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Mise à jour: 28-Mar-2001 OTAN les cinq premières années 1949-1954


 

 

Partie 3
Chapitre 10


par Lord Ismay

Secrétaire général
de l'OTAN


(1952 - 1957)

 

L'infrastructure commune de l'OTAN

Les mots 'Infrastructure commune' sont l'une de ces singulières expressions qui sont maintenant d'usage courant à l'OTAN. L'effort de planning dans ce domaine a soulevé des problèmes qui parurent à certains moments insolubles et qui donnèrent lieu à des discussions interminables. Toutefois les résultats obtenus représentent l'une des réussites les plus remarquables de l'Organisation.
Le mot 'Infrastructure' vient de France, où il sert depuis longtemps à désigner des travaux tels que: remblais, ponts, tunnels, etc... qui précèdent la pose d'une voie ferrée. L'OTAN a adopté ce terme générique pour désigner l'ensemble des installations fixes qui sont nécessaires au déploiement et aux opérations des armées modernes : aérodromes, installations de transmissions et de télécommunications, quartiers généraux, réservoirs pour carburants, pipelines, stations de radar de guet aérien et terrestre, aides à la navigation, installations portuaires, etc...

Les installations destinées aux forces nationales, à leur entraînement en temps de paix, et à la défense des territoires nationaux en temps de guerre, sont appelées 'infrastructure nationale'. Elles sont, bien entendu, financées par les budgets nationaux. Les installations créées à la demande des commandants internationaux de l'OTAN pour les forces internationales de l'OTAN, pour leur entraînement en temps de paix, et pour leur utilisation opérationnelle en temps de guerre, sont appelées 'infrastructure commune'. Elles sont financées collectivement par les pays membres.

Les premiers projets d infrastructure

La nécessité d'une infrastructure commune apparut pour la première fois à l'Organisation de la Défense de l'Union Occidentale en 1950. A cette époque, les forces disponibles étaient fort peu nombreuses et les besoins en infrastructure étaient donc réduits: trente aérodromes, un quartier général et environ trente-quatre projets pour les transmissions, le tout représentant une dépense évaluée à 32 millions de livres sterling environ. (1) La plupart de ces installations devaient être construites en France et aux Pays-Bas: comme elles étaient destinées à servir aux puissances signataires du Traité de Bruxelles, il eût été évidemment injuste de faire supporter à ces deux pays la totalité du coût des constructions à effectuer sur leur territoire. C'est pourquoi les cinq Puissances convinrent de partager les charges afférentes à ce programme, qui fut désigné sous le nom de 'première tranche', -autre expression nouvelle du vocabulaire OTAN. Telle fut l'origine du principe du partage des dépenses que l'OTAN devait adopter par la suite pour les autres programmes d'infrastructure commune.

La mise au point du programme suivant - celui de la deuxième tranche - avait été commencée par l'Union. Occidentale, puis continuée par le SHAPE. A cette époque, comme nous l'avons vu au Chapitre V, les pays membres considéraient qu'ils approchaient de la limite des ressources financières qu'ils pouvaient consacrer au recrutement, au paiement, à l'instruction et à l'équipement de forces armées, et aux constructions nationales d'infrastructure nécessaires à ces forces. Dans ces conditions, il était clair qu'il ne leur serait pas facile de trouver des crédits supplémentaires pour l'infrastructure commune. Le coût de la deuxième tranche - 13 nouveaux aérodromes, l'extension de 8 autres, 53 projets pour les transmissions - était évalué à 79 millions de livres sterling. (2)

Le partage des dépenses

Le problème du partage de ces dépenses fût porté devant le Conseil des Suppléants en mars 1951. Différentes formules étaient proposées pour cette répartition. Les uns suggéraient que la contribution de chaque pays fût établie d'après sa 'capacité de paiement". Cette solution, apparemment simple, était en fait, hérissée de difficultés : il eut été pratiquement impossible d'obtenir l'accord de tous les pays sur une formule déterminant la capacité de paiement de chacun d'entre eux.

D'autres proposèrent d'appliquer le critère du 'pays utilisateur"; les pays devraient participer aux dépenses dans la mesure où leurs forces utiliseraient les installations en question. Mais qui pouvait prévoir exactement dans quelle proportion chacun des pays membres utiliserait ces installations en temps de guerre? Cette proposition fut donc écartée.

Le Conseil des Suppléants examina également dans quelle mesure il faudrait éventuellement tenir compte des avantages économiques que les pays hôtes tireraient de l'exécution de travaux d'une telle ampleur sur leur territoire : rentrées de devises fortes, amélioration des communications, utilisation de main-d'œuvre, etc ; mais en regard de ces avantages, on pouvait faire valoir que le pays hôte serait entraîné à des dépenses considérables pour l'acquisition des terrains et, dans le cas des aérodromes, pour l'aménagement des services publics nécessaires - énergie électrique, eau, égoûts, etc. - qui était assuré gratuitement à l'OTAN.

Malgré des discussions prolongées, les Suppléants ne parvinrent pas à se mettre d'accord sur l'une ou l'autre de ces solutions et le problème était demeuré entier lorsque le Conseil se réunit à Ottawa en septembre 1951. Après de laborieuses négociations, les Suppléants finirent par convenir d'une formule de partage des dépenses pour la deuxième tranche, dont le Conseil prit note. Etant donné que les installations prévues au titre de cette tranche devaient également être utilisées par les forces américaines et canadiennes affectées au Commandement Allié en Europe, les Etats-Unis et le Canada participèrent à ces dépenses avec les puissances qui avaient financé la première tranche. Les pays contributaires étaient donc au nombre de sept.

Le troisième programme d'infrastructure présenté par le SHAPE au début de 1952 était beaucoup plus important. Il prévoyait 53 nouveaux aérodromes, l'extension de 27 aérodromes déjà en cours de construction, 58 projets destinés à améliorer les installations de télécommunications et la construction de 10 quartiers généraux de guerre. Son montant était évalué à 152 millions de livres sterling.(3) Certaines des nouvelles installations devant être construites au Danemark, en Italie et en Norvège, ces trois pays allaient être amenés à supporter une part des dépenses. Le nombre des pays contributaires se trouva ainsi porté à dix.

A cette époque, le Comité Temporaire du Conseil avait établi son rapport et chaque pays membre était instamment invité à accroître progressivement ses forces armées et, par conséquent, à augmenter son budget de défense. Pour compliquer encore les choses, il était devenu évident que le coût réel du programme de la deuxième tranche excéderait de beaucoup les évaluations initiales. C'est pourquoi l'obligation de fournir une somme supplémentaire de 152 millions de livres sterling, bien qu'elle ne représentât qu'une fraction du total des dépenses de défense, fut en quelque sorte la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Il n'est pas étonnant qu'à la conférence de Lisbonne en 1952, un Comité Ministériel dut consacrer seize heures consécutives à ce problème avant d'obtenir un accord sur les modalités du partage des charges.

Facteurs nouveaux

Après la conférence de Lisbonne, il fallut tenir compte, dans l'élaboration des projets d'infrastructure, de plusieurs facteurs nouveaux, à savoir:

1. La création du Commandement Allié de l'Atlantique qui nécessitait la construction de nouvelles bases aériennes et l'amélioration des installations navales;
2. l'accession de la Grèce et de la Turquie à l'OTAN qui impliquait la construction d'installations de toutes sortes dans ces deux pays, et qui signifiait naturellement que les deux pays compteraient désormais au nombre des pays contributaires;
3. les forces aériennes, équipées d'avions à réaction demandaient de telles quantités de carburant que la construction de pipelines et d'entrepôts se révélait absolument indispensable;
4. la construction de bases d'entraînement pour les forces terrestres et
aériennes de l'OTAN et l'installation d'aides à la navigation aérienne devenaient elles aussi nécessaires. Il résulta de ceci que le coût de la quatrième tranche, tel qu'il fut évalué à l'origine par les commandements subordonnés, ne s'élevait pas à moins de 297 millions de livres sterling. A la demande du Conseil, les commandants suprêmes ramenèrent ce chiffre à 182 millions de livres sterling en conservant uniquement dans ce programme les éléments qui, dans la mesure où ils pouvaient alors le prévoir, seraient nécessaires en 1954. Malheureusement, lorsque le programme fut soumis au Conseil, c'est-à-dire à la session ministérielle de décembre 1952 à Paris, l'Examen Annuel pour l'année en cours n'était pas encore terminé. Pour cette raison, les débats sur le partage des dépenses se déroulèrent dans une atmosphère peu favorable : on ignorait en effet si les hypothèses émises par les commandants suprêmes au sujet des forces qui seraient disponibles en 1954 étaient réellement valables et si, par conséquent, l'estimation des travaux d'infrastructure nécessaires à leur soutien était effectivement fondée.

Comme première mesure, le Conseil invita donc les autorités militaires à réduire encore leur programme en éliminant toutes les installations dont la construction ne devait pas commencer immédiatement. Le montant fut ainsi ramené à 80 millions de livres sterling. Le Conseil réussit enfin à fixer les modalités du partage de cette somme et l'on décida d'attendre que les opérations de l'Examen Annuel fussent terminées pour régler la question du financement du solde de la quatrième tranche. Tous les pays de l'OTAN, sauf l'Islande, devaient contribuer au financement de la quatrième tranche et des tranches suivantes.

Le programme triennal

Aussitôt après la session ministérielle de décembre 1952, le Conseil décida que tout devait être mis en œuvre pour éviter le renouvellement des laborieuses discussions sur le partage des dépenses qui avaient eu lieu lors des trois sessions ministérielles précédentes. Il proposa l'élaboration d'une méthode de partage des dépenses pour un programme à long terme qui répondrait aux besoins militaires jusqu'à la fin de 1957. De cette façon, bien des discussions seraient épargnées aux ministres; on éviterait de réduire arbitrairement les programmes militaires, on pourrait entreprendre des constructions à long terme et les gouvernements seraient en mesure de prévoir en temps voulu les crédits budgétaires nécessaires à l'infrastructure.

En conséquence, le Conseil demanda aux autorités militaires une estimation approximative des dépenses et une description générale des programmes d'infrastructure commune qui seraient nécessaires pour les trois années à venir. Les autorités militaires furent seulement en mesure d'estimer ces programmes à un montant compris entre 235 millions et 315 millions de livres sterling. Le Conseil Permanent décida, après examen, qu'une somme de 250 millions de livres sterling serait consacrée à ce programme triennal, et il commença de négocier les pourcentages de contribution des gouvernements. Ces pourparlers permirent au Conseil, à sa session ministérielle d'avril 1953 à Paris, de parvenir sans délai à un accord sur le partage des dépenses, non seulement en ce qui concerne le programme triennal, mais aussi pour la partie de la quatrième tranche dont le financement était resté en souffrance lors de la précédente réunion - et dont le Conseil avait entre temps réduit le montant à 67 millions de livres sterling. Le spectre des discussions sur le partage des dépenses d'infrastructure, qui avait hanté les précédentes sessions ministérielles, était enfin exorcisé!

Aujourd'hui, la situation est la suivante: la première partie du programme triennal d'infrastructure commune, c'est-à-dire la cinquième tranche, qui s'élève à quelque 90 millions de livres sterling, a été approuvée par le Conseil en décembre 1953. Elle est consacrée pour une large part à l'achèvement du réseau de pipelines pour carburéacteur par le moyen de raccordements aux ports d'arrivée. Cette tranche prévoit encore l'amélioration de bases navales, particulièrement en Méditerranée, l'extension des installations de transmissions, notamment en Belgique, en Grèce, en Italie et en Turquie, et la fourniture d'aides à la navigation à longue portée dans la zone est de l'Atlantique.

Le controle des dépenses

Entre temps, le Comité de l'Infrastructure s'était patiemment efforcé de mettre au point les méthodes propres à assurer un contrôle efficace des dépenses communes d'infrastructure. Les règles qu'il a adoptées et qui sont actuellement en vigueur apportent une contribution remarquable à la solution de problèmes internationaux d'un caractère nouveau. Il existe une grande analogie entre ces règles et celles qui sont appliquées par chaque pays membre : en effet, la plupart des principes constitutionnels qui régissent la gestion des deniers publics dans chaque Etat membre se retrouvent dans la gestion du programme d'infrastructure de l'OTAN.

A l'échelon national, le pouvoir exécutif soumet au législatif une évaluation des dépenses nécessaires pour répondre aux demandes des autorités militaires. A l'OTAN, c'est le Comité Militaire qui doit soumettre au Conseil une évaluation détaillée des dépenses d'infrastructure. Dans chaque pays, le législatif soumet habituellement ces prévisions à l'examen d'une commission ; dans le cas de l'OTAN le Conseil a son Comité de l'Infrastructure, composé de membres des délégations permanentes, qui 'passe au crible' le programme d'infrastructure. A l'échelon national, le pouvoir législatif vote les crédits en se fondant sur des prévisions, étant entendu que le coût des travaux à effectuer devra être au plus égal - et si possible inférieur - aux crédits votés et que, si des crédits supplémentaires se révèlent nécessaires, il faudra les demander au pouvoir législatif. A l'OTAN il est de règle que, lorsqu'un pays hôte a mis au point des prévisions de dépenses pour un travail donné, l'autorisation de dépense doit être accordée par le Comité des Paiements et de l'Avancement des Travaux; cet organisme, composé de membres des délégations, a le droit d'examiner minutieusement l'évaluation soumise (avec le concours des experts techniques du Secrétariat International de l'OTAN) et de proposer d'autres méthodes qui permettraient d'exécuter les travaux à moins de frais et de façon également satisfaisante.

Le ministère qui est chargé de dépenser les deniers publics à l'achat de matériels destinés aux forces armées ou à la construction de bâtiments par exemple, ne peut adjuger de contrats qu'après avoir procédé à un appel d'offres équitable. De même, à l'OTAN, l'adjudication des contrats d'infrastructure donne lieu à un appel d'offres s'adressant à toutes les firmes honorablement connues des pays membres. Ce système des appels d'offres internationaux pour les travaux d'infrastructure n'a été institué que récemment; le principe fondamental sur lequel il repose est le suivant : puisque treize des pays membres de l'OTAN contribuent aux charges d'un projet donné, chacun d'eux doit avoir la possibilité de profiter des avantages économiques qu'entraîne cette réalisation.

Poursuivons la comparaison : chaque ministère doit tenir un état minutieux des dépenses qu'il a engagées et de la façon dont il a utilisé les crédits qui lui ont été octroyés par le Parlement. Dans un grand nombre de pays, il est de règle que des commissaires aux comptes, relevant directement du législatif et indépendants à l'égard de l'exécutif, examinent les registres afin de s'assurer que les crédits ont bien été dépensés aux fins pour lesquelles ils avaient été votés, et que toutes les économies possibles ont été réalisées ; ils soumettent ensuite leur rapport directement au pouvoir législatif. A l'OTAN, il existe un Bureau des Commissaires aux Comptes pour l'infrastructure, indépendant des pays hôtes et relevant directement du Conseil.

Les ministères chargés de dépenser les deniers publics pour la construction d'aérodromes, par exemple, s'assurent le concours d'ingénieurs hautement qualifiés pour diriger les travaux et en évaluer le coût. Ces experts déterminent les spécifications sur la base desquelles les firmes soumissionnaires établiront leurs offres. Les offres une fois reçues, ils les examinent du point de vue technique; à un stade ultérieur, ils participent à l'inspection des travaux pour s'assurer qu'ils ont été convenablement exécutés. De même, le Secrétariat International de l'OTAN compte des ingénieurs civils, des experts en télécommunications, et des spécialistes des questions de stockage et de pipelines pour les produits pétroliers. Leur action ne fait pas double emploi avec celle des experts des pays hôtes. Il leur incombe de vérifier les plans et spécifications soumis par les experts nationaux et d'inspecter les travaux avec ces derniers pour s'assurer qu'ils sont bien conformes aux besoins de l'OTAN.

Comment s 'élabore un programme

Afin de définir le rôle joué par les divers organismes responsables des programmes d'infrastructure commune, nous allons retracer brièvement l'évolution d'un programme type. Tout d'abord, les commandants subordonnés signalent à leurs commandants suprêmes les travaux d'infrastructure qu'ils désireraient voir exécuter sur les territoires de leur ressort. Les commandants suprêmes procèdent alors à la coordination de ces plans, et s'assurent d'une part que les installations proposées sont indispensables au soutien des forces dont la mise sur pied a été convenue au cours de l'Examen Annuel, d'autre part, qu'elles peuvent être utilisées en commun, conformément aux critères établis. Il est à remarquer qu'au cours de ce processus, les commandants suprêmes ont pu quelquefois opérer des réductions très sensibles dans les propositions de leurs subordonnés.

Au cours de l'élaboration de leurs programmes, les commandants suprêmes prennent l'avis des experts du Secrétariat International afin de s'assurer que :

1. les devis soumis par les pays hôtes sont raisonnables;
2. les projets sont techniquement valables;
3. il est satisfait aux besoins militaires, moyennant une dépense
minimum pour l'OTAN.

Le programme est ensuite transmis au Groupe Permanent et au Comité d'Infrastructure du Conseil de l'Atlantique Nord. Le Groupe Permanent l'étudié du point de vue de sa nécessité et de son urgence militaires ; il soumet ses observations au Comité Militaire. Le Comité de l'Infrastructure l'examine du point de vue financier et technique et s'assure que les installations projetées sont effectivement destinées à un usage commun et remplissent ainsi les conditions requises pour faire l'objet d'un financement international. Les rapports définitifs du Comité Militaire et du Comité de l'Infrastructure sont alors soumis au Conseil qui les étudie simultanément.

Histoire d'un aérodrome

II nous reste à dire comment les projets d'infrastructure sont exécutés. Nous prendrons l'exemple d'un projet isolé: la construction d'un aérodrome type de l'OTAN en Europe.

Dès que le projet a été approuvé du point de vue financier, l'entière responsabilité de la construction incombe au pays hôte. Celui-ci a pour première tâche de déterminer l'emplacement exact de l'aérodrome, les autorités militaires de l'OTAN n'ayant indiqué qu'une zone approximative. Il faut ensuite établir les plans de l'aérodrome et acquérir le terrain. Lorsqu'on saura qu'un aérodrome type de l'OTAN occupe une superficie d'environ 450 hectares et qu'un terrain de cette dimension appartient souvent à plusieurs propriétaires - dont le nombre peut aller jusqu' à cinquante - on comprendra que cette acquisition soulève des problèmes juridiques, économiques et financiers considérables. Pour ce qui est de l'aspect financier du problème, le gouvernement du pays hôte doit non seulement acheter le terrain, aucun frais pour l'OTAN, mais aussi, dans bien des cas, fournir une compensation aux propriétaires expropriés en les réinstallant ailleurs. Si généreuses que puissent être les conditions offertes aux propriétaires, les objections qui s'opposent au déplacement d'un cultivateur, dont la famille exploite peut-être ces terres depuis des générations, sont évidentes.

Pendant qu'il est procédé aux acquisitions de terrain, les ingénieurs du pays hôte dressent le 'plan de masse' de l'aérodrome. S'il s'agit d'un aérodrome principal destiné, par exemple, à être utilisé dès le temps de paix par les forces aériennes du Canada ou des Etats-Unis, ce plan est établi en consultation avec les autorités canadiennes ou américaines, afin qu'il puisse être tenu compte des installations supplémentaires qu'elles demandent et dont elles assurent elles-mêmes le financement. Ce plan de masse est ensuite soumis à l'approbation du SHAPE.

Une fois le plan approuvé, les autorités du pays hôte établissent un devis détaillé des travaux, qui doit être approuvé par le Comité des Paiements et de l'Avancement des Travaux du Conseil de l'Atlantique Nord, avant tout engagement de fonds. Il arrive souvent que ce Comité suggère des modifications au plan, qui permettent de réduire très sensiblement les dépenses. Dans presque tous les cas, le gouvernement hôte invite ensuite tous les pays membres de l'OTAN à soumissionner et notifie aux délégations nationales les dates d'ouverture et de clôture de l'appel d'offres.

Dès que l'entrepreneur a été choisi, les travaux commencent. Une fois la construction en cours, des techniciens du Secrétariat International, des représentants du Commandant Suprême et du pays utilisateur se rendent sur les lieux et soumettent en temps voulu au Comité de l'Infrastructure du Conseil et au Commandant Suprême des rapports sur l'avancement des travaux; de son côte, le gouvernement du pays hôte adresse à l'OTAN des demandes de remboursement de fonds qui seront dépensés au cours du prochain trimestre, conformément à l'autorisation du Comité des Paiements et de l'Avancement des Travaux. Les sommes sont remboursées suivant la formule de partage des dépenses en vigueur.

On pourrait penser que la procédure de préparation et de construction d'un projet d'infrastructure est d'une complication et d'une longueur excessives. Dans une certaine mesure, cette complication et cette longueur sont inévitables, en raison de la complexité des accords multilatéraux et de la nécessité d'observer les règles de la plus stricte économie. Il faut se souvenir, premièrement qu'un grand nombre d'autorités interviennent dans la plupart de ces opérations - le pays hôte, le pays utilisateur, le Conseil de l'Atlantique Nord (par l'intermédiaire du Comité de l'Infrastructure, du Comité des Paiements et de l'Avancement des Travaux et du Secrétariat International), le Groupe Permanent, le Commandant Suprême et les commandants subordonnés ; en deuxième lieu, que les installations ont généralement un caractère hautement technique, sont d'une très grande diversité et doivent répondre en tous points aux normes imposées par les autorités militaires ; troisièmement, qu'elles doivent être construites dans douze pays différents d'Europe; enfin, que si l'on veut que les crédits de l'OTAN soient utilisés au mieux, des vérifications et contre-vérifications, un examen critique, et un 'élagage' des plus rigoureux sont indispensables à tous les stades.

Néanmoins, l'OTAN s'efforce sans cesse de simplifier et d'accélérer ces procédures.

Résultats obtenus

Nous terminerons ce chapitre en résumant les réalisations de l'OTAN dans le domaine de l'infrastructure commune. Au 1er juillet 1954, des crédits s'élevant à 700 millions de livres sterling avaient été approuvés et des programmes détaillés, d'un coût évalué à 540 millions de livres sterling, avaient été mis au point et adoptés; le solde de 160 millions de livres sterling sera consacré à des projets supplémentaires qui seront entrepris en 1955 et 1956.

Aérodromes : En avril 1951, lorsque le commandement du Général Eisenhower fut mis en service, 15 aérodromes seulement étaient utilisables. En avril 1954, le Général Gruenther disposait d'environ 125 aérodromes utilisables (sinon tous entièrement achevés). 40 autres aérodromes actuellement en construction, doivent être achevés en 1955. Sur ce programme d'ensemble, 135 aérodromes sont situés dans les pays membres et le reste en Allemagne. Tous les aérodromes sont conformes aux normes établies par les autorités militaires de l'OTAN et peuvent être utilisés par les avions de tous types, ce qui assure une liberté totale dans le déploiement des forces aériennes.

Transmissions : En avril 1951, le réseau de transmissions disponible était absolument insuffisant pour répondre aux besoins militaires. A l'heure actuelle, plus de 300 nouveaux projets sont en voie de réalisation, du nord de la Norvège jusqu'en Turquie. La moitié d'entre eux environ sont déjà achevés et les autres seront terminés dans le courant de 1954 et 1955. On estime que 16.000 kilomètres de lignes terrestres, 10.000 kilomètres de circuits de relais radio et 1.700 kilomètres de câbles sous-marins auront alors été ajoutés aux réseaux civils existants. Outre leur utilité militaire, il est évident que ces installations renforceront notablement, dès le temps de paix, certains réseaux de télécommunications civils d'Europe. Des quartiers généraux de guerre, reliés au réseau des télécommunications, sont en cours de construction.

Réseaux d'approvisionnement en carburants: La consommation énorme de car-buréacteur par les avions modernes a rendu périmées les méthodes traditionnelles d'approvisionnement en carburants par rail et par route. Chaque fois que c'est possible, le carburéacteur doit donc être transporté par un système de pipelines. La construction de ce réseau a été entreprise en automne 1953 après que des normes de base et des spécifications essentielles eurent été mises au point et acceptées par tous les pays intéressés. Les commandes de tubes, d'acier pour les réservoirs, et de matériel pour stations de pompage ont été passées et les premiers pipelines sont déjà posés.

Dans le seul secteur Centre-Europe, plus de 3.500 kilomètres de pipelines, reliés entre eux, vont être posés, des stations de pompage d'une puissance totale de plus de 100.000 CV et des réservoirs d'une capacité totale dépassant 700.000 m3 vont être construits. Des réseaux moins importants sont en cours de construction en Turquie, en Grèce, en Italie, au Danemark et en Norvège. On prévoit que l'ensemble du système, représentant 6.100 kilomètres de pipelines et 1.283.000 m3 de réservoirs de stockage, fonctionnera d'ici la fin de 1956.

Plus des trois quarts des fonds engagés sont consacrés à la réalisation des projets indiqués ci-dessus.

Installations d'entraînement : Quatre bases d'entraînement pour les forces aériennes sont en voie de construction dans la région méditerranéenne, où les conditions atmosphériques sont favorables et permettent un maximum d'heures de vol pendant la période d'entraînement. Ces bases peuvent recevoir à la fois 300 officiers et 1.100 hommes pour l'entraînement au tir air-air et au bombardement.

Pour les forces terrestres, il est prévu des terrains d'entraînement qui permettront des manœuvres d'ensemble de tous les éléments d'une division d'infanterie ou d'une grande partie d'une division blindée. Des terrains d'entraînement pour chars permettront d'mstruire, pendant toute l'année, un bataillon de chars ou une unité équivalente à la fois.

Installations navales : Environ vingt-six installations destinées aux forces navales sont en voie de construction. Ces travaux consistent surtout en la construction d'entrepôts pour produits pétroliers, carburants, lubrifiants et munitions dans les bases navales. Les besoins du Commandement de l'Atlantique n'ont pas été oubliés : des installations portuaires sont prévues, ainsi que des aérodromes pour les forces aéronavales et un circuit de stations d'aide à la navigation à longue portée dans l'est de l'Atlantique, qui assureront la protection des forces navales dans cette région.

Parmi les projets d'infrastructure de moindre importance, citons les stations d'aide à la navigation aérienne et de radar de guet, qui doivent servir à combler les lacunes des réseaux nationaux.

Pour résumer, on ne peut manquer d'être impressionné par l'ampleur des réalisations communes de l'OTAN dans le domaine de l'infrastructure. Du point de vue militaire, il eût été impossible d'atteindre sur une base nationale ou même bilatérale le volume des travaux d'infrastructure réalisés ou en cours ; des points de vue financier et constitutionnel, nous nous trouvons, pour l'utilisation de fonds affectés à une entreprise internationale, en présence d'une technique nouvelle remarquable. Du point de vue politique enfin, le succès d'un effort commun d'une telle envergure est tout à l'honneur de l'esprit de compréhension mutuelle et de solidarité dans l'action qui se sont développés au sein de la Communauté Atlantique. Dans le domaine de l'infrastructure, les pays membres de l'OTAN ont travaillé ensemble à la réussite d'une entreprise qui doit les servir individuellement et collectivement. C'est là que réside le fondement même de l'Alliance Nord-Atlantique.


Notes:

  1. L'Union Occidentale estimait ses projets d'infrastructure en livres sterling. L'OTAN a continué d'estimer ses propres projets dans cette même unité monétaire.
  2. Des estimations ultérieures ont porté ce chiffre à 124,76 millions de livres sterling en décembre 1953.
  3. Des estimations ultérieures ont porté ce chiffre à 183,22 millions de livres sterling en décembre 1953.

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