Edition Web
Vol. 38- No. 1
Avril 1990
p. 17 - 19
|
Des
progrès substantiels dans les négociations
sur les essais nucléaires Accord en vue sur les protocoles de
vérification
M. l'Ambassadeur Robinson et M. Paldy
L'Ambassadeur Robinson est le principal négociateur et le chef
de la délégation américaine aux négociations
sur les essais nucléaires. Les Paldy, professeur à l'Université
d'Etat de New York à Stony Brook, est détaché auprès
de la délégation américaine en qualité d'expert
technique.
La cinquième session des négociations sur les essais nucléaires
entre les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui s'est achevée
le 15 décembre dernier à Genève, a été
marquée par de substantiels progrès en vue de la résolution
d'importantes divergences séparant les deux camps. Nous avons à
présent toute raison de croire que la signature des protocoles
de vérification pour le Traité d'interdiction partielle
des essais nucléaires de 1974 et le Traité sur les explosions
nucléaires à des fins pacifiques pourra intervenir en juin
de cette année. La signature de ces protocoles constituera l'aboutissement
de nombreuses années d'efforts visant à élaborer
les mécanismes de vérification efficace du traité
exigés par les Etats-Unis. Après la signature, l'administration
américaine soumettra les traités et protocoles au Sénat
pour ratification.
Dans cet article, nous entendons passer brièvement en revue l'historique
de ces négociations, les résultats importants obtenus lors
de la réunion de septembre dernier dans le Wyoming entre le secrétaire
d'Etat James Baker et le ministre des Affaires étrangères
Edouard Chevardnadze, les progrès effectués au cours de
la session la plus récente des négociations, et les perspectives
d'avenir.
Le Traité sur la limitation des essais nucléaires de 1963
interdit tous les essais nucléaires autres que souterrains. Ce
traité, auquel plus de cent pays ont adhéré, ne constitue
pas exclusivement une mesure visant à la maîtrise des armements,
mais se justifie en partie par un souci de limiter les retombées
radioactives dans l'atmosphère. Les Etats-Unis poursuivent leur
programme d'essais nucléaires souterrains depuis 1963; si les essais
réalisés dans le cadre de ce programme ont pour but essentiel
de garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire,
ils n'en permettent pas moins d'améliorer la sécurité
de cette catégorie d'armements afin de réduire les risques
d'accident. Ils permettent en outre aux Etats-Unis de poursuivre leurs
recherches sur de nouveaux systèmes tels que ceux envisagés
pour l'Initiative de défense stratégique.
Des négociations américano-soviétiques ultérieures
sur la limitation des essais nucléaires ont permis la signature
du Traité sur l'interdiction partielle des essais nucléaires
en 1974 et d'un traité complémentaire sur les explosions
nucléaires à des fins pacifiques en 1976, ainsi que leurs
protocoles de vérification. Les préoccupations américaines
quant à la possibilité de vérification de ces traités
expliquent toutefois en grande partie pourquoi ils n'ont jamais été
ratifiés. Lesdits traités limitent l'énergie libérée
par les essais souterrains à 150 kilotonnes, mais quoique les deux
camps se soient engagés à respecter cette limite jusqu'à
l'obtention d'une ratification, ils s'accusent mutuellement de violations
depuis une quinzaine d'années.
La controverse sur le respect des obligations
Les Etats-Unis respectent strictement, pour leur part, la limite de puissance
stipulée par les traités. Toutefois, en décembre
1988 encore, dans un rapport adressé au Congrès, les Etats-Unis
réitéraient leurs conclusions antérieures selon lesquelles
il est permis d'affirmer que plusieurs essais nucléaires soviétiques
ont constitué une violation des obligations souscrites par l'URSS.
L'essentiel de la controverse sur la vérification de ces traités
trouve son origine dans le fait qu'il était impossible de procéder
à des inspections directes et sur le terrain des essais nucléaires.
Chaque camp devait, dès lors, s'appuyer sur ses Moyens techniques
nationaux, tels que la mesure de la puissance des vagues sismiques se
propageant à travers la terre à partir de l'endroit d'un
essai nucléaire. Aux Etats-Unis, les essais se sont poursuivis
sur le polygone de tir du Nevada, tandis que, en Unidn soviétique,
ils se sont déroulés sur les sites de Semipala-tinsk et
de Novaya Zemlya.
Après des années de controverse sur la question du respect
des obligations mais peu de discussions concrètes en la matière
entre les deux camps, l'amélioration progressive des relations
américano-soviétiques a suscité un regain d'intérêt
pour ces traités. Des discussions techniques ont débuté
en 1986 et, en septembre 1987, les Etats-Unis et l'URSS convenaient d'adopter
une approche par étapes des négociations sur les essais
nucléaires. Les négociations globales, qui portent désormais
le nom de "Négociations sur les essais nucléaires"
(NTT), ont débuté à Genève en novembre 1987.
Une avancée importante a été enregistrée à
l'automne 1988, lorsque les deux camps ont envoyé des équipes
de scientifiques sur leurs sites d'essais respectifs afin d'y procéder
à des observations et appliquer des mesures de vérification
des explosions nucléaires. Cette activité, nommée
Expérience de vérification conjointe (JVE), a marqué
une étape majeure dans l'histoire de la maîtrise des armements.
Pour la première fois, chaque camp a ouvert son site d'essais nucléaires
afin de permettre à l'autre de démontrer et d'évaluer
les mesures de vérification proposées. Les mesures de l'énergie
libérée " sur site " ont été réalisées
sur une base expérimentale avant la finalisation des protocoles
de vérification. L'explosion JVE sur le polygone d'essai américain
du Nevada s'est déroulée en août 1988, suivie par
une explosion sur le polygone soviétique de Semipalatinsk en septembre
de la même année.
Lorsque les deux camps se sont retrouvés à Genève
à l'automne 1988, chacun d'eux était prêt à
aller de l'avant. Cette session déboucha sur un accord ad référendum
portant sur un nouveau protocole de vérification pour le Traité
sur les explosions nucléaires à des fins pacifiques. Le
protocole du Traité sur la limitation partielle des essais nucléaires
(TTBT) s'est avéré plus difficile à conclure, les
Etats-Unis faisant valoir que des vérifications efficaces impliquaient
le droit de mesurer sur place l'énergie libérée par
les essais. La méthode américaine, baptisée CORRTEX,
a recours à un câble enterré à côté
du point d'explosion: la vitesse à laquelle l'onde de choc de l'explosion
écrase le câble sert à déterminer l'énergie
libérée. Le printemps 1989 a été mis à
profit par les deux camps pour préparer séparément
un projet de texte pour l'accord TTBT. Début juin, des négociations
débutaient sur des procédures détaillées pouvant
être utilisées pour accorder à chaque camp le droit
de mesurer, sur le terrain, l'énergie dégagée.
Accord sur les vérifications
En septembre 1989, le secrétaire d'Etat James Baker et le ministre
des Affaires étrangères Edouard Chevardnadze se rencontraient
dans le Wyoming pour discuter de toute une gamme de questions sur la maîtrise
des armements américano-soviétiques, dont les essais nucléaires.
A la fin de ces discussions, les ministres annoncèrent qu'un accord
avait été atteint sur les méthodes de vérification.
Des mesures de l'onde de choc hydrodynamique pourraient être effectuées
pour les explosions dont la puissance prévue dépasserait
un plafond convenu. A ce même niveau, l'un des deux camps pourrait
choisir de procéder à des mesures des ondes sismiques sur
le terrain et donc sur le territoire de l'autre partie. Pour les explosions
de puissance inférieure, l'un des deux camps pourrait choisir d'inspecter
les conditions géologiques et d'emplacement sur le lieu de l'essai.
Les deux camps sont également convenus de prévoir un droit
supplémentaire visant à améliorer les Moyens techniques
nationaux (NTM) des vérifications, sur lesquels il faut également
compter pour vérifier le respect des obligations relatives aux
explosions sans notification. Chaque camp garantira à l'autre le
droit de procéder chaque année à certaines mesures
de l'énergie hydrodynamique libérée, même si
la puissance de tous les essais se situe en-deçà du plafond
exigé pour de telles mesures sur le terrain. Les améliorations
dans la précision des NTM qui en résulteront devraient contribuer
à minimiser les doutes sur la puissance de tous les essais dont
l'énergie libérée n'est pas mesurée sur le
terrain, et à garantir que les deux camps notifient les essais
conformément aux plafonds convenus.
Les deux camps se sont retrouvés à Genève en octobre
1989 pour la cinquième session des négociations sur les
essais nucléaires, fermement désireux de trouver une solution
aux derniers détails importants régissant les accords. Nous
avons le plaisir de signaler que, même si des divergences subsistent
entre les positions américaine et soviétique, des progrès
considérables ont été réalisés durant
cette session dans la recherche de solutions. Nous pensons que la prochaine
session de négociations verra la conclusion de nos travaux sur
les protocoles de vérification relatifs au Traité sur l'interdiction
partielle des essais nucléaires et au Traité sur les explosions
nucléaires à des fins pacifiques, préparant ainsi
le terrain pour la ratification de ces deux traités et l'édification
d'une confiance mutuelle en nos systèmes de vérification
des essais nucléaires.
Au sein du forum sur les essais nucléaires, la principale divergence
entre les Etats-Unis et l'Union soviétique réside probablement
dans le désir des Soviétiques de passer immédiatement
aux négociations sur une interdiction totale des essais nucléaires.
La position américaine consiste à considérer que
les essais demeureront nécessaires aussi longtemps que les Etats-Unis
devront s'appuyer sur une dissuasion nucléaire. Ainsi, bien que
nous soyons engagés dans le processus de négociation et
examinions toute une gamme de limitations des essais nucléaires
compatibles avec notre sécurité à long terme et celle
de nos alliés, nous estimons qu'une interdiction totale des essais
ne peut être envisagée que dans le contexte d'une époque
où nous ne devrons plus dépendre de la dissuasion nucléaire
pour garantir la sécurité et la stabilité internationales.
Les limitations des essais nucléaires ne doivent donc pas être
recherchées comme une fin en soi. Leur interdiction totale ne pourra
être envisagée que lorsque nous serons parvenus à
d'importantes réductions des armements effectuées en profondeur
et effectivement vérifiables, à des capacités de
vérification substantiellement améliorées, à
une amplification des mesures de confiance, et à un meilleur équilibre
des forces conventionnelles.
|