First published
in "ENA. Revue
des anciens
élèves de l'école nationale d'
administration."
Paris, Février
2001, n°308,
pp. 7-8.
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La sécurité
euro-atlantique au XXIème siècle :
« quel rôle pour la dissuasion ? »
Commentaire
du Secrétaire général de l'OTAN,
Lord ROBERTSON
Dans le monde de l'après-Guerre froide, les armes nucléaires
ont vocation à prévenir les conflits. En Europe, les forces
de l'Otan, réduites par les Accords START, contribuent à
la sécurité et à la stabilité, en décourageant
toute agression contre l'un des membres de l'Alliance. Qu'ils soient ou
non détenteurs d'armes nucléaires, les pays membres élaborent
en commun la politique nucléaire de l'Otan, en accord avec le Traité
de non-prolifération.
L'une des tâches fondamentales de l'Otan, énoncée
dans le concept stratégique de l'Alliance, consiste à «
exercer une fonction de dissuasion et de défense contre toute menace
d'agression visant un pays quelconque de l'Otan, conformément aux
dispositions des articles 5 et 6 du Traité de Washington ».
Et, depuis la création de l'Otan, en 1949, les armes nucléaires
jouent un rôle important pour garantir la sécurité
des membres de l'Alliance.
Durant la Guerre froide, l'importance des armes nucléaires pour
une dissuasion efficace était claire. Pour éviter par la
dissuasion une guerre de grande ampleur en Europe, les armes nucléaires
des Alliés, sauf celles de la France, qui ne fait pas partie de
la structure militaire intégrée de l'Alliance, ont été
intégrées à l'ensemble de la structure des forces
de l'Otan, et l'Alliance a établi et tenu à jour toute une
série de plans de désignation d'objectifs qui pouvaient
être exécutés avec un préavis court. Ce rôle
impliquait un état de préparation élevé et
des dispositifs d'alerte en vue d'une réaction rapide pour d'importants
éléments des forces nucléaires de l'Otan.
Bien que la doctrine régissant l'utilisation potentielle de l'arme
nucléaire ait changé au fil des décennies de la Guerre
froide (passant par exemple des « représailles massives »
à la « riposte graduée »), le principe sous-jacent
a toujours été le même : face à la menace existentielle
que faisait peser le Pacte de Varsovie, l'arme nucléaire était
un moyen nécessaire et prééminent de faire en sorte
qu'une guerre ne puisse avoir de vainqueur - et par conséquent
qu'elle ne vaille pas la peine d'être déclenchée.
Dans l'environnement dangereux mais stable de la Guerre froide, la dissuasion
nucléaire répondait à une logique - et elle a fonctionné.
Mais lorsque le Pacte de Varsovie s'est écroulé, la menace
existentielle pesant sur les membres de l'Otan a disparu avec lui. La
confrontation n'étant plus d'actualité, et avec la mise
en place de nouvelles structures de coopération pour la sécurité
européenne, il était clair que l'importance de la dissuasion
- nucléaire ou autre - dans l'ensemble de la politique de l'Otan
demandait à être adaptée. C'est pourquoi, en 1991,
l'Alliance a adopté et publié un nouveau concept stratégique,
qui rendait l'Otan beaucoup moins tributaire de très fortes capacités
de prévenir une attaque par la dissuasion, et qui favorisait plutôt
les efforts de l'Otan en vue de promouvoir la paix et la sécurité
par la coopération, le dialogue et, au besoin, la gestion des crises.
Le rôle moins marqué des forces nucléaires dans cette
nouvelle stratégie de l'après-Guerre froide s'est très
rapidement traduit par des réductions considérables portant
sur les forces nucléaires elles-mêmes. En octobre 1991, l'Otan
a décidé de réduire de plus de 85 % le nombre de
ses armes nucléaires substratégiques en Europe. Dès
1993, ces réductions se trouvaient entièrement réalisées
et toutes les armes substratégiques à lanceur terrestre
de l'Otan en Europe (comprenant l'artillerie nucléaire et les missiles
sol-sol) étaient ainsi éliminées. Les seules forces
nucléaires substratégiques demeurant en Europe aujourd'hui
sont les bombes des aéronefs à double capacité, et
il ne subsiste d'ailleurs que quelques centaines de ces munitions, qui
sont entreposées dans des conditions de haute sécurité.
Les forces stratégiques des membres de l'Alliance pris individuellement
continuent, elles aussi, à faire l'objet de réductions importantes.
En vertu de l'accord START I, les forces stratégiques des États-Unis
ont été réduites d'un tiers par rapport aux niveaux
de la Guerre froide. La Douma russe ayant ratifié l'an dernier
le Traité START II, on peut à présent raisonnablement
espérer que les arsenaux de la Russie et des États-Unis
vont désormais être réduits des deux tiers, avec l'élimination
de certains des systèmes les plus déstabilisateurs qui nous
restent de la Guerre froide. De la même façon, le Royaume-Uni
et la France ont aussi apporté des réductions majeures à
leurs programmes nucléaires stratégiques.
En somme, la fin de la Guerre froide a entraîné un changement
immédiat et considérable de la dimension nucléaire
de l'Otan. Aujourd'hui, il est extrêmement improbable que se présentent
les circonstances dans lesquelles il pourrait s'avérer nécessaire
d'envisager une quelconque utilisation de l'arme nucléaire ; pour
les crises auxquelles l'Alliance pourrait avoir à faire face -
comme les crises dans l'ex-Yougoslavie - il est inconcevable que l'arme
nucléaire joue un rôle. L'amélioration de la situation
en matière de sécurité a permis aux membres de l'Alliance
de réduire considérablement le nombre des armes nucléaires,
et, par-là même, la probabilité selon laquelle ces
armes pourraient un jour être utilisées.
Dans ce contexte, certains observateurs ont appelé à dépasser
une simple réduction numérique. Beaucoup ont suggéré
d'éliminer totalement ces armes des arsenaux alliés. Les
Alliés ont affirmé à plusieurs reprises leur plein
soutien et leur engagement pour la mise en uvre des conclusions
de la Conférence 2000 de révision du Traité de non-prolifération
nucléaire. Celles-ci comprennent notamment la décision formelle
des puissances nucléaires d'éliminer complètement
leurs armements nucléaires avec, pour objectif, le désarmement
nucléaire, ainsi que la réaffirmation de l'objectif ultime
d'un désarmement général et complet soumis à
un contrôle international efficace. Après tout, dans le monde
de l'après-Guerre froide, quel rôle les armes nucléaires
ont-elles encore à jouer ?
La réponse est simple. Dans le monde imprévisible où
nous vivons aujourd'hui, le rôle fondamental des forces nucléaires
restantes de l'Otan est politique : il s'agit de préserver la paix
et de prévenir la coercition et les conflits. L'Otan conserve des
armes nucléaires non pas pour mener des guerres, mais plutôt
pour aider à les éviter.
Les forces nucléaires que l'Otan conserve encore contribuent à
la paix et à la stabilité de l'Europe en soulignant le caractère
irrationnel, au bout du compte, de toute guerre de grande ampleur en Europe.
Elles rendent incalculables et inacceptables les risques d'une agression
contre un membre de l'Otan, ce que les forces conventionnelles ne peuvent
faire seules. À ce titre, les forces nucléaires de l'Otan
demeurent l'ultime garant de la sécurité des pays membres
de l'Otan face aux éventualités les plus improbables, mais
aussi les plus dangereuses.
À l'aube du XXIème siècle, ces éventualités
peuvent s'étendre aux armes de destruction massive, qui représentent
un risque réel non seulement pour nos territoires et nos populations,
mais aussi pour nos soldats susceptibles de participer à des missions
de maintien de la paix. Il n'est pas exagéré de dire que
la prolifération des armes de destruction massive sera l'un des
plus importants défis à relever en matière de sécurité
au cours de ce siècle. Les armes nucléaires de l'Otan jouent
un rôle dissuasif par rapport à ces menaces, en créant
un important facteur d'incertitude pour tout pays qui pourrait envisager
de chercher à obtenir un avantage politique ou militaire par la
menace ou l'emploi d'armes de destruction massive.
Les forces nucléaires de l'Otan jouent également un rôle
politique unificateur au sein de l'Alliance. La sécurité
collective assurée par le dispositif nucléaire de l'Otan
est partagée par tous les membres de l'Alliance, ce qui est propre
à rassurer tel ou tel Allié, qui pourrait, autrement, se
sentir vulnérable. En outre, ces forces permettent un partage des
risques et du fardeau liés au dispositif nucléaire de l'Otan
dans le cadre d'une participation plus large, qui se manifeste non seulement
dans le stationnement de forces nucléaires, mais aussi dans une
participation au financement commun des infrastructures.
La supervision politique du dispositif nucléaire de l'Otan est,
elle aussi, partagée. Le Groupe des plans nucléaires de
l'Otan est un forum réunissant les Alliés concernés,
au sein duquel les ministres de la Défense de ces pays, qu'ils
soient détenteurs ou non d'armes nucléaires, participent
ensemble à l'élaboration de la politique nucléaire
de l'Otan et à la prise de décisions sur le dispositif nucléaire
de l'Alliance. Enfin, la présence de forces sous-stratégiques
des États-Unis en Europe, affectées à la défense
de l'Otan, constitue un lien politique et militaire essentiel entre les
membres nord-américains et européens de l'Alliance.
Si la sécurité assurée par le dispositif nucléaire
de l'Otan est partagée, comme l'est sa supervision politique, ce
sont les puissances nucléaires qui en restent les véritables
gardiens. Le dispositif nucléaire de l'Otan est ainsi pleinement
en accord avec le Traité sur la non-prolifération des armes
nucléaires. Les Alliés ont maintes fois exprimé leur
ferme soutien à l'égard de ce Traité, dont ils ont
salué la reconduction indéfinie et inconditionnelle.
Aujourd'hui, il est clair que les armes nucléaires sont devenues,
pour l'Otan, des outils fondamentalement politiques, plutôt que
des moyens de guerre. Face aux défis du monde de l'après-Guerre
froide, l'Alliance dispose d'une panoplie d'autres instruments, qui vont
de la diplomatie et du déploiement préventifs aux mesures
de non-prolifération ou à la gestion des crises. Cependant,
pour être préparés à toutes les éventualités
- même les plus improbables - l'Otan doit conserver un noyau de
capacités militaires avec une combinaison appropriée de
forces nécessaires à la dissuasion et à la défense
collective. Les forces nucléaires de l'Otan, quoique plus réduites
et moins prééminentes que par le passé, demeurent
un élément essentiel de cette capacité.
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