Header
Mise à jour: 04-Sep-2001 OTAN les cinq premières années 1949-1954


 

 

Partie 1
Chapitre 4


par Lord Ismay

Secrétaire général
de l'OTAN


(1952 - 1957)

 

La cadence s'accélère

La session de Londres du Conseil s'était terminée le 18 mai 1950. Le 25 juin, un événement survint qui allait avoir une profonde influence sur révolution de l'OTAN: les divisions communistes nord-coréennes, franchissant le 38ème parallèle, attaquèrent brusquement les forces insuffisamment armées de la Corée du Sud et avancèrent rapidement sur Séoul. Le 26 juin, à la demande des Etats-Unis, le Conseil de Sécurité des Nations Unies (d'où les Russes étaient absents) se réunit et ordonna un cessez-le-feu. Il n'en fut pas tenu compte. Le 27 juin, le Président Truman donna l'ordre aux forces navales et aériennes des Etats-Unis de se porter à l'aide des unités sud-coréennes et chargea la VIIème Flotte américaine de protéger Formose. Il annonça également que l'aide américaine à l'Indochine et aux Philippines allait être accrue.

Le même jour, le Conseil de Sécurité dénonça la Corée du Nord comme l'agresseur, décida de prendre contre elle des sanctions économiques et militaires et invita tous les pays membres de l'Organisation des Nations Unies à venir en aide à la République sud-coréenne. C'est la première fois dans l'histoire que la décision d'appliquer des sanctions militaires était prise par une organisation internationale. Suivant l'exemple audacieux des Etats-Unis - qui avaient engagé leurs forces terrestres en Corée dès le 1er juillet - un certain nombre de nations libres décidèrent de s'opposer à l'envahisseur. Ce fait démontrait la solidarité du monde libre; il prouvait que, lorsque les démocraties parlaient de défense contre l'agression, ce n'était pas là des paroles vaines. Il était évident que l'attentat qui venait d'être commis dans la lointaine Corée pourrait facilement être répété ailleurs. Pour l'OTAN, la période d'optimisme prudent et de progrès lents et méthodiques était révolue.

Ce fut donc dans une atmosphère nouvelle que le Conseil des Suppléants se réunit pour la première fois à Londres, le 25 juillet 1950. L'Ambassadeur Charles M. Spoffbrd avait été désigné par ses collègues pour assumer la présidence du nouvel organisme. Il y représentait en même temps les Etats-Unis. Notons que, durant ce même mois de juillet, il avait été annoncé que les livraisons de matériel militaire américain seraient accélérées. En Europe, les ministres de la Défense des puissances signataires du Traité de Bruxelles avaient conféré sur les mesures de réarmement.

Le 28 juillet, M. Spofford fit savoir au Conseil des Suppléants que, pour lui permettre d'apprécier la nécessité d'un programme d'aide supplémentaire, le gouvernement américain invitait tous les pays de l'OTAN à lui faire connaître 'la nature et l'ampleur de l'effort accru que chacun d'eux se proposait d'entreprendre'. La rapidité avec laquelle les gouvernements répondirent à cette demande montre combien le réarmement leur paraissait urgent: dès le 31 août, toutes les réponses étaient parvenues. Néanmoins, de nombreux gouvernements, tout en étant disposés à accroître leur effort de défense, étaient gravement préoccupés des difficultés économiques et financières qui pourraient en résulter.

Décision de créer une force militaire intégrée

Lorsque le Conseil se réunit à New-York le 15 septembre 1950, ses discussions se concentrèrent sur un seul problème : comment défendre la zone de l'OTAN contre une agression semblable à celle qui avait été commise en Extrême-Orient? Le Conseil fut unanime à reconnaître qu'il fallait adopter en Europe une 'stratégie vers l'avant', c'est-à-dire résister à toute agression le plus à l'est possible, afin d'assurer la défense de tous les pays européens de l'OTAN. Il est évident, néanmoins, que l'application de ce concept stratégique exigeait des forces bien supérieures à celles qui existaient à l'époque. Le Conseil décida donc que les pays membres devaient de toute urgence prendre des dispositions en vue d'accroître leur puissance militaire et que le Plan de Défense à Moyen Terme devait être modifié. Il fallait instituer, 'sous un commandement centralisé, à la date la plus rapprochée possible, une force unifiée adéquate pour prévenir l'agression et assurer la défense de l'Europe occidentale'. Cette force serait placée sous le commandement d'un commandant suprême nommé par l'OTAN. Le Groupe Permanent assumerait la 'haute direction stratégique'. Le Conseil invita le Comité de Défense à recommander les mesures nécessaires pour mettre sur pied cette force 'le plus tôt possible'.

Plans pour une contribution allemande

Cette cinquième session du Conseil se déroula en deux temps. Les ministres tinrent d'abord une réunion qui dura trois jours, à l'issue de laquelle ils publièrent un premier communiqué sur la 'force intégrée' qu'ils projetaient d'instituer. Puis le Conseil s'ajourna pour plusieurs jours afin que les ministres puissent consulter leurs gouvernements. Un fait nouveau très important était intervenu au cours de la première partie des entretiens. Le Secrétaire d'Etat américain, M. Acheson, avait annoncé à ses collègues que son gouvernement était disposé à 'participer à la constitution immédiate en Europe, dans le cadre du Traité de l'Atlantique Nord, d'une force intégrée adéquate qui permettrait d'assurer la défense de l'Europe occidentale, y compris l'Allemagne de l'ouest contre une agression éventuelle". Il avait précisé que cette force impliquait 'la participation d'unités allemandes et l'utilisation des ressources industrielles allemandes pour son ravitaillement5. Le gouvernement des Etats-Unis était partisan de limitations et de garanties précises : par exemple la plus grande unité allemande ne dépasserait pas une division et chaque unité serait intégrée dans des forces alliées plus importantes; la création d'un état-major général allemand ne serait pas autorisée et les forces allemandes dépendraient des autres pays pour les matériels militaires essentiels dont la production ne devrait pas être confiée à l'industrie allemande.

La proposition des Etats-Unis marquait un renversement de la politique de désarmement et de démilitarisation que les Alliées avaient appliquée à l'égard de l'Allemagne. L'idée d'une participation allemande à la défense occidentale avait été évoquée à plusieurs reprises au cours des mois précédents et l'inquiétude causée par la guerre de Corée lui avait donné un renouveau d'actualité. De plus, un sentiment d'insécurité se développait en Allemagne occidentale, en particulier depuis que les Soviets avaient encouragé l'Allemagne de l'est à créer une 'police populaire' forte de 50.000 hommes et puissamment armée. Le Chancelier Adenauer avait demandé instamment la création, dans la République Fédérale, d'une force de police d'importance égale. Il avait maintes fois suggéré que les Etats-Unis devraient envoyer de nouvelles divisions en Europe, notamment des divisions blindées. Dans une déclaration publique du 23 août 1950, M. Adenauer s'était également prononcé en faveur de la création d'une force militaire unifiée en Europe occidentale, ajoutant que 'si l'Allemagne était sollicitée de fournir un contingent à une telle armée, elle serait prête, sous certaines conditions, à consentir des sacrifices dans son propre intérêt et dans celui de l'Europe occidentale'.

La proposition de réarmer l'Allemagne devait inévitablement provoquer des réactions contradictoires parmi les gouvernements et les peuples de l'OTAN, pour des raisons qui sont trop évidentes pour avoir besoin d'être développées ici. Qu'il nous suffise de dire qu'au cours des débats du Conseil, tous les arguments pour ou contre une participation de l'Allemagne à la défense occidentale furent examinés et pesés. Du point de vue purement militaire, le principal argument en faveur de cette participation était que la stratégie vers l'avant adoptée par l'OTAN exigeait que l'Europe fût défendue sur le sol allemand: ceci n'était guère concevable sans une participation militaire et politique de la République Fédérale.

Une impasse politique

Lorsque le Conseil interrompit sa session le 18 septembre, tous ses membres étaient disposés à accepter le principe d'une participation allemande aux forces de l'OTAN, à l'exception du Ministre des Affaires Etrangères de la France, M. Robert Schuman. Celui-ci, tout en reconnaissant que certaines méthodes destinées à assurer une contribution de l'Allemagne à la défense pourraient être acceptables (par exemple, dans les domaines de la production et des constructions militaires) estimait que la mise sur pied de troupes allemandes à ce stade 'ferait plus de mal que de bien'. Se trouvant ainsi dans l'impossibilité de parvenir à un accord, le Conseil s'ajourna pour permettre aux ministres - et en particulier à ceux des trois puissances occupantes - de procéder à un nouvel examen de la question.

Le 19 septembre, les ministres des Affaires Etrangères des trois puissances occupantes, qui s'étaient réunis de leur côté à New-York, publièrent une déclaration dans laquelle ils traitaient notamment de la sécurité de l'Allemagne occidentale. Les trois puissances affirmaient qu'elles 'augmenteraient et renforceraient leurs forces armées en Allemagne' et qu'elles considéreraient 'toute attaque d'où qu'elle vienne contre la République Fédérale ou Berlin comme une attaque contre elles-mêmes'. Elles reconnaissaient que 'la création d'une armée nationale allemande ne servirait pas les meilleurs intérêts de l'Allemagne ni de l'Europe" et ajoutaient que 'la question soulevée par les problèmes de la participation de la République Fédérale Allemande à la défense commune de l'Europe faisait actuellement l'objet d'études et d'échanges de vues'.

Mais elles ne purent aller plus loin. Aussi, lorsque le Conseil de l'Atlantique Nord se réunit à nouveau le 26 septembre, son communiqué final fut-il rédigé en des termes intentionnellement imprécis. Il se bornait à déclarer que l'Allemagne 'devrait être mise en mesure de contribuer à la mise en état de défense de l'Europe occidentale'. Le Conseil demandait au Comité de Défense de présenter des recommandations quant aux méthodes à adopter à cette fin.

Les propositions Françaises

Le 24 octobre 1950, le Président du Conseil français, M. René Pleven, soumettait à l'Assemblée Nationale un projet de 'création d'une armée européenne rattachée à des institutions politiques de l'Europe unie'. Selon ce projet, il y aurait une 'fusion complète de tous les éléments humains et matériels' au sein de la force proposée. Un commissaire européen de la défense, responsable devant une assemblée européenne, serait désigné par les gouvernements participants. Il aurait qualité pour veiller à l'exécution du programme d'armement et d'équipement. Le financement de l'armée projetée serait assuré par un budget commun. Enfin, les forces européennes seraient mises à la disposition de la force unifiée atlantique et opéreraient suivant les obligations contractées dans le Pacte Atlantique'.

Ce projet fut présenté au Comité de Défense le 28 octobre par le Ministre français de la Défense Nationale, M. Jules Moch, comme solution de rechange aux propositions américaines. Le temps avait manqué pour examiner en détail les vastes implications de ce projet; en outre la position des Etats-Unis et celle de la France étaient trop divergentes pour qu'il fût possible de les concilier au cours de cette session. Dans ces conditions, le Comité de Défense (1) dut admettre qu'il était dans l'impossibilité de prendre des décisions définitives sur l'organisation militaire et la structure du commandement en Europe. Il renvoya donc ces questions aux Suppléants et au Comité Militaire, qui furent chargés d'en poursuivre l'examen.

Un rapport sur le problème Allemand

Ces deux organismes procédèrent, chacun de son côté, à des études et des discussions, tout en se tenant mutuellement au courant de l'avancement de leurs travaux. Les négociations furent délicates: si elles purent être menées à bien, le mérite en revient en grande partie à M. Spofford qui joua un rôle personnel important en présentant des propositions transactionnelles (comportant certaines modifications des propositions françaises et américaines) et en les défendant avec habileté et patience. Le 13 décembre, le Conseil des Suppléants et le Comité Militaire tinrent ensemble une réunion et purent se mettre d'accord sur un rapport commun destiné au Comité de Défense et au Conseil de l'Atlantique Nord.

Leurs recommandations étaient en substance les suivantes: 'une défense acceptable et réaliste de l'Europe occidentale et l'adoption d'une stratégie vers l'avant ne pouvaient être envisagées sans une participation allemande active et volontairement consentie'; certaines mesures provisoires relatives à une contribution allemande devraient être prises dans un avenir immédiat, ces mesures pouvant prendre la forme, par exemple, de 'travaux préliminaires sur l'organisation militaire'. Le rapport traitait de l'importance maximum des futures unités allemandes et des divers contrôles et limitations qui devraient être imposés à la participation de l'Allemagne à la défense, notamment en matière de forces aériennes et navales, d'unités blindées, de puissance atomique et de production d'armements.

Le rapport estimait que tout système de participation allemande 'devrait, de toutes façons, s'inscrire dans le cadre de l'OTAN'. Il indiquait les diverses solutions qui avaient été débattues - sans toutefois se prononcer encore entre elles. En bref, les solutions envisagées étaient, soit l'incorporation des unités allemandes dans la force de défense intégrée de l'OTAN (proposition américaine), soit leur intégration dans une armée européenne unifiée (proposition française). D'autre part, les Pays-Bas avaient proposé la nomination, en Allemagne occidentale, d'un haut commissaire OTAN dont les responsabilités se seraient étendues à toutes les forces armées stationnées en Allemagne occidentale, et aux forces allemandes en particulier.

La session de Bruxelles du Conseil

Lorsque le Conseil se réunit à Bruxelles le 18 décembre 1950 pour sa sixième session, il déclara que 'la contribution de l'Allemagne aurait pour effet de renforcer la défense de l'Europe sans modifier en quoi que ce soit le caractère purement défensif de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord"; et il prit les premières mesures destinées à assurer cette participation. D'une part, il invita les gouvernements des trois puissances occupantes à 'poursuivre l'examen de cette question' avec le Gouvernement de la République Fédérale. D'autre part, il prit note de l'intention manifestée par le Gouvernement français de réunir une conférence des puissances européennes qui pourraient participer à l'organisation d'une armée européenne unifiée.

Nomination du Général Eisenhower

Au cours de cette même session, le Conseil prit d'importantes décisions concernant les problèmes de défense. La première avait trait aux questions d'organisation. Le Groupe Permanent fut chargé à l'avenir de déterminer, au nom du Comité Militaire, les besoins des futures forces OTAN, composées de contingents des pays membres. A cet effet, le Comité Militaire établit à Washington un comité à caractère permanent composé de représentants militaires de tous les pays de l'OTAN. En outre, un Bureau de Liaison du Groupe Permanent devait être établi à Londres afin d'assurer une collaboration plus étroite entre le Conseil des Suppléants et les autorités militaires de l'OTAN.
La seconde décision du Conseil, et la plus importante, fut de constituer une force intégrée placée sous le commandement suprême d'un officier américain.
Ces mots 'force intégrée' et 'commandement suprême' évoquèrent immédiatement le nom de Dwight D. Eisenhower. Le Premier Ministre, M. Churchill, avait dit de lui, dans une lettre adressée au Président Truman à la fin de la seconde guerre mondiale : 'En la personne du général Eisenhower, nous avons un homme qui a placé l'unité des armées alliées au-dessus de toute préoccupation d'ordre national. Dans son quartier général, les notions d'unité et de stratégie régnaient à l'exclusion de toute autre.'

Le Conseil n'hésita pas à demander au Président Truman de désigner le Général Eisenhower pour assumer les fonctions de Commandant Suprême des Forces Alliées en Europe. Le Président accepta cette demande et le Conseil nomma le Général Eisenhower à ce poste d'importance vitale. Il fut annoncé qu'il installerait son quartier général en Europe au début de 1951 et serait 'investi de l'autorité nécessaire pour assurer l'entraînement des unités placées sous son commandement, ainsi que leur groupement en une force de défense unifiée efficace'. Il devait être "assisté d'un état-major international' composé d'officiers provenant des pays ayant fourni des contingents à la force intégrée.

Ce fut en vérité une grande chance pour le monde libre qu'un homme ayant un prestige, des aptitudes et une expérience aussi exceptionnels que le général Eisenhower se trouvât disponible en cette heure critique. Dans l'esprit de millions d'hommes, son nom était associé au souvenir de la victoire et sa nomination fut d'une valeur psychologique considérable pour l'Alliance.
Premières Forces assignées a l'OTAN

L'impression produite par cette nomination fut renforcée par les assurances immédiates et effectives qui furent données au cours de la même session du Conseil Atlantique. Le Secrétaire d'Etat Acheson fit la déclaration suivante: 'Le Président m'a autorisé à dire ici qu'avant la fin de cette journée il aurait placé sous les ordres du Commandant Suprême les forces des Etats-Unis en Europe. Nous espérons que cette action sera imitée aussitôt que possible par les autres gouvernements signataires du Traité de l'Atlantique Nord - par tous les gouvernements qui disposent d'une force armée. Le Président m'autorise en outre à déclarer qu'il augmentera les forces américaines placées sous les ordres du Commandant Suprême'. M. Jules Moch, Ministre français de la Défense, annonça que les trois divisions françaises stationnées en Allemagne seraient placées sous le commandement du Général Eisenhower et que deux nouvelles divisions leur seraient ajoutées en 1951. Plusieurs autres gouvernements membres devaient bientôt annoncer leur intention de prendre des mesures analogues.

L'OTAN venait de faire un énorme pas en avant. Une organisation allait prendre corps, qui aurait l'autorité et les pouvoirs nécessaires pour veiller à ce que, de la Norvège à la Méditerranée, les forces nationales affectées au Quartier Général Suprême des Forces Alliées en Europe (connu désormais sous le nom de SHAPE -2-), fussent convenablement entraînées et groupées en une force intégrée efficace. La création d'un commandement unifié en temps de paix était un fait sans précédent dans l'histoire.

La réunion du Conseil à Bruxelles avait donné d'importants résultats. On ne peut se rappeler sans émotion quelques paroles prononcées à l'issue de cette session par le représentant du Royaume-Uni, M. Bevin, qui était déjà gravement malade à l'époque et qui devait mourir quelques mois plus tard. Il avait dit à l'un de ses collègues, un ami très proche : 'II est donné à peu d'hommes de voir se réaliser leurs rêves. Je sais qu'à trois reprises, au cours de cette année, j'ai été très près de mourir. Mais je voulais vivre assez longtemps pour voir cette alliance Nord Atlantique solidement établie. Mon vœu est aujourd'hui exaucé'.

Le premier commandement integré

Les décisions de Bruxelles furent mises à exécution sans délai. Au cours de la deuxième guerre mondiale, le Général Eisenhower avait montré qu'il savait utiliser les compétences. Lyun de ses premiers actes de Commandant Suprême désigné dès-Forces Alliées en Europe (SACEUR -3-) fut de prendre pour Chef d'état-major le Général de Corps d'Armée Alfred M. Gruenther (aujourd'hui Commandant Suprême des Forces Alliées en Europe). De son côté le Général Gruenther désigna quatre ou cinq officiers américains qui s'attaquèrent immédiatement aux problèmes d'organisation et de commandement.

Paris fut choisi comme siège du quartier général, en raison surtout de sa position centrale et de ses excellents moyens de communications; l'hôtel Astoria, près de l'Etoile, fut mis à la disposition du Commandement et rapidement aménagé pour recevoir les officiers américains qui devaient constituer le groupe de planning du SHAPE. Ces officiers, qui arrivèrent en janvier 1951, devaient bientôt être rejoints par les représentants de huit autres pays membres. (4) Ce petit groupe de pionniers travailla inlassablement pour que le SHAPE pût commencer à fonctionner le plus tôt possible.

Pour le Général Eisenhower, la tâche immédiate et primordiale consistait à évaluer personnellement les chances de succès de l'entreprise qu'il était appelé à diriger. En janvier 1951, il se rendit, au cours d'un voyage éclair, dans les diverses capitales des pays européens signataires du Traité. Il put ainsi s'entretenir et, très souvent, renouer connaissance avec les principales personnalités civiles et militaires de tous les pays membres, et recueillir directement des renseignements sur leurs ressources, leurs projets actuels et leurs intentions.

A son retour, il avait acquis la conviction que les gouvernements de l'OTAN étaient résolus à lui apporter toute l'aide en leur pouvoir. Il put constater que, si les forces mises à sa disposition étaient limitées, il existait partout la volonté et les moyens de les accroître. Il fut ainsi en mesure d'affirmer devant le Congrès des Etats-Unis, à la fin de janvier 1951, que les membres européens de l'OTAN étaient résolus à se défendre et que la sauvegarde d'une Amérique libre exigeait la participation de celle-ci à la défense de l'Europe occidentale.
Dans le même temps, à Paris, le Général Gruenther et ses officiers étaient aux prises avec de multiples problèmes d'un caractère entièrement nouveau. A sa session de New-York, en septembre 1950, le Conseil de l'Atlantique Nord avait décidé que le Commandant Suprême devrait être 'assisté d'un état-major international auquel seraient représentés tous les pays participant à la force". Comment cet état-major allait-il être organisé? Sur le modèle américain, qui s'écartait assez peu du modèle français? Ou bien sur le modèle britannique, fort différent des deux autres?

Comment répartir les postes entre les diverses nationalités afin que chacune d'elles fût équitablement représentée? Quelle allait être la structure du commandement au moyen de laquelle le Commandant Suprême exercerait son autorité? Où situer le quartier général? Tels étaient quelques-uns des problèmes qui, pendant ces trois premiers mois mouvementés, maintinrent allumées bien après minuit les lumières de l'hôtel Astoria, sept soirs par semaine.

C'était évidemment un avantage pour les officiers chargés du planning du SHAPE que l'Organisation du Commandement de l'Union Occidentale eût déjà étudié des problèmes analogues et préparé des projets qui servirent de base à l'organisation nouvelle. L'Union Occidentale avait également créé un état-major international et interarmes fonctionnant en temps de paix et utilisant, lui aussi, le français et l'anglais comme langues officielles. De plus, l'Union Occidentale avait légué au SHAPE non seulement ses nombreuses études sur la défense de la zone qui allait devenir le secteur central du commandement européen mais, ce qui est encore plus important, un certain nombre d'officiers de différentes nationalités ayant l'expérience inestimable du travail en équipe.

Enfin, les officiers du SHAPE avaient à leur disposition les études effectuées par trois des Groupes Stratégiques Régionaux qui avaient été créés par le Conseil à sa première session.(5) Ces groupes disposaient de petits états-majors internationaux qui travaillaient en Europe et qui, depuis quelque temps déjà, étudiaient les problèmes de défense concernant la zone qui allait devenir celle du commandement allié en Europe.

Les travaux de leurs prédécesseurs, et leur propre labeur, permirent aux officiers du SHAPE de résoudre la plupart des problèmes fondamentaux d'organisation pour le retour à Paris du Général Eisenhower, venant de Washington. Le 2 avril 1951, le SHAPE commença de fonctionner effectivement. Toutefois, l'Etat-Major ne devait quitter ses quartiers exigus de l'hôtel Astoria qu'au mois de juin. Il s'installa alors dans des bâtiments pré-fabriques, construits en trois mois environ par le génie militaire français sur un magnifique emplacement situé dans la région de Versailles, et dont la France avait fait don à l'OTAN. Ainsi, dans ces lieux où les présidents de la République invitaient naguère leurs hôtes à chasser le faisan, se dresse aujourd'hui le centre nerveux d'une organisation militaire qui contrôle une ligne de défense longue de 6.000 kilomètres, s'étendant du Cap Nord au Caucase.


Notes:

  1. Le général Marshall, devenu Secrétaire d'Etat à la Défense des Etats-Unis, présidait cette réunion.
  2. Abréviation de 'Suprême Headquarters Allied Powers in Europe'.
  3. Abréviation de 'Suprême Allied Commander Europe'.
  4. Belgique, Canada, Danemark, France, Italie, Norvège, Pays-Bas et Royaume-Uni.
  5. Voir chapitre III.

Go to Homepage Go to Index