Colloquium
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La rforme de la protection sociale dans les pays en transition d'Europe Centrale et Orientale et de la C.E.I.Bernard BrunhesDirecteur Gnral, Bernard Brunhes Consultants, Paris
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La mise en place d'un systme de protection sociale dans les pays "en transition" est un exercice compltement nouveau.
Les pays de l'Europe occidentale ont tous dvelopp depuis la Seconde Guerre Mondiale des systmes complets protgeant financirement leurs citoyens dans les domaines de la sant -assurance maladie et/ou services publics de sant-, de la famille -prestations familiales, prestations de maternit, aide au logement, etc...-, de la vieillesse -rgimes de retraite sous toutes leurs formes- et de chmage -allocations de chmage et aide la recherche d'emploi et la formation. En outre, sous diverses formes, ils ont tous conduit des politiques d'aide sociale ou d'action sociale destines aider les citoyens faire face des situations provisoires ou prennes de handicap, de prcarit ou de grande pauvret. Dans nombre de pays, des dispositifs de revenu minimum ont t institus ; ils permettent une personne ou une famille qui n'atteint pas un plancher de revenu dtermin par la loi, de recevoir une prestation en espces. Ces systmes, qui n'existaient que de faon souvent embryonnaire ou en tous cas trs incomplte jusqu' la Seconde guerre mondiale, se sont mis en place la fin des annes 40 ou au dbut des annes 50 et se sont trs rapidement dvelopps dans les annes 50, 60, 70. Le ralentissement de la croissance, alors mme que les systmes avaient atteint un "rgime de croisire", c'est--dire taient parvenus couvrir l'ensemble de la population, a engag les systmes de protection sociale dans une crise que les diffrents pays ne rsolvent que dans la difficult : les pensions deviennent trop onreuses, victimes d'un double mouvement, l'allongement de la vie et le dveloppement du chmage ; la dpense de sant se dveloppe trs vite sous la double pression de la demande des consommateurs et du progrs technique dans l'offre ; les niveaux levs de chmage cotent cher en indemnisation ; le retour de la pauvret dans les socits occidentales appelle des efforts importants d'aide sociale. C'est au moment o la protection sociale est en crise en Europe occidentale, qu'une crise d'une autre ampleur apparat dans l'Europe centrale et orientale et dans la C.E.I. C'est bien d'une crise qu'il s'agit : on est loin de la situation d'un pays neuf ou sous-dvelopp, dans lequel on chercherait btir de toutes pices une protection sociale jusque l compltement absente -ou du moins limite la mise en oeuvre des solidarits traditionnelles de la famille, du village ou de la tribu! On est au contraire dans la situation de citoyens qui disposaient de systmes extrmement protecteurs dont ils sont brutalement privs par le changement de rgime conomique et politique. Le citoyen sovitique comme celui d'une "dmocratie populaire" europenne tait certain de toucher une pension de retraite l'ge lgal ou, pour les professions dites privilgies, un ge infrieur. Il pouvait accder des hpitaux et dispensaires gratuits. Il ne risquait pas d'tre en chmage. La collectivit prenait tout en charge. Certes, les pensions de retraite, comme les autres revenus de remplacement, taient trs modestes. Certes, l'offre de soins tait dans la plupart des cas, au moins mdiocre par rapport l'Occident, souvent dramatiquement faible. Mais chaque citoyen tait protg. Tout cela a disparu. La situation conomique de la plupart des pays en transition remet en cause le versement des pensions de retraite : les finances publiques sont exsangues et doivent faire face tant de dpenses que les retraites sont souvent sacrifies. En outre, les liquidits manquent. La lutte contre l'inflation a conduit les Etats, sous la pression du F.M.I., limiter la progression de la masse montaire. L'impt n'entre pas, l'endettement des entreprises s'accrot et les crances ne peuvent tre mobilises. Les fonds de retraite n'arrivent plus faire face, entranant pour les gouvernements une situation politique prilleuse, lorsque l'on sait que les retraits votent massivement tandis que le taux d'abstention lectorale des jeunes est trs lev. Le chmage se dveloppe dans tous ces pays, de faon plus ou moins apparente. Les niveaux de productivit des entreprises sont tels par rapport leurs comptiteurs occidentaux qu'elles sont contraintes de rduire considrablement leurs effectifs ds lors qu'elles veulent survivre sur un march concurrentiel. Dans la plupart des cas, celles des entreprises qui ont encore gard leur statut d'entreprise d'tat ont conserv leur personnel, quitte ne pas le payer : dfaut de salaire, ou avec des rmunrations trs faibles, les travailleurs ont conserv un lien social, un statut, une protection minimum. Mais ds que l'entreprise est privatise, elle rejette sur le march du travail une partie de son personnel. La mise en place de dispositifs d'indemnisation de chmage est la fois complexe et coteuse. Et nombre de gouvernements ont la tentation de ne pas prcipiter l'institutionnalisation de tels dispositifs, craignant, juste titre, que leur existence fasse sortir de l'ombre des armes de chmeurs. En ce qui concerne la sant, les difficults sont videmment d'un autre ordre. Les soins taient gratuits dans l'ancien systme, c'est--dire que l'ensemble des hpitaux, des centres de soins et des cliniques tait financ directement sur fonds publics et, pour une part, par les entreprises d'Etat au bnfice de leurs salaris et de leur famille. Les difficults qu'ont rencontres les finances publiques depuis prs de deux dcennies et qui se sont dramatiquement aggraves depuis le dbut de la priode de transition ont conduit les pays de la C.E.I. et une partie des pays de l'Europe centrale et orientale laisser se dtriorer le systme de sant, faute de moyens. Quant aux services sanitaires et sociaux, assurs par les entreprises, la privatisation de ces dernires aboutit en gnral leur suppression pure et simple. Les rformes conduire aujourd'hui doivent rpondre deux questions la fois. D'une part, il faut grer l'urgence. Ds que les pensions de retraite ne sont plus payes, un risque social de pauvret et de misre des personnes ges apparat, qui entrane l'vidence un risque politique. L'apparition d'un chmage important, mal jusqu'ici inconnu, appelle d'urgence la mise en place de fonds d'indemnisation. Enfin, il faut faire face sans tarder l'effondrement des systmes de soins. Les choix faire en la matire, dans des budgets trs restreints, sont hautement politiques. Mais d'autre part, ces mesures d'urgence doivent se situer dans le cadre de rformes structurelles de grande ampleur : il faut prparer les structures dfinitives. Or, dans ce domaine, il n'y a pas de modle. Certains experts trangers ou certaines organisations souhaitent importer dans les pays en transition les modles occidentaux qu'ils connaissent. Or, ceux-ci sont multiples : il n'y a pas un seul modle. Et ils ne sauraient s'appliquer la situation nouvelle et indite de ces pays. Certains principes peuvent tre considrs comme assez universels pour pouvoir s'appliquer tels quels : le principe contributif (le bnfice d'une prestation est directement li au paiement de cotisations), le principe de solidarit (il ne s'agit pas d'une assurance individuelle, les uns et les autres paient des cotisations et reoivent des prestations qui dpendent de leur situation, de leurs revenus, etc... : il y a une redistribution). Les diffrentes combinaisons possibles de l'assurance et de la solidarit se trouvent dans le systme allemand (Bismarck), britannique (Beveridge), franais (De Gaulle, Laroque), chilien, etc... Le troisime objectif de rformes entreprendre est celui de la stabilit politique : acceptabilit sociale des rformes, calendrier correspondant le mieux possible aux attentes de la population, systmes de financement socialement quitables et conomiquement acceptables.
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