des nombreuses questions qui se poseront
à court terme, qu'il s'agisse de la vérification de la maîtrise
des armements et des accords de désarmement, de la création
d'unités multinationales, des défis posés par les
nouvelles menaces à la sécurité, etc.
Les exemples que nous venons de citer révèlent que l'OTAN
doit agir concentriquement, c'est-à-dire vers le centre des cercles
(CE et UEO), mais également excentriquement, c'est-à-dire
vers l'extérieur où se situent les autres membres de la
CSCE. Celle-ci constitue le troisième et le plus vaste des cercles
analysés, puisqu'elle regroupe les 34 pays signataires de la Charte
de Paris en novembre dernier - une Charte qui marque le début de
l'institutionnalisation du processus d'Helsinki de 1975. Les liens de
sécurité unissant les participants à ce cercle sont
moins anciens et moins développés qu'au sein des deux autres
cercles, mais ils n'en jouent pas moins aujourd'hui un rôle essentiel,
en créant un climat de transparence et de prévisibilité
accrues en matière d'activités militaires ayant pour cadre
l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural. En tant que forum (à
l'importance croissante) du processus de consultations paneuropéennes
régulières associant les partenaires nord-américains,
ainsi que de la prévention des conflits, la CSCE possède
une capacité potentielle unique qui peut connaître un développement
soutenu dans les prochaines années. Ceci nécessitera non
seulement un travail préparatoire important si l'on veut s'assurer
de l'efficacité des nouvelles institutions, mais également
une prise de conscience généralisée que les résultats
seront plus durables et utiles si le processus n'est pas envisagé
sur la base du "tout ou rien". L'indispensable équilibre
entre tous les composants du processus de la CSCE doit, en même
temps, continuer d'être respecté.
La dynamique de l'interaction
Après avoir défini les composants du modèle, j'aimerais
à présent aborder brièvement sa dynamique, qui constitue
un aspect essentiel dans toute projection.
Le rôle central joué par l'OTAN est, je crois, incontestable.
Il suffit, pour s'en convaincre, de penser à l'importance d'une
présence militaire américaine et canadienne continue en
Europe, de la combinaison appropriée de forces conventionnelles
et nucléaires de 1 ' OTAN et de la structure militaire intégrée.
Ceci étant, il est également clair que l'Alliance n'est
plus la seule organisation qui puisse assumer des responsabilités
pour la dimension de sécurité de la nouvelle Europe que
nous sommes en train d'édifier. Un dialogue intense doit, dès
lors, avoir lieu entre les Seize de l'OTAN et les Neuf de l'UEO, non pas
comme deux cercles séparés, mais comme deux composantes
d'une structure au sein de laquelle la composante plus petite est appelée
à fournir un soutien accru et mieux coordonné, et donc renforcer,
la composante plus grande. Ce processus devrait conduire, en fait, à
la création de liens institutionnalisés entre les deux organisations
et peut-être également avec la Communauté européenne,
par le biais de représentants agréés.
Le lien étroit qui existe entre le développement de la coopération
européenne en matière de sécurité et le renouveau
de l'Alliance atlantique pourrait, par exemple, se traduire par des rapports
de la présidence tournante de l'UEO au Conseil de l'Atlantique
Nord, ainsi que par des contacts réguliers entre les Secrétaires
généraux et les hauts responsables des deux organisations.
Dans le même temps, la possibilité que les Douze de la CE
disposent, par le biais du système de présidence tournante,
de l'opportunité de maintenir un dialogue avec l'Alliance sur des
questions d'intérêt commun relatives à lapolitique
et la sécurité renforcerait incontestablement tant le processus
d'édification de l'Europe que l'évolution de l'OTAN.
L'évolution vers une composante politique plus prononcée
de l'Alliance bénéficierait de cette interaction plus étroite
entre les deux cercles, comme, par exemple, dans le cas des consultations
sur la sécurité et sur 1 ' impact d ' événements
survenant en dehors de l' Europe.
Les deux organisations ont en même temps intérêt à
voir la poursuite du développement de la dimension de sécurité
de la CSCE, alors que de nouvelles négociations sur la maîtrise
des armements et les mesures de confiance entre les 34 Etats sont en cours
de préparation et qu'elles devraient contribuer à un renforcement
significatif de la stabilité sur le continent. Une pleine considération
devrait donc toujours être accordée au fait que, dans le
cadre de la CSCE, nous sommes en train de créer des institutions
appelées à lier non seulement les pays d'Europe, mais également
ceux d'Amérique du Nord. Les deux cercles centraux doivent en conséquence
oeuvrer de manière à garantir la solidarité atlantique
par le biais d'une approche conjointe des questions, après une
concertation appropriée. Une telle attitude est susceptible d'accroître
plutôt que de diminuer l'importance des initiatives qui seront prises
en commun avec d'autres membres du troi sième cercle du modèle.
Les contacts que le président et le Secrétaire général
de l'UEO, ainsi que le Secrétaire général de l'OTAN,
ont établis avec l'Union soviétique et les autres pays d'Europe
centrale et orientale, de même que ceux noués par les corps
parlementaires des deux organisations, constituent également une
part importante des liens qui doivent se développer entre le cercle
central et le cercle extérieur.
La perspective que j ' ai esquissée pour cette période
de transition est orientée vers l'avenir, non seulement en termes
d'exigences immédiates, mais aussi, et principalement, en tant
que réponse positive aux doutes qui ont été exprimés
sur la possibilité de combiner, au sein d'une architecture de sécurité
crédible et durable, les éléments transatlantiques
et européens, que je considère tous deux comme indispensables.
J'espère sincèrement que ces doutes peuvent à présent
être levés.
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