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Updated: 03-Apr-2001 NATO Articles

First published
in "ENA. Revue
des anciens
élèves de l'école nationale d'
administration."
Paris, Février
2001, n°308,
pp. 7-8.

La sécurité euro-atlantique au XXIème siècle :
« quel rôle pour la dissuasion ? »

Commentaire du Secrétaire général de l'OTAN,
Lord ROBERTSON

Dans le monde de l'après-Guerre froide, les armes nucléaires ont vocation à prévenir les conflits. En Europe, les forces de l'Otan, réduites par les Accords START, contribuent à la sécurité et à la stabilité, en décourageant toute agression contre l'un des membres de l'Alliance. Qu'ils soient ou non détenteurs d'armes nucléaires, les pays membres élaborent en commun la politique nucléaire de l'Otan, en accord avec le Traité de non-prolifération.

L'une des tâches fondamentales de l'Otan, énoncée dans le concept stratégique de l'Alliance, consiste à « exercer une fonction de dissuasion et de défense contre toute menace d'agression visant un pays quelconque de l'Otan, conformément aux dispositions des articles 5 et 6 du Traité de Washington ». Et, depuis la création de l'Otan, en 1949, les armes nucléaires jouent un rôle important pour garantir la sécurité des membres de l'Alliance.
Durant la Guerre froide, l'importance des armes nucléaires pour une dissuasion efficace était claire. Pour éviter par la dissuasion une guerre de grande ampleur en Europe, les armes nucléaires des Alliés, sauf celles de la France, qui ne fait pas partie de la structure militaire intégrée de l'Alliance, ont été intégrées à l'ensemble de la structure des forces de l'Otan, et l'Alliance a établi et tenu à jour toute une série de plans de désignation d'objectifs qui pouvaient être exécutés avec un préavis court. Ce rôle impliquait un état de préparation élevé et des dispositifs d'alerte en vue d'une réaction rapide pour d'importants éléments des forces nucléaires de l'Otan.
Bien que la doctrine régissant l'utilisation potentielle de l'arme nucléaire ait changé au fil des décennies de la Guerre froide (passant par exemple des « représailles massives » à la « riposte graduée »), le principe sous-jacent a toujours été le même : face à la menace existentielle que faisait peser le Pacte de Varsovie, l'arme nucléaire était un moyen nécessaire et prééminent de faire en sorte qu'une guerre ne puisse avoir de vainqueur - et par conséquent qu'elle ne vaille pas la peine d'être déclenchée. Dans l'environnement dangereux mais stable de la Guerre froide, la dissuasion nucléaire répondait à une logique - et elle a fonctionné.
Mais lorsque le Pacte de Varsovie s'est écroulé, la menace existentielle pesant sur les membres de l'Otan a disparu avec lui. La confrontation n'étant plus d'actualité, et avec la mise en place de nouvelles structures de coopération pour la sécurité européenne, il était clair que l'importance de la dissuasion - nucléaire ou autre - dans l'ensemble de la politique de l'Otan demandait à être adaptée. C'est pourquoi, en 1991, l'Alliance a adopté et publié un nouveau concept stratégique, qui rendait l'Otan beaucoup moins tributaire de très fortes capacités de prévenir une attaque par la dissuasion, et qui favorisait plutôt les efforts de l'Otan en vue de promouvoir la paix et la sécurité par la coopération, le dialogue et, au besoin, la gestion des crises.
Le rôle moins marqué des forces nucléaires dans cette nouvelle stratégie de l'après-Guerre froide s'est très rapidement traduit par des réductions considérables portant sur les forces nucléaires elles-mêmes. En octobre 1991, l'Otan a décidé de réduire de plus de 85 % le nombre de ses armes nucléaires substratégiques en Europe. Dès 1993, ces réductions se trouvaient entièrement réalisées et toutes les armes substratégiques à lanceur terrestre de l'Otan en Europe (comprenant l'artillerie nucléaire et les missiles sol-sol) étaient ainsi éliminées. Les seules forces nucléaires substratégiques demeurant en Europe aujourd'hui sont les bombes des aéronefs à double capacité, et il ne subsiste d'ailleurs que quelques centaines de ces munitions, qui sont entreposées dans des conditions de haute sécurité.
Les forces stratégiques des membres de l'Alliance pris individuellement continuent, elles aussi, à faire l'objet de réductions importantes. En vertu de l'accord START I, les forces stratégiques des États-Unis ont été réduites d'un tiers par rapport aux niveaux de la Guerre froide. La Douma russe ayant ratifié l'an dernier le Traité START II, on peut à présent raisonnablement espérer que les arsenaux de la Russie et des États-Unis vont désormais être réduits des deux tiers, avec l'élimination de certains des systèmes les plus déstabilisateurs qui nous restent de la Guerre froide. De la même façon, le Royaume-Uni et la France ont aussi apporté des réductions majeures à leurs programmes nucléaires stratégiques.
En somme, la fin de la Guerre froide a entraîné un changement immédiat et considérable de la dimension nucléaire de l'Otan. Aujourd'hui, il est extrêmement improbable que se présentent les circonstances dans lesquelles il pourrait s'avérer nécessaire d'envisager une quelconque utilisation de l'arme nucléaire ; pour les crises auxquelles l'Alliance pourrait avoir à faire face - comme les crises dans l'ex-Yougoslavie - il est inconcevable que l'arme nucléaire joue un rôle. L'amélioration de la situation en matière de sécurité a permis aux membres de l'Alliance de réduire considérablement le nombre des armes nucléaires, et, par-là même, la probabilité selon laquelle ces armes pourraient un jour être utilisées.
Dans ce contexte, certains observateurs ont appelé à dépasser une simple réduction numérique. Beaucoup ont suggéré d'éliminer totalement ces armes des arsenaux alliés. Les Alliés ont affirmé à plusieurs reprises leur plein soutien et leur engagement pour la mise en œuvre des conclusions de la Conférence 2000 de révision du Traité de non-prolifération nucléaire. Celles-ci comprennent notamment la décision formelle des puissances nucléaires d'éliminer complètement leurs armements nucléaires avec, pour objectif, le désarmement nucléaire, ainsi que la réaffirmation de l'objectif ultime d'un désarmement général et complet soumis à un contrôle international efficace. Après tout, dans le monde de l'après-Guerre froide, quel rôle les armes nucléaires ont-elles encore à jouer ?
La réponse est simple. Dans le monde imprévisible où nous vivons aujourd'hui, le rôle fondamental des forces nucléaires restantes de l'Otan est politique : il s'agit de préserver la paix et de prévenir la coercition et les conflits. L'Otan conserve des armes nucléaires non pas pour mener des guerres, mais plutôt pour aider à les éviter.
Les forces nucléaires que l'Otan conserve encore contribuent à la paix et à la stabilité de l'Europe en soulignant le caractère irrationnel, au bout du compte, de toute guerre de grande ampleur en Europe. Elles rendent incalculables et inacceptables les risques d'une agression contre un membre de l'Otan, ce que les forces conventionnelles ne peuvent faire seules. À ce titre, les forces nucléaires de l'Otan demeurent l'ultime garant de la sécurité des pays membres de l'Otan face aux éventualités les plus improbables, mais aussi les plus dangereuses.
À l'aube du XXIème siècle, ces éventualités peuvent s'étendre aux armes de destruction massive, qui représentent un risque réel non seulement pour nos territoires et nos populations, mais aussi pour nos soldats susceptibles de participer à des missions de maintien de la paix. Il n'est pas exagéré de dire que la prolifération des armes de destruction massive sera l'un des plus importants défis à relever en matière de sécurité au cours de ce siècle. Les armes nucléaires de l'Otan jouent un rôle dissuasif par rapport à ces menaces, en créant un important facteur d'incertitude pour tout pays qui pourrait envisager de chercher à obtenir un avantage politique ou militaire par la menace ou l'emploi d'armes de destruction massive.
Les forces nucléaires de l'Otan jouent également un rôle politique unificateur au sein de l'Alliance. La sécurité collective assurée par le dispositif nucléaire de l'Otan est partagée par tous les membres de l'Alliance, ce qui est propre à rassurer tel ou tel Allié, qui pourrait, autrement, se sentir vulnérable. En outre, ces forces permettent un partage des risques et du fardeau liés au dispositif nucléaire de l'Otan dans le cadre d'une participation plus large, qui se manifeste non seulement dans le stationnement de forces nucléaires, mais aussi dans une participation au financement commun des infrastructures.
La supervision politique du dispositif nucléaire de l'Otan est, elle aussi, partagée. Le Groupe des plans nucléaires de l'Otan est un forum réunissant les Alliés concernés, au sein duquel les ministres de la Défense de ces pays, qu'ils soient détenteurs ou non d'armes nucléaires, participent ensemble à l'élaboration de la politique nucléaire de l'Otan et à la prise de décisions sur le dispositif nucléaire de l'Alliance. Enfin, la présence de forces sous-stratégiques des États-Unis en Europe, affectées à la défense de l'Otan, constitue un lien politique et militaire essentiel entre les membres nord-américains et européens de l'Alliance.
Si la sécurité assurée par le dispositif nucléaire de l'Otan est partagée, comme l'est sa supervision politique, ce sont les puissances nucléaires qui en restent les véritables gardiens. Le dispositif nucléaire de l'Otan est ainsi pleinement en accord avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Les Alliés ont maintes fois exprimé leur ferme soutien à l'égard de ce Traité, dont ils ont salué la reconduction indéfinie et inconditionnelle.
Aujourd'hui, il est clair que les armes nucléaires sont devenues, pour l'Otan, des outils fondamentalement politiques, plutôt que des moyens de guerre. Face aux défis du monde de l'après-Guerre froide, l'Alliance dispose d'une panoplie d'autres instruments, qui vont de la diplomatie et du déploiement préventifs aux mesures de non-prolifération ou à la gestion des crises. Cependant, pour être préparés à toutes les éventualités - même les plus improbables - l'Otan doit conserver un noyau de capacités militaires avec une combinaison appropriée de forces nécessaires à la dissuasion et à la défense collective. Les forces nucléaires de l'Otan, quoique plus réduites et moins prééminentes que par le passé, demeurent un élément essentiel de cette capacité.