Edition Web
Vol. 38- No. 2
Avril 1990
p. 28 - 33
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Le
Collège de défense de l'OTAN
Ses objectifs sont-ils compris?
Colin Grant
Colin Grant dirige le Centre de documentation du Collège de
défense de l'OTAN; il est responsable du programme historique du
Collège.
Durant ses trente-neuf années d'existence, le Collège de
défense de l'OTAN, d'abord basé à Paris puis à
Rome, a bénéficié d'une publicité considérable.
En dépit de celle-ci et du nombre croissant d'anciens auditeurs
- ils sont actuellement un peu plus de quatre mille - il nous semble qu'
au sein même de l'OTAN, le Collège de défense demeure
une institution fort mal connue. Cette impression résulte non seulement
de l'attitude des nouveaux auditeurs, mais également de celle des
responsables de l'OTAN, parfois même de haut niveau, qui nous rendent
visite. Elle résulte enfin de l'attitude des personnes que nous
rencontrons durant les voyages et visites d'études organisés
dans les pays de l'OTAN et différents sièges et établissements
nationaux.
L'idée de la création du Collège est venue du général
Eisenhower, qui considérait comme une "exigence hautement
prioritaire la formation de civils comme de militaires, afin qu'ils disposent
d'une compréhension approfondie des nombreux facteurs complexes
impliqués dans le problème de la création d'un dispositif
de défense adéquat pour la zone OTAN ". Cet objectif,
exposé dans un message au Groupe permanent (le prédécesseur
du Comité militaire), n'a guère changé depuis la
création du Collège en 1951. Des changements se sont rarement
avérés nécessaires et, lorsqu'ils l'ont été,
c'était généralement parce que l'interprétation
de l'objectif original avait évolué, et non parce que cet
objectif était devenu inapproprié.
Pour l'essentiel, le collège offre à ses auditeurs la possibilité
d'acquérir la connaissance et l'expérience nécessaires
à une " compréhension approfondie " du concept
politico-militaire de l'Alliance, de son organisation et de ses méthodes
de travail. Cela peut conduire à de mauvaises interprétations.
Les nouveaux auditeurs qui pensent qu'ils vont être formés
au travail de bureau qu'ils sont appelés à accomplir au
SHAPE ou ailleurs se trompent et sont déçus. Une telle préparation
détaillée à court terme relève plutôt
des cours d'orientation et de spécialisation de notre établissement
frère d'Oberammergau.
Notre établissement de Rome a une vocation éducative unique,
devant permettre à des officiers supérieurs et à
des civils d'acquérir une compréhension d'une large gamme
de questions internationales, incluant les implications des événements
qui se déroulent actuellement en Union soviétique et en
Europe centrale et de l'Est. Au cours des brefs cinq mois et demi dévolus
à chaque promotion, le programme couvre une matière qui
est probablement plus large et plus variée que celle abordée
dans toute autre institution similaire. Le Collège fournit une
enceinte au sein de laquelle certains des penseurs les plus brillants
de notre époque dans le domaine de la défense en général,
et celui de l'OTAN en particulier, peuvent librement exprimer leurs points
de vue. Outre des exposés d'une trentaine de conférenciers,
pour la plupart de réputation internationale, chaque promotion
assiste à des interventions du Secrétaire général
de l'OTAN, de la plupart des Secrétaires généraux
adjoints, de tous les grands commandants de l'OTAN, de la plupart des
grands commandants subordonnés et de certains autres commandants
subordonnés. En outre, le président et le président
adjoint du Comité militaire s'adressent à chaque promotion.
Tous les orateurs offrent l'occasion aux auditeurs de poser des questions
et d'exprimer leurs propres opinions. Rares sont nos auditeurs qui ont
bénéficié d'une telle expérience auparavant
et rares sont ceux qui ont disposé d'autant de temps pour la réflexion
au cours de leur carrière. Aucun n'a en tout cas eu la chance d'entretenir
autant de contacts, étroits et personnels, avec des homologues
de presque tous les pays alliés.
Compte tenu des profondes différences existant au sein de chaque
promotion au niveau de l'expérience, du service, de l'âge,
des aptitudes linguistiques et des nationalités, l'on exige de
tous les auditeurs une grande tolérance. Un brassage doit intervenir.
L'on y parvient en divisant la promotion en petites unités de travail
ou comités. Sept ou huit membres des différents pays, services
et grades forment un comité, placé sous la direction d'un
président et d'un secrétaire. Ceux-ci sont choisis (par
le corps enseignant) parmi les auditeurs, et sont aidés et guidés
par un conseiller provenant du corps enseignant. Le travail de chaque
comité se déroule dans une atmosphère qui transcende
rapidement les groupes nationaux. Vers la moitié de la session,
les comités sont modifiés pour permettre d'élargir
les possibilités de brassage, et pour offrir à d'autres
présidents et à d'autres secrétaires l'occasion de
mettre à l'épreuve leurs talents d'organisateurs. L'un des
comités de cette deuxième tranche d'activités mène
habituellement ses travaux en français.
Le Programme académique
Le programme académique est conçu pour élargir les
horizons des
auditeurs, pour leur faire prendre conscience des problèmes complexes
de sécurité de notre société. Il étudie
en outre le rôle et les contraintes qui incombent à une superpuissance
(membre de l'Alliance) et qui sont liés à la complexité
du continent européen, avec ses siècles d'histoire, ses
nombreuses langues, ses multiples intérêts politiques et
économiques, ses différentes opinions publiques et l'étonnante
transformation qu'il vit actuellement.
Le Collège se doit également de sensibiliser ses auditeurs
à l'équilibre délicat qui peut exister lorsque l'on
évolue dans un environnement non-supranationnal tel que l'OTAN,
l'équilibre entre les loyautés nationales naturelles et
la loyauté envers l'organisation internationale. Pour parvenir
à ces fins, le Collège s'appuie sur trois moyens essentiels
d'instruction: des conférences, des voyages et visites d'études
et le travail en comités, qui assure la synthèse de l'ensemble.
Les auditeurs ont également l'occasion de poursuivre des projets
individuels. Durant la partie de la session qui se déroule au Collège
à Rome - soit quinze semaines - les conférenciers traitent
des objectifs et politiques de l'Alliance, de son concept strategique,
de son organisation, de sa fonction, des problèmes existant en
son sein et des facteurs extérieurs qui l'affectent. Quelques titres
suffisent à se faire une idée de la variété
des thèmes abordés: la dimension de la stratégie,
les avantages et les dangers de l'interdépendance politique, les
tendances technologiques et l'amélioration de la défense
conventionnelle, les systèmes économiques des pays du Pacte
de Varsovie, les changements en Europe de l'Est et de l'Ouest: un point
de vue soviétique.
Le recrutement des conférenciers vise à refléter
le plus fidèlement possible l'éventail des tendances propres
aux pays de l'Alliance, mais le critère essentiel consiste à
trouver les meilleurs orateurs disponibles pour un sujet donné.
Cela conduit naturellement à inclure divers orateurs provenant
de pays extérieurs à l'OTAN, mais la présence de
conférenciers de l'Europe de l'Est est encore rare.
La structure en comités évite que les exposés soient
traités isolément. Des études et des discussions
sur le thème abordé et sur des points de vue divergents
ou opposés précèdent et suivent la conférence
et font découvrir aux auditeurs les différentes perspectives
prévalant au sein de l'Alliance. L'un des principaux objectifs
didactiques consiste à souligner la complexité des questions
qui se posent actuellement à l'Alliance, à montrer aux auditeurs
qu'ils peuvent, à l'instar des pays dont les points de vue diffèrent,
parvenir à des conclusions divergentes concernant les probabilités
de succès d'une politique ou d'une série de politiques,
qu'il n'existe pas toujours une seule réponse à un problème
donné et que, dans le contexte de l'Alliance, la meilleure solution
est probablement celle qui répond, si possible, aux principales
préoccupations des divers partenaires de l'Alliance. Une telle
solution ne doit pas nécessairement constituer le plus petit commun
dénominateur, mais, pour éviter que tel soit le cas, il
convient de recourir à un dialogue et à une coopération
efficaces, ainsi qu'à une coordination étroite.
L'édification des relations internationales
La deuxième partie importante du programme réside dans
la familiarisation des auditeurs avec les pays membres de l'Alliance et
avec les principaux organismes de celle-ci. Un travail harmonieux au sein
de cette Alliance est ainsi conditionné par une bonne compréhension
de chacun de ses membres et des principaux éléments de son
organisation. Cet objectif est atteint par des présentations et
des exposés au Collège, mais principalement par des voyages
et des visites d'études. Ici encore, toute l'information accumulée
est développée et mise en évidence par d'étroits
contacts quotidiens avec des représentants d'autres pays au sein
du système des comités.
Le programme des voyages et des visites d'études est impressionnant.
Lorsqu'on parle à un ancien auditeur du Collège du programme
qu'il a suivi, il évoque en premier lieu, presque toujours, ces
déplacements. Ce qui n'est guère surprenant, étant
donné que ces déplacements exercent, sans nul doute, l'impact
le plus profond sur les auditeurs. Tous les pays de l'OTAN ne peuvent
être visités par chaque promotion, mais la visite de dix
pays de l'OTAN et de Berlin-Ouest est toujours inscrite au programme.
Le Danemark, la Norvège, la Grèce, la Turquie, le Portugal
et l'Espagne sont visités tous les deux ans ; le Luxembourg et
l'Islande moins fréquemment. L'Italie, qui accueille le Collège,
est visitée très tôt par chaque promotion, dans le
cadre du programme d'adaptation. Les pays qui ne sont pas visités
par une promotion donnée organisent une présentation nationale
à Rome. Cette présentation évoque les aspects politiques,
économiques et de défense des pays concernés et comporte,
naturellement, la période de discussion habituelle. A la fin de
la session, les auditeurs disposent ainsi d'une connaissance approfondie
des préoccupations des seize pays membres.
Les voyages et visites d'étude offrent l'occasion de découvrir
le territoire que l'Alliance est chargée de défendre, de
voir les pays de l'Alliance et leurs habitants, et d'entendre les points
de vue de différents dirigeants face aux problèmes qu'ils
affrontent. Les auditeurs visitent le siège de l'OTAN et le SHAPE,
de même que d'autres établissements importants, nationaux
et de l'OTAN, et des sites tels que des silos de missiles stratégiques
dans les prairies du Wyo-ming, les installations AWACS de l'OTAN en Europe
et un sous-marin Trident armé de missiles. Ces contacts avec des
personnes qui, comme eux, sont impliquées dans les activités
de l'Alliance, dépassent donc la simple étude livresque
pour favoriser l'établissement de relations internationales.
Gestion du temps de crise
Le point culminant de la session est constitué par une série
de conférences et d'applications pratiques ayant pour thème
les outils de gestion du temps de crise. Ces conférences sont suivies
par un exercice de gestion de temps de crise d'une durée de deux
à trois jours. Bien que certains auditeurs aient une expérience
dans ce domaine au niveau national, l'exercice mené au Collège
présente la particularité d'offrir une préparation
à la gestion du temps de crise dans l'environnement de l'OTAN.
Qui sont donc les auditeurs? Des officiers du grade de colonel ou de lieutenant-colonel
et leurs équivalents des services civils et diplomatiques susceptibles
d'être affectés à des postes OTAN, ou à des
nominations nationales associées à l'OTAN. Ceci étant,
un commandant appartenant aux forces armées de certains pays peut
présenter de meilleures qualifications et plus d'expérience
qu'un colonel d'autres nations. C'est pourquoi des commandants aux aptitudes
exceptionnelles peuvent également être retenus. Comme dans
beaucoup d'autres domaines liés au Collège, l'initiative
à cet égard revient aux pays membres, car ils sont les seuls
à même d'interpréter les exigences susceptibles de
les satisfaire. La durée de l'affectation OTAN envisagée
dépend uniquement de la qualité du personnel sélectionné
par les divers pays. L'envoi au collège d'une personne n'ayant
pas de perspectives de carrière appropriées constitue manifestement
un mauvais investissement pour le pays concerné, même si,
d'un point de vue personnel, la formation lui est sans aucun doute profitable.
Une gamme d'autres activités
Bien que la session normale de cinq mois et demi constitue sa raison
d'être, le Collège organise également d'autres activités.
Tous les deux ans, pendant que les auditeurs effectuent leurs voyages
et visites d'études, une session d'une semaine est proposée
à des officiers de réserves des pays alliés. Son
but consiste à familiariser ces officiers avec les principaux défis
-dont le rôle des forces de réserve -auxquels l'OTAN, son
organisation et sa structure sont confrontées. Formant, dans toute
la mesure du possible, un microcosme de la session normale, cette session
d'une semaine implique un travail intensif pour les cinquante officiers
qui y participent et un véritable défi pour le corps enseignant
du Collège, confronté à des participants enthousiastes
et jouissant d'une expérience considérable.
Chaque année, le Collège organise et accueille un séminaire,
international de deux jours, auquel participent quelque 55 leaders d'opinion
qui sont autant d'hommes politiques, industriels, syndicalistes, journalistes,
universitaires et militaires. Chaque année également, dans
le cadre de sa session normale et avec la participation des auditeurs,
le Collège organise, en collaboration avec la National Défense
Univer-sity (NDU) de Washington, un symposium OTAN. Se tenant alternativement
à Washington et à Rome, dans le cadre de la session de printemps,
ce symposium rassemble non seulement des auditeurs de la NDU et du Collège
de défense de l'OTAN, mais également d'autres étudiants
provenant de différentes institutions nationales de défense
ou de formation de dirigeants qui considèrent que leur participation
dans le cadre de leurs propres études ne peut être que fructueuse.
Le symposium rassemble enfin de nombreuses personnes travaillant dans
des domaines concernés. Il va de soi que les orateurs invités
se rangent au nombre des meilleurs spécialistes de leur domaine.
Dans le cadre de la session normale, nous organisons également
chaque année un séminaire pour les anciens lors du premier
week-end d'octobre. Il s'agit à nouveau d'une réunion de
deux jours, durant laquelle des orateurs prestigieux s'adressent à
environ 200 anciens et aux auditeurs. Ils traitent d'un sujet défini
à la fin du séminaire de l'année précédente.
Il faut porter au crédit des personnes concernées par ce
choix d'avoir toujours su sélectionner un thème d'une brûlante
actualité. Ce séminaire est naturellement aussi marqué
par des réunions et des événements mondains. Les
auditeurs peuvent ainsi constater par eux-mêmes ce que l'avenir
est susceptible de leur réserver - pour le meilleur ou pour le
pire.
Comment mesurer le succès -ou l'échec - du Collège
de défense ? Suffit-il de compter le nombre d'ambassadeurs ou de
généraux choisis parmi les rangs de nos anciens? Cela peut
bien sûr se faire. Dans deux des pays de l'OTAN, quasiment deux
diplômés sur trois du Collège parviennent au grade
de général. Dans deux autres pays, il est bien rare que
des diplômés dépassent le grade de colonel! Tout dépend
manifestement, comme pour la plupart des choses relatives au Collège,
des perceptions des différents pays et de ceux qui sont envoyés
à Rome. Il en va de même en ce qui concerne le corps enseignant.
Face à des auditeurs présentant une telle variété
au niveau de l'expérience, des capacités et des aptitudes
linguistiques, le corps enseignant est appelé à assumer
un rôle important. Ses membres devraient être particulièrement
éminents, mais est-ce toujours le cas? Cela dépend, une
fois de plus, des divers pays. Les succès incontestables sont,
naturellement, apparents. Les contacts humains qui se nouent au Collège
sont particulièrement durables et transcendent les frontières
traditionnelles et nationales. Les diplômés acquièrent
du respect pour leurs forces respectives, et apprennent à comprendre
et à tolérer les faiblesses de chacun. Leur travail en commun
avec leurs homologues s'en trouve facilité et stimulé.
Il va de soi que les hommes et les femmes qui viennent suivre une session
à Rome ont toute latitude quant aux suites à donner à
leur formation. De leur mérite personnel dépendra le cours
ultérieur de leur carrière. Et comme une grande partie de
ce qui est possible dépend directement de chaque nation, prise
individuellement, oserions-nous ajouter, sans risque de nous le voir reprocher,
que le Collège de Défense sera ce que l'OTAN en fera? Pourrait-on
former l'espoir de voir le jour où, pour pouvoir assumer un rôle
supérieur au sein de l'OTAN, il faudra présenter un diplôme
du Collège de défense - même si celui-ci ne porte
que sur des qualifications souhaitables, et non essentielles? Ces questions
seront-elles posées sous la forme "combien d'entre nos responsables
sont-ils diplômés du Collège?" et peut-être
de manière plus significative : " quelqu'un remarquera-t-il
la différence?"
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