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Mise à jour: 08-Sep-2002 | Revue de l'OTAN |
Edition Web
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L'Alliance atlantique à l'ère nouvelle
Manfred Wôrner
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Or, aucun de ces trois points ne peut être démontré
de manière convaincante.
Davantage qu'une alliance militaire
En ce qui concerne le premier point, l'OTAN n'a hamais été une alliance militaire classique composée de nations disparates, voire antagonistes, dont le seul facteur d'union aurait été l'hypothèse que "l'ennemi de mon ennemi est mon ami". Dépendante, au départ, du leadership américain, l'Alliance a évolué avec le temps en une communauté politique de pays égaux partageant les mêmes valeurs et, de plus en plus, lesmêmes intérêts. Le Traité de Washington de 1949 ne mentionne à aucun moment l'Union soviétique mais souligne la nécessité d'une communauté permanente de démocraties occidentales, cherchant à se renforcer mutuellement par le biais de la coopération et travaillant de concert à l'établissement de relations internationales plus pacifiques. L'Alliance a joué un rôle majeur en rapprochant d'anciens ennemis comme la France et l'Allemagne, en luttant contre le néo-isolationnisme au sein de la plus grande puissance mondiale et en encourageant le développement de nouvelles normes de consultation et de coopération entre ses membres. Même en l'absence de menace soviétique au lendemain de la guerre, tous ces facteurs auraient apporté une contribution indispensable à la sécurité et à la prospérité européennes. Paul-Henri Spaak a dit un jour que Joseph Staline était le père de l'OTAN - ce qui n'est vrai que dans le sens où il a servi de catalyseur à l'avènement d'une forme unique de coopération internationale, nécessaire à la réalisation d'une mission d'endiguement et à d'autres tâches essentielles.
Modification de la menace
En ce qui concerne le deuxième point, il est exact que nous devons
nous habituer au nouveau paysage de la sécurité européenne,
un paysage d'où a disparu la menace directe d'une agression soviétique
massive et où la priorité n'est plus de faire face à
un danger imminent. Cela ne veut pas dire pour autant que le pouvoir militaire
ne continuera pas à abuser de sa position pour déterminer
des relations politiques au sein des Etats, comme l'ont malheureusement
démontré les récents événements de
Vilnius. De même, les risques auxquels les Alliés se trouvent
actuellement confrontés en Europe viennent moins d'une agression
planifiée motivée par une idéologie que des conséquences
stratégiques des risques et instabilités inhérents
à de longues périodes de transformations économiques
et sociales aussi soudaines que radicales - comme celles que nous vivons
actuellement. Comme nous avons pu le constater récemment encore,
la disparition de l'affrontement lié à la Guerre froide
n'a pas éliminé l'incertitude. L'évolution de l'Union
soviétique est aujourd'hui moins prévisible qu'elle ne l'a
jamais été depuis l'accession de M. Gorbatchev au pouvoir.
La démission d'Edouard Chevardnadze a encore accru nos appréhensions.
Comme Gorbatchev, cet homme symbolisait la nouvelle politique étrangère
soviétique d'ouverture et de coopération; sa visite au siège
de l'OTAN en décembre 1989 a marqué le début d'une
nouvelle ère d'amitié et de coopération entre l'Alliance
et l'Union soviétique. Ces appréhensions ont été
considérablement avivées par les actes de répression
menés, ces dernières semaines, dans les républiques
baltes. De tels actes sont en contradiction flagrante avec les principes
de la CSCE que l'Union soviétique s'est engagée à
respecter, et mettent gravement en péril l'évolution de
ce pays vers la démocratisation et la réforme économique.
Si ces deux processus sont interrompus, l'Union soviétique, loin
de parvenir à la paix et à la stabilité internes,
sera entraînée dans un tourbillon infernal menant au chaos
et à l'aggravation des rivalités nationalistes. C'est pourquoi
l'Alliance insiste pour que M. Gorbatchev cesse de recourir à la
force et poursuive une politique de négociations pacifiques, de
réformes et d'ouverture. Nous nous sommes engagés à
apporter notre plein appui et une assistance concrète au dirigeant
soviétique s'il s'oriente dans cette voie.
Même si la situation est moins confuse en Europe centrale et orientale,
il est encore trop tôt pour dire si les réformes y seront
couronnées de succès. En 1990, nous avons également
dû faire face aux inévitables conséquences de l'effondrement
du communisme: immensité des défis à relever, pour
des pays déjà proches de l'asphyxie après un demi-siècle
de mauvaise gestion communiste; instabilité pouvant résulter
d'une nouvelle division de l'Europe en fonction des richesses; reprise
des options nationalistes et des luttes ethniques, non pas provoquées,
mais invariablement exacerbées par l'échec économique.
Déjà, on agite le spectre d'exodes massifs de populations
fuyant les zones de tension pour trouver refuge à l'Ouest. Même
dans le meilleur des scénarios, l'avènement d'une collectivité
européenne partageant les mêmes normes de sécurité,
des niveaux de vie équivalents et un même sens de la participation
nécessiterait à la fois beaucoup de temps, des efforts soutenus
de la part des pays concernés en vue de réformer leurs économies,
et une aide massive et régulière de l'Ouest.
Ce serait aussi simplifier les choses à l'excès que de
prétendre que la puissance militaire soviétique ne doit
plus être prise en compte dans la planification de la sécurité
européenne. En dépit de leurs problèmes internes,
les Soviétiques éprouvent toujours, manifestement, le besoin
de conserver un potentiel militaire considérable et ultra-moderne,
pour que leur pays reste la nation la plus puissante - et de loin - d'Europe.
Le niveau actuel des dépenses militaires soviétiques, la
modernisation de leur équipement, notamment dans le domaine nucléaire,
et les transferts massifs d'armements conventionnels plafonnés
par le traité FCE au-delà de l'Oural attestent cet élément
permanent de la vie internationale.
Nonobstant les réductions numériques massives au niveau
des stocks et de la production, les efforts militaires soviétiques
dépassent de loin les besoins raisonnables en matière de
défense ou tout ce que pourraient, individuellement ou collectivement,
faire les pays de l'OTAN. Rappeler ces faits au lecteur n'équivaut
pas à mettre en doute la sincérité de M. Gorbatchev
dans sa quête d'un environnement international plus stable, ni à
prétendre que la planification alliée doit continuer à
tenir compte des pires cas de figure. Tous les alliés sont persuadés
que les Soviétiques, à long terme, ont intérêt
à la coopération et à l'interaction pacifique avec
les pays de l'Ouest; pourtant, même la plus sincère des tentatives
de réforme n 'est pas à l'abri des revers et des retournements
de situation. Nos relations avec l'Union soviétique - où
les réformes sont les plus difficiles à mettre en oeuvre
et où l'opposition qu'elles rencontrent est la plus forte - présenteront
donc, pendant quelques temps encore, une double facette. D'une part, nous
espérons poursuivre et approfondir avec ce pays les relations de
coopération que nous venons d'instaurer, et organiser ensemble
la paix et la sécurité dans un esprit de partenariat; d'autre
part, pourtant, l'Union soviétique doit encore prouver qu'elle
aussi s'engage irrévocablement à poursuivre le même
objectif. Il faudra longtemps avant que ne se dessine le futur visage
de l'Union soviétique; la diplomatie ou les relations économiques
ne peuvent, à elles seules, contrebalancer l'immense potentiel
militaire ni l'importance stratégique de l'URSS. Aussi, face à
ce risque résiduel, devrons-nous continuer de prendre certaines
précautions et nous montrer vigilants.
Lorsqu'on parle d'une réduction de la menace classique pesant sur
la sécurité alliée, il ne faut pas oublier l'importance
croissante des défis trouvant leur origine en dehors du territoire
de F Alliance. Comme la crise du Golfe F a montré, de nouveaux
risques majeurs peuvent naître dans des zones inattendues. Bien
sûr, depuis sa création, l'Alliance a dû faire face
à des défis "hors zone", mais il existe aujourd'hui
de sérieuses raisons de penser que désormais, plus aucun
allié ne peut, individuellement, considérer de tels défis
comme éloignés ou secondaires. La tendance au désarmement
et à la compression des budgets de la défense dans les économies
des pays industrialisés magnifie l'importance de nombreux arsenaux
du Tiers Monde qui, à Finstarde celui de l'Irak, ont acquis une
dimension globale. Ces arsenaux renferment de plus en plus d'armes de
destruction massive qui pourraient être utilisées pour menacer
directement le territoire de F Alliance ou exercercertaines pressions
sur nos intérêts. Tout le long de la frontière sud
de notre territoire se développe en effet un arc de tension allant,
dans une certaine mesure, du Maghreb au Moyen-Orient. Les tensions y sont
exacerbées non seulement par le maintien au pouvoir de dirigeants
ambitieux et intolérants tels que Saddam Hussein, mais aussi par
les retombées de problèmes de développement profondément
enracinés qui alimentent la croissance démographique, les
migrations, les conflits pour l'appropriation des ressources, le fondamentalisme
religieux et le terrorisme. Aussi devons-nous nous rappeler, aujourd 'hui
plus que jamais, que la sécurité de 1 ' Al liance ne s'arrête
pas à nos frontières et qu'elle ne concerne pas uniquement
les pays alliés qui possèdent des liens particuliers avec
ces régions.
S'adapter aux circonstances nouvelles
J'en viens à présent au troisième point. L'Alliance
a-t-elle pu évoluer au gré du nouvel environnement et devenir
un "instrument" plutôt qu'un frein au changement nécessaire?
Les progrès que nous avons réalisés ces douze derniers
mois attestent que nous avons devancé les événements,
que nous les avons façonnés plus que nous nous y sommes
adaptés. Les décisions que nous avons prises au printemps
et à l'été 1990 en vue de modifier noue stratégie
militaire ont contribué de manière décisive à
convaincre l'Union soviétiqued'accepter l'adhésion totale
d'une Allemagne unie à l'Alliance; la souplesse dont les alliés
ont fait preuve dans l'élaboration de dispositions lelatives à
la sécurité du territoire de l'ex-RDA en constitue une autre
preuve. L'importance considérable accordée à la coopération
dans la Déclaration de Londres a convaincu les dirigeants soviétiques
que l'OTAN était prête à tenir compte de leurs légitimes
intérêts de sécurité, et qu'ils avaient tout
intérêt à accepter la liberté et les réformes
en Europe centrale et orientale s'ils voulaient gagner notre confiance
et bénéficier de notre assistance. Alors qu'elle n'a pas
encore terminé le réexamen de sa stratégie, l'Alliance
a déjà assoupli sa position de défense en Europe,
réduit les niveaux de préparation et les besoins de formation.
Nous avons manifesté la volonté de réduire nos armements
au strict minimum compatible avec nos exigences de sécurité
et, déjà, nous soumettons de nouvelles propositions de maîtrise
des armements visant à stabiliser davantage encore l'équilibre
des forces de l'après-FCE. Parmi ces propositions figurent des
limitations d'effectifs, de nouvelles mesures de confiance et de sécurité,
une négociation sur la réduction et la restructuration des
armes nucléaires de courte portée basées en Europe,
l'élimination réciproque de l'artillerie nucléaire
et de nouvelles réunions ayant pour objet la discussion de doctrines,
de budgets et de plans militaires en vue d'augmenter la transparence et
les garanties mutuelles. Parallèlement aux contacts diplomatiques
intenses évoqués plus haut, ces changements apportent la
preuve que l'Alliance n'a pas besoin d'un ennemi pour exister et qu'elle
n'a aucun intérêt à l'affrontement. L'Alliance cherche
à transformer de manière fondamentale les relations de sécurité
en Europe, plutôt qu'à simplement reproduire l'ancien modèle
d'antagonisme Est-Ouest à des niveaux de forces assouplis etréduits.
Ce processus d'adaptation de notre Alliance n'est pas un exercice ponctuel
mais une attitude constante. Le Conseil de l'Atlantique Nord en session
permanente s'est engagé dans la seconde moitié de l'année
dernière à organiser des séances de brassages d'idées,
qui devraient permettre de s'assurer que le réexamen de la stratégie
alliée, loin de se limiter aux aspects de planification militaire
et de défense, englobera toutes les tâches politiques dans
le cadre d'un concept global cohérent.
Alternatives à l'OTAN
A ce stade de notre réflexion, examinons de plus près deux
alternatives à l'OTAN fréquemment suggérées:
une organisation de défense exclusivement ouest-européenne,
ou un système de sécurité collective reposant sur
la CSCE. On s'aperçoit rapidement, à l'examen, qu'il ne
s'agit pas d'options réelles. Il ne serait ni réaliste ni
raisonnable de développer un potentiel de défense européen
totalement indépendant. Même si ce potentiel s'avérait
réalisable à court terme, il ne donnerait pas aux al 1 iés
européens le même niveau de protection militaire que celui
dont ils bénéficient au sein de l'Alliance, ni la même
aptitude à peser sur des défis affectant leur sécurité
hors d'Europe. Face à une telle initiative, les Etats-Unis et le
Canada seraient amenés àpenser que leur contribution n'est
ni nécessaire ni souhaitée. Dans un tel scénario,
il serait difficile d'empêcher un retrait complet d'Europe des forces
nucléaires et conventionnelles nord-américaines, ce qui
laisserait un grand vide en matière de sécurité.
L'autre option souvent proposée est la CSCE. L'avantage de ce processus
est qu'il implique la participation de l'Union soviétique et d'autres
pays d'Europe centrale et orientale avec lesquels nous cherchons à
établir un dialogue plus étroit et plus constructif. La
CSCE offre des potentialités considérables pour traiter
de problèmes qui, déjà, créent instabilité
et tension en Europe et qui, s'ils ne sont pas abordés aujourd'hui,
risquent d'avoir des conséquences bien plus graves encore demain:
conflits frontaliers, tensions ethniques, violations des droits de l'homme
et pratiques anti-démocratiques. Toutes ces raisons expliquent
pourquoi l'Alliance se montre si déterminée à conférer
à la CSCE une plus grande latitude pour lui permettre de gérer
ces problèmes. Nos propositions aboutiront à la création
d'institutions de la CSCE -notamment un Centre de prévention des
conflits - dont chacune disposera d'un très grand potentiel de
croissance. Cependant, même si la CSCE se montre apte à renforcer
la sécurité, elle ne pourra pas nécessairement s'en
porter garante, si elle échoue dans ses efforts de médiation
ou dans ses tentatives de faire respecter des codes de conduite communs.
Les progrès réalisés par la CSCE ne proviennent ni
de sa cohésion ni de sa dynamique internes, mais du consensus inébranlable
manifesté par l'Alliance au sein de cette conférence, dans
la définition des normes et dans le soutien qu'elle apporte au
rôle de la CSCE.
Sans l'Alliance, une CSCE laissée à elle-même serait
vulnérable à la règle du consensus entre 34 Etats
ne partageant pas les mêmes intérêts ni les mêmes
systèmes sociaux. Plutôt que d'adopter une attitude active
en cas de crise, la CSCE pourrait se trouver totalement paralysée,
notamment en 1 ' absence de tout mécanisme visant à obliger
les contrevenants éventuels à appliquer ses principes. A
court terme, la CSCE ne pourrait que refléter un état préexistant
de sécurité collective, sans être capable de la créer
pour autant. Il manque également à la CSCE cette structure
de défense intégrée qui, comme l'a montré
l'Alliance, s'avère essentielle pour surmonter les antagonismes
passés et empêcher une dangereuse renationalisation de la
sécurité. Alors que nous ne pouvons pas, aujourd'hui, quantifier
les risques auxquels nous aurons à faire face demain, l'existence
de cette structure de défense intégrée au sein de
TOT AN constitue, et de loin, la meilleure police d'assurance contre l'incertitude,
non seulement pour les alliés, mais également pour tous
les autres Etats de la CSCE.
Les principaux champs d'action
L'Alliance n'est pas seulement nécessaire; elle demeure irremplaçable.
Dès lors, la question à se poser n'est pas "l'OTAN
doit-elle être maintenue?", mais "quelle doit être
la destinée de l'OTAN?". Il est bien sûr impossible
de prévoir avec exactitude quel sera le futur visage de l'Alliance,
car il dépend de plusieurs facteurs impondérables: comment
l'union politique européenne va-t-elle se développer, et
à quel rythme? Quelle sera l'efficacité réelle d'une
CSCE institutionnalisée, et les Nations unies seront-elles mieux
à même de surmonter les problèmes de paix globale
qui ne manqueront pas de se poser dans la foulée de la crise du
Golfe? L'Union soviétique va-t-elle se muer, même lentement,
en un Etat européen et en une société civile "comme
les autres", et cette évolution se déclinera-t-elle
au singulier ou au pluriel? Il ne faudrait pas pour autant assimiler ces
inconnues à une crise d'identité de l'Alliance, tant il
est vrai que les institutions européennes - la Communauté
européenne, la CSCE, le Conseil de l'Europe et 1 'Union européenne
occidentale - traversent toutes une phase de renouvellement et de redéfinition.
L'important est que l'Alliance ait une idée claire de la nature
des tâches qui lui incombent à court terme et de la direction
générale qu'elle souhaite prendre. A l'issue de nos consultations
ministérielles de Bruxelles, à la fin de l'année
dernière, je suis convaincu que ces tâches ont été
clairement identifiées et je prévois quatre grands champs
d'action pour l'Alliance.
Le premier a trait à la construction du pilier européen
de l'Alliance. Nous soutenons tous, avec enthousiasme, l'émergence
d'une dimension européenne dans les domaines de la sécurité
et de la défense. La dimension de sécurité européenne,
qui résultera de l'union politique de l'Europe et finira par englober
ladéfense, contribuera à la construction d'une Europe plus
forte, plus unie, capable de supporter une plus grande part de responsabilités
au sein de l'Alliance. Nous voulons que ce processus renforce le pilier
européen de notre Alliance en même temps que sa dimension
atlantique. Tous les alliés devraient être concernés
au même titre par cette évolution. Au cours des mois à
venir, le Conseil de l'Atlantique Nord développera, dans le cadre
politique élargi du réexamen de notre stratégie,
des propositions visant à établir une relation complémentaire
par le biais d'une interaction plus soutenue avec l'UEO et la Communauté
européenne. Nous apporterons les changements qui s'avéreront
nécessaires pour adapter notre Alliance à cette nouvelle
réalité.
Le deuxième champ d'action concerne l'élaboration de la
future architecture européenne. Dans un environnement fondamentalement
modifié, l'Alliance ne peut plus pourvoir à elle seule aux
besoins de sécurité, comme c'était le cas à
l'époque de la Guerre froide. Si l'Alliance reste le seul garant
réel du maintien de la paix en Europe, elle ne peut concrétiser
seule l'opportunité de paix qui se présente aujourd'hui.
Cette mission est évidemment bien plus complexe et implique que
nous nous penchions sur un concept de sécurité beaucoup
plus flou. Dans ce contexte, l'intégration et l'assistance économiques,
ainsi que la démocratisation interne des Etats, seront devenus
des facteurs tout aussi importants que la défense militaire traditionnelle
pour préserver la paix et éviter que les instabilités
ne dégénèrent en tensions susceptibles d'alimenter
à leur tour des conflits. Une telle tâche ne peut être
confiée à une seule super-institution, qui serait chargée
d'étudier à la fois les problèmes financiers, économiques,
culturels, militaires, de maîtrise des armements et de droits de
l'homme. Aussi, comme les ministres des Affaires étrangères
de l'Alliance l'ont reconnu dans leur communiqué de décembre
dernier (5), notre future architecture européenne
se composera de plusieurs organisations qui, si elles se chevauchent parfois,
n'en présenteront pas moins un caractère essentiellement
complémentaire et interagiront mutuellement, tout en poursuivant
chacune un objectif particulier.
Notre Alliance s'ouvrira alors pleinement aux autres grandes institutions
de cette architecture, notamment à la Communauté européenne,
à la CSCE et au Conseil de l'Europe. Nous viserons à développer
des liens plus étroits et des relations plus complémentaires,
en évitant les redondances et dans un esprit d'où les notions
inutiles - et destructrices - de rivalité et de compétition
auront été bannies. Nous nous efforcerons en particulier
d'aider la CSCE à faire fonctionner réellement ses nouvelles
institutions, notamment le Centre pour la prévention des conflits
(CPC) qui pourrait jouer un rôle dans l'échange d'informations
militaires et la vérification des accords sur la maîtrise
des armements. Nous étudierons les moyens de mettre certaines de
nos données, ainsi qu'une partie de notre expérience, à
la disposition du CPC.
Le troisième champ d'action est celui de lapoursuite de notre dialogue
avec l'Union soviétique et les pays d'Europe centrale et orientale.
Au cours de leur réunion de décembre dernier, les ministres
de Affaires étrangères de l'OTAN ont pris acte du désir
immense de ces pays de voir s'établir de nouveaux rapports avec
notre Alliance et de débattre de la sécurité comme
d'un sujet d'accord entre les parties en présence. Bien que les
alliés ne puissent offrir des garanties de sécurité
à ces pays et qu'il soit encore prématuré de parler
à leur égard de participation ou d'association à
notre Alliance, nous pouvons mettre ce dialogue à profit pour les
aider à surmonter leur sentiment de vulnérabilité
et d'isolement. C'est pourquoi je me réjouis que les ministres
soient convenus d'approfondir ce dialogue en élargissant les échanges
de vue, en leur insufflant une dynamique nouvelle et en coopérant
avec ces pays sur des questions d'intérêt commun.
A cet égard, je prévois que de nombreux dirigeants d'Europe
centrale et orientale viendront prendre la parole devant le Conseil de
l'Atlantique Nord, à Bruxelles, en 1991. Nous voulons multiplier
nos échanges politiques et militaires et exploiter, dans toute
la mesure du possible, notre Troisième dimension dans le domaine
scientifique et de l'environnement ainsi que notre programme d'information,
pour jeter des ponts entre l'Alliance, d'une part, et lacommunauté
scientifique et l'opinion publique de ces pays, d'autre part. Quoi qu'il
advienne, la stabilité politique et la prospérité
restent, pour les alliés, les conditions fondamentales d'une paix
durable. Le défi à relever est d'empêcher de nouveaux
clivages économiques; c'est pourquoi nous ferons tout notre possible
pour promouvoir la stabilité. A cette fin, nous développerons
nos relations avec les pays d'Europe centrale et orientale pour mettre
en pratique notre message de coopération. Nous soutiendrons également
les attentes et les aspirations légitimes des peuples baltes. Dans
une déclaration faite le 14 janvier dernier, le Conseil de l'Atlantique
Nord appelait les autorités soviétiques à respecter
pleinement les engagements pris par 1 ' Union soviétique dans le
cadre de la CSCE - engagements dont l'expression la plus récente
se trouve dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe - et à
poursuivre le processus de réforme pacifique et de changement démocratique.
Les alliés ont réitéré leur soutien à
ce processus. Ils ont également exhorté les dirigeants soviétiques
à mener un dialogue franc et sincère avec les dirigeants
démocratiquement élus afin de parvenir à une solution
négociée, basée sur les principes de F Acte final
d'Helsinki, et ont invité toutes les parties concernées
à faire preuve de retenue.
La crise du Golfe
Le quatrième et dernier champ d'action a trait aux nouveaux défis
et plus particulièrement aux risques émanant de régions
situées au pourtour du territoire de l'Alliance. La crise du Golfe
a jeté le monde dans l'affrontement militaire le plus grave qu'il
ait connu depuis de nombreuses années. Plusieurs facteurs ont incité
les commentateurs à inviter l'Alliance à jouer un rôle
majeur dans cette crise: l'agression flagrante par l'Irak d'un Etat voisin
plus petit et sans défense, ruinant nos espoirs de voir se développer
un ordre mondial plus civilisé au lendemain de la Guerre froide;
les risques éventuels que présentaient pour notre sécurité
l'immense potentiel militaire et l'ambition sans limite de l'Irak; les
dangers qu'entraînent des perturbations des approvisionnements pétroliers
pour notre prospérité et notre stabilité, et pour
celles de nombreux pays actuellement sur la voie de la réforme
ou en développement; enfin, le fait que la position de coopération
adoptée par l'Union soviétique aux Nations unies évitait
à l'Alliance un redoublement de prudence le long de l'ancien axe
Est-Ouest.
La réaction de l'Alliance face à cette crise n'a laissé
aucune place au doute. Les alliés ont fait preuve d'une totale
solidarité et leur cohésion ne s'est pas effritée
lorsque la crise a dégénéré en conflit armé.
En effet, si l'on en juge d'après d'anciens conflits hors zone,
cette solidarité a été d'une ampleur sans précédent
et ne s'est pas vérifiée uniquement sur le terrain de la
diplomatie. Les Européens ont apporté une contribution matérielle
plus importante et tous les Alliés ont contribué à
soutenir, soit la force internationale déployée dans le
Golfe, soit les pays faisant les frais des sanctions décidées
par les Nations unies. A cet égard, la rapidité exemplaire
avec laquelle l'Alliance a réagi aux demandes de la Turquie en
envoyant dans ce pays la composante aérienne de la force mobile
du CAE, et les alliés, de manière individuelle, en fournissant
des systèmes de défense aérienne, vaut d'être
notée. Cette décision a également servi à
rappeler à l'Irak notre détermination inébranlable
à respecter les engagements stipulés dans l'Article 5 du
Traité de Washington.
Les Etats-Unis n'ont donc pas été seuls dans le Golfe. De
plus, l'objectif de l'Alliance ne doit pas être de procéder
à un post-mortem de la question du partage des charges entre les
alliés, ni de spéculer sur la manière dont elle pourrait
ou devrait réagir à l'avenir à des crises similaires.
A présent que la crise du Golfe est terminée, l'Alliance
va néanmoins devoir en tirer les leçons qui s'imposent pour
améliorer à la fois ses mécanismes de gestion et
de prévention des crises. A l'évidence, ceux qui espèrent
voir l'Alliance se muer en policier de la planète ou se poser en
alternative au Conseil de sécurité des Nations unies, à
l'instar d'un club de grandes puissances chargé de dissuader et
de punir des agresseurs, seront déçus. Toute tentative d'assumer
la responsabilité de chaque problème de sécurité
pèserait trop lourd sur les structures de l'Alliance, tout en détournant
celle-ci de sa mission première qui consiste à garantir
la paix en Europe - une Europe appelée à surmonter quantité
de problèmes urgents à l'avenir.
Pourtant, l'Alliance ne peut pas non plus se permettre de rester indifférente aux événements. La crise du Golfe démontre que les Nations unies ne peuvent jouer leur rôle que s'il existe une volonté politique et une solidarité internationale. La solidarité active de l'Alliance est un élément important lorsqu'il s'agit de faire prendre conscience aux nations de l'urgence d'une situation et de leur insuffler le sentiment d'une responsabilité collective. Il est certain que, si l'Alliance ne manifeste pas un élan politique décisif, représentant - comme c'est le cas -la position de deux régions industrielles et commerciales parmi les plus importantes, on peut se demander qui d'autre le fera. Il serait déraisonnable d'attendre des Etats-Unis qu'ils supportent seuls le poids politique, économique et surtout militaire d'un leadership mondial, sans susciter chez eux une réaction catastrophique de rancur et d'isolationnisme. Le Traité de Washington engage en outre tous les alliés à oeuvrer à un ordre international plus pacifique, et ne limite pas la portée de nos consultations, de la planification de la sécurité ni de la coordination dans les domaines où cela s'avère possible. Il n'exclut pas non plus les actions communes. La crise du Golfe passée, je pense que nous explorerons certaines voies qui n'impliqueraient pas l'engagement des pays membres envers une action militaire collective dans des conflits extra-européens - une orientation qui nécessiterait, bien sûr, le consensus de tous les alliés. J'ai suggéré ainsi de mener des consultations étendues sur les risques potentiels, afin de voir si nous pouvons identifier des politiques ou des actions susceptibles d'écarter une crise, et sur la possibilité d'une entente interalliée qui enclencherait le mécanisme de coordination et de soutien de l'Alliance, une fois que les Alliés auront reconnu unanimement qu'un même problème donné affecte leurs intérêts de sécurité.
Le fait que l'Alliance accorde plus d'attention aux problèmes
extra-européens ne signifie pas que les développements ultérieurs
ressembleront nécessairement à la crise du Golfe, ni que
l'Alliance est en quête de nouveaux scénarios de menace pour
remplacer les anciens. En effet, dans la mesure où la solidarité
de la communauté internationale a contraint Saddam Hussein à
respecter les résolutions du Conseil de sécurité
des Nations unies, on peut espérer que moins d'agresseurs potentiels
oseront suivre son exemple dans un proche avenir. Parallèlement,
nous devons reconnaître que le monde à la fois plus interdépendant,
moins militarisé et plus pacifique que notre Alliance souhaite
promouvoir sera également plus sensible et plus vulnérable
au chantage dont pourrait user un petit pays, occupant une position stratégique,
tel que l'Irak. L'Alliance doit donc se préparer à affronter
de longues périodes d'incertitude et l'éventualité
récurrente de voir surgir l'inattendu; elle doit aussi être
prête à dissuader le pire, en se montrant apte à prendre
les décisions appropriées en temps opportun - ce qui, sans
aucun doute, nécessitera qu'elle affine ses outils de gestion collective.
Bien sûr, il n'est pas question que l'Alliance agisse seule. Comme
le montre la crise du Golfe,il faut pouvoir mettre en place une coalition
plus large de partenaires pour surmonter ces nouveaux défis. L'un
des problèmes où cette exigence se présente avec
le plus d'acuité est celui de la prolifération, au-delà
de la région explosive du Moyen-Orient, des armes de destruction
massive et des technologies de missiles balistiques. Il est essentiel
que nous multipliions nos efforts pour entraver cette prolifération
et créer un code de conduite plus rationnel et plus étendu
pour les transferts d'armements et de technologies vers le Tiers Monde.
Les intérêts soviétiques sont autant enjeu que les
nôtres à cet égard, et c'est là l'un des nombreux
domaines où notre coopération en matière de sécurité
avec l'Union soviétique et les autres pays d'Europe centrale et
orientale pourrait avoir un effet bénéfique immédiat.
Cette coopération sur des questions telles que la prolifération
ne peut que renforcer le dialogue sur la sécurité en Europe,
et aider l'Union soviétique en particulier à surmonter son
sentiment d'isolement et de marginalisation culturelle et économique.
L'un des pères de l'intégration européenne, Jean
Monnet, a comparé la Communauté européenne à
un alpiniste qui, parvenu au sommet d'une montagne, découvre d'autres
sommets, plus hauts encore, qu'il va lui falloirescalader. L'expérience
de l'Alliance présente certaines analogies avec cet alpiniste.
Travaillant sans relâche à mettre en oeuvre l'agenda ambitieux
défini dans notre Déclaration de Londres et à donner
une expression concrète à la politique de la main tendue
énoncée à Turnberry, nous ne réalisons que
trop bien que nous avons créé les conditions - plutôt
que les objectifs - d'une Europe globale et libre et d'un ordre international
plus sûr. La tâche qu'il nous reste à accomplir est
immense, mais nos nouvelles missions n'en sont pas moins aussi ambitieuses
et passionnantes que celles qui nous conduisaient hier à tenter
de contenir la puissance militaire soviétique. Peut-être
le sont-elles même davantage - mais je suis confiant. L'Alliance
a démontré une fois encore son extraordinaire aptitude à
anticiper les événements et à s'adapter à
des circonstances nouvelles. Elle a fait preuve d'imagination, de radicalisme
même en élaborant de nouvelles propositions, puis en oeuvrant
avec acharnement à les mettre en oeuvre. C'est précisément
en raison de ce dynamisme que le débat sur l'avenir de l'Alliance
nous donne l'occasion de réaffirmer nos objectifs, plutôt
que de les remettre en question. Si l'Alliance conserve la même
importance qu'à l'époque de la Guerre froide, c'est à
la fois parce que ses anciennes fonctions - recherche d'un contrepoids
à la puissance soviétique et maintien du lien transatlantique
- demeurent essentielles et parce que ce n'est qu'avec et par l'Alliance
que nous pourrons mener à bien nos nouvelles missions de sécurité,
nées de la disparition de l'affrontement en Europe et de l'émergence
de défis liés à la mise en place d'une nouvel ordre
mondial, plus juste et plus stable. C'est parce que l'OTAN existe que
les pays occidentaux peuvent exercer leurs responsabilités et saisir
l'occasion historique qui s'offre à eux de
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(1) Texte intégral repris dans la Revue del'OTAN,N°6,
décembre 1990, page 26.
(2) Ibid, page 27.
(3) Pour le texte du communiqué, voir la Revue
de l'OTAN, N° 3, juin 1990, page 32.
(4) Pour le texte de la Déclaration de Londres,
voir la Revue de l'OTAN, N° 4, août 1990, page 32.
(5) Pour le texte, voir la Revue de l'OTAN, N°6,
décembre 1990, page 22.