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Mise à jour: 06-Dec-2001 OTAN les cinq premières années 1949-1954


 

 

Partie 1
Chapitre 1


par Lord Ismay

Secrétaire général
de l'OTAN


(1952 - 1957)

 

Origine du Traité de l'Atlantique Nord

Au lendemain de la victoire

Le 26 juin 1945, peu après l'effondrement de l'Allemagne nazie et quelques semaines avant la capitulation du Japon, les représentants de cinquante nations signaient à San-Francisco la Charte des Nations Unies. Les peuples du monde entier se prirent à espérer qu'après l'une des guerres les plus cruelles de l'histoire, une ère de paix allait enfin s'ouvrir. Certes, ils n'avaient pas oublié que la Société des Nations avait, elle aussi, tenté d'établir un système de sécurité collective, et qu'elle avait échoué. Mais cette fois-ci, la situation était différente: toutes les grandes puissances qui avaient survécu à répreuve étaient membres fondateurs de la nouvelle organisation internationale et la quasi-totalité de ce qui restait de puissance et de richesse dans le monde était mise à son service.

La Charte reposait sur deux hypothèses fondamentales: tout d'abord que les cinq puissances détenant un siège permanent au Conseil de Sécurité - c'est-à-dire la Chine, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et l'Union Soviétique - parviendraient à un accord durable sur les principaux problèmes ; en deuxième lieu, qu'en dehors des revendications déjà connues de la Russie à l'égard du Japon, aucune de ces puissances ne chercherait à obtenir des gains territoriaux. Malheureusement, aucune de ces hypothèses ne s'est vérifiée. Si nous jetons un regard sur les événements des neuf dernières années, nous voyons que, dès l'effondrement du Reich, les pays occidentaux - dont certains venaient à peine d'être libérés de l'occupation ennemie - se trouvèrent exposés à un nouveau péril venant, cette fois, de la Russie communiste. La défaite des deux grandes puissances militaires et industrielles, l'Allemagne et le Japon, avait laissé un vide considérable à l'ouest et à l'est de l'Union Soviétique. L'histoire de la période qui suivit immédiatement la fin de la guerre nous montre, en résumé, comment le Kremlin, profitant de circonstances exceptionnellement favorables, se servit de la force combinée de l'armée Rouge et du communisme mondial pour mener une politique d'expansion -et quelles furent les réactions du reste du monde.

En 1945 déjà, les optimistes les plus impénitents ne pouvaient affirmer que l'horizon international fût clair et le Premier Ministre britannique, M. Winston Churchill, n'était pas seul à éprouver les angoisses qu'il exprimait le 12 mai 1945 dans son télégramme au président Truman (1)

'La situation européenne m'inquiète profondément', écrivait-il. 'J'apprends que la moitié de l'aviation américaine a déjà commencé à se déplacer vers le Pacifique. Les journaux sont remplis des grands mouvements des armées américaines quittant l'Europe. Nos armées aussi, conformément à des accords antérieurs, vont subir une réduction notable. L'année canadienne s'en ira très certainement. Les Français sont faibles... Dans un bref délai, notre puissance militaire se sera évanouie, hormis les effectifs modérés qui demeureront pour occuper l'Allemagne.

'Que se passera-t-il entre temps du côté de la Russie?... J'éprouve une inquiétude très profonde en raison des interprétations erronées des accords de Yalta par les Russes, de leur attitude envers la Pologne, de l'influence prédominante exercée par eux dans les Balkans, sauf en Grèce, des difficultés qu'ils provoquent au sujet de Vienne, de la combinaison de leur puissance et des territoires occupés ou contrôlés par eux avec l'emploi de la technique communiste dans tant d'autres pays, et surtout de la possibilité qu'ils ont d'entretenir pendant longtemps d'immenses armées en campagne. Quelle sera la situation dans un an ou deux? A cette date, les armées américaines et britanniques auront fondu, les Français seront encore loin d'être organisés sur une grande échelle... Tandis que la Russie pourra décider de conserver deux ou trois cents divisions en activité.

'Un rideau de fer s'est abattu sur leur front. Nous ignorons tout ce qui se passe derrière... Une bande de territoire large de plusieurs centaines de kilomètres nous isolera de la Pologne.

'Pendant ce temps, l'attention de nos peuples sera retenue par les châtiments à imposer à une Allemagne en ruines et prostrée. Ainsi, dans très peu de temps, il sera loisible aux Russes d'avancer, s'ils le veulent, jusqu'aux rives de la mer du Nord et de l'Atlantique...'

L'ouest désarme

Les démocraties occidentales, malgré toutes ces incertitudes, hésitèrent longtemps à reconnaître les implications de la politique soviétique. Fidèles à leurs engagements du temps de guerre, et cédant aux exigences de leurs opinions publiques, l'Amérique et la Grande-Bretagne retirèrent rapidement du continent le gros de leurs armées. A l'exception des forces d'occupation et des unités engagées dans d'autres parties du monde, elles démobilisèrent la plupart de leurs troupes. Les soldats voulaient rentrer chez eux; les peuples étaient las de la guerre et souhaitaient l'oubli; les tâches immenses de la reconstruction absorbaient l'énergie des nations d'Europe.

Le jour de la capitulation de l'Allemagne, les forces armées des Etats-Unis en Europe s'élevaient à 3.100.000 hommes: en un an elles furent réduites à 391.000 hommes. Au moment de la victoire, le Royaume-Uni avait 1.321.000 hommes sur le continent: un an plus tard, il n'en avait plus que 488.000. En mai 1945, les troupes canadiennes en Europe comptaient 299.000 hommes; en 1946, ils étaient tous rentrés chez eux. Dans le même temps, l'Union Soviétique continuait de maintenir ses forces sur le pied de guerre et de faire travailler ses industries d'armement à plein rendement. Un bref résumé des principaux événements des années 1945 à 1949 va nous montrer combien la bonne foi des puissances occidentales et leurs efforts sincères pour coopérer avec la Russie se révélèrent vains.

La conciliation échoue

Les puissances occidentales, se souvenant des magnifiques qualités guerrières de l'Armée Rouge et aussi des souffrances infligées au peuple soviétique par l'envahisseur nazi, allèrent jusqu'aux limites extrêmes de la conciliation; elles ne négligèrent aucun effort pour parvenir à un arrangement avec le gouvernement soviétique et pour faire de l'organisation des Nations Unies un instrument de paix efficace. Elles ne rencontrèrent que de l'obstruction.

A San-Francisco, en 1945, la Pologne ne siégeait pas à la table de conférence parce que la Russie et les puissances occidentales n'avaient pu s'entendre sur la composition du gouvernement provisoire polonais. A la conférence des ministres des Affaires Etrangères qui se tint en septembre à Londres, trois mois à peine après la signature de la Charte des Nations Unies, M. Molotov s'opposa à toute discussion des propositions de M. Ernest Bevin relatives à l'ouverture d'une enquête impartiale sur la situation en Roumanie et en Bulgarie.

C'est seulement après avoir fait des concessions sur l'Extrême-Orient que les ministres occidentaux purent, deux mois plus tard, obtenir l'accord des Russes sur une procédure d'élaboration de traités de paix avec l'Italie, la Finlande et les anciens satellites de l'Allemagne dans les Balkans. La Conférence de la Paix s'ouvrit à Paris le 29 juillet 1946 et, le 10 février 1947, des traités de paix étaient signés avec l'Italie, la Finlande, la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie.

En mars 1947, les ministres des Affaires Étrangères se réunirent à Moscou pour discuter des projets de traités de paix avec l'Allemagne et l'Autriche. Ils ne purent s'entendre sur le sort qui devait être réservé à l'Allemagne. Lorsque les ministres occidentaux quittèrent la capitale soviétique à la fin d'avril, le problème restait entier et le schisme survenu dans l'alliance qui avait vaincu l'Axe semblait irrémédiable. Une nouvelle conférence des ministres des Affaires Étrangères se réunit à Londres en novembre 1947. Elle ne fit que confirmer l'impossibilité d'un accord. Peu de temps après, les représentants soviétiques cessèrent de participer au Conseil de Contrôle Allié à Berlin.

Il est vrai que les ministres des Affaires Étrangères se réunirent une fois encore à Paris en mai 1949 pour discuter des problèmes de l'Allemagne et de l'Autriche, et qu'en 1951, leurs suppléants consacrèrent entièrement les 109 jours que dura l'infortunée conférence du Palais Rosé à Paris à tenter d'établir l'ordre du jour d'une nouvelle réunion à l'échelon ministériel. Mais on peut dire qu'en fait la conférence de Moscou de 1947 marqua, après la guerre, la fin de la coopération entre la Russie et les pays démocratiques.

L'expansion soviétique

Cependant, l'expansion soviétique, qui avait déjà commencé pendant la guerre par l'annexion pure et simple de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lithuanie ainsi que de certaines parties de la Finlande, de la Pologne, de la Roumanie, du nord-est de l'Allemagne et de la Tchécoslovaquie orientale - ce qui représentait un total de 530.000 km2 environ et de près de 25 millions d'âmes - se poursuivit inexorablement après la défaite de l'Allemagne. La présence des armées rouges victorieuses au cœur de l'Europe, jointe à l'action politique de l'URSS, contraignit l'Albanie, la Bulgarie, la Roumanie, l'Allemagne orientale, la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie à tomber sous la domination soviétique. Ces pays, d'une superficie totale de 1.400.000 km2, avec environ 87 millions d'habitants non russes et un revenu national total équivalant à la moitié environ du revenu national de l'URSS, furent incorporés à l'empire soviétique par un procédé de 'conquête sans guerre'. Bientôt, les pays s'atellites se trouvèrent solidement liés à Moscou et entre eux par un réseau d'accords politiques, économiques et militaires : vingt-trois traités de ce genre furent signés en Europe orientale entre 1943 et 1949.(2)

M. Paul-Henri Spaak, Premier Ministre et Ministre des Affaires Etrangères de Belgique, résuma en termes frappants l'histoire de l'expansion soviétique. Il déclara devant l'Assemblée Générale des Nations Unies en 1948: '... Un seul grand pays est sorti de la guerre ayant conquis d'autres territoires et ce grand pays, c'est l'Union Soviétique".

Il n'est pas sans intérêt de mentionner également ici la pression exercée directement ou indirectement par l'URSS dans diverses parties du monde : dans le nord de l'Iran, où les Russes cherchèrent en vain à maintenir leurs troupes après la guerre ; en Turquie, où le gouvernement et le peuple résistèrent l'un et l'autre à toutes les tentatives d'intimidation; en Grèce, où la guérilla commencée en 1944 devint en 1946 une véritable guerre, les rebelles recevant des renforts à partir de bases situées dans les Etats communistes voisins. En Asie, l'Union Soviétique avait étendu considérablement son influence en occupant, en 1945, la plus grande partie de la Mandchourie et de la Corée du Nord. Tandis que la guerre civile atteignait son paroxysme en Chine, l'agitation communiste s'intensifiait dans tout le sud-est asiatique : la France et les Etats Associés étaient engagés depuis quelque temps, en Indochine, dans des opérations d'envergure contre une rébellion dirigée par les communistes. De même, d'importantes forces britanniques étaient immobilisées en Malaisie par des guérillas, également d'inspiration communiste.

L'appui des Etats-Unis

La situation allait s'aggravant dans le monde entier. Il se révélait impossible d'arriver à un accord avec les Soviets sur aucun des problèmes internationaux. A Lake Success, les efforts répétés des pays du monde libre pour établir un plan général de désarmement, ainsi qu'un système de contrôle de la production et de l'utilisation de l'énergie atomique, avaient complètement échoué. De l'autre côté du rideau de fer, ne parvenaient que menaces et propos calomnieux. Mais en 1947 l'Europe meurtrie devait voir des mains secourables se tendre vers elle de l'autre rive de l'Atlantique.

Au mois de mars de cette année là, l'issue de la lutte en Grèce était encore incertaine. Il semblait évident que, privée de l'aide militaire et financière substantielle apportée jusqu'alors par la Grande-Bretagne, mais dont celle-ci ne pouvait plus supporter la charge, la Grèce devrait se soumettre aux communistes et serait entraînée derrière le rideau de fer, ce qui laisserait la Turquie et tout le Moyen-Orient à la merci de l'Union Soviétique.

La réaction des Etats-Unis fut prompte et décisive. Le Président Truman déclara devant le Congrès le 12 mars 1947: 'Je crois que les Etats-Unis doivent avoir pour politique de soutenir les peuples libres qui résistent aux tentatives d'asservissement exercées contre eux par des minorités armées ou par des pressions extérieures'. A la suite de cette déclaration, à laquelle resta attaché le nom de 'doctrine Truman', le Congrès vota des crédits de 400 millions de dollars pour l'aide à la Grèce et à la Turquie jusqu'en juin 1948, et autorisa l'envoi dans ces pays de missions civiles et militaires américaines.

La 'doctrine Truman' avait pour but de parer à la menace qui pesait sur la Grèce et la Turquie - mais la situation dans toute l'Europe occidentale n'était pas moins alarmante. Jusqu'alors, les pays libres d'Europe avaient considéré les tâches de reconstruction de l'après-guerre comme autant de problèmes nationaux distincts. Malgré l'aide d'urgence que chacun d'eux recevait des Etats-Unis pour remédier à ses pénuries les plus criantes, le mécanisme de l'économie européenne demeurait enrayé; l'Europe occidentale allait bientôt se trouver au bord de l'effondrement économique.

C'est dans ces circonstances critiques que, le 5 juin 1947, le Général George C. Marshall (alors Secrétaire d'Etat des Etats-Unis) prononça à Harvard le discours qui devait être le point de départ du programme de relèvement européen. IL dit notamment : 'La vérité est que les besoins de l'Europe pendant les trois ou quatre prochaines années en vivres et en autres produits essentiels importés de l'étranger, notamment d'Amérique, sont tellement plus grands que sa capacité actuelle de paiement qu'elle devra recevoir une aide supplémentaire très importante, ou s'exposer à une dislocation économique, sociale et politique très grave'.

Le Général Marshall estimait logique que les Etats-Unis vinssent en aide à l'Europe. Il suggéra que les pays d'Europe se missent d'accord sur leurs besoins, et que le futur programme établi par leurs gouvernements fût un 'programme commun ayant reçu l'agrément d'un certain nombre de nations européennes, sinon de toutes'.

Le Général Marshall indiquait par ailleurs clairement que la politique américaine n'était 'dirigée ni contre un pays ni contre une doctrine, mais contre la faim, la pauvreté, le désespoir et le chaos'. En fait, cette offre d'assistance économique s'adressait également à l'Union Soviétique et aux pays situés derrière le rideau de fer. Mais Staline refusa toute aide américaine pour l'URSS - et malgré l'intérêt manifesté tout d'abord par la Tchécoslovaquie et la Pologne, il obligea les gouvernements de ces pays à faire de même. Sa réplique fut de créer le Kominform. Cette organisation devait grouper les partis communistes de neuf pays du continent européen et se fixer pour but la lutte contre le plan Marshall 'instrument de l'impérialisme américain'.

Toutefois, le péril qui menaçait les démocraties occidentales n'était pas seulement d'ordre économique. L'URSS avait paralysé l'action du Conseil de Sécurité des Nations Unies par l'usage abusif du droit de veto. Elle maintenait sous les drapeaux une armée forte de quatre millions -et demi d'hommes, équipés, en majeure partie, avec les armes les plus modernes. En même temps, elle procédait dans les pays satellites à l'organisation d'armées sur le modèle soviétique - et cela en dépit du fait que le réarmement de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Hongrie constituait une violation directe des traités de paix signés en 1947 avec ces trois pays. Enfin, les industries de guerre soviétiques fonctionnaient à plein rendement.

Devant cette menace, l'Ouest ne disposait que de forces peu nombreuses, mal coordonnées et dotées d'un matériel moderne insuffisant. Rien - si ce n'est le fait que l'Amérique possédait la bombe atomique - ne pouvait faire obstacle à une éventuelle invasion de l'Europe occidentale par les Soviets. Pour les pays libres d'Europe la seule façon de commencer à rétablir l'équilibre des forces était de s'unir, et cela non seulement pour réaliser leur relèvement économique mais aussi pour assurer la défense de leurs foyers. Voyons comment ils s'acquittèrent de cette entreprise,

Le Traité de Bruxelles

L'idée d'une alliance défensive des nations ayant des idéaux communs, dans le cadre des Nations Unies, avait déjà été lancée par M. Churchill dans un discours prononcé à Fulton (Missouri), en mars 1946. Bien que peu favorablement accueillie à l'époque, cette suggestion ne fut pas oubliée; un an plus tard environ, elle fut reprise et développée par M. Louis S. St. Laurent, alors Secrétaire d'Etat canadien aux Affaires Extérieures. Parlant devant l'Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 1947, M. St. Laurent exprima l'inquiétude des nations pacifiques devant l'incapacité du Conseil de Sécurité d'assurer leur protection. 'Si elles y sont contraintes', dit-il, 'il est possible que ces nations recherchent une sécurité plus grande dans une association d'Etats démocratiques et pacifiques disposés à accepter des obligations internationales plus précises en échange d'une sécurité nationale mieux assurée'. Les événements vinrent bientôt confirmer cette opinion.

Le 22 janvier 1948, à la Chambre des Communes, M. Bevin suggéra une formule d'union occidentale consistant en un réseau d'accords bilatéraux. Il cita le Traité de Dunkerque, de mars 1947, qui avait jeté les bases solides d'une collaboration entre la France et la Grande-Bretagne; puis il parla de la nécessité de conclure des accords similaires avec la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, et de constituer ainsi 'un noyau important en Europe occidentale'. 'Nous devrons envisager', dit-il encore, 'l'association d'autres membres traditionnels de la civilisation européenne, et notamment de l'Italie nouvelle, à cette grande entreprise... Nous concevons l'Europe occidentale comme un tout'.

M. Bevin avait déjà fait connaître au Secrétaire d'Etat américain son désir de créer, 'sous une forme ou sous une autre, une union des pays de l'Europe occidentale, soutenue par les Américains et les Dominions'. Bien que l'idée fut chaleureusement accueillie par le Général Marshall, on estimait toutefois à Washington qu'étant donné que le Traité de Dunkerque avait été expressément conçu pour éviter le retour d'une agression allemande, il serait peut-être préférable de prendre pour modèle le Traité de Rio, conclu entre les Etats-Unis et les pays de l'Amérique latine et qui était une alliance de défense collective contre toute agression. Les trois gouvernements du Bénélux firent également savoir à Londres et à Paris qu'ils considéraient des accords conçus sur le modèle du Traité de Dunkerque comme insuffisants.

Tandis que ces problèmes étaient à l'étude, le coup d'état communiste du 22 février 1948, à Prague, vint soudain rappeler à l'Ouest que le temps pressait. Staline se montrait un maître de la technique hitlérienne consistant à dévorer ses ennemis on à un.

Le 4 mars 1948, des représentants de la Belgique, de la France, du Luxembourg, des Pays-Bas et du Royaume-Uni se réunirent à Bruxelles pour discuter les termes d'un traité d'assistance mutuelle. Le même jour, M. Georges Bidault, Ministre des Affaires Etrangères de la France, adressa un message éloquent au Général Marshall:

'Le moment est venu', écrivait-il, 'de resserrer sur le terrain politique et, le plus vite qu'il se pourra, sur le terrain militaire, la collaboration de l'ancien et du nouveau monde, si étroitement solidaires dans leur attachement à la seule civilisation qui vaille'. M. Bidault affirmait que la France, avec la Grande-Bretagne, était résolue à faire tout ce qui serait en son pouvoir pour organiser la défense commune des pays démocratiques d'Europe. Il exprimait sa profonde reconnaissance pour l'aide économique apportée par les Etats-Unis mais il soulignait, comme l'avait déjà fait M. Bevin, que la volonté des pays d'Europe de résister à l'agression ne pourrait être efficace qu'avec une aide américaine. Il proposait des consultations politiques et l'examen des problèmes techniques 'que pose la défense en commun contre un péril qui peut être immédiat".

Quelques jours plus tard, M. Bevin avertit Washington que les Soviets pourraient faire pression sur la Norvège pour qu'elle négociât un accord de défense mutuelle (une démarche analogue avait été faite auprès de la Finlande un an auparavant) et il demanda que fût examiné sans retard le problème de la sécurité de la région de l'Atlantique Nord. Dans sa réponse à M. Bidault, le Général Marshall répéta ce qu'il avait déjà dit à M. Bevin: le gouvernement des Etats-Unis partageait pleinement les préoccupations de la France, mais les pays d'Europe occidentale devaient montrer ce qu'ils étaient prêts à faire pour eux-mêmes, et l'un pour l'autre, avant de demander une nouvelle aide aux Etats-Unis.

Le Traité de Bruxelles fut signé le 17 mars 1948, par la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Ces pays s'engageaient à constituer un système défensif commun et à renforcer leurs liens économiques et culturels. Le Traité prévoyait comme instance suprême de l'Union Occidentale, un Conseil Consultatif, composé des cinq ministres des Affaires Etrangères, duquel devait relever un Comité de Défense Occidentale composé des ministres de la Défense. L'Article IV du Traité stipulait que, dans le cas où l'une des parties contractantes serait l'objet d'une 'agression armée en Europe', les autres signataires du Traité 'lui porteraient aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres'. Le Traité était conclu pour une durée de cinquante ans.(3)

Le jour de la signature du Traité, le Président Truman déclara devant le Congrès américain : 'Je suis certain que la résolution des pays libres d'Europe de se protéger eux-mêmes s'accompagnera d'une résolution égale du nôtre de les aider à le faire'. Ces paroles étaient d'une importance capitale. Les puissances signataires du Traité de Bruxelles tenaient pour assuré que les projets de l'Amérique iraient au-delà d'une promesse d'aide après l'agression - et après une occupation soviétique - ce qui, pour reprendre les termes du Président du Conseil français, M. Henri Queuille, reviendrait en fait à tenter de 'libérer un cadavre'.

Le Traité de Bruxelles venait à peine d'être signé que les Russes commençaient le blocus de Berlin-Ouest; il devait durer 323 jours et être mis en échec par l'exploit prodigieux du pont aérien. C'est dans ce climat de défi et de tension que furent accélérées l'organisation de la défense occidentale et la négociation du traité de l'Atlantique Nord.

Le 30 avril 1948, les ministres de la Défense et les chefs d'état-major des cinq pays signataires du Traité de Bruxelles se réunirent à Londres pour étudier les besoins de leurs pays en matériel militaire, pour rechercher dans quelle mesure ces besoins pouvaient être satisfaits par leur propre production et pour déterminer l'étendue de l'aide supplémentaire qu'il leur faudrait demander aux Etats-Unis. Il est à noter qu'à partir de juillet 1948, des experts américains et canadiens assistèrent à ces réunions en qualité 'd'observateurs'. Ceci préfigurait déjà les accords à venir.

En septembre, il fut décidé de créer un organisme militaire appelé Organisation de Défense de l'Union Occidentale. Le Field Marshal Montgomery fut nommé président permanent du Comité des Commandants en Chef (Terre, Mer, Air) et il établit son quartier général à Fontainebleau (France). Des commandants en chef furent désignés : le Général de Lattre de Tassigny (France) pour les forces terrestres, l'Air Chief Marshal Sir James Robb (Royaume-Uni) pour les forces aériennes et le Vice-Amiral Jaujard (France) pour les forces navales.

L'Union Occidentale allait apporter une contribution des plus importantes à la défense du monde libre. Son existence même, en temps de paix, prouvait que ses membres étaient résolus à unir leurs efforts pour résister à l'agression. De plus, cette organisation accomplit, ainsi qu'on le verra plus loin, un travail préparatoire considérable, aussi bien dans le domaine civil que dans le domaine militaire, qui devait se révéler plus tard d'une grande valeur pour l'OTAN.

La Resolution Vandenberg

Le plus grand pas en avant restait cependant à faire. Le 11 avril 1948, le Secrétaire d'Etat Marshall et le Sous-Secrétaire Robert M. Lovett ouvrirent des entretiens préliminaires avec les sénateurs Arthur H. Vandenberg et Tom Connally sur les problèmes de la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord. Le 28 avril 1948, l'idée d'un système unique de défense mutuelle englobant et dépassant celui du Traité de Bruxelles fut publiquement avancée par M. St. Laurent à la Chambre des Communes du Canada. Une semaine plus tard, à Westminster, M. Bevin commentait favorablement cette suggestion. A peu près au même moment, le sénateur Vandenberg préparait, en consultation avec le Département d'Etat, une résolution qui recommandait notamment 'l'association des Etats-Unis par les voies constitutionnelles, avec des mesures régionales ou collectives, fondées sur une aide individuelle et mutuelle, effective et continue' et leur 'contribution au maintien de la paix en affirmant leur détermination d'exercer le droit de légitime défense individuelle ou collective (Artice 51 de la Charte des Nations Unies) en cas d'attaque armée affectant leur sécurité nationale". (4)

Le 11 juin 1948, la Résolution no 239 ~ plus connue sous le nom de résolution Vandenberg - fut votée par le Sénat des Etats-Unis par 64 voix contre 4. Elle marquait l'évolution frappante qui s'était produite dans la politique étrangère et de défense de l'Amérique en temps de paix et elle mettait les Etats-Unis en mesure, sur le plan constitutionnel, d'entrer dans l'Alliance Atlantique.

Négociation du Pacte Atlantique

Les pourparlers préliminaires qui devaient aboutir à la conclusion du traité de l'Atlantique Nord s'ouvrirent à Washington le 6 juillet 1948 entre le Département d'Etat et les ambassadeurs du Canada et des puissances de l'Union Occidentale. Il fut convenu, dès le début, que tout traité de défense commune liant des pays situés de part et d'autre de l'Atlantique devrait s'inscrire dans le cadre de la Charte des Nations Unies. Les pourparlers se terminèrent le 9 septembre 1948 par un rapport aux gouvernements, recommandant notamment que le futur traité :

  • favorise la paix et la sécurité;
  • exprime la résolution des Hautes Parties Contractantes de résister à toute agression;
  • définisse la zone dans laquelle il serait applicable;
  • repose sur les principes de défense individuelle et d'aide mutuelle;
  • ait plus que des objectifs militaires: c'est-à-dire vise à assurer la stabilité et le bien-être des peuples nord-atlantiques;
  • prévoie les organismes nécessaires à sa mise en œuvre. Les gouvernements accordèrent à ce rapport toute l'attention qui convenait et, à la fin d'octobre, le Conseil Consultatif du Traité de Bruxelles fut en mesure d'annoncer 'une complète identité de vues en ce qui concerne le principe d'un pacte défensif de l'Atlantique Nord et les démarches à entreprendre à ce sujet". Ces 'démarches' consistaient essentiellement à rédiger le texte du traité de l'Atlantique Nord. Les représentants des sept puissances abordèrent cette tâche à Washington le 10 décembre 1948.

Au cours de l'été, il était devenu évident que l'idée première d'une association entre les Etats-Unis et les puissances signataires du Traité de Bruxelles allait céder le pas devant celle d'un groupement plus large. Le 13 octobre 1948, le gouvernement du Canada avait annoncé qu'il était disposé à se joindre à un tel groupe. Les autres pays dont les négociateurs souhaitaient l'accession étaient la République d'Irlande et la Suède (qui n'entrèrent pas dans l'alliance), l'Islande, la Norvège, le Danemark, le Portugal et l'Italie - l'inclusion de cette dernière particulièrement appuyée par la France. Dans le même temps, la France obtenait l'incorporation des trois départements français d'Algérie dans la zone d'application du traité.

La position du Danemark et de la Norvège à l'égard du traité fut quelque temps incertaine. Les pourparlers engagés par ces pays avec la Suède en vue de conclure un pacte Scandinave séparé avaient échoué parce qu'il s'était révélé impossible de concilier la politique suédoise de neutralité totale avec le désir de la Norvège de voir tout système défensif Scandinave coopérer avec les puissances occidentales. Le 5 février 1949, le Ministre des Affaires Etrangères de la Norvège, M. Harvard M. Lange, partit pour Washington dans le but de se renseigner sur le pacte atlantique. Quelques heures avant de quitter Oslo, il avait pris connaissance d'une note de l'Union Soviétique, invitant la Norvège à conclure avec l'URSS un pacte de non-agressïon. Courageusement, la Norvège fit son choix. Elle déclina l'offre russe et décida, le 3 mars, de se joindre à l'alliance atlantique - après avoir toutefois précisé qu'elle n'autoriserait pas le stationnement de troupes étrangères en territoire norvégien tant que le pays ne serait ni attaqué, ni menacé de l'être. Le Portugal décida également de se joindre aux autres puissances atlantiques lorsqu'il fut bien établi que le traité ne porterait pas atteinte aux liens étroits qui l'unissaient à l'Espagne, et que des troupes étrangères ne seraient pas stationnées aux Açores en temps de paix.
Le 15 mars 1949, les puissances signataires du Traité de Bruxelles, le Canada et les Etats-Unis d'Amérique invitèrent officiellement le Danemark, l'Islande, l'Italie, la Norvège et le Portugal à accéder au traité, dont le texte fut rendu public le 18 mars, deux semaines avant sa signature.

Pendant toute la durée des négociations, l'Union Soviétique avait fait son possible pour empêcher la conclusion du traité. Le 29 janvier 1949, Moscou attaqua vivement le Pacte de Bruxelles et affirma à tous le peuples d'Europe qu'une alliance nord-atlantique ne serait qu'un instrument de l'impérialisme anglo-saxon. Le 31 mars, le gouvernement soviétique adressait un mémorandum aux douze futurs signataires du traité, soutenant que celui-ci était contraire à la Charte des Nations Unies et aux décisions du Conseil des Ministres des Affaires Etrangères. Les douze pays répondirent à ce mémorandum par une note commune qui fut remise à la Russie deux jours plus tard. Cette note de quelques lignes, rédigée en termes très simples, déclarait que le texte du traité constituait par lui-même la meilleure réponse aux allégations soviétiques car il en ressortait, de toute évidence, que l'alliance n'était dirigée ni contre une nation ni contre un groupe de nations, mais seulement contre l'agression armée.
Le 4 avril 1949, le Traité de l'Atlantique Nord fut signé à Washington par les ministres des Affaires Etrangères des pays suivants : Belgique (M. Paul-Henri Spaak), Canada (M. Lester B. Pearson), Danemark (M. Gustav Rasmussen), Etats-Unis (M. Dean Acheson), France (M. Robert Schuman), Islande (M. Bjami Benediktsson), Italie (Comte Carlo Sforza), Luxembourg (M. Joseph Bech), Norvège (M. Halvard M. Lange), Pays-Bas (Dr. D. U. Stikker), Portugal (Dr. José Caeiro da Matta) et Royaume-Uni (M. Ernest Bevin). Les parlements des pays membres le ratifièrent dans les cinq mois qui suivirent. La Grèce et la Turquie furent plus tard invitées à se joindre à l'alliance: elles y accédèrent officiellement le 18 février 1952.


Notes:

  1. Cité dans 'Triomphe et Tragédie' par Sir Winston Churchill.
  2. Au 31 mars 1949, l'URSS avait conclu des traités d'assistance mutuelle avec les pays d'Europe centrale et orientale suivants: Tchécoslovaquie (12 décembre 1943) ; Yougoslavie (11 avril 1945); Pologne(21 avril 1945); Roumanie (4 février 1948); Hongrie (18 février 1948); Bulgarie (18 mars 1948).
    Les 'démocraties populaires' d'Europe étaient liées par des traités analogues : Pologne-Yougoslavie (18 mars 1946); Tchécoslovaquie-Yougoslavie (9 mai 1946); Albanie-Yougoslavie (9 juillet 1946); Tchécoslovaquie-Pologne (10 mars 1947); Bulgarie-Yougoslavie (27 novembre 1947); Hongrie-Yougoslavie (8 décembre 1947); Albanie-Bulgarie (16 décembre 1947); Roumanie-Yougoslavie (19 décembre 1947);
    Bulgarie-Roumanie (16 janvier 1948); Hongrie-Roumanie (24 janvier 1948); Tchécoslovaquie-Bulgarie (23 avril 1948); Bulgarie-Pologne (29 mai 1948); Pologne-Hongrie (18 juin 1948); Hongrie-Bulgarie (16 juillet 1948); Tchécoslovaquie-Roumanie (21 juillet 1948); Pologne-Roumanie (26 janvier 1949). Si l'on compte l'accord du 16 avril 1949 conclu entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie et si l'on supprime les sept traités avec la Yougoslavie qui furent dénoncés unilatéralement par le bloc soviétique en 1949, il reste seize traités pour l'Europe orientale. Les traités avec les Etats ex-ennemis ne furent conclus qu'après l'entrée en vigueur des traités de paix avec la Hongrie, la Bulgarie, et la Roumanie.
  3. Voir des extraits du Traité de Bruxelles dans l'Appendice II

  4. Voir le texte intégral de la Résolution Vandenberg à l'Appendice III

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