Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 39- No. 6
Déc. 1991
p. 3-8

L'OTAN transformée:
la portée du sommet de Rome

Manfred Wörner,
Secrétaire général de l'OTAN et président
du Conseil de l'Atlantique Nord

La réunion des chefs d'Etat et de gouvernement de 1 ' Alliance les 7 et 8 novembre 1991 à Rome a marqué un tournant décisif non seulement dans l'histoire de l'OTAN, mais aussi dans celle de l'Europe (1). Le sommet de Rome a été la dernière d'une série de réunions de haut niveau qui, depuis deux ans, ont orienté la transformation de 1' Alliance et redéfini son rôle et ses missions dans la nouvelle Europe. L'importance de ce processus de mutation n'est pas simplement liée à la rapidité de sa mise en œuvre, mais aussi au consensus exceptionnel et à la communauté de vues entre les 16 Etats membres de l'Alliance qui ont caractérisé cet exercice de grande envergure englobant tous les aspects politiques et militaires de l'Alliance établis depuis quatre décennies.

A Rome, les chefs d'Etat et de gouvernement ont donc pu annoncer que les engagements pris quinze mois plus tôt dans la Déclaration de Londres (2) ont été respectés et cela, bien qu' une part importante des efforts diplomatiques aient été concentrés pendant cette période sur la guerre du Golfe et en dépit de l'accroissement des incertitudes politiques en Union soviétique, tant avant qu'après le coup d'Etat à Moscou, en août dernier.

Le programme d'action décidé par les chefs d'Etat et de gouvernement à Londres contenait cinq éléments clés:

  • instaurer une nouvelle relation avec les pays d'Europe centrale et orientale, autrefois unis contre l'OTAN au sein du Pacte de Varsovie, mais considérant aujourd'hui l'Alliance comme un partenaire prêt à tenir compte de leur désir de se rapprocher de l'Occident et à surmonter un sentiment d'isolement et d'insécurité;

  • élaborer une nouvelle stratégie militaire qui non seulement refléterait le fait que l'OTAN ne se trouve plus confrontée à une menace unique et écrasante, mais qui permettrait également à l'Alliance de gérer les défis et les crises les plus susceptibles de menacer sa sécurité à l'avenir (3);

  • confirmer la volonté de renforcer la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) et la doter d'institutions permanentes qui soulignerait de manière plus tangible son rôle de forum paneuropéen pour la coopération et d'instrument de gestion des crises et de règlement pacifique des différends;

  • s'engager à poursuivre le processus de maîtrise des armements au-delà du traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) dans le but de limiter le potentiel offensif des forces armées à un niveau où toute attaque surprise ou agression majeure deviendrait impossible. Cet engagement s ' accompagnerait de mesures visant à intensifier la confiance et la transparence sur les activités militaires de tous les Etats membres de la CSCE, et enfin

  • encourager l'Europe à assumer une identité en matière de sécurité et jouer un rôle propre dans le domaine de la défense, dans le cadre de la construction d'un pilier européen au sein de l'Alliance, en vue de créer un partenariat transatlantique d'égal à égal, plus mûr et mieux équilibré.

Au cours des dix-huit derniers mois, l'Alliance a accompli de remarquables progrès dans ces cinq domaines. Elle ne s'est pas uniquement contentée de se transformer mais elle a joué également un rôle essentiel dans la construction d'une nouvelle architecture de sécurité européenne. L'Alliance a cependant indiqué que cet objectif ne pouvait être atteint par une seule institution, quelle que fût sa réussite.

La sécurité, la stabilité et la prospérité dans la nouvelle Europe ne peuvent venir, au contraire, que d'un cadre institutionnel homogène, dont les principaux éléments seraient l'OTAN, une Union politique européenne et le processus institutionnalisé de la CSCE. C'est pourquoi, depuis le sommet de Londres, deux catégories d'actions ont principalement aidé la transformation de l'Alliance: celle qui tend à resserrer les liens entre ces trois institutions pour les inciter à interagir de manière plus créative, et celle qui a pour but d'optimiser le rôle politique de l'OTAN dans des domaines où elle peut apporter une contribution exceptionnelle à la future architecture de sécurité européenne.

De nouvelles relations avec l'Europe centrale et orientale

Les liaisons diplomatiques établies après le sommet de Londres avec les pays d'Europe centrale et orientale ont été couronnées de succès et ponctuées de nombreuses visites de dirigeants politiques et militaires de ces pays au siège de l'OTAN. Parmi les plus importantes, rappelons celles du président Ha-vel de la République fédérative tchèque et slovaque, le président Walesa de Pologne, le Premier ministre de Hongrie, M. Antall, et au lendemain du sommet de Rome, le président Jelev de Bulgarie. J'espère que, dans un proche avenir, nous pourrons accueillir le président de Roumanie ainsi que le président Gorbatchev, et d'autres dirigeants politiques de la nouvelle Union soviétique.

Le président Havel a en particulier rendu un hommage émouvant au rôle qu'a joué l'Alliance pendant la guerre froide, en déclarant que "si l'Europe occidentale jouit aujourd'hui d'un tel climat démocratique et d'une telle prospérité économique, c'est incontestablement parce qu'elle a créé, entre autres, avec les Etats-Unis d'Amérique et le Canada, cette alliance de sécurité en tant qu'instrument de protection de sa liberté et des valeurs de la civilisation occidentale."

En ma qualité de Secrétaire général, je me suis rendu dans toutes les capitales des pays avec lesquels nous entretenons des relations, pour communiquer à leurs dirigeants, leurs parlements et leurs peuples le désir de coopération de l'OTAN. Le SACEUR, le président du Comité militaire et des fonctionnaires de haut rang de l'Alliance ont effectué des visites similaires. Il ne se passe pratiquement plus une semaine sans que moi-même ou mes proches collaborateurs n'accueillent une ou plusieurs délégations de responsables, de parlementaires, de représentants académiques ou de journalistes d'Europe centrale et orientale. Les membres du Comité politique de l'OTAN se sont rendus à Prague et à Moscou, et nous avons organisé plusieurs séminaires importants où ces pays étaient fortement représentés. L'un d'eux s'est tenu à Prague, au printemps dernier, sur le thème de la future sécurité européenne, et plusieurs autres au siège de l'OTAN, sur des questions traitant de l'économie de la défense, des plans civils d'urgence et de la gestion du trafic aérien. Le sommet de Rome a été précédé d'une autre première avec l'inauguraion, au Collège de la Défense de l'OTAN à Rome et à l'Ecole du SHAPE d'Oberam-mergau, de cours spéciaux destinés au personnel militaire de l'Union soviétique et d'autres pays d'Europe centrale et orientale.

A mesure que ces relations se développent, l'Alliance fait clairement comprendre qu'elle ne peut, à court terme, inviter ces pays à rejoindre ses membres, ni leur offrir de garanties formelles en matière de sécurité. Comme point d'ancrage de la sécurité en Europe occidentale, l'OTAN aide pourtant les jeunes démocraties à développer leur potentiel, avec un minimum d'instabilités et de troubles et sans qu'elles aient à se soucier de menaces ou d'intimidations. Cette fonction protectrice de l'OTAN a été particulièrement importante pour les pays d'Europe centrale et orientale dans les moments qui ont suivi le coup d'Etat à Moscou, en août dernier. Dans une déclaration ministérielle spéciale, nous avons rappelé que la sécurité de ces pays "est pour nous une préoccupation directe et bien réelle" et que nous considérons notre sécurité comme "indissociablement liée" à la leur (4). Les conséquences de toute tentative visant à abolir les progrès réalisés depuis ces trois dernières années au plan de la démocratie et de la liberté en Europe sont donc plus qu'évidentes.

L'un des principaux résultats du sommet de Rome aura été de porter à un niveau qualitatif inédit le processus de liaison, en reconnaissance des progrès démocratiques réalisés par les pays d'Europe centrale et orientale. A ce sommet, nous avons invité ces pays, y compris les trois Etats baltes qui ont recouvré récemment leur indépendance, à se joindre aux Alliés dans un cadre de consultations institutionnalisées, qui revêtira la forme de réunions périodiques au siège de l'OTAN, avec la participation du Conseil de l'OTAN en session permanente et celles des principaux Comités de l'OTAN. Ces pays sont également invités à assister à certaines parties des sessions ministérielles de l'Alliance. Nous entamerons prochainement cette nouvelle phase de nos relations lorsque les ministres des Affaires étrangères des pays d'Europe centrale et orientale se réuniront avec leurs homologues de l'Alliance fin décembre à Bruxelles, dans le cadre de la séance inaugurale d'un Conseil de coopération de l'Atlantique Nord. Par cette initiative, l'Alliance montre qu'elle peut répondre aux attentes des dirigeants de ces pays, désireux précisément de voir nos liaisons diplomatiques portées à ce niveau de qualité.

Parallèlement, l'Alliance atlantique et les autres grandes institutions du monde libre joueront leur rôle pour aider les pays d'Europe centrale et orientale à répondre à des besoins spécifiques. Nous organisons des visites et des échanges, nous proposons des programmes spéciaux d'étude des institutions démocratiques, nous leur offrons de participer à nos programmes scientifiques et, surtout, nous multiplions les contacts entre militaires. Notre but est d'aider les nouveaux gouvernements à restructurer leurs forces armées, s'ils le souhaitent, mais uniquement selon un modèle défensif, ouvert et transparent, et entièrement soumis à un contrôle démocratique. Nous poursuivons également notre débat sur une toute nouvelle génération de mesures de sécurité et de confiance, couvrant tous les types d'activités militaires, les budgets, les doctrines militaires, l'entraînement, etc. Parallèlement, nous favorisons les échanges d'informations et d'expériences sur la vérification et la conversion des industries de la défense en industries civiles.

Les relations entre l'OTAN et l'Union soviétique et les autres pays d'Europe centrale et orientale forment un processus dynamique, qui a évolué avec le temps et continue d'évoluer. L'Alliance exigera cependant de ses nouveaux partenaires qu'ils respectent tous les engagements pris dans le cadre de la CSCE et plus spécialement dans l'Acte final d'Helsinki de 1975 et la Charte de Paris de novembre 1990. Nous attendons notamment de ces pays qu'ils poursuivent leurs réformes politiques et économiques, qu'ils s'abstiennent de recourir à la force pour tenter de résoudre les problèmes et qu'ils respectent tous les accords sur la maîtrise des armements. L'Alliance a récemment exprimé sa préoccupation au sujet d'une éventuelle prolifération des armements nucléaires en Union soviétique. Une déclaration distincte, faite également à Rome, invite les autorités centrales comme celles des républiques à ne pas se servir des armements nucléaires comme moyen de négociation politique et à les maintenir sous une autorité unique fiable.

Réexamen de la stratégie de l'OTAN

Le second grand domaine de transformation - le réexamen de la stratégie de l'OTAN - est analysé dans les deux articles qui suivent, rédigés l'un par Michael Legge et l'autre par le général Galvin.

J'ajouterai simplement qu'au cours de ces quinze derniers mois, l'Alliance a réalisé un travail considérable pour repenser non seulement l'évaluation des risques, mais aussi tout son dispositif de forces et sa structure de commandement. Ces travaux ont abouti à la formulation d'un nouveau concept stratégique de l'Alliance, approuvé par les chefs d'Etat et de gouvernement à Rome et qui reflète la participation de la France au Groupe pour le réexamen de la stratégie. Ce nouveau concept facilitera la construction d'un pilier européen au sein de l'OTAN en encourageant l'intégration et la planification des alliés européens.

Consolider la CSCE


En renforçant ses relations avec les pays d'Europe centrale et orientale, l'Alliance a clairement indiqué qu'elle ne cherchait pas à copier ou à saper le rôle de la CSCE. Elle considère plutôt ces relations comme complémentaires d'une action de consolidation de la CSCE, dont les nouvelles institutions doivent devenir plus permanentes et acquérir l'autorité suffisante pour assurer le respect des dispositions de 1 ' Acte final d'Helsinki et de la Charte de Paris. L'engagement de l'Alliance à consolider le processus de la CSCE avait déjà été clairement exprimé dans la Déclaration de Londres de juillet 1990. Les nouvelles institutions de la CSCE créées en novembre 1990 au sommet de Paris - Centre pour la prévention des conflits, secrétariat, Bureau des élections libres et mécanisme renforcé de consultations politiques - correspondent précisément à ce que les Alliés avaient proposé à Londres.

On peut dire que le sommet de la CSCE à Paris, dans une certaine mesure, a donné naissance à la nouvelle Europe unie. La valeur de la Charte de Paris (6) peut être assimilée à une nouvelle constitution visant à régir les relations entre les Etats et dans les Etats. Nous avons également publié une déclaration commune de 22 Etats, dans laquelle d'anciens adversaires s'engagent à ne conserver que les forces armées nécessaires à la prévention des conflits et à la sauvegarde d'une défense efficace, à continuer à oeuvrer en faveur de la maîtrise des armements et à compléter les mesures de sécurité et de confiance en Europe (7).

Confirmant son engagement envers la CSCE, l'Alliance a, lors du sommet de Rome, formulé plusieurs propositions détaillées et ambitieuses pour la préparation de la conférence d'examen de la CSCE à Helsinki, en mars 1992. Elle a notamment adopté des initiatives particulières pour renforcer le mécanisme d'urgence de la CSCE en assignant un rôle plus permanent au Comité des hauts responsables et au Centre pour la prévention des conflits, et en suggérant de consacrer des moyens plus importants à la réalisation des décisions prises par la CSCE. Il convient de noter plus particulièrement l'importance de la proposition alliée de suspendre la règle de l'unanimité au sein de la CSCE pour permettre l'adoption de mesures à rencontre de pays en infraction avec l'Acte final d'Helsinki ou avec la Charte de Paris. Si cette proposition est adoptée, elle pourrait, à mon avis, marquer un tournant décisif dans l'évolution de la CSCE et sa transformation en forum de sécurité efficace, doté des instruments nécessaires pour mettre en oeuvre ses principes et ses décisions.

Un souffle nouveau pour la maîtrise des armements

Le sommet de Rome a également redynamisé le processus de la maîtrise des armements, puisqu'il a été décidé que les alliés concernés par les plans nucléaires poursuivraient des consultations étroites sur l'élimination des ogives nucléaires à courte portée basées à terre, jusqu'à ce que ce processus soit totalement terminé. Sur le plan des armements conventionnels, les chefs d'Etat et de gouvernement ont exprimé leur satisfaction quant aux résultats
atteints récemment et ils ont rappelé combien il était important que le traité FCE soit ratifié et appliqué dans les meilleurs délais. Tous les participants ont été invités à contribuer à la poursuite de résultats majeurs et positifs dans le cadre des négociations FCE-1A et des mesures de confiance et de sécurité avant l'ouverture de la conférence d'examen de la CSCE à Helsinki. En ce qui concerne le processus de sécurité après la conférence d'Helsinki, l'Alliance vise plus précisément à façonner un nouvel ordre de coopération, où aucun pays n'aurait plus à craindre pour sa sécurité. A cet égard, nos efforts seront orientés essentiellement dans trois directions: consolider la sécurité et la stabilité par le désarmement et la maîtrise des armements, intensifier le dialogue sur la sécurité, et renforcer les mécanismes de prévention des conflits.

L'identité de la sécurité européenne

Le dernier domaine dans lequel l'OTAN poursuit son processus de transformation a trait à l'appui et à l'encouragement actifs que nous apportons à un rôle spécifiquement européen en matière de politique étrangère et de défense. Nous devons reconnaître que, même s'ils demeurent la seule superpuissance, les Etats-Unis ne peuvent diriger seuls, ni supporter seuls les charges matérielles. La crise du Golfe, où les intérêts économiques européens etjaponais étaient plus gravement menacés que les intérêts américains, arappelé combien nous avons tousbesoin aujourd'hui les uns des autres. L'OTAN est pleinement consciente du fait que l'Europe ne peut assumer la part des responsabilités globales qui lui revient si les efforts des différents Etats européens restent dispersés, voire divergents. Et l'unification des efforts européens nécessite que ces Etats prennent entre eux des engagements contractuels.

Nous sommes actuellement confrontés à deux processus historiques majeurs, pour ne pas dire décisifs. L'un a trait à l'unification de l'Europe et à une union européenne dotée d'une approche commune en matière de politique étrangère, de sécurité et, à plus long terme, de défense. L'autre porte sur la transformation de l'Alliance atlantique. Notre tâche est de concilier ces deux processus de manière à ce qu'ils se renforcent mutuellement. L'union européenne n'est réalisable que moyennant le maintien et le renforcement du lien transatlantique. A cet égard, le communiqué des ministres des Affaires étrangères réunis à Copenhague en juin dernier - et approuvé par les 16 Etats membres - définissait déjà les principes devant régir les décisions pratiques nécessaires pour assurer la transparence et la complémentarité requises entre l'identité de la défense et de la sécurité européennes à mesure qu'elle se développe au sein de la Communauté et de l'UEO d'une part, et de l'Alliance d'autre part - un processus qui nécessitera des relations très suivies au plan de l'organisation (8).

A Rome, les chefs d'Etat et de gouvernement ont vigoureusement réaffirmé la validité des principes énoncés à Copenhague, tout en franchissant une étape supplémentaire. Ils ont en effet décidé de préserver la cohérence opérationnelle dont dépend l'OTAN et ont accueilli avec satisfaction la perspective d'un renforcement du rôle de l'UEO à la fois comme composante de défense du processus d'unification de l'Europe et comme moyen de la consolidation du pilier européen de l'Alliance. Ils ont souligné la nature différente des relations qu'entretient 1' UEO avec 1' Alliance d'une part et avec l'union politique européenne d'autre part. Les principes de Copenhague, renforcés au sommet de Rome, constituent le critère reconnu d'après lequel nous devons évaluer les récentes propositions anglo-italiennes et franco-germaniques, ainsi que toutes les autres propositions qui pourraient être formulées à l'avenir. Comme cela a été souligné au sommet de Rome, les consultations au sein du Conseil de l'Atlantique Nord sur les progrès de la conférence intergouvernementale sur l'union politique de la Communauté européenne ont certainement été très précieuses pour l'application de l'engagement pris envers la transparence. Il appartient désormais aux Etats membres de la CE de décider des dispositions qui refléteront le mieux leurs objectifs quant à l'identité de sécurité et quant au rôle de défense de l'Europe dans le renforcement du pilier européen de 1' Alliance.

L'Alliance de demain

Le sommet de Rome n'a bien sûr pas pu répondre à toutes les questions qui se posent à propos du futur rôle et des futures tâches de l'OTAN. Il s'est attaché à étudier la phase actuelle de la transformation de l'Alliance et il ne fait aucun doute que d'autres sommets seront nécessaires pour poursuivre ce processus, et apporter d'autres adaptations en fonction des développements. Rome a cependant montré que l'OTAN était parvenue, en période de troubles, à maintenir clairement et fermement le cap qui avait été défini à Londres et à mener à bien des changements radicaux.

La nouvelle OTAN restera avant tout un moyen de défense commune, par le biais d'accords collectifs. De tous les organismes de sécurité qui existent dans le monde, l'OTAN est le seul à disposer d'engagements contractuels entre ses membres et d'un potentiel militaire commun pour l'action aussi bien que pour la consultation. Ainsi, elle est unique de par son aptitude à garantir la sécurité de ses membres - ce que tous les alliés sont, naturellement, déterminés à préserver. La structure militaire intégrée de 1 ' OTAN en particulier acquerra plus d'importance comme moyen permettant aux alliés de partager missions et responsabilités et de minimiser les risques qui auraient pu découler, pour la sécurité, des importantes restrictions imposées aux budgets nationaux de la défense. De plus en plus, tous les alliés, grands ou petits, auront besoin de 1 ' Alliance pour parvenir à un niveau de sécurité qu'ils ne pourraient atteindre individuellement, dans un environnement plus complexe et multidirectionnel.

Tous les participants qui ont pris la parole au sommet de Rome ont souligné que, si l'OTAN est moins indispensable aujourd'hui pour la protection à court terme, elle l'est au contraire davantage pour la stabilité à long terme. Dans le contexte plus spécifique des efforts que déploie 1 ' Europe de 1 ' Ouest pour se forger une identité propre en matière de sécurité et de défense, tous ont reconnu que ces efforts seraient vains, et même, qu'ils affaibliraient la sécurité européenne s'ils n'étaient pas liés aux Etats-Unis et au Canada. Il est certain que l'engagement militaire de l'Amérique du Nord peut être réduit - et il l'est d'ailleurs - de plus de cinquante pour-cent pour ce qui concerne les Etats-Unis -mais il doit rester significatif sur le plan militaire. Sans un engagement nord-américain, les pays européens perdraient cet élément d'assurance qui leur a permis d'intégrer et de surmonter des animosités historiques. Pour reprendre les termes d'un commentateur, les Etats-Unis restent le "pacificateur" de l'Europe - sans qui les pays européens seraient tentés de renationaliser leurs politiques de défense et d'en revenir aux pactes militaires fragiles du passé.

Il va de soi que nous formons le vœu de voir se créer une nouvelle Union soviétique, où la Russie et les autres républiques soviétiques se transformeront en démocraties stables, dotées d'économies de marché et de liens étroits avec la communauté internationale, mais cela prendra du temps. Nous ne savons pas encore si nous assisterons à l'avènement d'une version soviétique de la Communauté européenne ou à celui d'une Russie qui ressemblerait davantage à l'ancienne URSS, avec des niveaux similaires de puissance conventionnelle et nucléaire. L'effondrement du communisme n'est pas synonyme d'élimination totale ou définitive des forces conservatrices qui, aux niveaux régional et local, peuvent encore enrayer les réformes politiques et, surtout, les réformes économiques dont dépend l'avenir des républiques soviétiques. N'oublions pas qu'à elle seule, la Russie est presque aussi grande que les Etats-Unis et le Canada réunis. L'Alliance ne doit bien sûr pas contrebalancer la puissance militaire soviétique de la même manière qu'elle l'a fait jadis. En fait, elle peut exploiter les opportunités qui se présentent de coopérer avec la nouvelle Union soviétique et avec les autorités centrales et celles des républiques qui se mettent en place, et elle le fait. L'Alliance reste cependant indispensable en tant que contrepoids stratégique d'une masse géopolitique impressionnante, toujours dotée d'une puissance militaire considérable.

D'autres risques encore menacent la sécurité de nos Etats membres. Ces risques sont liés à l'instabilité et à l'incertitude qui prévalent en Union soviétique, dans les pays d'Europe centrale et orientale, dans les Balkans et dans la région en crise qui s'étend du Maghreb au Moyen et au Proche Orient. L ' OTAN est la seule organisation de sécurité collective qui fonctionne, mais il reste à mettre en place des structures de sécurité paneuropéennes efficaces, garantissant la paix et la stabilité.

Bien qu'elle tire sa force et sa vitalité du lien transatlantique, de sa structure militaire intégrée et de son forum permanent de consultations, l'Alliance de demain n'en élargira pas moins son rôle politique pour promouvoir activement le dialogue et la coopération. L'importance qu'elle revêt et les avantages directs qu'elle apporte aux Etats qui n'en sont pas membres grandiront avec le temps. Mais je ne pense pas que l'OTAN doive chercher à se muer en une organisation de sécurité paneuropéenne ni, comme certains le prétendent, à devenir, en fin de compte, le bras de sécurité de la CSCE. Une telle évolution diluerait les engagements entre les alliés et limiterait son aptitude à traduire dans les faits un objectif commun. La CSCE est, de toute évidence, le forum par excellence pour l'analyse des dimensions politique, économique et juridique de situations de crise et de tension en Europe. Parallèlement toutefois, si la présence stabilisatrice de l'Alliance contribue déjà au bon fonctionnement du processus de la CSCE et à la prévention de conflits potentiels, la relation qui existe entre ces deux institutions doit devenir plus intense et plus concrète.

Outre l'expérience et le savoir-faire qu'elle peut apporter à la gestion du régime de maîtrise des armements après la conférence de la CSCE à Helsinki, l'Alliance pourrait également mettre sa logistique, ses ressources en matière de renseignement et même ses forces de réaction rapide à la disposition d'opérations de sauvegarde de la paix ou de missions d'observation décidées par la CSCE ou les Nations unies. Les concepts se référant à la délimitation de zones perdront peu à peu leur importance. L'OTAN devra poursuivre l'amélioration de ses instruments politiques et militaires pour pouvoir gérer les nouveaux types de crises et de conflits et appuyer, autant que possible, des missions humanitaires et pacifiques. Je dois souligner qu'il s'agit là d'une opinion toute personnelle, pour le long terme, et qu'elle est loin de faire l'unanimité des Etats membres aujourd'hui. Mais je suis convaincu que c'est dans cette direction que nous devons aller. Nous devons penser plus loin si nous voulons conserver notre avance.

Notre Alliance a déjà accompli d'importantes progrès dans son processus de transformation. Sa justification réside non seulement dans son objectif initial, mais aussi dans la transformation qu'elle a subie avec le temps. L'Alliance est devenue une communauté de valeurs et de destin, un forum de consultations politiques sur des questions vitales ayant trait à la politique étrangère et à la sécurité. Elle est, en quelque sorte, un facteur de changement. A cet égard, le sommet de Rome a pris les décisions appropriées pour que l'Alliance poursuive clairement sa route en fonction de ce nouveau cap. Elle deviendra laprincipale organisation de sécurité dans la future architecture euro-atlantique où tous les Etats, quels que soient leur taille et leur emplacement géographique, devront bénéficier de la même liberté, de la même coopération et de la même sécurité.


(1) Le texte de la Déclaration de Rome est publié dans la rubrique Documentation de ce numéro.
(2) Le texte de la Déclaration de Londres a été publié dans la Revue de l'OTAN N°4, août 1990, p. 32
(3) Le texte du nouveau concept stratégique de l'Alliance est publié dans la rubrique Documentation de ce numéro.
(4) Déclaration sur la Situation en Union soviétique, publiée à l'issue de la réunion ministérielle du Conseil de l'Atlantique Nord du 21 août 1991. Texte publié dans la Revue de l'OTANN°4, août 1991, page 9.
(5) Voir rubrique Documentation