Edition Web
Vol. 40- No. 5
Octobre 1992
p. 27-30
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Un
programme scientifique de
l'OTAN dans l'esprit de la Conférence de Rio
Luis Veiga da Cunha,
Directeur du Programme spécial de l'OTAN sur la science des modifications
de l'environnement terrestre
Voici cinq cents ans, 'homme décida de découvrir la taille
de la terre. Cette réunion nous a permis de découvrir ses
limites." Telles furent les paroles du Premier ministre espagnol,
Felipe Gonzalez, lors du Sommet de la Terre, organisé à
Rio de Janeiro en juin dernier. Cette réunion, officiellement baptisée
Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement
(CNUED), constitua le plus important rassemblement de dirigeants nationaux
de l'histoire. Des représentants de 178 pays étaient présents,
dont 118 chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi que de nombreuses organisations
internationales.
Le lendemain de la clôture de la conférence, les opinions
quant à ses résultats étaient manifestement divisées.
Certains considéraient que la conférence était un
échec et que ses résultats étaient loin de répondre
à ce que l'on attendait. D'autres voyaient en elle un succès
et une promesse pour l'avenir.
Peu après la tenue du Sommet de la Terre, Maurice Strong, secrétaire
général de la Conférence de Rio et de la Conférence
des Nations unies sur l'environnement organisée à Stockholm
vingt ans plus tôt, avait défini ce succès comme l'apport
annuel minimum de dix milliards de dollars supplémentaires d'"argent
frais" par les pays occidentaux pour financer 1' engagement envers
1' environnement du Tiers monde. Ce résultat fut loin d'être
atteint, puisque - à la fin de la conférence - Maurice Strong
dut se contenter d'évaluer l'aide à l'environnement à
six milliards de dollars, tandis que les organisations écologiques
calculèrent que l'apport de l'aide nouvelle n'atteignait que deux
milliards de dollars. Le Sommet de la Terre fut manifestement marqué
par un accroissement de la tension Nord-Sud sur les questions pécuniaires.
C'est au début des années soixante-dix que l'environnement
apparut pour la première fois comme un domaine dans lequel des
politiques à la fois nationales et internationales devaient être
établies et comme une source de préoccupation pour les administrations
publiques nationales. La Conférence de Stockholm de 1972 constitua
sans nul doute un jalon important dans ce changement d'attitude. Un autre
événement important fut constitué par le rapport
intitulé "Les limites de la croissance", élaboré
pour le Club de Rome la même année par le groupe MIT dirigé
par Donella Meadows. Au cours des deux décennies qui se sont écoulées
entre les Conférences de Stockholm et Rio, des changements importants
sont certainement intervenus, non seulement dans la nature des problèmes
d'environnement auxquels nous sommes confrontés, mais également
dans l'attitude du grand public et des dirigeants politiques face à
ces problèmes. Il est intéressant de noter que, si "Le
développement et l'environnement" constituait le dernier des
cinq grands sujets à l'ordre du jour de la Conférence de
Stockholm, cette question représenta le thème d'ensemble
de la Conférence de Rio.
A Stockholm, l'idée prédominante était "d'abord
le développement, l'environnement viendra ensuite"; à
Rio, le développement et l'environnement furent considérés
comme deux aspects d'une même réalité. A Stockholm,
l'environnement apparaissait comme l'objet d'une politique: la politique
de l'environnement; à Rio, il fut admis que toutes les politiques
devaient prendre l'environnement en considération. Après
Stockholm, plusieurs pays se dotèrent d'un ministère de
l'Environnement; après Rio, il apparut que les ministères
de l'Environnement ne devaient plus, en théorie, être nécessaires,
puisque l'environnement était sensé être présent
dans les politiques de tous les ministères.
En outre, à Stockholm, le principe moteur consistait à considérer
que les questions d'environnement étaient essentiellement du ressort
des pays riches et que les pays pauvres ne devaient par conséquent
pas s'en préoccuper exagérément. A Rio, l'incidence
des problèmes d'environnement sur les pays du Tiers monde apparut
comme une question majeure. L'un des acquis essentiels de la Conférence
de Rio réside dans l'accession de l'environnement au nombre des
questions de portée internationale, avec l'économie et la
sécurité.
Le "Rapport Brundtland", rédigé en 1987 par la
Commission mondiale sur l'environnement et le développement créée
à l'initiative de l'Assemblée générale des
Nations unies, constitua le point de départ de la décision
d'organiser la CNUED. Ce rapport s'articule autour du concept de "développement
durable", défini comme "un développement qui répond
aux besoins du présent sans compromettre l'aptitude des futures
générations à répondre à leurs propres
besoins". Ce concept fut au coeur des préoccupations du Sommet
de la Terre et, après deux ans de discussions politiques et techniques,
a débouché sur le rapport stratégique de 800 pages
de la conférence, "AGENDA 21", qui constitue l'ébauche
de l'action en matière d'environnement pour tout le XXIème
siècle et l'un des acquis majeurs de la conférence. La "Déclaration
de Rio" constitue un autre acquis. Il s'agit d'une déclaration
de principes non-contraignante traitant des droits et responsabilités
des pays en relation avec l'environnement. Parmi les autres acquis importants,
citons quatre conventions traitant des problèmes de l'environnement
terrestre (qui devaient être signées pendant ou peu après
la Conférence de Rio), à savoir, respectivement, les conventions
sur les changements climatiques, la biodiversité, les forêts
et la désertification.
Deux de ces conventions - celles sur les changements climatiques et la
biodiversité - furent signées à Rio, même si,
dans le cas de la première, les engagements sur les objectifs et
le calendrier ne furent pas aussi fermes que certains l'auraient souhaité,
et, dans le cas de la seconde, l'absence de signature de la part des Etats-Unis
engendra une profonde déception. Il n'en demeure pas moins que
la signature de ces deux conventions par 153 pays peut probablement être
considérée comme la réussite la plus importante de
la Conférence de Rio. Remarquons ace sujet l'évolution intervenue
depuis 1985, lorsque 14 pays seulement signèrent la Convention
de Vienne sur la limitation des produits chimiques nocifs pour la couche
d'ozone, tout en notant qu'elle aboutit finalement à la signature
du Protocole de Montréal, un accord international indéniablement
très positif portant sur le problème global de l'environnement.
La convention sur les forêts ne put être signée en
raison de la résistance de certains pays pour lesquels le bois
constitue une importante richesse, et seule une timide "Déclaration
sur les principes de la forêt" fut approuvée. Enfin,
il convient de noter que l'idée de la signature d'une convention
sur la désertification ne fut évoquée qu'à
un stade avancé des travaux préparatoires de la conférence.
En conséquence, il ne fut pas possible de signer cette convention
à Rio, mais il fut convenu que les mécanismes appropriés
seraient rapidement activés.
Parmi les thèmes ayant fait l'objet de discussions à la
conférence, la croissance démographique fut pratiquement
évitée à Rio pour des raisons politiques, religieuses
et culturelles. Elle n'apparaît que timidement, sous la forme d'un
des 40 chapitres de F "AGENDA 21", et a reçu moins d'attention
que les changements climatiques. Nombre des possibles effets négatifs,
dus aux changements climatiques, se manifestent toutefois dès maintenant,
et n'ont rien à voir avec le dioxyde de carbone: la désertification
progresse, les forêts disparaissent, les récoltes sont moins
abondantes et certaines espèces s'éteignent. Il s'agit-là
de l'action conjointe des forces exercées par la croissance démographique
et la pauvreté, qui constituent de fait les principales menaces
pour l'environnement et le développement - les deux préoccupations
à Rio.
La contribution de l'OTAN
Bien que largement absente de la préparation de la Conférence
de Rio et en dépit de son absence à la conférence
proprement dite aux côtés des nombreuses organisations intergouvernementales,
agences spécialisées et programmes participants à
la CNUED, l'OTAN a participé de manière sporadique à
certains des événements préparatoires (1).
En outre, le Comité scientifique de l'OTAN a, indépendamment,
pris une initiative importante, qui s'inscrit dans la ligne des objectifs
de la Conférence de Rio, en approuvant le "Programme spécial
sur la science des modifications de T'environnement terrestre" (programme
qui sera actif de 1990 à 1995).
Ce programme spécial a pour but de promouvoir la recherche liée
aux changements potentiels de l'environnement de la terre. Il vise en
particulier à décrire et à comprendre les processus
physiques, chimiques et biologiques interactifs qui assurent la régulation
du système planétaire dans son ensemble. Son objectif essentiel
consiste à développer notre aptitude à prédire
les changements de l'environnement terrestre, particulièrement
ceux qui résultent de l'impact de l'homme sur le climat.
La plupart des recherches liées aux changements de l'environnement
terrestre sont organisées aux niveaux international et national.
On considère cependant que la recherche interdisciplinaire ne progresse
pas comme elle devrait pour nous permettre de mieux comprendre les changements
qui interviennent dans l'environnement. Le plus souvent en effet, les
efforts demeurent confinés à des disciplines spécifiques.
C'est pourquoi le Programme spécial de l'OTAN est conçu
pour promouvoir le développement d'une forte collaboration inter-discipli-naire,
afin d'étudier en profondeur les interactions et rétroactions
entre les différents composants du système terrestre.
Les changements de l'environnement terrestre portent sur les conséquences
de tout processus biosphérique, géosphérique, atmosphérique,
océanique ou socio-économique qui affecte directement l'environnement
terrestre ou par l'accumulation d'impacts locaux ou régionaux.
Parmi les changements et menaces à l'échelle mondiale, citons
le réchauffement de la terre, la raréfaction de l'ozone
dans la stratosphère, la dégradation des sols, la déforestation,
la pollution des mers régionales, etc. Les causes des changements
trouvent leur origine dans les interventions humaines sur les systèmes
de l'environnement biophysique, tels que les cycles du carbone, du soufre,
de l'azote, etc, les perturbations dans les échanges d'eau et d'énergie
entre la surface de la terre et l'atmosphère, et la surexploitation
des ressources naturelles. La compréhension de l'interface entre
les sous-systèmes biophysiques et humains constitue la clef de
la formulation de politiques correctrices en réponse aux changements
à l'échelle mondiale. L'objectif du Programme spécial
de 1 ' OTAN consi ste à contribuer à une meilleure compréhension
des processus impliqués, ainsi qu'à une évaluation
et à une minimisation de leurs menaces.
Cinq domaines d'intérêt ont été définis
pour ce programme scientifique de l'OTAN:
- systèmes climatiques et cycle hydrologique;
- processus et dynamique bio-géochimiques;
- écosysternes et changements de 1 ' environnement terrestre;
- changements de l'environnement terrestre dans le passé;
- dimensions humaines des modifications de l'environnement terrestre.
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Lors d'une réunion organisée à l'instigation de
l'OTAN en mai 1990, une quarantaine de scientifiques de réputation
mondiale, s'occupant de recherche sur les modifications de l'environnement
terrestre, furent priés d'identifier les sujets pouvant faire l'objet
d'investigations plus poussées dans les cinq domaines d'intérêt
cités plus haut. Leurs suggestions ont été prises
en compte lors de l'élaboration des activités du programme
spécial destinées à couvrir ces cinq domaines, tandis
que des propositions sont demandées à des experts reconnus
dans lesdits domaines pour remédier aux lacunes.
Le programme spécial tente de comprendre le comportement des systèmes
tant biophysique qu'humain ainsi que leur interface, en parrainant l'organisation
d'une série de séminaires de recherche avancée (ARU)
et d'écoles d'été (DSI). En conformité avec
les activités du Comité scientifique de l'OTAN, les séminaires
tentent de faire la synthèse de l'état actuel des connaissances
et de définir de futurs programmes de recherche dans des domaines
scientifiques déjà bien délimités. Les écoles
d'été fournissent pour leur part une formation avancée
à de jeunes scientifiques dans le domaine des modifications de
l'environnement terrestre, en tentant de remédier à l'inadéquation
du savoir-faire scientifique dans ce domaine et, en particulier, de satisfaire
le besoin d'attirer déjeunes scientifiques dans cette discipline
nouvelle, mais de plus en plus complexe.
Au total, vingt cinq séminaires de recherche avancée ont
déjà été organisés ou sont prévus
pour traiter d'une vaste gamme de questions, telles que les interactions
des cycles biogéochimiques du carbone, de l'azote, du phosphore
et du soufre; la modélisation paléoclimatique; les impacts
des changements à l'échelle mondiale sur les océans
côtiers; les implications biologiques des changements climatiques;
la chimie troposphérique de l'ozone; la glace dans le système
climatique; le rôle des organisations régionales dans le
contexte des changements climatiques; les changements climatiques et la
sécurité alimentaire mondiale. Six écoles d'été
ont été approuvées et fournissent une contribution
significative à des activités internationales de formation
de haut niveau, telles que les cycles du carbone, de l'énergie
et de l'eau dans le système climatique, la modélisation
des interactions climatiques océaniques, le rôle de la stratosphère
dans les changements globaux et la modélisation des données
des variations climatiques à long terme.
Des interactions complexes
En termes généraux, on peut considérer que la définition
des activités du Programme spécial repose sur la prise de
conscience du fait que le système climatique terrestre est le résultat
d'interactions et d'échanges de flux d'énergie complexes
entre l'atmosphère, les océans, les continents, les champs
de neige et de glace, et les systèmes biologiques de chacun de
leurs constituants. Il n'existe pas encore de modèle complet de
prévision numérique, décrivant les échanges
d'énergie entre les constituants et les sous-systèmes connexes.
Toutefois, l'étude de certaines interactions entre plusieurs de
ces sous-systèmes a fait de gros progrès ces trois dernières
années. Elle a notamment comporté la réalisation
d'essais de modèles couplés océan-atmosphère,
l'élaboration de modèles de glace marine, des estimations
brutes d'humidité du sol, l'établissement de bilans améliorés
du rayonnement pour divers types de nuages et une meilleure prise en compte
des flux d'énergie provenant des sous-systèmes biologiques.
L'impact des changements climatiques potentiels sur le développement
socio-économique ne peut encore être calculé avec
un degré de précision significatif, mais des efforts sont
faits au niveau interdisciplinaire par des séminaires de recherche
avancée de l'OTAN pour mieux comprendre cet impact. En conséquence,
et même si elles reposent sur des connaissances incertaines, les
données nécessaires à de nombreuses prises de décisions
importantes devraient être améliorées. La contribution
du Programme spécial de l'OTAN en la matière est indiscutable
et a d'ailleurs été pleinement reconnue par les organisations
nationales et internationales menant des programmes de recherche majeurs
dans le domaine des changements de l'environnement terrestre.
L'activité développée par la Division des affaires
scientifiques de l'OTAN apporte une précieuse contribution en aidant
à clarifier les aspects scientifiques de certaines des questions
les plus brûlantes abordées au Sommet de la Terre. Le Programme
spécial sur la science des modifications de l'environnement terrestre
s'inscrit directement dans la ligne définie à Rio, en contribuant
à la réalisation d'un développement efficace et soutenable
sur une échelle globale.
Les éléments positifs issus de la CNUED doivent être
approfondis. Les éléments plus faibles doivent être
analysés et l'action ajustée en conséquence. Le prix
d'un échec pourrait être une nouvelle guerre froide, non
entre l'Est et l'Ouest cette fois, mais entre le Nord et le Sud. Si les
politiciens persistent dans la tendance consistant simplement à
répondre aux désastres pour l'environnement plutôt
qu'à les empêcher, il se pourrait fort bien qu'après
la Conférence de Stockholm de 1972 sur l'environnement et celle
de Rio de 1992 sur l'environnement et le développement, une conférence
ayant lieu d'ici vingt ans ait pour thème "La survie de l'humanité".
Comme l'a déclaré le secrétaire général
des Nations unies M. Boutros Boutros-Ghali à la fin de la Conférence
de Rio: "Aujourd'hui, nous avons décidé de maintenir
la pollution aux niveaux actuels dont nous sommes responsables. Un jour,
nous devrons faire mieux. Nettoyer la planète."
Le Sommet de la Terre ne doit pas être jugé aux résultats
immédiats obtenus à Rio, mais au processus qu'il a lancé.
L'OTAN continuera à participer à ce processus par le biais
des activités du "Programme spécial sur la science
des modifications de l'environnement terrestre" et par le biais d'activités
liées à l'environnement encouragées par les deux
comités associés à la Troisième dimension
de l'OTAN, le Comité scientifique et le Comité sur les défis
de la société moderne.
(1) En réponse à des invitations personnelles,
l'auteur a participé à certaines étapes de la préparation
de la CNUED. Il a ainsi préparé sur demande un document
comme contribution au rapport du Comité intergouvernemental sur
les changements climatiques (CICC) et a participé à ASCEND
21 (Agenda of Science for Environment and Development into thé
21stCentury) -la conférence d'experts organisée par le Conseil
international des unions scientifiques (CIUS) pour discuter les aspects
scientifiques de l'environnement et du développement en relation
avec la CNUED (Vienne, novembre 1991) -, ainsi qu'à la Conférence
internationale sur l'eau et l'environnement (Dublin, janvier 1992) - une
conférence d'experts organisée par l'Organisation météorologique
mondiale (OMM).

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