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Mise à jour: 17-Sep-2001 OTAN les cinq premières années 1949-1954


 

 

Partie 2
Chapitre 8


par Lord Ismay

Secrétaire général
de l'OTAN


(1952 - 1957)

 

L'Examen Annuel

Les mots 'Examen Annuel' sont probablement ceux que l'on entend prononcer le plus souvent au siège de l'OTAN à Paris. On sait qu'à sa session de Lisbonne, en février 1952, le Conseil de l'Atlantique Nord avait décidé qu'il faudrait 'procéder chaque année à des révisions d'ensemble des besoins qu'entraînent la création et l'entretien d'une puissance défensive satisfaisante fondée sur des possibilités réelles d'exécution d'ordre politique et économique' et que le Secrétariat International devrait être organisé de façon à pouvoir s'acquitter de cette tâche. Ce qu'il est convenu d'appeler l'Examen Annuel n'est donc, en fait, que le prolongement de l'œuvre entreprise par le Comité Temporaire du Conseil en automne 1951. Cet examen est devenu l'un des aspects essentiels de l'effort de défense de l'OTAN.

La méthode n'a en soi rien de nouveau; elle est, au contraire, d'usage courant à l'échelon national. Dans chacun des pays membres, le budget est établi d'après les prévisions de dépenses préparées par chaque ministère, conformément aux directives de l'exécutif. Ces prévisions doivent ensuite être ajustées en fonction d'un budget maximum d'ensemble, qui tient compte de la situation économique et politique du pays. En ce qui concerne le budget de défense, les chefs d'état-major, se fondant sur les directives qu'ils ont reçues, recommandent le programme de défense qu'ils jugent souhaitable du point de vue militaire. Avant d'être soumis à l'agrément du Parlement, ce programme doit être harmonisé avec les budgets des autres ministères et avec la charge que l'on peut raisonnablement imposer à l'économie nationale.

Le processus de l'Examen Annuel de l'OTAN est exactement le même dans son principe. Sa nouveauté réside dans le fait que pour la première fois dans l'histoire, il est appliqué à l'échelon international. Il est également remarquable en ce que les renseignements échangés par les quatorze pays membres sur leurs programmes militaires, leurs plans de production et leur politique financière sont, aussi bien par leur nature que par leur nombre, les plus complets que des alliés se soient communiqués, en temps de guerre ou en temps de paix. Aussi peut-on dire que l'Examen Annuel représente en quelque sorte l'application combinée des Articles 2 et 3 du Traité, puisqu'il a été reconnu que la force de l'Alliance dépend autant de la prospérité et du bien-être de ses membres que de la puissance combinée de leurs armées.

Un travail comme celui de l'Examen Annuel, qui porte sur les programmes militaires et économiques et sur les plans de production de quatorze gouvernements, est évidemment infiniment plus complexe que s'il s'appliquait à un seul pays. Il faut, en effet, obtenir des quatorze gouvernements des données qui soient absolument comparables, quelles que soient les différences existant entre leurs méthodes de comptabilité financière. Il a donc été nécessaire de convenir de définitions OTAN pour les diverses catégories de forces et de mettre au point des méthodes communes de présentation des dépenses et des coûts pour les divers aspects des programmes nationaux de défense.

Objectifs de l'examen annuel

L'Examen Annuel a pour but essentiel de fixer à l'effort de défense des objectifs qui soient compatibles avec les possibilités économiques et politiques des pays membres et que ces pays s'engagent à atteindre. Ces objectifs sont définis sur la base des recommandations présentées par les autorités militaires de l'OTAN pour améliorer les forces nationales - c'est-à-dire pour remédier aux faiblesses qu'elles peuvent présenter et pour que l'Alliance dispose sur la totalité de son front d'une puissance militaire équilibrée du point de vue des différentes armes et des types d'unités. Au cours de cet Examen, les recommandations militaires sont ajustées en fonction de l'évaluation des ressources totales disponibles telles que crédits budgétaires possibles, productions nationales de matériel militaire et ressources provenant de l'aide mutuelle. Ce processus est ce que l'on appelle 'la conciliation des besoins de la défense et des possibilités politiques et économiques'. Le terme 'conciliation' implique que, chaque fois que les ressources offertes sont inférieures aux ressources demandées , des modifications sont opérées par voie de négociation dans l'offre comme dans la demande. L'Examen Annuel, tel qu'il se présente aujourd'hui, fournit l'occasion de procéder à ces ajustements.

Un programme de défense doit nécessairement porter sur une période relativement longue; on voit mal, en effet, l'intérêt que présenteraient des plans qui, s'inscrivant dans le programme collectif de l'OTAN, s'étendraient sur moins de deux ou trois ans. Toutefois, aucun gouvernement démocratique ne peut s'engager formellement à exécuter un programme portant sur une période dépassant celle pour laquelle il a les pouvoirs nécessaires. Aussi, bien qu'un Examen Annuel porte sur une période d'au moins trois ans, il est demandé aux gouvernements de prendre des engagements fermes pour la première année seulement et de donner des 'indications' sur leurs projets pour les années ultérieures. Les termes utilisés sont: 'objectifs fermes' pour l'année à venir, 'objectifs provisoires' pour l'année suivante et 'objectifs indicatifs' pour la troisième année.

Chaque Examen Annuel commence par un bilan des progrès réalisés dans l'accomplissement des 'objectifs fermes' pour l'année en cours. Les 'objectifs provisoires"' fixés au cours de l'Examen Annuel précédent sont modifiés à la lumière de l'expérience et de l'évolution de la situation pour devenir des 'objectifs fermes'; les 'objectifs indicatifs' deviennent alors des 'objectifs provisoires' et la planification se trouve ainsi projetée sur une nouvelle année. De cette façon, l'Examen Annuel est devenu une opération continue et les objectifs fixés dans chaque Examen Annuel pour la deuxième et la troisième années fournissent, au sujet de l'orientation de l'effort de défense et de son ordre de grandeur, des indications sur lesquelles les autorités militaires et civiles de l'OTAN peuvent établir leurs plans.

Notons en passant qu'il est essentiel de fixer des objectifs provisoires et indicatifs pour les deuxième et troisième années si l'on veut élaborer comme il convient des programmes de production militaire ou des plans de constructions qui s'étendent nécessairement sur de longues périodes. C'est ainsi que les programmes d'infrastructure OTAN (1) doivent être établis d'avance pour les forces qui seront sur pied à la fin de la seconde année, afin de disposer d'un délai suffisant pour que les installations soient prêtes en temps voulu. Il en est de même pour les principales catégories de matériel, pour les programmes de production coordonnée et pour ceux d'aide mutuelle. (2) Ce sont les objectifs de forces qui se dégagent d'un Examen Annuel qui permettent de mesurer la nécessité de ces programmes.

Procédure de l'examen annuel

La procédure de l'Examen Annuel a un caractère essentiellement multilatéral. Les mêmes renseignements sont demandés simultanément à tons les gouvernements des pays membres et les réponses de chacun d'eux sont communiquées aux treize autres pays membres de l'Alliance ainsi qu'au Secrétariat International et aux autorités militaires de l'OTAN. Rappelons que, lors de la Conférence de Lisbonne en février 1952 (3), le Conseil avait déclaré que 'le Conseil et le Secrétariat International devraient notamment être organisés de telle façon qu'ils puissent mettre en harmonie les besoins résultant des programmes OTAN et les possibilités politiques et économiques'. L'un des premiers actes du Conseil, après son transfert à Paris, fut donc de créer un Comité de l'Examen Annuel et de doter le Secrétariat International de sections spéciales chargées respectivement d'étudier les dépenses de défense, d'analyser les coûts, d'examiner les possibilités économiques et les questions de production de défense en vue de la conduite de ces examens annuels. Les avis des autorités militaires sont communiqués de façon continue par l'Officier de Liaison du Groupe Permanent. L'enquête approfondie à laquelle est soumis le programme de chaque gouvernement (enquête qui fut effectuée pour la première fois par le Comité Temporaire du Conseil) est actuellement menée à la fois par le Comité de l'Examen Annuel et par le Secrétariat International. Elle est devenue l'un des aspects habituels des activités de l'OTAN.

Les examens annuels ne sont pas seulement un processus continu du fait que chacun d'eux s'effectue sur la base et dans le cadre du précédent, mais aussi parce que ce processus lui-même s'étend pratiquement sur toute l'année. Les éléments qui le composent sont les suivants :

1. Elaboration d'hypothèses générales pour la conduite de l'Examen Annuel. Ces hypothèses sont établies chaque année par le Conseil, notamment sur la base d'une analyse de la politique soviétique, de l'évaluation du risque militaire et de l'étude de la situation économique et politique générale de l'OTAN.
2. Envoi aux gouvernements d'un questionnaire détaillé leur demandant des renseignements sur leurs programmes militaires, leurs budgets, leurs plans de production et leur situation économique.
3. Présentation, par les Commandants Suprêmes, de recommandations militaires aux pays membres, visant à améliorer leurs forces existantes et à les guider dans l'élaboration de leurs futurs programmes de défense; discussion de ces recommandations avec les autorités nationales par des représentants des Commandants Suprêmes.
4. Analyse des réponses nationales, effectuée d'abord séparément par les autorités militaires de l'OTAN, les membres civils du Secrétariat International et les délégations nationales.
5. Recommandations tendant à aménager les plans nationaux en fonction des conclusions de l'analyse mentionnée ci-dessus et à s'assurer que ces plans représentent l'effort maximum qui peut être demandé aux divers pays membres, et qu'ils constituent un ensemble équilibré pour toute la zone de l'OTAN.
6. Préparation et communication aux gouvernements d'un rapport final fixant les objectifs de forces pour chaque pays et présentant d'autres recommandations sur des questions particulières. Avant de décrire en détail les principales étapes de l'Examen Annuel, il n'est peut-être pas inutile d'indiquer ici leur échelonnement dans le temps.

Pour que les gouvernements puissent tenir compte au maximum, dans leurs programmes nationaux, des conclusions qui se sont dégagées de l'analyse multilatérale des programmes de défense, il faut que l'Examen Annuel soit terminé à peu près à l'époque où les gouvernements des pays membres établissent leurs budgets aux fins de présentation au Parlement. L'idéal serait évidemment que les exercices financiers commencent et se terminent aux mêmes dates dans tous les pays de l'OTAN, mais tel n'est pas le cas. Dans six pays, l'exercice financier coïncide avec l'année civile; dans quatre autres il s'ouvre trois mois après le nouvel an et dans les quatre derniers, dont les Etats-Unis, il s'étend sur la période juillet-juin. II convient de noter d'autre part que l'année civile constitue une base assez commode pour les Etats-Unis, étant donné que le Président dépose généralement son projet de budget sur le bureau du Congrès américain dès le mois de janvier. Si donc l'Examen Annuel se termine en novembre ou en décembre, les Etats-Unis peuvent tenir compte des projets et des engagements de leurs alliés dans leurs recommandations relatives à leur programme vital d'aide à l'étranger. C'est la raison pour laquelle il a été convenu que, pour ses propres plans, l'OTAN adopterait l'année civile.

Il est donc éminemment souhaitable que chaque Examen Annuel soit terminé au plus tard en décembre. Sur les trois examens qui ont déjà eu lieu, il n'a été possible de respecter cette date limite qu'une seule fois. Le TCC avait présenté son premier rapport en décembre 1951, mais les objectifs de forces ne purent être définitivement fixés que deux mois plus tard. En 1952, le premier 'Examen Annuel" fournit l'occasion de soumettre au Conseil, à sa session ministérielle de décembre, d'importantes questions de principe - mais les objectifs de forces ne purent être arrêtés qu'en avril 1953. Dans un cas comme dans l'autre le retard était dû avant tout aux difficultés rencontrées pour mettre au point les techniques de travail, normaliser les définitions et obtenir les renseignements précis que nécessitait une opération d'une telle envergure. Grâce à la mise au point de ces techniques et à une meilleure connaissance collective des forces et des ressources de l'OTAN, l'Examen de 1953 put être terminé pour la mi-décembre. L'Examen de 1954 devrait être le premier à se dérouler selon le calendrier établi, c'est-à-dire :

Janvier-mars rédaction du Questionnaire à la lumière de l'expérience acquise et
adoption d'une procédure modifiée pour la conduite de 'Examen Annuel; Mars-juillet communication, par les Commandants Suprêmes, de directives de planning, envoi dans chaque capitale de missions militaires spéciales et réponses des gouvernements au Questionnaire; Juillet-octobre analyse et discussion des programmes nationaux et rédaction du rapport définitif; Novembre examen du rapport par les gouvernements et réunion du Conseil, à l'échelon ministériel, pour l'adoption des objectifs de forces.

Le questionnaire

Dans toute opération où l'on est appelé à porter un jugement, il faut avant tout que ce jugement puisse s'appuyer sur des renseignements sûrs. Pour que chaque pays membre puisse apprécier l'effort de défense de ses partenaires et recommander les modifications nécessaires, un clair exposé de cet effort est essentiel. C'est pourquoi une partie importante du travail de l'Examen Annuel a consisté à mettre au point un système de présentation des renseignements concernant chaque pays. Le document conçu à cet effet est intitulé 'Questionnaire', bien qu'il ait peu de rapports avec les formulaires généralement désignés sous ce terme. Le Questionnaire de l'Examen Annuel ne comprend que seize formules environ, portant plusieurs colonnes en blanc. Certaines de ces formules peuvent être remplies une fois seulement, d'autres doivent être remplies séparément pour chaque arme, d'autres encore pour chaque grande unité; l'une d'elles peut même devoir être remplie pour quatre-vingts matériels différents. Ces formules sont accompagnées d'environ 200 pages d'instructions et de définitions extrêmement détaillées, afin que les données fournies par tous les pays soient parfaitement comparables.

Dans ce Questionnaire, les pays sont invités à décrire leur effort de défense comme suit: ils doivent exposer leur programme de mise sur pied effective des forces militaires; leurs disponibilités probables en matériel - soit de source nationale, soit de source étrangère, sous forme d'achats ou au titre de l'aide mutuelle - et les mesures qu'ils prennent pour combler les déficits; ils doivent enfin décrire les aspects financiers de leurs programmes et les rapports de ces programmes avec leurs possibilités économiques.

En ce qui concerne la partie militaire du Questionnaire, le problème principal a été de déterminer quel était le volume exact de renseignements que chaque pays pouvait être utilement invité à fournir. La solution adoptée en 1953, et qui a été maintenue en 1954, a consisté à leur demander un minimum de données d'un usage général, ainsi que certains renseignements techniques devant permettre aux autorités militaires dévaluer le degré d'efficacité de leurs forces. Grâce à cet ensemble de données techniques, il est possible d'émettre un jugement sur la composition et l'état des nombreuses unités faisant partie des forces armées. Pour chaque unité des forces terrestres ou aériennes, pour chaque navire, il est demandé des renseignements sur les effectifs disponibles, l'état de l'entraînement, la proportion de matériel existant, etc...

La section du Questionnaire consacrée à l'équipement porte exclusivement sur des matériels choisis en raison de leur importance particulière parmi les milliers de matériels utilisés par les forces de l'OTAN. Le but recherché est de faire apparaître ainsi les déficits en matériels d'importance majeure, d'indiquer quelles sont les livraisons attendues des nouvelles chaînes de production ou de l'aide militaire, de donner des renseignements sur les pertes à prévoir par suite d'usure et de vieillissement et sur les ajustements devenus nécessaires par suite de modifications des unités à équiper. Ces données jouent un rôle déterminant dans le travail d'harmonisation qui aboutira à la détermination des objectifs de forces ; elles fournissent par ailleurs une importante contribution à la mise au point des programmes de production et des plans logistiques.

Dans le domaine économique, l'OTAN compte surtout, pour la documentation générale concernant l'Examen Annuel, sur les renseignements recueillis par d'autres organisations internationales. Le Questionnaire demande néanmoins certains renseignements supplémentaires, notamment sur les répercussions économiques de reffort de défense.

La section financière du Questionnaire vise essentiellement à obtenir des renseignements sur l'aspect financier du programme de défense. A cet effet, il a fallu mettre au point des définitions standard des dépenses de défense et des procédures de comptabilité financière uniformes pour que les renseignements fournis par les divers pays puissent être facilement comparables.

Analyse des réponses

Dès qu'elles sont reçues, les réponses au Questionnaire sont distribuées à toutes les délégations nationales, au Groupe Permanent, aux Commandants Suprêmes et aux services compétents du Secrétariat International. Les tableaux militaires sont examinés par le Groupe Permanent et par les Commandants Suprêmes; une attention particulière est accordée aux unités dans lesquelles des déficits ont été précédemment constatés. Sur la base de cette analyse, les autorités militaires de l'OTAN rédigent des commentaires détaillés et des recommandations révisées dans lesquelles elles donnent leur avis quant aux prochaines mesures que chaque pays doit prendre sur le plan militaire.

Les tableaux de matériels sont étudiés par la Division de Production et Logistique du Secrétariat International et par les autorités militaires. Le but essentiel est, en l'occurrence, de voir quels efforts ont été faits par les pays de l'OTAN, tant individuellement que collectivement, pour combler les déficits, et d'élaborer les plans qui permettront d'utiliser au mieux les ressources disponibles pour répondre aux besoins des forces. Les renseignements recueillis dans ces tableaux ont une valeur inestimable pour tous ceux qui s'occupent des programmes de production coordonnée et d'aide mutuelle.

Les tableaux financiers permettent au Secrétariat International d'analyser les budgets'de défense des pays membres et d'établir le rapport entre ces budgets et les forces prévues. Cette analyse constitue également la base d'une étude comparée des dépenses de défense de chaque pays.

Dans le même temps l'OTAN procède à une étude de la situation économique de chaque pays. A cet effet, elle utilise les renseignements généraux recueillis par d'autres organisations internationales et les renseignements particuliers sur les dépenses de défense que chaque pays membre lui a fournis. En possession de ces renseignements et des résultats obtenus au cours des discussions avec les représentants nationaux, le Secrétariat International formule des conclusions provisoires quant à l'aptitude de chaque pays à exécuter le programme de défense prévu. Tantôt, il estime que tel pays accomplit un effort maximum, compte tenu de sa situation économique; tantôt, il déclare que le programme annoncé est largement en deçà des possibilités économiques du pays et qu'il pourrait être augmenté sans aucune gêne.

Nous avons vu au Chapitre V, qu'au début de l'Alliance on avait recherché une formule permettant d'exprimer avec précision l'aptitude relative de chaque pays à supporter les charges de la défense et, à partir de cette donnée, d'organiser un système d'assistance des plus faibles par les plus forts. Cela s'est révélé impossible. On a donc abandonné la recherche d'une formule de cette nature pour étudier les points faibles des économies nationales, et tenter ainsi de déterminer si le fardeau de la défense pesait plus ou moins lourdement sur tel pays plutôt que sur tel autre. C'est grâce aux discussions franches et multilatérales tenues au cours de l'Examen Annuel, et portant sur l'effort de défense accompli par chaque pays, que cette appréciation peut être faite, d'abord par le Secrétariat International, puis par tous les partenaires de l'Alliance.

Recommandations militaires

Le critère initial de l'effort militaire de l'OTAN résidait dans la définition des besoins minima qu'impliquait la mise en état de défense de la région de l'Atlantique Nord. Cette définition, fondée sur un plan stratégique convenu, est constamment révisée à la lumière des développements de la situation extérieure et en fonction de l'efficacité des armes nouvelles. Dans l'ensemble cependant, ces besoins demeurent constants et ne sont pas modifiés par les objectifs fixés chaque année. Ces derniers constituent en fait des objectifs intermédiaires ou, si l'on veut, les degrés de l'échelle conduisant à la réalisation des objectifs définitifs.

En fixant la première série d'objectifs de forces à sa réunion de Lisbonne en février 1952, le Conseil avait donné la priorité à la constitution rapide d'une force de première ligne aussi importante que possible. Au mois de décembre suivant, à Paris, le Conseil donna pour directives de mettre désormais l'accent sur l'amélioration qualitative plutôt que quantitative des forces de l'OTAN, tout en poursuivant leur mise sur pied. Le Conseil entendait par là qu'il importait davantage de créer des forces de soutien - telles que bataillons d'artillerie et de DCA, compagnies de transmissions et de chars, unités d'approvisionnement et de soutien logistique - que d'augmenter le nombre des divisions de première ligne, si les ressources dont on disposait ne permettaient pas de mener à bien les deux tâches. Cette décision signifiait, également qu'avant de créer de nouvelles unités, il fallait élever le niveau d'instruction et le pourcentage du personnel et du matériel disponibles dans les unités déjà créées.

C'est en suivant ces directives, et dans le cadre général des objectifs provisoires et indicatifs fixés lors de l'Examen Annuel précédent, que les autorités militaires élaborent chaque année leurs recommandations en vue d'améliorer les forces. Elles s'inspirent aussi des conclusions auxquelles ont abouti les études générales qui ont pu être menées à l'échelon OTAN sur des questions telles que l'organisation d'un réseau satisfaisant d'alerte et de guet aériens. Les appréciations personnelles des Commandants Suprêmes concernant les forces qui leur sont affectées ou réservées sont également un des éléments sur lequel les autorités militaires fondent leurs recommandations. Ces appréciations sont soigneusement complétées par l'envoi dans chaque pays membre, à l'époque où les gouvernements rédigent leurs réponses au Questionnaire, de 'missions militaires' composées d'officiers de grade élevé provenant du Quartier Général Suprême. Les missions connaissent les recommandations militaires qui ont été adressées à chaque gouvernement lors de l'Examen Annuel précédent ainsi que les modifications qu'il est jugé souhaitable d'apporter à la structure des forces pour en assurer un meilleur équilibre; elles sont donc en mesure de discuter directement de ces questions avec les chefs d'états-majors nationaux. Dans leurs réponses au Questionnaire, les différents gouvernements présentent des propositions ou des commentaires sur chacune de ces recommandations.

Comme nous l'avons dit plus haut, chaque grande unité fait l'objet, dans le Questionnaire, d'une réponse séparée; les pays indiquent pour chacune d'elles l'importance de ses effectifs d'activé et de réserve, son état d'entraînement et le pourcentage de matériel dont elle dispose. Il n'existe pas de normes générales pour l'analyse de ces réponses: chaque unité est étudiée isolément à la lumière des directives générales, des disponibilités en matériel et des possibilités du pays intéressé. C'est ainsi qu'une division peut être notée, pour une année donnée, comme possédant 90 pour cent du matériel qui lui est nécessaire, tandis qu'une autre peut n'en posséder que 60 pour cent. Dans le premier cas, les autorités militaires pourront recommander de porter le niveau du matériel à 100 pour cent au cours de l'année suivante, tandis que, dans le second, elles proposeront peut-être de porter ce niveau successivement à 75 pour cent, 85 pour cent et 90 pour cent sur une période de trois ans. De même, les mille autres problèmes que soulève la mise sur pied des forces terrestres, navales et aériennes sont étudiés séparément et font l'objet de recommandations qui sont examinées au cours de la procédure dite de 'conciliation'.

Conciliation des besoins et des possibilités

La phase essentielle de l'Examen Annuel est ce que nous appelons la 'conciliation' entre les nombreuses améliorations ou modifications que les autorités militaires de l'OTAN recommandent d'apporter aux programmes nationaux et lévaluation de la capacité des pays d'appliquer ces recommandations. Cette harmonisation est effectuée en premier lieu par les experts : ceux-ci examinent séparément les sections économique, militaire et de production des réponses nationales, et conviennent de recommander certaines mesures supplémentaires qui peuvent, à leur avis, être utilement soumises aux gouvernements intéressés. Ces propositions sont ensuite discutées avec chaque gouvernement par le Secrétariat International et les conseillers militaires. Des projets de recommandations aux quatorze pays membres sont alors soumis au Comité de l'Examen Annuel où a lieu une discussion multilatérale et où sont fixées, à la lumière de tous les renseignements qui se sont dégagés au cours de l'Examen Annuel, les modifications qui, dans le rapport final, pourront être suggérées aux gouvernements ou être acceptées par eux.

L'analyse des coûts réels et comparés de tous les éléments du programme de défense établit le lien nécessaire entre les travaux des conseillers militaires et ceux des experts économiques. Ces analyses vont de la rédaction d'un état où le total des dépenses de défense d'un pays est harmonisé avec les divers chapitres de son budget militaire, jusqu'à l'estimation détaillée du coût de chaque recommandation militaire. Entre ces deux extrêmes figurent des tableaux demandant, sous un grand nombre de rubriques, les prévisions de dépenses de défense. Le Secrétariat International tire de l'analyse de ces tableaux, une fois remplis, les indications indispensables sur la nature des charges que le programme de défense fait peser sur le pays intéressé. En cas de besoin, des enquêtes sont menées en vue de vérifier si les dépenses de défense indiquées correspondent bien en fait aux forces prévues et d'évaluer le coût de toute modification marginale de ces forces qui pourra être suggérée par les autorités militaires ou acceptée par le pays intéressé au cours de l'Examen Annuel.

A partir de cette étape, la procédure de l'Examen Annuel s'attache exclusivement à donner à l'ensemble de ces études une expression concrète, c'est-à-dire à la rédaction du volumineux rapport qui sera soumis aux gouvernements. Le rapport de 1953 contenait quelque 360 pages dactylographiées et était divisé en trois parties principales: la première comprenait une brève introduction et un résumé destinés à mettre en lumière les principales conclusions qui s'étaient dégagées de l'Examen; la deuxième, de cinquante pages environ, consistait en une série de chapitres analysant, du pointde vue général de l'OTAN, des questions d'une importance particulière :par exemple, l'un était consacré aux problèmes militaires, un autre aux principaux déficits en matériels, un autre encore aux problèmes à long terme que pose l'entretien des forces de l'OTAN. Le reste du rapport - la troisième partie - comprenait quatorze chapitres dans lesquels étaient exposés l'effort de défense de chaque pays, sa situation économique, les problèmes militaires restant à résoudre, et où étaient formulées une série de recommandations.

La préparation d'un tel rapport exige manifestement un double travail de synthèse. D'une part, il faut exposer soigneusement, dans les chapitres par pays, les problèmes et les possibilités de chaque membre de l'Alliance. D'autre part, il faut dégager de ces études nationales une vue d'ensemble des problèmes de l'OTAN et les regrouper par sujet dans les chapitres d'ouverture.

Les recommandations constituent l'élément essentiel de chaque chapitre ; elles reposent sur les observations et les recommandations des autorités militaires de l'OTAN, dont le Secrétariat International retient celles qu'il estime réalisables par chaque pays, compte tenu de sa situation économique et politique. Toutes les recommandations n'entraînent pas nécessairement des dépenses supplémentaires, bien qu'il en soit ainsi dans la plupart des cas. Une estimation de leur coût, préparée comme il a été dit plus haut, ainsi que l'indication de l'ordre de priorité qui leur est attribué par les autorités militaires, constituent la base des travaux du Secrétariat. La plupart des recommandations ont un caractère militaire, mais il arrive que certaines considérations relatives à des questions industrielles ou économiques leur soient ajoutées.

Importance de l'examen annuel

L'Examen Annuel est l'une des tâches les plus importantes de l'OTAN. C'est en effet le principal instrument de coordination de l'effort de défense de l'Alliance. Il s'est révélé extrêmement utile pour recueillir des renseignements précis, les trier, en tirer des conclusions et agir en conséquence. Grâce à cet Examen, il est maintenant possible d'identifier rapidement les déficits en matériels, de savoir quelles sont les unités qui n'atteignent pas les normes requises, de découvrir les goulots d'étranglement de la production et les autres points faibles - possible également d'évaluer le coût et les répercussions économiques des remèdes proposés et de se mettre d'accord sur ce qui est à la fois souhaitable et réalisable.

Seuls les objectifs de forces convenus pour l'année suivante engagent les pays de façon ferme. Les autres recommandations ne sont considérées comme des engagements nationaux qu'une fois qu'elles ont été acceptées par le gouvernement auquel elles sont adressées. A bien des égards, on peut dire que les résultats essentiels d'un Examen Annuel sont obtenus dès le début, lorsque les gouvernements ont rempli le Questionnaire qui leur a été adressé, sachant que leurs réponses seraient examinées par leurs treize partenaires - puis, longtemps après, lorsque les diverses recommandations supplémentaires servent de guide dans l'élaboration de plans nationaux à long terme. Il faut toutefois observer que les gouvernements accordent une confiance grandissante aux évaluations sur lesquelles se fondent ces recommandations et qu'ils ont de plus en plus tendance à accepter des recommandations auxquelles ils étaient d'abord opposés. Dans le rapport final sur l'Examen Annuel 1953, quatre-vingt-quatre recommandations distinctes furent adressées aux divers gouvernements ; près de la moitié de celles-ci avaient été acceptées dès avant la fin de la session ministérielle au cours de laquelle les nouveaux objectifs de forces furent fixés.

L'importance de l'Examen Annuel dépasse de beaucoup son objectif immédiat. Nous nous trouvons en présence de quatorze gouvernements qui acceptent spontanément de soumettre à l'étude minutieuse de leurs partenaires le détail de leur effort et de leur budget de défense, puis de venir exposer et défendre leurs plans devant eux au cours de discussions très franches. Il en résulte que tous les membres de l'Alliance acquièrent l'habitude de travailler en étroite collaboration et comprennent de mieux en mieux les problèmes qui se posent à chacun d'entre eux.

En outre, le personnel civil de l'OTAN, les délégations et les administrations nationales sont maintenant très au fait, dans leur domaine respectif, des multiples aspects de l'effort de défense; de leur côté les états-majors nationaux et internationaux ont acquis une expérience utile des procédures administratives. A cet égard, il est encourageant de constater que les pays ont adapté leurs propres méthodes de travail aux exigences de l'Examen Annuel. Nous avons déjà fait mention du problème des définitions communes des activités de défense. Ces définitions sont, bien entendu, utilisées au cours de l'Examen Annuel lui-même, mais leur emploi se généralise de plus en plus. Des méthodes de calcul des dépenses de défense, cadrant avec les définitions et avec l'horaire de l'Examen Annuel, ont été instituées et les pays ont très volontiers coopéré sur ce point avec des représentants du Secrétariat International. Etant donné les changements de personnel qui se produisent, aussi bien à l'OTAN que dans les administrations nationales, le nombre des fonctionnaires possédant l'expérience de cette forme de travail collectif et ayant l'optique des questions internationales augmente régulièrement.

Sous sa forme actuelle, l'Examen Annuel continuera d'être extrêmement utile, car il permet la mise en pratique régulière d'une procédure d'analyse réciproque et la coordination de plus en plus efficace des efforts de défense.


Notes:

  1. Voir Chapitre X, l'Infrastructure Commune de l'OTAN
  2. Voir Chapitres XI, Le Développement de la Production de Défense, et Chapitre XII, L'Effort Individuel et l'Assistance Mutuelle.
  3. " Voir Chapitre V.
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