Revue de l'OTAN
Mise à jour: 11-May-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 38- No. 2
Avril 1990
p. 28 - 33

Le Collège de défense de l'OTAN
Ses objectifs sont-ils compris?

Colin Grant

Colin Grant dirige le Centre de documentation du Collège de défense de l'OTAN; il est responsable du programme historique du Collège.

Durant ses trente-neuf années d'existence, le Collège de défense de l'OTAN, d'abord basé à Paris puis à Rome, a bénéficié d'une publicité considérable. En dépit de celle-ci et du nombre croissant d'anciens auditeurs - ils sont actuellement un peu plus de quatre mille - il nous semble qu' au sein même de l'OTAN, le Collège de défense demeure une institution fort mal connue. Cette impression résulte non seulement de l'attitude des nouveaux auditeurs, mais également de celle des responsables de l'OTAN, parfois même de haut niveau, qui nous rendent visite. Elle résulte enfin de l'attitude des personnes que nous rencontrons durant les voyages et visites d'études organisés dans les pays de l'OTAN et différents sièges et établissements nationaux.

L'idée de la création du Collège est venue du général Eisenhower, qui considérait comme une "exigence hautement prioritaire la formation de civils comme de militaires, afin qu'ils disposent d'une compréhension approfondie des nombreux facteurs complexes impliqués dans le problème de la création d'un dispositif de défense adéquat pour la zone OTAN ". Cet objectif, exposé dans un message au Groupe permanent (le prédécesseur du Comité militaire), n'a guère changé depuis la création du Collège en 1951. Des changements se sont rarement avérés nécessaires et, lorsqu'ils l'ont été, c'était généralement parce que l'interprétation de l'objectif original avait évolué, et non parce que cet objectif était devenu inapproprié.

Pour l'essentiel, le collège offre à ses auditeurs la possibilité d'acquérir la connaissance et l'expérience nécessaires à une " compréhension approfondie " du concept politico-militaire de l'Alliance, de son organisation et de ses méthodes de travail. Cela peut conduire à de mauvaises interprétations. Les nouveaux auditeurs qui pensent qu'ils vont être formés au travail de bureau qu'ils sont appelés à accomplir au SHAPE ou ailleurs se trompent et sont déçus. Une telle préparation détaillée à court terme relève plutôt des cours d'orientation et de spécialisation de notre établissement frère d'Oberammergau.

Notre établissement de Rome a une vocation éducative unique, devant permettre à des officiers supérieurs et à des civils d'acquérir une compréhension d'une large gamme de questions internationales, incluant les implications des événements qui se déroulent actuellement en Union soviétique et en Europe centrale et de l'Est. Au cours des brefs cinq mois et demi dévolus à chaque promotion, le programme couvre une matière qui est probablement plus large et plus variée que celle abordée dans toute autre institution similaire. Le Collège fournit une enceinte au sein de laquelle certains des penseurs les plus brillants de notre époque dans le domaine de la défense en général, et celui de l'OTAN en particulier, peuvent librement exprimer leurs points de vue. Outre des exposés d'une trentaine de conférenciers, pour la plupart de réputation internationale, chaque promotion assiste à des interventions du Secrétaire général de l'OTAN, de la plupart des Secrétaires généraux adjoints, de tous les grands commandants de l'OTAN, de la plupart des grands commandants subordonnés et de certains autres commandants subordonnés. En outre, le président et le président adjoint du Comité militaire s'adressent à chaque promotion. Tous les orateurs offrent l'occasion aux auditeurs de poser des questions et d'exprimer leurs propres opinions. Rares sont nos auditeurs qui ont bénéficié d'une telle expérience auparavant et rares sont ceux qui ont disposé d'autant de temps pour la réflexion au cours de leur carrière. Aucun n'a en tout cas eu la chance d'entretenir autant de contacts, étroits et personnels, avec des homologues de presque tous les pays alliés.

Compte tenu des profondes différences existant au sein de chaque promotion au niveau de l'expérience, du service, de l'âge, des aptitudes linguistiques et des nationalités, l'on exige de tous les auditeurs une grande tolérance. Un brassage doit intervenir. L'on y parvient en divisant la promotion en petites unités de travail ou comités. Sept ou huit membres des différents pays, services et grades forment un comité, placé sous la direction d'un président et d'un secrétaire. Ceux-ci sont choisis (par le corps enseignant) parmi les auditeurs, et sont aidés et guidés par un conseiller provenant du corps enseignant. Le travail de chaque comité se déroule dans une atmosphère qui transcende rapidement les groupes nationaux. Vers la moitié de la session, les comités sont modifiés pour permettre d'élargir les possibilités de brassage, et pour offrir à d'autres présidents et à d'autres secrétaires l'occasion de mettre à l'épreuve leurs talents d'organisateurs. L'un des comités de cette deuxième tranche d'activités mène habituellement ses travaux en français.

Le Programme académique

Le programme académique est conçu pour élargir les horizons des
auditeurs, pour leur faire prendre conscience des problèmes complexes de sécurité de notre société. Il étudie en outre le rôle et les contraintes qui incombent à une superpuissance (membre de l'Alliance) et qui sont liés à la complexité du continent européen, avec ses siècles d'histoire, ses nombreuses langues, ses multiples intérêts politiques et économiques, ses différentes opinions publiques et l'étonnante transformation qu'il vit actuellement.

Le Collège se doit également de sensibiliser ses auditeurs à l'équilibre délicat qui peut exister lorsque l'on évolue dans un environnement non-supranationnal tel que l'OTAN, l'équilibre entre les loyautés nationales naturelles et la loyauté envers l'organisation internationale. Pour parvenir à ces fins, le Collège s'appuie sur trois moyens essentiels d'instruction: des conférences, des voyages et visites d'études et le travail en comités, qui assure la synthèse de l'ensemble. Les auditeurs ont également l'occasion de poursuivre des projets individuels. Durant la partie de la session qui se déroule au Collège à Rome - soit quinze semaines - les conférenciers traitent des objectifs et politiques de l'Alliance, de son concept strategique, de son organisation, de sa fonction, des problèmes existant en son sein et des facteurs extérieurs qui l'affectent. Quelques titres suffisent à se faire une idée de la variété des thèmes abordés: la dimension de la stratégie, les avantages et les dangers de l'interdépendance politique, les tendances technologiques et l'amélioration de la défense conventionnelle, les systèmes économiques des pays du Pacte de Varsovie, les changements en Europe de l'Est et de l'Ouest: un point de vue soviétique.

Le recrutement des conférenciers vise à refléter le plus fidèlement possible l'éventail des tendances propres aux pays de l'Alliance, mais le critère essentiel consiste à trouver les meilleurs orateurs disponibles pour un sujet donné. Cela conduit naturellement à inclure divers orateurs provenant de pays extérieurs à l'OTAN, mais la présence de conférenciers de l'Europe de l'Est est encore rare.

La structure en comités évite que les exposés soient traités isolément. Des études et des discussions sur le thème abordé et sur des points de vue divergents ou opposés précèdent et suivent la conférence et font découvrir aux auditeurs les différentes perspectives prévalant au sein de l'Alliance. L'un des principaux objectifs didactiques consiste à souligner la complexité des questions qui se posent actuellement à l'Alliance, à montrer aux auditeurs qu'ils peuvent, à l'instar des pays dont les points de vue diffèrent, parvenir à des conclusions divergentes concernant les probabilités de succès d'une politique ou d'une série de politiques, qu'il n'existe pas toujours une seule réponse à un problème donné et que, dans le contexte de l'Alliance, la meilleure solution est probablement celle qui répond, si possible, aux principales préoccupations des divers partenaires de l'Alliance. Une telle solution ne doit pas nécessairement constituer le plus petit commun dénominateur, mais, pour éviter que tel soit le cas, il convient de recourir à un dialogue et à une coopération efficaces, ainsi qu'à une coordination étroite.

L'édification des relations internationales

La deuxième partie importante du programme réside dans la familiarisation des auditeurs avec les pays membres de l'Alliance et avec les principaux organismes de celle-ci. Un travail harmonieux au sein de cette Alliance est ainsi conditionné par une bonne compréhension de chacun de ses membres et des principaux éléments de son organisation. Cet objectif est atteint par des présentations et des exposés au Collège, mais principalement par des voyages et des visites d'études. Ici encore, toute l'information accumulée est développée et mise en évidence par d'étroits contacts quotidiens avec des représentants d'autres pays au sein du système des comités.

Le programme des voyages et des visites d'études est impressionnant. Lorsqu'on parle à un ancien auditeur du Collège du programme qu'il a suivi, il évoque en premier lieu, presque toujours, ces déplacements. Ce qui n'est guère surprenant, étant donné que ces déplacements exercent, sans nul doute, l'impact le plus profond sur les auditeurs. Tous les pays de l'OTAN ne peuvent être visités par chaque promotion, mais la visite de dix pays de l'OTAN et de Berlin-Ouest est toujours inscrite au programme. Le Danemark, la Norvège, la Grèce, la Turquie, le Portugal et l'Espagne sont visités tous les deux ans ; le Luxembourg et l'Islande moins fréquemment. L'Italie, qui accueille le Collège, est visitée très tôt par chaque promotion, dans le cadre du programme d'adaptation. Les pays qui ne sont pas visités par une promotion donnée organisent une présentation nationale à Rome. Cette présentation évoque les aspects politiques, économiques et de défense des pays concernés et comporte, naturellement, la période de discussion habituelle. A la fin de la session, les auditeurs disposent ainsi d'une connaissance approfondie des préoccupations des seize pays membres.

Les voyages et visites d'étude offrent l'occasion de découvrir le territoire que l'Alliance est chargée de défendre, de voir les pays de l'Alliance et leurs habitants, et d'entendre les points de vue de différents dirigeants face aux problèmes qu'ils affrontent. Les auditeurs visitent le siège de l'OTAN et le SHAPE, de même que d'autres établissements importants, nationaux et de l'OTAN, et des sites tels que des silos de missiles stratégiques dans les prairies du Wyo-ming, les installations AWACS de l'OTAN en Europe et un sous-marin Trident armé de missiles. Ces contacts avec des personnes qui, comme eux, sont impliquées dans les activités de l'Alliance, dépassent donc la simple étude livresque pour favoriser l'établissement de relations internationales.

Gestion du temps de crise

Le point culminant de la session est constitué par une série de conférences et d'applications pratiques ayant pour thème les outils de gestion du temps de crise. Ces conférences sont suivies par un exercice de gestion de temps de crise d'une durée de deux à trois jours. Bien que certains auditeurs aient une expérience dans ce domaine au niveau national, l'exercice mené au Collège présente la particularité d'offrir une préparation à la gestion du temps de crise dans l'environnement de l'OTAN.

Qui sont donc les auditeurs? Des officiers du grade de colonel ou de lieutenant-colonel et leurs équivalents des services civils et diplomatiques susceptibles d'être affectés à des postes OTAN, ou à des nominations nationales associées à l'OTAN. Ceci étant, un commandant appartenant aux forces armées de certains pays peut présenter de meilleures qualifications et plus d'expérience qu'un colonel d'autres nations. C'est pourquoi des commandants aux aptitudes exceptionnelles peuvent également être retenus. Comme dans beaucoup d'autres domaines liés au Collège, l'initiative à cet égard revient aux pays membres, car ils sont les seuls à même d'interpréter les exigences susceptibles de les satisfaire. La durée de l'affectation OTAN envisagée dépend uniquement de la qualité du personnel sélectionné par les divers pays. L'envoi au collège d'une personne n'ayant pas de perspectives de carrière appropriées constitue manifestement un mauvais investissement pour le pays concerné, même si, d'un point de vue personnel, la formation lui est sans aucun doute profitable.

Une gamme d'autres activités

Bien que la session normale de cinq mois et demi constitue sa raison d'être, le Collège organise également d'autres activités. Tous les deux ans, pendant que les auditeurs effectuent leurs voyages et visites d'études, une session d'une semaine est proposée à des officiers de réserves des pays alliés. Son but consiste à familiariser ces officiers avec les principaux défis -dont le rôle des forces de réserve -auxquels l'OTAN, son organisation et sa structure sont confrontées. Formant, dans toute la mesure du possible, un microcosme de la session normale, cette session d'une semaine implique un travail intensif pour les cinquante officiers qui y participent et un véritable défi pour le corps enseignant du Collège, confronté à des participants enthousiastes et jouissant d'une expérience considérable.

Chaque année, le Collège organise et accueille un séminaire, international de deux jours, auquel participent quelque 55 leaders d'opinion qui sont autant d'hommes politiques, industriels, syndicalistes, journalistes, universitaires et militaires. Chaque année également, dans le cadre de sa session normale et avec la participation des auditeurs, le Collège organise, en collaboration avec la National Défense Univer-sity (NDU) de Washington, un symposium OTAN. Se tenant alternativement à Washington et à Rome, dans le cadre de la session de printemps, ce symposium rassemble non seulement des auditeurs de la NDU et du Collège de défense de l'OTAN, mais également d'autres étudiants provenant de différentes institutions nationales de défense ou de formation de dirigeants qui considèrent que leur participation dans le cadre de leurs propres études ne peut être que fructueuse. Le symposium rassemble enfin de nombreuses personnes travaillant dans des domaines concernés. Il va de soi que les orateurs invités se rangent au nombre des meilleurs spécialistes de leur domaine. Dans le cadre de la session normale, nous organisons également chaque année un séminaire pour les anciens lors du premier week-end d'octobre. Il s'agit à nouveau d'une réunion de deux jours, durant laquelle des orateurs prestigieux s'adressent à environ 200 anciens et aux auditeurs. Ils traitent d'un sujet défini à la fin du séminaire de l'année précédente. Il faut porter au crédit des personnes concernées par ce choix d'avoir toujours su sélectionner un thème d'une brûlante actualité. Ce séminaire est naturellement aussi marqué par des réunions et des événements mondains. Les auditeurs peuvent ainsi constater par eux-mêmes ce que l'avenir est susceptible de leur réserver - pour le meilleur ou pour le pire.

Comment mesurer le succès -ou l'échec - du Collège de défense ? Suffit-il de compter le nombre d'ambassadeurs ou de généraux choisis parmi les rangs de nos anciens? Cela peut bien sûr se faire. Dans deux des pays de l'OTAN, quasiment deux diplômés sur trois du Collège parviennent au grade de général. Dans deux autres pays, il est bien rare que des diplômés dépassent le grade de colonel! Tout dépend manifestement, comme pour la plupart des choses relatives au Collège, des perceptions des différents pays et de ceux qui sont envoyés à Rome. Il en va de même en ce qui concerne le corps enseignant. Face à des auditeurs présentant une telle variété au niveau de l'expérience, des capacités et des aptitudes linguistiques, le corps enseignant est appelé à assumer un rôle important. Ses membres devraient être particulièrement éminents, mais est-ce toujours le cas? Cela dépend, une fois de plus, des divers pays. Les succès incontestables sont, naturellement, apparents. Les contacts humains qui se nouent au Collège sont particulièrement durables et transcendent les frontières traditionnelles et nationales. Les diplômés acquièrent du respect pour leurs forces respectives, et apprennent à comprendre et à tolérer les faiblesses de chacun. Leur travail en commun avec leurs homologues s'en trouve facilité et stimulé.

Il va de soi que les hommes et les femmes qui viennent suivre une session à Rome ont toute latitude quant aux suites à donner à leur formation. De leur mérite personnel dépendra le cours ultérieur de leur carrière. Et comme une grande partie de ce qui est possible dépend directement de chaque nation, prise individuellement, oserions-nous ajouter, sans risque de nous le voir reprocher, que le Collège de Défense sera ce que l'OTAN en fera? Pourrait-on former l'espoir de voir le jour où, pour pouvoir assumer un rôle supérieur au sein de l'OTAN, il faudra présenter un diplôme du Collège de défense - même si celui-ci ne porte que sur des qualifications souhaitables, et non essentielles? Ces questions seront-elles posées sous la forme "combien d'entre nos responsables sont-ils diplômés du Collège?" et peut-être de manière plus significative : " quelqu'un remarquera-t-il la différence?"









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